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Intoxication à l’arsenic dans la région du Nord : Deux morts et onze forages sous embargo

Publié le mercredi 27 décembre 2006 à 07h39min

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Les populations de la région du Nord n’ont plus le sommeil tranquille depuis la découverte de l’arsenic, un élément chimique mortel dans
les eaux de certains forages. Entre crainte de tomber malades d’un mal incurable et le sentiment d’être privées d’eau de forage, les populations sont dans l’embarras. Enquête.

L’arsenic tue et cause des maladies graves au Nord du Burkina Faso. De 1999 à 2004, la région a bénéficié des réalisations de forages du Programme eau et environnement du Nord (PEEN) avec l’appui financier de l’Etat burkinabè et Danida, une ONG Danoise. Ce programme a permis l’exécution d’environ 360 forages dans les villages des provinces du Yatenga, du Lorum, du Passoré et du Zondoma. Cependant, les populations bénéficiaires de ces forages ont été et continuent d’être victimes d’un élément chimique appelé arsenic contenu dans l’eau de ces forages.

Cette situation a conduit la direction régionale de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques à mener une campagne de fermeture des forages des villages concernés par le phénomène. Selon une étude réalisée par le ministère des Affaires étrangères et l’ONG Danida, dont le rapport final a été rendu en juin 2005, les analyses de l’eau souterraine ont montré des teneurs en arsenic inférieur à 0,5 micro-grammes par litre et allant jusqu’à 1633 micro-grammes par litre. Or, la norme recommandée par l’OMS est de 10 micro-grammes par litre.

Les résultats des études indiquent que parmi les constituants inorganiques étudiés, l’arsenic semble être l’élément le plus dangereux pour la santé des populations de la région. Ainsi de 2004 à 2006, ce sont au total onze (11) forages qui ont été mis sous embargo dans huit (8) villages. A savoir, Irbou, Margo, Nonfaïrée, Tanlili, Birdiniga, Tougou, Pellé, Boulanga, villages de la province du Yatenga.

Et les premières victimes de l’arsenic ont été une jeune fille de 22 ans et un vieux d’une soixantaine d’années de Tanlili (village situé à 30 km de Ouahigouya) dans le département de Oula, province du Yatenga. Dans ledit village, les deux forages disponibles ont été fermés et les populations crèvent de soif. Habibou Ouédraogo est une habitante du village : « l’eau du forage nous a fait souffrir. Lorsque tu la consommes, au réveil, ta vision est floue. Aussi, quand on se douche avec cette eau, tu as chaud, tu perds ta peau et tu as des démangeaisons sur le corps ».

Selon l’étude précitée, « l’exposition prolongée à l’arsenic présent dans l’eau de boisson est à l’origine de troubles vasculaires périphériques (Blackfoot disease reconnu depuis 1920 à Taïwan) et de cancer de la peau, de la vessie, des reins, des poumons. Les premières modifications concernent généralement la peau avec un changement de pigmentation (hyper et/ou hypo pigmentation), hyperkératose palmo-plantaire. Le cancer survient plus tardivement et met généralement plus de 10 ans à apparaître ».

L’un des forages contrôlés par les services techniques de la Santé à Tanlili a révélé un taux d’arsenic de 1600 micro-grammes par litre. A Oula, les populations et les pensionnaires des centres de santé, consomment toujours de l’eau contaminée dont le taux d’arsenic est de plus de 36 micro-grammes par litre.

Les citoyens rencontrés ont laissé entendre qu’ils préfèrent mourir du mal causé par l’arsenic que de crever de soif. Actuellement, les populations de Tanlili craignent pour leur santé et celle des animaux. Certains habitants de ce village sont malades et ne savent pas à quel saint se vouer. Le délégué de Tanlili, Abdoul Sanga témoigne : « c’est à la suite du problème récurrent du manque d’eau que nous avons bénéficié des pompes. Durant environ neuf ans, nous avons consommé l’eau de la pompe. Mais entre-temps, nous avons commencé à tomber malades.

Les agents de la santé et ceux de l’Agriculture sont venus contrôler l’eau et nous ont dit de ne plus la boire ». Selon le délégué, six personnes sont tombées malades avec à la clé, deux décès. Le deuxième est intervenu il y a peu. D’où son cri de détresse aux autorités : « nous vous prions de nous aider car nous ne voulons plus boire de cette eau ». A 2 km de Tanlili se trouve Kaira. Là aussi, la contamination à l’arsenic fait des ravages. Les femmes les plus habituées à puiser l’eau sont dépassées par les événements. Bintou Sawadogo : « la fermeture de la pompe est un casse-tête chinois pour nous.

Les autorités nous ont fait comprendre que l’eau de la pompe est empoisonnée et qu’on ne doit pas l’utiliser ». Mme Sawadogo nous montre son corps tacheté et affirme : « regardez ce que l’eau a fait sur nos corps. Certains avaient la peau claire mais, avec la consommation de cette eau, ils sont devenus noirs. ». Quand le projet tirait à sa fin, des populations provenant de différents villages se sont plaintes des problèmes de dermatose. Au départ, les agents de santé avaient pensé à la gale. Grâce aux investigations, ils se sont rendus compte que cette dermatose était liée à la consommation de l’eau de boisson. Après la fermeture des pompes, les habitants n’ayant plus de sources d’eau potable se sont tournés vers les fleuves, s’exposant de facto à toutes sortes de maladies hydriques.

Dans la région du Nord, ce sont au total, 1050 forages qui ne répondent pas aux normes de l’OMS. Vu les normes (10 micro-grammes par litre) on peut dire que la population s’empoisonnait en consommant cette eau puisque dans certaines localités, le taux d’arsenic dans l’eau de consommation était supérieur à 100 micro-grammes/litre. Face à ce problème qui menace la vie de milliers de populations, la direction régionale de la
Santé du Nord a procédé à une consultation systématique des populations vivant aux alentours d’un point d’eau présentant un taux d’arsenic supérieur à 50 micro-grammes par litre pour rechercher les manifestations cutanées.

En outre, il y a eu la fermeture des points d’eau contaminés par la direction régionale de l’Agriculture et l’organisation d’une campagne de forage pour les villages où il n’y avait pas d’alternative. Lors de la fermeture de certains forages contaminé, les agents de la Santé et de l’Agriculture de la région se sont vus opposer le refus des paysans de permettre la fermeture de leur forage car n’ayant pas d’autres sources d’eau potable pour la consommation.

Ces habitants ont opté pour la boisson de l’eau contenant des taux d’arsenic très élevé prenant sur eux, le risque de se voir mourir à petit feu. L’urgence est plus que nécessaire car, à en croire les dires des agents de la Santé commis à la tâche, « il n’y a pas de traitement possible contre le mal. L’unique solution pour l’instant, est de ne pas boire l’eau des forages contaminés par l’arsenic ».

D’où provient l’arsenic ?

De sources proches de la direction provinciale de l’Agriculture du Yatenga, il existe un lien clair entre la distribution des eaux ayant une teneur en arsenic élevée et les zones de minéralisation d’or dans les roches volcano-sédimentaires du Birrimien. Ces zones sont fortement contaminées par l’arsenic. A Tanlili, le site aurifère est à 50 mètres des forages mis sous embargo. « Les concentrations arsenicales les plus élevées se trouvent généralement dans les eaux souterraines de forages profonds, ou situés sur des accidents géologiques majeurs », a avoué un technicien de la direction provinciale de l’Agriculture. La province la plus touchée est celle du Yatenga dont 111 forages sont menacés par l’arsenic. Les départements les plus menacés dans la province sont ceux de Oula, Namissiguima et une partie de Ouahigouya.

Pire, le chiffre n’est pas exhaustif selon le directeur provincial de l’Agriculture du Yatenga, Moussa Konaté, étant entendu que « la campagne de prélèvement se poursuit ». Lors d’une rencontre tenue le 19 novembre 2006, la direction régionale de l’Agriculture a révélé que le problème de l’arsenic est dû en partie aux interventions anarchiques des différents projets et programmes à vouloir réaliser coûte que coûte des forages dans la région.

Et pour preuve, 100 ouvrages exécutés par le projet PEEN sont contaminés. L’inventaire national des ouvrages hydrauliques et d’assainissement élaboré en 2005 a permis de mettre à jour une base de données pour la région. Malgré le fait que « ces résultats comportent quelques erreurs dues à une mauvaise collecte des données par les enquêteurs », il demeure néanmoins une base de données utilisées par les services de l’Agriculture.

L’inventaire a dénombré 4593 points d’eau dans la région constitués de 2496 forages équipés de pompes, 24 forages abandonnés, 183 puits abandonnés, 856 puits permanents, 980 puits temporaires, 8 forages récents et des points de santé. Sur 4332 points d’eau étudiés, 1836 sont des puits, soit 42.38% des ouvrages.

Ces résultats montrent aussi qu’une grande partie de la population s’alimente avec l’eau des puits qui n’est pas toujours potable. Pour ce qui est des pompes, le Nord en compte 2493 dont 773 en panne. De nos jours, les demandes de points d’eau modernes exprimées par la population à la date du 20 septembre 2006 étaient de 645 réparties entre le Lorum (100), le Yatenga (365), le Zondoma (55) et enfin, le Passoré (125). S’il est avéré que les différentes réalisations contribuent à la lutte contre la pauvreté, force est de reconnaître que les ouvrages mal exécutés augmentent cette pauvreté.

Phénomène toujours d’actualité

Dans le cadre de l’étude du plan de lutte contre l’arsenic, l’une des activités était le prélèvement et le dosage de l’arsenic des points d’eau sélectionnés. On constate que 111 points d’eau ayant un taux d’arsenic supérieur à la normale sont dans le Yatenga, 20 dans le Passoré, 4 dans le Lorum, 14 dans le Zondoma. En plus, dans la région, 22 points d’eau ont un taux d’arsenic dépassant 50 microgrammes par litre tandis que 03 points d’eau dépasse 100 micro-gramme par litre. « A cette proportion, la mort est à la porte du consommateur », a soufflé un agent de santé. Parmi ces trois points d’eau, deux sont dans le Zondoma et un dans le Yatenga. L’arsenic constitue, aujourd’hui, les déchets toxiques des populations du Nord.

Jean - Victor OUEDRAOGO
AIB/Ouahigouya

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 27 décembre 2006 à 18:54, par pacco En réponse à : > Intoxication à l’arsenic dans la région du Nord : Deux morts et onze forages sous embargo

    Serait-ce une catastrophe écologique qu’on nous cacherait ?

    • Le 31 décembre 2006 à 13:04 En réponse à : > Intoxication à l’arsenic dans la région du Nord : Deux morts et onze forages sous embargo

      Il doit y’avoir une responsabilité quand même !!

      Au niger voisin, un cas similaire se produit dans les années 1976 je crois, entrainant de nombreux endicapés moteurs ; et depuis, à chaque forage l’eau est systématiquement contrôlée avant livraison du puits !

      Neuf ans d’intoxication à l’arsenic !!!!

      Et pourtant sa réputation n’est pas usurpée, l’arsenic sous forme pure ou de composé minéral est dangereux même à faible dose, surtout en cas d’exposition répétée.

      Qui va soigner ses populations maintenant gravement malades ? et leurs descendances ?
      qui courrent les risques de malformations du cerveau, des yeux, des os et dans quelques cas des reins et des gonades.

      2 morts !!! et encore on ose dire qu’il n’y a pas de preuve liéé à l’arsenic !!

      c’est scancaleux ; l’ETAT doit faire quelque chose pour ses pauvres là !

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