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Blaise Compaoré attendait le Père Noël. Et c’est le Père Fouettard qui débarque à Ouagadougou

Publié le samedi 6 janvier 2007 à 09h46min

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Etonnant. Vraiment étonnant. A la veille de la tenue à Ouagadougou des sommets de la Cédéao et de l’UEMOA qui promettaient d’être particulièrement importants puisqu’il y avait passage du relais entre les présidents Mamadou Tandja et Blaise Compaoré à la présidence des organisations sous-régionales...

...mais aussi désignation d’un gouverneur de la BCEAO (l’intérim est actuellement assuré par un Burkinabé) et d’un patron de la BOAD (désignations sur lesquelles, on le sait, le consensus est tout naturellement loin d’être assuré), voilà que des militaires et des policiers burkinabé sont pris d’un soudain coup de sang, se massacrent, laissent s’égayer dans la capitale quelques centaines de prisonniers.

Etonnant. Plus étonnant encore : c’est au lendemain d’un discours de Laurent Gbagbo, président de la République de Côte d’Ivoire, discours dans lequel il court-circuite les leaders de l’opposition ivoirienne pour annoncer qu’il veut traiter, directement avec les leaders de la rébellion, que ce coup de sang se produit. Hasard objectif ? Je ne suis pas loin de le penser.

Voilà un scénario qui n’est pas sans me rappeler, dans un contexte qui n’est guère différent, l’irruption de "l’affaire Zongo" dans la vie politique et diplomatique du Burkina Faso le 13 décembre 1998. Compaoré venait d’être réélu à la présidence de la République et son pays avait accueilli, les mois précédents, quelques manifestations d’envergure : France-Afrique, OUA, CAN de football, etc.

L’exploitation médiatique et diplomatique de "l’affaire Zongo" a permis de marginaliser Blaise Compaoré et le Burkina Faso pendant de longues années. Constatons d’ailleurs que les "marginalisés" s’en sont mieux sortis que ceux qui ont été à l’origine de l’opération de marginalisation.

Autre point de répère : l’assassinat de Balla Keïta au cours de l’été 2002. Opération menée à Ouagadougou à la veille de ce qui a été présenté, à posteriori, comme une tentative de coup d’Etat dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. La crise ivoirienne est devenue, du même coup, une crise sous-régionale et Abidjan a aussitôt montré Ouaga du doigt !

Peut-on penser que la mort de quelques policiers et militaires, la destruction de bâtiments publics, la libération de détenus, etc. soit une opération spontanée ?

Ainsi, l’assassinat de Balla Keïta ne serait qu’anecdotique et la campagne de presse anti-Compaoré déclenchée au lendemain du meurtre du journaliste Zongo n’aura été que le juste combat des "défenseurs de la démocratie et de la liberté de la presse" (l’assassinat de Jean Hélène et la disparition - pas encore élucidée -de Guy-André Kieffer en Côte d’Ivoire n’ont pas provoqué le même acharnement médiatique contre le pouvoir à Abidjan) ?

Il serait tout aussi ridicule de penser que, dans cette affaire, il n’y a (s’il y a) que la "main de l’étranger" : la classe politique burkinabé est traversée de courants parfois contraires et ne manque pas d’apprentis sorciers, y compris dans les rangs du pouvoir !

A Ouaga, Jean de Dieu Somda, ministre délégué à la Coopération régionale, entend me rassurer. La situation est sous contrôle dans la capitale burkinabé et si les sommets de la Cédéao et de l’UEMOA ont été reportés à une date ultérieure c’est, uniquement, par "mesure de précaution ". Il faut n’y voir rien d’autre. Ni au plan intérieur, ni au plan extérieur.

Somda me rappelle que ces deux sommets abritaient trois sous-sommets : Conseil de l’Entente, Autorité du fleuve Niger et Autorité du bassin des Volta. "Toutes les réunions techniques au niveau des experts et au niveau des ministres qui devaient préparer l’ensemble de ces manifestations ont été menées à bien. Tous les dossiers sont bouclés. Il ne manquait qu ’à organiser le sommet des chefs d’Etat. Si celui-ci a été reporté c ’est, je le rappelle, par mesure de précaution. Lorsque ces grandes manifestations sont organisées à Ouaga, nous y convions non seulement les responsables politiques concernés mais également des invités et des journalistes. La population est associée à ces journées, notamment les commerçants. Dans le contexte que vous évoquez, la sérénité requise n’était pas là. C’est pourquoi les présidents Tandja et Compaoré ont décidé le report des manifestations. Il n’y a aucune raison d’extrapoler".

Le ministre délégué se veut serein. Au Burkina Faso, les hommes en "uniforme" sont payés vers le 15-16 du mois. Les fonctionnaires sont payés entre le 22 et le 25 et le personnel des entreprises privées le 31 ou le 1er. C’est donc un week-end "trop arrosé" qui a provoqué cette "bagarre" entre militaires et policiers dans la nuit du 18 au 19 décembre 2006. Rien que des hommes du rang, me précise le ministre, des "deuxième classe". Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Mais, cette fois, cela a pris une dimension politico-diplomatique particulière.

A Paris, à l’ambassade, on me rappelle que dans la lutte contre le banditisme, qui a pris de l’ampleur ces dernières années, les policiers sont aujourd’hui parfois mieux dotés en armes et en équipements que les militaires - qui auraient bien voulu assumer cette tâche -, des jalousies et des rancoeurs sont nées de cela. Rien de dramatique.

En ce qui concerne les prisonniers libérés (plus de 600 !) de la MACO, la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou, Jean de Dieu Somda me précise que c’est cela qui a mis "la pagaille " en ville. Sans pour autant créer de "troubles ". "A l’instigation des familles, beaucoup d’entre eux se sont rendus aux forces de l’ordre avant que celles-ci ne les reprennent". Un "délai de réintégration" de la prison a été accordé. Au-delà, le couperet des sanctions tombera.

11 n’y a donc aucune raison "d’extrapoler" pour reprendre le terme du ministre. Les sommets, me confirme-t-il, seront rapidement organisés après les fêtes, dans le courant du mois de janvier 2007 et ce report ne remet pas en question l’accession de Biaise Compaoré à la présidence de la Cédéao et de l’UEMOA.

Dans quelques jours, les fêtes de fin d’année achevées, de leur côté, Yéro Boly et Djibrill Bassolé, les ministres de la Défense et de la Sécurité, y auront vu plus clair. Et l’on comprendra mieux, sans doute, pourquoi cette "bagarre" a pris cette ampleur (cinq morts et de nombreux blessés) et a pu se propager sans que les hiérarchies respectives y mettent bon ordre. On comprendra mieux, sans doute, pourquoi des tirs d’armes lourdes ont été signalés.

Peut-on "extrapoler" cependant ? Oui, sans doute. Tirons un trait, tout d’abord, sur la perspective d’un coup d’Etat au Burkina Faso. Si la situation sociale est parfois tendue dans la capitale, c’est seulement l’expression de la vitalité des syndicats ; et dans ce pays, ce n’est pas une chose nouvelle.

En matière de politique intérieure, même si les législatives se profilent à l’horizon 2007 avec, une fois encore, un raz-de-marée des élus de la majorité présidentielle, la situation n’est en rien conflictuelle.
L’opposition s’exprime aussi librement que le permet sa position minoritaire dans le pays.

Et, au-delà de l’alternance souhaitée par les leaders de l’opposition (cela fera vingt ans que Compaoré est au pouvoir le 15 octobre 1987), personne ne peut penser que la vie politique du Burkina Faso est monolithique.
En deux décennies, le paysage politique a considérablement évolué ; le paysage économique et social plus encore.

Les gouvernements burkinabé sont loin d’être des équipes de béni-oui-oui où l’on obéit au chef le petit doigt sur la couture du pantalon. Non pas que les ministres n’exécutent pas le programme présidentiel, mais cette exécution est assurée dans le cadre d’un débat politique permanent et avec compétence. Et s’il y a des marchandages politiques, les gouvernements burkinabé sont, bien moins qu’ailleurs, des structures clientélistes.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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