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Lettre ouverte à Odile Bonkoungou : Des enseignants demandent leur part du "gâteau national"

Publié le mercredi 29 novembre 2006 à 07h25min

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La situation de l’enseignant que dépeint Lopes Badini à travers cette lettre ouverte à Odile Bonkoungou, la ministre de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation, est loin d’être des plus roses. Pire, c’est un véritable calvaire que vivent les enseignants, à en croire le discours de M. Badini.

"Madame le ministre, nous sommes conscients de la spécificité du gouvernement de notre pays ; et il n’est pas évident qu’un ministre, fût-il charismatique, puisse avoir les coudées franches pour agir dans son département. Mais la position hautement stratégique de l’éducation (si vous y avez foi) exige que vous fassiez mieux que vos prédécesseurs. A votre arrivée, on vous croyait à même de révolutionner l’enseignement de base, quitte à risquer votre poste et partir avec l’honneur et le sentiment d’avoir osé.

Cette année encore, il vous sera donné de lire des rapports émanant des chefs de circonscription via les DPEBA et les DREBA. Ces rapports, s’ils sont falsifiés, vous diront que beaucoup d’enseignants ont participé aux différentes activités pédagogiques telles que les GAP, stages et conférences. C’est connu, certains faux rapports assurent des postes et les grâces du patron. Si d’aventure on vous transmettait des rapports sincères et que cela ne vous émeut outre mesure, c’est à désespérer de l’avenir du pays. Car la réalité, c’est qu’il n’y a plus de rencontres pédagogiques, donc pas de formation continue digne de ce nom depuis que le SYNATEB a opté de s’en départir.

Au risque de choquer certains, il est formellement établi que les véritables animateurs de ces rencontres sont, soit issus du SYNATEB, ou l’ont rejoint en cours de chemin. On se rappelle la détresse de ce conseiller pédagogique qui ne pouvait même pas trouver un rapporteur à même d’élaborer un bon procès verbal, parmi les quelques participants à "sa conférence pédagogique". On n’oublie pas non plus les confidences de cet autre inspecteur décoré qui aurait affirmé qu’il doit sa médaille aux militants du SYNATEB qui ont tenu les classes de CM2, fournissant ainsi d’excellents résultats.

Parlant des inspecteurs, j’ai tout simplement honte quand certains se mettent dans une colère noire parce que tout simplement les enseignants exigent de meilleures conditions de travail. Se sentant obligés de défendre le gouvernement, certains (ils sont peu nombreux heureusement) créent un climat de travail très malsain, toute chose qui est préjudiciable à un bon rendement. Or la revendication ne leur est pas destinée. Au contraire, ils sont tout autant victimes que nous du mépris de l’Etat vis-à-vis des éducateurs. Par exemple, ne trouvez-vous pas révoltant qu’un inspecteur, catégorie A1 de son état, soit contraint de supporter les pannes quasi quotidiennes de sa vétuste moto de service ?

Insulte à la masse muselée

Revenant aux rencontres pédagogiques, on n’a pas besoin de disserter pour démontrer leur importance. Ce que les enseignants demandent, ce sont des mesures d’accompagnement pour soulager leur charge qui est déjà difficile à supporter. Nous ne demandons pas des miracles, juste une équité dans le partage "du gâteau national". L’insuffisance des moyens de l’Etat est un argument qui ne peut plus prospérer ni convaincre, tellement la débauche de moyens pour certains fantasmes est tout simplement révoltante, voire insultante envers la masse muselée. Dans les pays asiatiques, la Chine en tête, les dirigeants se sont vus obliger de consacrer entre 40 et 60% de leur budget pour booster l’éducation. Aujourd’hui, les résultats se passent de commentaire.

En réduisant simplement de moitié les émoluments grossiers des députés (plus de 13 millions de FCFA par an), on récolte au bas mot 700 millions de F par an et autant chez nos ministres ; donc un investissement d’un milliard et demi de nos francs dans les secteurs sociaux. C’est une chimère car nous sommes au Faso ; ailleurs c’est possible. On a en mémoire le sursaut patriotique des cadres maliens qui ont consenti chacun tout un mois de salaire (s’il vous plaît) pour juguler la crise céréalière. Une fois de plus, la lutte contre la pauvreté ne peut se nourrir de beaux discours.

Difficultés de vivre honnêtement de son salaire

S’il n’y a pas un signal fort au Burkina, d’ici quelques années le PNUD oubliera de nous classer, tellement l’hémorragie éducationnelle va noyer tout espoir de bien-être.

Il est vrai que vivre honnêtement de son salaire au Burkina relève du parcours du combattant. Pendant que certains agents ont des avantages, de la considération et une fierté sociale, les enseignants en perdent chaque jour un peu plus. C’est ainsi que bon nombre d’enseignants, après avoir écumé toutes les institutions bancaires légales et même illégales, atterrissent sur une civière chez les usuriers d’où ils ne sortiront que sur un brancard pour la morgue. Or, ils ne sont ni les plus dépensiers, ni les moins organisés. Cette image piteuse fait que certains enseignants ont parfois honte d’avouer leur profession parce qu’en réalité, ils n’en sont pas très fiers. Les discours de nos autorités n’ont jamais situé les mérites de l’enseignant. Tout au plus. on lui exprime une compassion, une pitié, le tout dans une ironie teintée de cynisme.

Madame le ministre, vous aurez beau inaugurer des salles de classes, organiser des colloques, des symposiums, des séminaires- ateliers et autres assises sur l’éducation, grassement pris en charge, vous n’obtiendrez dans le meilleur des cas, que des statistiques préconçues ou décrétées (comme on en connaît au Faso), juste pour appâter les partenaires financiers. Le socio-pédagogue Emile Durkheim nous prévient sagement que : « On ne décrète

pas l’idéal, il faut qu’il soit compris, aimé, voulu par tous ceux qui ont le devoir de le réaliser ». C’est dire que dans le fond notre système éducatif continuera sa descente aux enfers tant que les vrais acteurs que sont les enseignants, auront le moral au talon. Et Dieu sait que c’est le lot commun à tous ces braves hommes et femmes à qui tous les hommes sensés reconnaissent un rôle infiniment cardinal dans la société, mais que presque personne n’envie, pas même les chômeurs. C’est comme la réputation du croque-mort dont tout le monde loue la bravoure mais dont les gens hésitent même à serrer la main. Que de préjugés, de l’irrévérence, du mépris pour ces éducateurs dont le seul péché est de vouloir vivre décemment.

Madame le ministre, votre arrivée à la tête de notre ministère avait suscité un peu d’espoir pour le monde enseignant.

Ce que l’histoire retiendra

Mais très vite cet espoir a fait place à une réalité des plus cauchemardesques. En effet, l’histoire retiendra que sous votre mandat :

1 - Les enseignants seront à la charge des collectivités locales (nous osons en douter de l’efficience). Un étudiant malien nous a confié que lui en tant qu’enseignant communautaire,

perçoit en moyenne 12 000 F CFA par mois. Est-ce cela, le sort que vous nous réservez ?

2 - Le décret n°2006-377/PRES/PM/MFPRE/MEBA/MFB a consacré la contractualisation définitive de tous les enseignants sauf provisoirement les quelques inspecteurs, conseillers et instituteurs principaux. D’où une précarité de l’emploi, le contrat pouvant être rompu, selon les desiderata du gouvernement.

3 - La mise en route du "Contrat d’Objectif" sous la fausse appellation de "Fiche

d’Identification des Attentes". C’est du pareil au même. A ce niveau, que vous soyez rassurée : tous les élèves auront la moyenne pour passer en classe supérieure, si cela fait partie des conditions d’avancement du maître. Quel suicide ! Des statistiques flatteuses, on peut en fabriquer tant que son avenir en dépendra.

4 - Le bac qui n’est point un diplôme professionnel, est désormais exigé pour prétendre à un poste d’encadreur pédagogique. Loin de moi l’idée de prôner la médiocrité, bien au contraire.

Mais combien n’ayant même pas fait la seconde, assument efficacement les tâches à eux

confiées ? Le bac n’est qu’un prétexte pour bloquer les carrières et vous le savez bien. D’ailleurs, presque tous les enseignants sans bac se sont mis à sa conquête par toutes les acrobaties. Ont-ils vraiment le choix ? Ces enseignants mènent simplement un combat existentiel. Une fois encore, c’est le niveau des élèves (du bas peuple) qui en prend un sérieux coup.

5 - L’accès à l’ENAM nous sera interdit dans cinq (5) ans.

6 - les enseignants des classes multigrades attendent leurs indemnités depuis onze (11) mois (de janvier 2006 à nos jours). Pendant tout ce temps ces enseignants sont en train de massacrer leur santé avec deux classes pour un maître.

Ces quelques points saillants sont autant d’angoisses (...). Mais croyez-moi, vous avez peut-être rendu service au gouvernement mais pas au peuple burkinabè.

Madame le ministre, vous pouvez continuer à fermer les yeux à midi tout en disant qu’il fait nuit. Seulement la réalité sera jugée par l’histoire. Le philosophe Blaise Pascal ne disait-il pas à ce propos que "dans l’ordre moral, l’amour-propre est la grande et incurable infirmité qui nous fait non seulement méconnaître, mais haïr la vérité ?"

Tout en vous souhaitant une bonne réception, je vous prie d’agréer l’expression de ma haute considération."

Lopes Badini

Le Pays

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