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Joseph Ki-Zerbo n’est pas mort : Ce que nous devrions faire de son héritage

Publié le mercredi 6 décembre 2006 à 09h05min

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Joseph Ki-Zerbo

La sagesse africaine comme certaines autres à travers l’humanité, reconnaît deux formes de mort : la mort physique inéluctable qui concerne tout vivant (animal, végétal et humain) et la mort sociale qui est celle que tout individu humain digne se doit d’éviter, toute sa vie physique durant.

Car celle-ci est évitable dès lors qu’elle consacre le tribut d’une vie mauvaise, celle de l’individu humain qui aurait vécu inutilement pour les autres et s’en serait allé sans rien laisser de glorieux, de vertueux à sa postérité, à son pays, à l’humanité. La "bonne" mort à l’opposé, qui triomphe de la mort physique (biologique), est ce sort fort enviable réservé à quelques élus qui survivront éternellement à travers les oeuvres qu’ils laissent, les souvenirs que les survivants garderont d’eux, et la croissance des valeurs et espoirs qu’ils auront semés aussi longtemps que leur physique le leur permettra.

Joseph Ki-Zerbo est physiquement mort depuis le 4 décembre 2006, mais il est socialement plus vivant que jamais. Il a été gratifié d’une "bonne" mort pour avoir pleinement rempli son "contrat de vie" pour lui-même, pour sa famille et surtout pour la patrie africaine et burkinabè, qui savent et sauront le lui reconnaître.

Comme on le dit avec profondeur et vénération, on ne pleure pas la mort des grands hommes : on s’empare plutôt du flambeau qu’ils ont allumé et on s’engage solennellement à le protéger, à le perpétuer pour le triomphe de la lutte qu’ils ont engagée de leur vivant.

Joseph Ki-Zerbo est sans conteste, de ces grands hommes qu’on ne pleure pas. Le vide que sa mort physique a laissé, loin d’être l’expression d’un néant existentiel, est au contraire, l’ensemble des sillons qu’il a tracés et qu’il nous invite à continuer pour y faire croître les valeurs qu’il y a enfouies, avec le courage, l’abnégation, l’amour de l’autre et de la patrie qu’on lui reconnaît unanimement.

C’est donc en termes d’héritage à sauvegarder, de leçons à assimiler et d’engagements à prendre vis-à-vis de sa mémoire, que la cruelle disparition du professeur et "intellectuel engagé" nous interpelle.

Joseph Ki-Zerbo aura été incontestablement l’un des grands penseurs de l’Afrique contemporaine, qui auront marqué leur époque. Acteur politique et social intrépide et convaincu, il s’est refusé à être cet "intellectuel contemplatif" et narcissique qui se contenterait de "chanter" l’Afrique pour les anciens maîtres colonisateurs, ou qui se compromettrait par la complicité avec le colon ou les pouvoirs corrompus et néocoloniaux qui ont "remplacé" les maîtres d’hier.

Usant pour cela de la science et de la maîtrise de la langue du colonisateur pour endormir la conscience de son peuple. Bien au contraire, il a compris très vit e que la science qu’il a acquise, loin d’être une fin en soi pour un usage opportuniste et égoïste, est plutôt une arme, un moyen pour participer, avec plus d’efficacité, à la lutte d’émancipation pour le développement légitime des peuples africains.

Cette contribution à la libération mentale et politique de l’Afrique, Ki-Zerbo la ressentait comme une dette morale et quasi-religieuse qu’il s’imposait au regard des peuples africains, lui qui a eu l’insigne chance d’aller à l’école, à cette époque, et d’y apprendre aux cotés des Blancs, à manipuler le savoir et la science.

Etre un intellectuel engagé, sans perdre son âme, ni se compromettre dans des causes injustes vis-à-vis des intérêts inaliénables de son peuple, mais plutôt resté militant humble, cet éclaireur des consciences populaires au service de ce même peuple, est assurément, le plus grand et le plus noble héritage que le professeur Ki-Zerbo nous laisse.

Et le problème revient à se demander : comment gérer cet héritage du profit du Burkina et de l’Afrique ? Comment continuer la lutte multidimensionnelle qu’il a engagée pour le "développement endogène", la "renaissance africaine", "l’unité africaine", "La confiance en soi et en le peuple". La réhabilitation de l’histoire et de la conscience africaine... "la formation des hommes" et la "culture authentique"... pour une éducation véritablement libératrice comme facteur essentiel de développement... comment être intellectuel aujourd’hui en Afrique et au Burkina Faso ?

Ki-Zerbo, était à juste titre, cet idéal d’intellectuel au service de son peuple et de l’avenir de sa patrie et en tant que tel, comme source permanente d’inspiration intellectuelle au regard de la grande responsabilité qu’il lui a reconnue toute sa vie durant.

Ce pari est loin d’être facile. Quand bien même il le serait, que des obstacles multiformes intérieurs et extérieurs ne manqueraient pas pour empêcher de le gagner. Le professeur lui-même en était profondément conscient... il en a été victime par moments, surtout en tant qu’homme politique. Mieux, à cause du fait qu’il a été un militant politique. Intellectuel et homme politique se conjuguent-ils si mal sous les tropiques africaines ?

L’Afrique, en tous les cas, devrait en finir avec cette mentalité qui consiste à ne reconnaître le mérite des grands hommes qu’à titre posthume. Il faut savoir dépasser les clivages politiques, transcender son ego, quand on incarne l’Etat, pour élever les fils illustres de la nation au rang qui leur revient. En cela, l’Afrique devrait regarder la France, qui "immortalise" les personnalités émérites de leur vivant, comme ce fut le cas notamment pour le poète-président Léopold Sédar Senghor.

Gérer cet héritage lourd qu’il lègue, représente aujourd’hui la préoccupation la plus urgente des intellectuels africains, le défi majeur à relever. Pour l’heure, il convient de restituer à l’homme tout ce qui lui revient, notamment sa contribution à la culture de la conscience des peuples, et ses appels incessants aux jeunes pour leur responsabilité dans le devenir de l’Afrique. Il s’agit en outre de reconnaître la valeur intrinsèque de l’homme au-delà des considérations politiques et politiciennes pour accepter que Joseph Ki-Zerbo restera une fierté, un honneur et un motif légitime d’orgueil pour le Burkina Faso.

S’il y avait un "Panthéon", ou une "Académie" au Burkina Faso et en Afrique, nul doute qu’il y trônerait aux côtés d’autres illustres qui l’ont précédé tels C. Anta Diop, Nazi Boni, N’Krumah. Si seulement et déjà, les Burkinabè travaillaient à immortaliser sa mémoire. Et il y a plusieurs manières de le faire. A travers par exemple, l’université de Ouagadougou, une de nos plus grandes artères ou de nos plus grandes places, ou d’un nouvel aéroport ? Car Joseph Ki-Zerbo n’est pas mort et ne devrait jamais mourir.

"Le Pays"

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Vos commentaires

  • Le 6 décembre 2006 à 10:17, par Noraogo En réponse à : > Joseph Ki-Zerbo n’est pas mort : Ce que nous devrions faire de son héritage

    La première des choses que le peuple burkinabè plus particuliérement les autorités devrait faire pour monument de l’histoire du Burkina est de rebaptiser l’université de Ouaga à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Il le mérite, et on lui doit.

  • Le 6 décembre 2006 à 14:41 En réponse à : > Joseph Ki-Zerbo n’est pas mort : Ce que nous devrions faire de son héritage

    Entre le "président du pays réel" kanazoéifié et ’le président du Ouaga 2000 solidairement solitaire’, hommage au ’président du pays rêvé’... Les pays ont les présidents réels qu’ils méritent...

    Anecdote : Un jeune ’nopérateur néconomique’ pur jus moagha de passage au pays de la Teranga (aussi illusoire que l’intégrité burkinabè) :
    - Moi : Ki-Zerbo est décédé.
    - Lui : Qui ça ?
    - Moi : Le Professeur Joseph Ki-Zerbo !
    - Lui : Sayé Zerbo ?
    - Moi :... (bouche-bée)
    - Lui :... (perplexe)
    - Moi : Tu connais le PDP ?
    - Lui : Oui, ’à la vote’, z’entends la nom
    - Moi :... (bouche cousue)

    Qu’on se rassure, il est des vivants strictement ignorés par les Sénégalais eux-mêmes. Compaoré ? Inconnu au lexique, ou alors qualifié d’assassin de l’autre, Thomas ; Sankara ? Tout le monde en a entendu des échos... Ô ingratitude des distances et de l’Histoire, ô ravages des ignorances...

    Frédéric Bacuez, Sénégal

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