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Pétrole : Shell, le Nigeria et la corruption

Publié le mardi 6 avril 2004 à 05h26min

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Sous la pression des actionnaires et face aux enquêtes
menées aux USA, en Grande-Bretagne et en Hollande pour avoir
surestimé ses réserves de pétrole, Royal Dutch/Shell tente d’en
faire porter la responsabilité au Nigeria.

C’ est ce que essaie de démonter TKe Okonta, chercheur au
sein de l’ institut d’ études internationles à l’ Université de
Californie à Berkeley ( Etats- Unis )
Connus fin mars, des documents confidentiels de la
compagnie laissent à penser que Shell n’a pas communiqué
des informations vitales concernant le volume de la révision à la
baisse de ses réserves au Nigeria, 1,5 milliard de barils (60%
des réserves totales du pays) - ceci pour renforcer la position du
Nigeria dans ses négociations avec l’OPEP afin d’augmenter
son quota de production.

Le Nigeria produit actuellement deux
millions de barils/jour, or l’OPEP calcule le quota de chaque
pays membre en fonction de ses réserves prouvées.

Le Nigeria, confronté à l’aggravation de la crise économique
qu’il traverse, veut doubler sa production pour qu’elle atteigne
quatre millions de barils/jour. Aussi, a-t-il pris en compte la
découverte de nouveaux gisements annoncés en décembre
dernier par la compagnie nationale NNPC (Nigerian National
Petroleum Corporation) en évaluant ses réserves à 3,4 milliards
de barils.

Pour les responsables politiques, l’importance de la
population du Nigeria comparée aux autres pays de l’OPEP et le
besoin urgent en devises étrangères pour financer des
infrastructures et la politique sociale justifient un traitement
préférentiel. Shell prétend ne pas vouloir mettre ces
négociations en danger en rendant public la réalité des réserves
du Nigeria.

L’image de Shell, entreprise sensibilisée aux préoccupations
éthiques, est on ne peut plus éloignée de la réalité. Au coeur du
scandale de la surévaluation des réserves de Shell, se trouve la
recherche du profit et des mécanismes sophistiqués élaborés
tout au long des années en collaboration avec des dictateurs
militaires corrompus pour s’assurer d’énormes dividendes aux
dépens de la population du Nigeria.

Shell se frotte les mains

Peu après que le général Ibrahim Babangida ait pris le pouvoir
à l’issue d’un coup d’Etat en 1985, le gouvernement a signé un
mémorandum d’entente avec Shell, ainsi qu’avec d’autres
compagnies pétrolières.

Ce document qui a été révisé en 1991
garantissait à Shell un bénéfice de 2 à 2,5 dollars/baril à
condition que le prix du baril reste compris entre 12,5 et 23,5
dollars et que l’entreprise investisse au moins 1,5 dollar/baril
extrait. En guise de prime supplémentaire, Shell était gratifié
d’un bonus de 0,1 à 0,5 dollar/baril pour la découverte de
nouveaux gisements d’un volume supérieur à celui extrait au
cours de l’année.

Depuis, Shell a de bonnes raisons de se frotter les mains. En
moyenne, depuis 1986 le prix du baril sur les marchés
mondiaux n’est pas descendu en dessous du seuil de 12,5
dollars.

Par ailleurs, Shell fonctionne en joint-venture avec la
NNPC, le Français Elf et l’Italien Agip. L’accord qui régit la
joint-venture (dont le gouvernement nigérian détient 55% des
parts) stipule que si toutes les parties partagent les frais
d’exploitation, Shell prépare les programmes de travail et le
budget annuel.

C’est le contrôle exclusif par Shell de ses frais d’exploitation qui
explique le volume des profits réalisés par la compagnie au
Nigeria.

Les dirigeants de la NNPC reconnaissent que le
contrôle effectif des frais d’exploitation de Shell leur échappe et
que ce n’est pas la marge bénéficiaire théorique qui retient Shell
et les autres compagnies pétrolières au Nigeria, mais les
revenus tirés de leur mainmise sur ces frais.
Le budget de fonctionnement est établi par Shell, la NNPC est
minée par la corruption et n’a pas l’expertise lui permettant de
vérifier les chiffres de production avancés.

Shell est donc
fortement incitée à gonfler ses coûts. De la même manière, ce
sont les bonus liés à la découverte de "nouveaux gisements" qui
ont été une source essentielle des profits réalisés par Shell
jusqu’en 1999, moment où un nouveau gouvernement a révisé
le mémorandum d’entente.

Depuis le début des années 1990, les frais d’exploitation font
l’objet d’une vive controverse entre Shell et le gouvernement
nigérian. Surpris de voir le montant des frais d’exploitation
produit par Shell en constante augmentation, en 1996 le
ministre nigérian du pétrole a promis de créer une unité de
contrôle chargée de vérifier toutes les factures et créances de
Shell. Mais ce projet n’a jamais vu le jour.

En février dernier, le Sénat nouvellement élu a essayé
d’empêcher Shell et deux autres compagnies de toucher une
somme de 1,6 milliard de dollars à titre de frais d’exploitation
avant qu’elles ne produisent les documents justificatifs. Cette
tentative a échoué à cause de l’intervention du président
Olusegun Obasanjo et des dirigeants du NNPC.

Des gisements imaginaires

Le dernier scandale en date ne va sans doute pas entraîner
une réaction énergique du gouvernement nigérian, même s’il a
versé des millions de dollars pour de nouveaux gisements
pétroliers qui n’existent que dans l’imagination de Shell.

Les
dirigeants du Nigeria veulent surtout éviter que Shell soit
accusée d’avoir gonflé les chiffres de ses réserves au Nigeria
pour profiter d’un contrôle et d’un mécanisme de régulation
laxistes et emmagasiner des millions de dollars à titre de
bonus. En attendant, Shell continue de réclamer plus de 385
millions de dollars au Nigeria.
Shell compte des amis bien placés au sein du gouvernement
nigérian.

Au milieu des années 1990, la compagnie travaillait en
étroite collaboration avec le feu dictateur du moment, le général
Sani Abacha, pour l’aider à étouffer le Mouvement pour la survie
du peuple Ogoni, une association de défense des droits des
minorités et de l’environnement dirigée par l’écrivain Ken
Saro-Wiwa qui a été exécuté ultérieurement par le régime.

Les
enquêteurs de l’ONG de défense des droits de l’homme Human
Rights Watch ont trouvé des liens entre des dirigeants de Shell
et des violations graves des droits de l’homme commises par
des troupes gouvernementales à cette époque.
L’alliance rusée entre des responsables gouvernementaux et
des dirigeants de la compagnie pétrolière préoccupés à se
remplir les poches du flot de pétrodollars est toujours en place.

A l’autre extrémité de la société, sept millions de paysans du
delta du Niger endurent le poids de la violence, de la destruction
de l’environnement et du désordre social qui accompagne
l’apparition des puits de forage des barons du pétrole.

Par Ike Okonta

Le Pays

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