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Corne de l’Afrique : Vers une "irakisation" de la Somalie

Publié le vendredi 29 décembre 2006 à 07h34min

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Il y a décidément trop de similitudes entre les interventions américaine en Irak et éthiopienne en Somalie. Le mode opératoire, la fulgurance de la victoire, les fondements idéologico-religieux, l’impuissance des organisations telles l’Union africaine, bref, tout, dans la guerre que livre l’Ethiopie aux Tribunaux islamiques somaliens, rappelle, à quelques exceptions près, la triomphale entrée de l’armée américaine dans Bagdad en 2003.

A quelques détails près, car dans cette Somalie sous la férule des seigneurs de guerre depuis plus de quinze ans, il ne s’agit pas de chasser un dictateur sanguinaire ou de dénicher des armes de destruction massive. Ici, la situation est rendue encore plus complexe par des considérations à la fois bilatérales, régionales et internationales.

A travers la Somalie, c’est une guerre indirecte que l’Ethiopie fait à sa vieille ennemie, l’Erythrée, qu’elle accuse du reste, de soutenir les tribunaux islamiques. Addis-Abeba et Asmara se vouent une haine qui, de temps en temps, prend l’allure de bruit de bottes aux frontières. Depuis leur guerre de 1998 - 2000, les deux pays n’ont jamais vraiment fumé le calumet de la paix. Et la Somalie, maillon faible et ventre mou de la région, est utilisée pour se déstabiliser mutuellement. C’est à cette bataille à distance que l’on assiste actuellement, par la Somalie interposée.

Pour l’instant, l’Ethiopie semble gagner la partie. Son intervention lui permet de rétablir quelque peu l’autorité du gouvernement de transition placé sous sa protection, de porter un coup à tous ceux qui soutiennent les islamistes en particulier l’Erythrée, de se présenter en champion de la lutte contre l’extrémisme religieux et le terrorisme, et, partant, d’arborer le titre de puissance régionale gardienne des valeurs défendues par l’Occident.

Un beau programme qui pourrait cependant connaître de graves contrariétés à cause de la dimension nationaliste et religieuse que prend le conflit. Une Ethiopie "chrétienne" contre une Somalie "musulmane", telle est la conclusion à laquelle certains sont parvenus. Exactement comme en Irak où, à la croisade lancée par Bush, a répliqué une coalition de forces à la fois patriotiques et confessionnelles. Tout devient compliqué dès lors qu’un groupe armé ou un pays est attaqué sur la base de sa croyance religieuse. Le cas irakien nous enseigne que même la plus puissante armée ne peut rien contre un peuple qui estime qu’on veut le coloniser en lui imposant certaines valeurs. Ce fut le cas aussi pour d’autres puissances, à travers le temps.

En Somalie, les Tribunaux ont tout de suite été diabolisés dès lors qu’ils ont brandi l’étendard de l’Islam. S’ils ont aussi vite conquis le pays jadis sous la coupe de féroces chefs de guerre, c’est qu’ils ont une certaine légitimité au sein des populations. Et même s’ils étaient parvenus au pouvoir par la voie des urnes, rien ne prouve qu’ils n’auraient pas été confrontés à la même levée de boucliers, à l’image des embûches dressées sur le chemin du Hamas en Palestine.

L’Ethiopie va-t-elle échapper au scénario irakien alors que toutes les conditions d’un tel syndrome sont réunies ? Les miliciens des Tribunaux islamiques disent en effet s’être repliés pour mieux livrer une guerre d’usure contre l’armée éthiopienne, considérée à tort ou à raison comme une armée d’occupation. Ils ont, en outre, appelé tous les combattants islamistes du monde à se rallier à leur lutte. L’implication des Etats-Unis est un motif suffisant pour les « djihadistes » de tout acabit d’accourir en Somalie pour livrer bataille. Car George W. Bush s’est fait beaucoup d’ennemis du fait de sa politique internationale très hasardeuse.

Au-delà de ces déclarations aux relents propagandistes des islamistes, il y a lieu de craindre l’installation du conflit dans la durée. Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Somalie ne s’y trompe d’ailleurs pas, qui a dit redouter que le pays ne "s’enlise dans un conflit et une instabilité accrus, ce qui serait désastreux pour les Somaliens qui souffrent depuis longtemps, et aurait des conséquences graves pour toute la région". Les Islamistes ne manquent ni de ressources, ni d’hommes, encore moins d’armes, pour résister et même frapper au cœur de villes éthiopiennes, quand on considère les soutiens extérieurs dont ils bénéficient.

Face à cette dégradation de la situation qui ne fait pas honneur à l’Afrique, l’Union africaine s’est cru le devoir de réagir. Elle est dans son rôle. Mais il y a fort à parier qu’elle ne sera pas prise au sérieux par les parties en conflit. D’abord, parce que l’UA est incapable de ramener la paix sur d’autres fronts, notamment au Darfour. Ensuite, la position de l’organisation panafricaine est ambiguë et ne permet pas d’avoir une claire idée de sa vision d’ensemble des crises et des interventions armées en Afrique. Que faut-il penser des interventions françaises au Tchad et en Centrafrique ? L’UA n’en dit mot, alors que pour la crise somalienne, elle demande aux troupes éthiopiennes, qui déclarent vouloir rétablir la légalité républicaine, de se retirer.

La Somalie, un pays complexe donc, qui sécrète un conflit plein de contradictions parce que sous-tendu par des intérêts et des enjeux qui dépassent de loin les frontières de l’Afrique. Car, il n’est pas jusqu’à la Ligue arabe qui ne se soit prononcée. Toutes ces forces centrifuges et centripètes ne peuvent qu’accréditer la thèse d’une "irakisation" rampante de la Somalie.

Le Pays

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