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Konan Banny après un an de primature : "Que diable suis-je allé faire dans cette galère ?"

Publié le vendredi 1er décembre 2006 à 07h44min

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Gbagbo et Banny

Sans doute dans ses cauchemars les plus cauchemardesques, si on peut parler ainsi, Charles Konan Banny (CKB) ne devait pas s’imaginer que sa mission serait aussi périlleuse.

Pour avoir couvert le Sommet Afrique-France du 3 au 5 décembre 2005 à Bamako, dans la foulée duquel le nouveau premier ministre de Côte d’Ivoire a été nommé sous le magistère de... Jacques Chirac, nous nous rappellons encore l’enthousiasme quasi-infantile qui s’était alors emparé de nombre de dirigeants de la Francacophonie et des observateurs de la scène politique ivoirienne.

Charles Konan Banny, c’était le technocrate qui arrivait la fleur au fusil, animé des meilleures intentions de l’Eburnie ; c’était le juge impartial qui était au-dessus de la mêlée et à équidistance des différentes forces politiques qui se disputent les lambeaux de l’Eléphant d’Afrique ; c’était le pompier de service appelé à la rescousse pour éteindre un incendie qui menace à tout moment d’embraser toute la sous-région.

Et en plus, celui qui était jusqu’à cette date le gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) est réputé avoir le caractère bien trempé, tout ce qu’il faut pour faire pièce à Laurent Gbagbo qui n’est pas un mouton facile à tondre.

Rien à voir avec son prédécesseur, le vieux Elimane Diarra, sage comme une icône, tout aussi technocrate et préjugé impartial, mais qui flottait, au propre comme au figuré, dans ses habits de chef de gouvernement d’un pays en crise - la précision a son importance -.

Un an après, tout le monde en est revenu. A commencer par le principal concerné, toujours pris entre le marteau de la communauté internationale (ainsi que de l’opposition politique et armée) et l’enclume du camp présidentiel. Révolu le temps des phrases ampoulées et des formules-chocs, de la parabole haute en couleur ; le tandem Gbagbo-Banny a vécu ; l’attelage ne fonctionne plus ou alors il tire à hue et à dia. Place au bras de fer, au duel, en attendant le clash programmé.

Ce n’est guère plus qu’une question de temps. Sans doute celui qui disait savoir encaisser, comme beaucoup d’autres avant lui qui y ont laissé des plumes, a-t-il sous-estimé l’enfant terrible de Mama à qui on peut tout reprocher sauf de ne pas être courageux et de ne pas être un véritable animal politique qui a toujours plusieurs fers au feu et est doté d’un extraordinaire instinct de survie.

Combien de fois ne l’a-t-on pas dit fini, au fond du trou, pour le voir l’instant d’après revigoré et retourner à son profit des situations qui semblaient compromises, voire désespérées. Comme après Marcoussis-Kléber en janvier 2003. Comme en novembre 2004, après le bombardement d’une caserne française à Bouaké et les représailles chiraquiennes qui s’en sont suivies.

Comme en décembre 2005 après la nomination de CKB qui était censé le marquer à la culotte. Comme en octobre 2006 quand le projet de résolution français voulut en faire une reine d’Angleterre juste bonne à inaugurer les chrysanthèmes, avec le "succès" qu’on sait.

C’était mal connaître l’homme qui gouverne au besoin par la rue pour faire reculer la communauté internationale, qui peut se renier trois fois avant le coucher du soleil ou qui n’hésite pas à rouler tout le monde (à commencer par ses pairs de la CEDEAO ou de l’UA) dans la farine. On ne sait pas combien de temps ça va durer encore et comment tout cela va se terminer, mais pour le moment, ça marche.

Et ça marche d’autant plus facilement que le chef de l’Etat ivoirien bénéficie, cerise sur le gâteau, de solides appuis au Conseil de sécurité des Nations unies où au moins trois des cinq membres permanents sont acquis à sa cause.

Pour des raisons différentes sans doute. Les Etats-Unis d’Amérique, à l’évidence, ne doivent pas être mécontents de voir la France, celle-là même qui s’est opposée jusqu’au bout à l’invasion de l’Irak, s’embourber dans la lagune Ebrié et vomie par le régime d’Abidjan. Quant à la Russie du Tsar Poutine qui a une susceptibilité nationaliste à fleur de peau et qui n’aime pas que les donneurs de leçons occidentaux trempent leur nez dans ses (sales) affaires domestiques, elle est un allié de choix pour Laurent Gbagbo, le nationaliste panafricaniste comme certains le présentent qui fait pièce aux velléités néocoloniales de l’ancienne puissance tutélaire.

Et la Chine dans tout ça ? On n’y pense pas souvent, mais n’oublions pas que le Burkina, réputé être l’arrière-cour des rebelles ivoiriens, flirte avec sa sœur ennemie de Taïwan. Alors, si on peut emmerder un peu Blaise Compaoré et lui faire comprendre que Beijing est incontournable sur la scène internationale, il ne faut pas s’en priver. Sans oublier que les motivations du Kremlin peuvent tout aussi bien être celles des bourreaux de la Place Tianamen. Il faut toujours éviter les dangereux précédents.

Face à un tel bonhomme, Charles Konan Banny, malgré sa bonne volonté et sa fougue, n’en mène pas large, surtout que la communauté internationale, si elle ne l’a pas lâché, ne parvient toujours pas à lui assurer tout le soutien et tous les pouvoirs promis lors de sa nomination il y a un an. L’édulcoration du projet de résolution français en est une belle illustration, on a largué le soldat Banny en plein vol sans un solide parachute.

Car celui dont on a tenté de consolider le pouvoir à New York n’aura pas la possibilité de nommer aux fonctions civiles et militaires : "Le Premier ministre nommé par le président de la République, par décret, ne peut lui-même nommer par décret", tranche le locataire du palais de Cocody dans son allocution du 3 novembre qui a accueilli la 1721.

Avant de préciser, "pour que les choses soient claires dans les esprits et que des quiproquos ne puissent pas nous diviser" (Robert Guéi dixit), que "toutes les atteintes contenues ça et là encore dans le texte de la résolution et qui constituent des violations de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire ne seront pas appliquées". C’est clair, net et précis.

Le chef du gouvernement peut donc se piquer de vouloir "prendre toutes ses responsabilités et exécuter pleinement la mission qui lui a été confiée", ne disposant pas, entre autres leviers, du bras séculier de l’Etat et des autres forces de défense et de sécurité (FDS), il risque de pédaler dans le vide, surtout avec cette détestable image de PM imposé par (et de) l’extérieur qu’il traîne comme un boulet et dont il a des difficultés à se défaire.

Nonobstant la possibilité donnée par certaines dispositions de la loi fondamentale ivoirienne au chef de l’Etat de déléguer ses pouvoirs en cas de nécessité, Gbagbo ne compte donc rien lâcher, pas plus aujourd’hui qu’hier, et il ne va effectivement pas lâcher la moindre parcelle de pouvoir. Que l’homme aux métaphores sportives tente de l’arracher et c’est l’affrontement. Autant dire que le clash paraît inévitable.

Le président ivoirien, qui n’a jamais véritablement renoncé à l’option militaire de sortie de crise (et donc à la reconquête du Nord qu’il a perdu), qui tient déjà prête une équipe gouvernementale parallèle pour remplacer, le cas échéant, celui de Konan Banny, était même tenté, comme chacun le sait, de sortir du cadre onusien, mais il sait bien que ce serait suicidaire.

Pour autant, il n’a pas moins consacré une bonne partie du mois de novembre à rencontrer les forces vives de la nation (politiques qui lui sont dévoués, religieux, coutumiers, femmes, jeunes, vieux, militaires...) pour leur permetre de lui dire ce qu’il voulait entendre :

- Le GTI : DEHORS !
- La Licorne : DEHORS !
- Le 43e BIMA : DEHORS !
- Le gouvernement Banny : DEMISSION..

Bien sûr, il n’est pas assez fou pour suivre ses partisans triés sur le volet dans leurs incantations, au risque de se mettre à dos même ses soutiens les plus indéfectibles, mais ces rassemblements étaient suffisamment symptomatiques de son état d’esprit.

Gbagbo a donc reçu, beaucoup reçu sur l’esplanade de la présidence de Côte d’Ivoire où il a écouté religieusement (souvent au propre) les différentes couches socioprofessionnelles du pays. Et on attendait maintenant de voir ce qu’il allait décider enfin.

Tout comme on attendait le PM, le pauvre, qui doit, après une petite année de fonction, regretter le confort douillet de son cabinet feutré de Dakar. Si Dieu lui prête vie, il reviendra, qui sait, dans de meilleures conditions au devant de la scène politique ivoirienne ; mais le plus urgent, c’est d’abord d’en sortir par la grande porte et sans trop de dégâts, ce qui suppose ramener la paix et organiser des élections sincères ouvertes à tous.

Mais si ça se trouve, il doit se demander, à l’image du personnage des Fourberies de Scapin (Molière) ce que diable il est allé faire dans cette galère où il pourrait bien laisser sa peau. Faussement requinqué par la 1721 qui satisfait tout le monde (preuve s’il en est qu’elle ne doit pas être bonne), CKB entend, on l’a vu, prendre ses responsabilités. On est curieux et pressé de voir comment.

Car la dernière fois que la machine de la paix s’était grippée, c’était au sujet des audiences foraines qui étaient censées (ré-) intégrer dans le jeu démocratique, les nombreux Ivoiriens qui en étaient exclus pour diverses raisons. Un enjeu énorme dans un pays où chacun des trois Eléphants de la faune politique ivoirienne (Gbagbo, Konan Bédié, ADO) rallie derrière son nom à peu près un tiers des suffrages.

Et cela, malgré le récent sondage confidentiel de l’ONUCI dont les résultats ont été ébruités et qui place Gbagbo en tête des personnalités les plus respectées (39% des sondés) contre 9,4% à Alassane Ouattara, 7% à Konan Banny et 4,7% à Bédié.

Il ne s’agit bien sûr pas d’intentions de vote, mais ces résultats ont été perçus comme tel par le président et ses disciples surtout qu’il y a quelque 18 mois, des estimations françaises réalisées à la demande de l’Elysée créditaient au premier tour Bédié de 33% à 35% des voix ; Gbagbo de 22% à 25% et ADO de 18% à 22%.

Un scrutin qui se jouera forcément dans un mouchoir de poche comme celui-là (s’il a lieu un jour avec tous les 3 protagonistes) n’est certes pas une simple affaire d’arithmétique, mais un fichier électoral qui verrait l’arrivée en force de centaines de milliers d’électeurs, présumés favorables au RDR, serait loin de faire les affaires du camp présidentiel qui, en lieu et place des audiences foireuses, propose la mise à jour du (mauvais) fichier de 2000 en expurgeant ceux qui sont morts entre-temps et en y ajoutant ceux qui n’étaient pas en âge de voter.

Ce dont l’opposition, politique ou armée, ne veut pas entendre parler. Et la rébellion, qui a arraché de haute lutte la candidature de la victime emblématique de l’ivoirité, ne désarmera certainement pas sans avoir gagné cette bataille décisive du fichier électoral. Elle aurait alors pris les armes depuis 4 ans pour rien.

Alors donc qu’il doit souffler ce lundi 4 décembre sa première bougie à la primature, Konan Banny se trouve pris entre deux feux et bien malin qui peut dire comment il va manœuvrer pour ne pas y laisser des plumes..

Et si malgré les gros nuages qui s’amoncellent depuis sur la lagune Ebrié, les optimistes indécrottables voulaient encore une preuve supplémentaire de ce duel à mort que se livrent les deux têtes de l’exécutif ivoirien, ils l’ont eue le 26 novembre dernier.

Ce jour-là en effet, le chef de l’Etat signe des décrets, sans bien sûr avoir consulté au préalable le PM et son équipe, qui réintégraient dans leurs fonctions respectives le gouverneur du District d’Abidjan, Djédji Amondji Pierre, le directeur général du Port autonome d’Abidjan, Marcel Gossio, et celui des Douanes, Gnamien Konan, tous trois éclaboussés par le scandale des déchets toxiques et mis, de ce fait, sur la touche par le chef du gouvernement. Tous les trois sont, on le sait, des protégés de la présidence de la République.

Gbagbo aurait donc voulu dire à son vis-à-vis de la Primature que ses décisions sont nulles et de nul effet qu’il ne s’y serait pas pris autrement. C’est l’humiliation !

Peu auparavant, c’est Lébry Léon Francis, le D.G. du quotidien d’Etat Fraternité Matin, en poste seulement depuis le 2 novembre 2006, qui a été décagnoté pour "faute professionnelle intolérable". On reprochait en fait à l’infortuné D.G. sa "une" de la veille qui titrait : "Gbagbo et Banny se sont rencontrés jeudi nuit : ils se sont compris".

Une manchette qui n’était pas du goût du premier cité qui veut peut-être faire revenir aux affaires son protégé présumé Honorat de Yedagne, débarqué le 30 octobre dernier (au profit donc de Lébry) à l’issue d’une session extraordinaire du conseil d’administration de la SNEPPCI.

Cette mise au pas des médias gouvernementaux s’est poursuivie le mardi 28 novembre avec le limogeage du patron de la Radio télévision ivoirienne (RTI), Yacouba Kébé, coupable d’avoir diffusé un communiqué jugé séditieux émanant du premier ministre. Ce dernier demandait en fait au locataire de la présidence de revenir sur ses oukases dominicaux.

A force d’avaler tant de couleuvres, Konan Banny, retranché depuis quelque temps à Yamoussokro (1), risque l’indigestion politique et a raison de perdre son calme devant un tel désaveu, devant tant de camouflets et d’avanies essuyés. Hélas, sa colère est à la hauteur de son impuissance, car, plus que jamais, Gbagbo veut lui montrer qu’il n’est rien et que c’est lui le seul maître à bord. Et rien que lui.

Ses services se sont du reste chargés de la rappeler sans ambages mercredi : de la même manière qu’il n’y a pas deux capitaines dans un bateau, il ne saurait y avoir deux chefs à la tête de l’exécutif ivoirien. Que l’autre, qui en appelle à l’arbitrage de la communauté internationale, se le tienne pour dit.

Gbagbo et ceux qui poussent à la roue auraient pourtant tort de se comporter de façon aussi cavalière, car quand on humilie un chef de cette façon, poussé dans ses derniers retranchements, il a le choix entre deux choses : devenir fou ou se faire bête. Avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer.

Du coup, on en vient à se demander si cette nouvelle transition ouverte par la résolution onusienne n’est pas proprement inopérante et si dans un an on ne va se retrouver au même point de départ avec, d’un côté, un régime aux abois arrivé dans des conditions calamiteuses aux affaires et qui s’accroche désespérément au pouvoir ; de l’autre, des rebelles qui se sont embourgeoisés jusqu’à l’indécence (suivez mon regard), dont certains se sont criminalisés au fil du temps et qui ne peuvent plus, de ce fait, "revenir en République".

Pour le malheur de cette terre d’espérance et d’hospitalité, et pour celui de la sous-région. Mais les évangélistes de Gbagbo seraient bien inspirés de commencer à prier pour leur illustre brebis, car si le volcan qui sommeille se met d’un moment à l’autre en activité, ceux qui roulent actuellement les mécaniques auront du souci à se faire.

Ousséni Ilboudo

Note :

(1) Il n’a d’ailleurs participé ni au conseil de cabinet de mardi ni davantage au conseil des ministres de mercredi.

L’Observateur

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Vos commentaires

  • Le 1er décembre 2006 à 10:15 En réponse à : > Konan Banny après un an de primature : "Que diable suis-je allé faire dans cette galère ?"

    excellent article...
    ça fait longtemps que je n’avais pas lu un article dans les médias aussi lucide...
    protège toi mon gars... Car dire la vérité envoie souvent sur la croix ! lol
    car ça va pas plaire à la bande de mafia au pouvoir à travers le monde !
    shang di ai bao you ni :)
    en chinois pinying : que dieu amour te bénisse !

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