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Cinéma : Complaintes des cinéastes africains sur les bords du Djoliba au Mali

Publié le jeudi 28 décembre 2006 à 07h05min

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Des cinéastes ouest-africains refusent de disparaître avec la fermeture des salles de cinéma. Ils l’ont signifié aux politiques de la sous-région lors des Rencontres cinématographiques de Bamako (RCB) et du Festival international de Nyamina (FINA) du 12 au 17 décembre 2006 au Mali.

Sur les bords du fleuve Niger (Djoliba), des cinéastes ouest-africains fiers de leur profession se sont donné rendez-vous du 12 au 17 décembre 2006 au Mali pour tenter de trouver les voies et moyens de sauvegarder le septième art dans la sous-région. Les IVes Rencontres cinématographiques de Bamako (RCB) et le Festival international de Nyamina (FINA) leur ont servi de tribune de dénonciation, de recherche de solutions et de prise de motions. « Si aucune salle de projection ne fonctionne dans la sous-région, le cinéma ouest-africain va disparaître. La survie des réalisateurs sera aussi menacée. C’est un pan de la culture africaine qui meurt.

Nous interpellons nos chefs d’Etat à prendre les décisions nécessaires à parer à la situation », explique le cinéaste malien, Souleymane Cissé, président de l’Union des créateurs et entrepreneurs de cinéma et de l’audiovisuel en Afrique de l’Ouest (UCECAO), promoteur des manifestations. Réalisateurs et producteurs de films d’une dizaine de pays d’Afrique de l’Ouest se sont longuement interrogés : « Quelle alternative à la liquidation des salles de cinéma ? ».

Un thème bien à propos car l’avenir du septième art ouest-africain s’est assombri, ces dernières années, avec la fermerture de la plupart des salles de projection. Elles ont été vendues à des particuliers et transformées soit en églises évangéliques (cas du ciné liberté à Abidjan), soit en supermarchés, soit encore en entrepôts. Le cinéma à Dakar, à Ouagadougou, à Nouakchott ou à Conakry ne tient que par une ou deux salles.

Pire, ces vitrines « rescapées » de la sous-région ne diffusent que des films produits et réalisés hors du continent noir principalement de l’Inde. « La seule salle de projection du Mali, le Ba Bemba de Bamako, ne présente aucune production africaine. Ce n’est pas un souci pour le propriétaire », indique le président de l’UCECAO. Il explique l’apparition de certains maux et vices par ces diffusions incontrôlées sur le continent noir.

Souleymane Cissé, double Etalon de Yennenga (Bara 1979, Finyè 1983), l’Ivoirien Laciné Kramo Fadika, Etalon de Yennenga (Djeli 1981), le Guinéen Mohamed Dansokho Camara et leurs camarades ont dressé un tableau sombre de leur métier avant d’appeler tous les amoureux du septième art au chevet de la création, de la production et de la diffusion du cinéma ouest-africain. « Pour sauver le cinéma dans la sous-région, il faut amener les politiques à savoir ce qu’ils veulent faire de cet aspect de la culture dans leurs programmes de développement », a clamé le cinéaste sénégalais Mahama Johnson Traoré.

Créateurs et entrepreneurs de l’audiovisuel et du cinéma ont dénoncé la démission des pouvoirs publics de leurs pays respectifs. « Les Etats africains sont incapables aujourd’hui de faire face à leurs responsabilités même la sauvegarde de leur propre culture », confesse Harouna Soumah, directeur général de l’Office national du cinéma de Guinée-Conakry (ONACIG).

La solide industrie cinématographique (complexe avec outils performants de son et d’image) dont a longtemps disposé son pays est aujourd’hui réduite à une simple administration sans moyens. Cette léthargie est perceptible dans de nombreux pays de la sous-région. Outre la disparition des salles de projection, les circuits de distribution sont quasi inexistants et les financements de plus en plus rares.

« Quand on parle de l’Afrique à l’extérieur, ce n’est pas à travers sa culture mais sa misère.
Or, si le continent doit se développer, que nos chefs d’Etat se rassurent et se convainquent, ce sera par sa culture », soutiennent les cinéastes. Ils ont investi leur Union d’une mission de lobbying pour amener les gouvernants ouest-africains à réaliser la nécéssité de sauver leur secteur d’activités. Les avancées technologiques ont donné une autre orientation à l’industrie cinématographique.

La preuve par l’image

Un choix s’impose donc aux réalisateurs africains s’ils veulent continuer à produire des films et empêcher la liquidation des salles. Au coût très élevé de la production sur support pellicule (35 mm), des professionnels suggèrent le numérique. Les entrées en salles ne constituent aujourd’hui que 30 % des recettes d’un film. Il faut désormais compter avec le DVD, le VCD et même le téléphone portable.

Mais, à ce niveau, des efforts doivent être consentis pour doter les salles de nouveaux matériels de projection. « Peu de salles de cinéma sont entièrement numérisées dans le monde. Un film tourné en pellicule peut être conservé pendant trois siècles tandis que celui en numérique se situe entre 20 et 30 ans », avertit Serge Toubiana, directeur général de la Cinémathèque française.

Pour surmonter les obstacles liés au financement, à la réalisation et à la diffusion des films, l’UCECAO entend fédérer les énergies de chaque pays en la matière en vue de créer à Bamako une maison de l’image dénommée « Ja So ». Cette insfrastructure sera bâtie sur un terrain de 1,6 hectare avec toutes les commodités de création cinématographique pour amoindrir les coûts et donner un souffle nouveau au septième art en Afrique de l’Ouest. « Le cinéma constitue la mémoire d’un peuple et peut aussi être un puissant levier de développement », a relevé Souleymane Cissé.

L’UCECAO a convié le président malien, Amadou Toumani Touré (ATT) à la séance de projection du film « Indigènes » de Rachid Bouchareb au Centre international de conférence de Bamako. « Cela fait plus de dix ans qu’un président n’a pas suivi un film en salle au Mali », se souvient Cissé.

Primée au dernier Festival de Cannes, la réalisation du Franco-marocain retrace le sacrifice de sang des Africains dans la guerre de libération de la France (1939-1945) et l’ingratitude dont ils ont été victimes en retour. L’œuvre de Rachid Bouchareb a été à l’origine de la décristallisation des pensions des anciens combattants africains. Elle a permis leur ralliement aux mêmes taux que ceux de leurs camarades français.

De 20h30 à 23h, les difficultés de projection (un seul projecteur capricieux) et la teneur du film ont certainement édifié ATT, choisi par les cinéastes ouest africains, pour être leur porte-parole auprès de ses homologues de la CEDEAO. L’Union a également consacré son Festival de Nyamina (commune rurale à 160 km de Bamako dans la région de Koulikoro) aux questions environnementales pour sensibiliser la population sur l’enjeu de la protection de la nature.

A travers des productions thématiques, elle a interpellé l’opinion publique sur la menace de l’ensablement du fleuve Niger, sur le développement de cette localité. Les cinéastes nourrissent l’espoir de voir le Djoliba dont les berges ont vu naître le Rassemblement démocratique africain (RDA)- principal mouvement de libération des colonies- être aussi la source du réveil de leur secteur d’activités en Afrique de l’Ouest.

Jolivet Emmaüs
Envoyé spécial à Bamako
et à Nyamina

Sidwaya


N.B. : La première phrase de l’article est une paraphrase de l’hymne à la création du Rassemblement démocratique africain (RDA) en 1946 à Bamako au Mali.

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