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Tentative présumée de coup d’Etat : Issaka Lingani renvoie la balle

Publié le mercredi 5 novembre 2003 à 16h43min

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Forcément, les avis divergent sur la tentative présumée de coup d’Etat révélée en début octobre par Abdoulaye Barry, le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire.

Les différentes livraisons des médias en sont la preuve. Le présent droit de réponse de notre confrère Issaka Lingani est à l’adresse de M. Ouédraogo Bédaré qui n’a pas partagé son opinion sur cette affaire.

Pan ! Aie ! C’est certainement l’effet que M. Ouédraogo Bédaré du secteur 17 de Ouagadougou aurait souhaité qu’ait son article, paru dans l’Observateur paalga n°6004 du mercredi 22 octobre dernier, qui, prenant prétexte de mon opinion contraire à celle de Liermé Somé sur la tentative de coup d’Etat déjoué, s’est évertué à démontrer que "...c’est bel et bien les frustrations que les uns et les autres subissent dans leur chair qui sont à l’origine (j’allais dire) de ces gestes de désespoir".

Pour illustrer son propos, il a appelé à la rescousse feu mon confrère Norbert Zongo pour "comprendre pourquoi des gens s’engagent sur des voies sans issues, pourquoi il existe encore des gens, que l’extérieur peut manipuler contre leur propre pays...", alors que, pour ma part, j’aurais opté de me "voiler la face", en professant que "...si tous ceux qui sont frustrés devaient se lever pour faire des coups d’Etat, il y en aurait tous les jours, même aux Etats-Unis d’Amérique...". Il emprunte aussi abondamment au président du Faso, SEM Blaise Compaoré, dont il rappelle des propos par rapport aux attentats du 11 septembre 2001 aux USA et à la crise en Côte d’Ivoire pour faire le parallèle avec la situation au Burkina Faso et en déduire "en toute logique" que les mêmes causes provoquant les mêmes effets, personne ne devrait s’étonner que les frustrations de certains conduisent à des tentatives de coups d’Etat. En un mot comme en cent, M. Bédaré (je choisis de l’appeler par "son prénom", parce que je sens que cela lui fera plaisir), justifie cette tentative de coup d’Etat et à tout l’air d’ailleurs de la saluer, même s’il se dit contre les coups d’Etat.

C’est en tout cas l’impression qu’il me laisse, au vu de son acharnement "à débusquer les causes des maux" qui en seraient le fondement ; acharnement qui le conduit à user et à abuser de comparaisons, inadmissibles, de raccourcis trop commodes pour être sérieux et de symboles notamment au niveau bibliographique comme si, conscient de la faiblesse de son argumentaire, il espérait ainsi lui donner un semblant de consistance. Je m’en voudrais de ne pas relever certains de ces anachronismes, car, si je respecte son opinion et son droit à l’exprimer, je ne saurais rester de marbre devant tant d’aberrations ; d’autant que Norbert Zongo les qualifie de "voies sans issues".

Ainsi, à l’en croire, par exemple, "...ce que les Etats-Unis subissent depuis le 11 septembre 2001 à nos jours est pire qu’un coup d’Etat !". Je suis plus que sidéré devant une telle analyse et je doute fortement que M. Bédaré imagine un seul instant ce qu’il faudrait pour faire un coup d’Etat aux Etats-Unis et quelles pourraient être les conséquences de celui-ci. A-t-il un seul instant pensé à ce que pourrait être la planète terre avec à la tête des Etats-Unis une junte militaire ? S’il est vrai que le 11 septembre 2001 a été dramatique, je pense profondément que ses conséquences sur tous les plans (humains, matériels, politiques, sociaux et tout ce que vous voudrez) seraient insignifiantes en comparaison avec celles d’un coup d’Etat aux Etats-Unis d’Amérique.
Relativement toujours à ce 11 septembre 2001 et au parallèle qu’il fait entre les motivations des terroristes et celles de nos"comploteurs locaux", à tout le moins, M. Bédaré force un peu trop la comparaison.

A mon sens, je trouve particulièrement excessif et inapproprié d’accorder les mêmes valeurs aux motivations crypto-personnelles des "Ouali" et aux revendications sociales et politiques ayant servi de prétextes aux acteurs du 11 septembre 2001. Non seulement elles appartiennent à des galaxies différentes, mais, en plus, contrairement à ce que lui et ses camarades veulent nous faire gober, nos putschistes d’octobre ne sont pas motivés par des frustrations ou des brimades, mais, pour la plupart, par "Dieu" dont ils avaient été convaincus qu’il aurait fait du Burkina Faso son pied-à-terre s’ils le "nettoyaient".

Qu’à cela ne tienne. Il y a qu’il est vraiment curieux que monsieur Bédaré trouve matière à comparaison entre les injustices dont souffre le peuple palestinien par le fait d’Israël et par ricochet des Etats-Unis d’Amérique et qui sont faites d’assassinats, de tueries, d’expulsions, de destructions de maisons, de plantations et de champs, d’arrestations et d’emprisonnements, d’expropriations, etc., et les problèmes de carrières de quelques militaires à la conscience et à l’honneur douteux . Sait-il seulement que par 78 fois les Etats-Unis d’Amérique se sont retrouvés seul pays sur la planète à s’opposer à une condamnation d’Israël par l’ONU pour ces faits, justifiant ainsi le courroux et le ressentiment des Palestiniens et de tous ceux qui fondent leurs actes à partir de leur sort ?

Dans le même sens et quoique cela ne soit pas l’épicentre de mes préoccupations, il n’est pas inutile de faire remarquer à M. Bédaré qu’il m’étonnerait que le président Compaoré, qu’il cite abondamment, ait voulu dire que 300 millions d’Américains oppriment 6 milliards d’hommes et de femmes sur la planète. Il me semble qu’il n’opposait pas le peuple américain, dans son ensemble, au reste de la population de la planète, mais mettait à l’index la politique mise en œuvre par la classe dirigeante américaine et qui a pour conséquence d’entretenir les injustices envers certains peuples, donnant ainsi du grain à moudre aux terroristes. Mais monsieur est tellement acharné à sa tâche qu’il serait illusoire d’espérer le raisonner.

Dès lors, je comprends parfaitement qu’il ne puisse pas reconnaître le journaliste que je suis, car avec les œillères qu’il porte, il ne se reconnaîtrait pas lui-même. Par ailleurs, sait-il que, s’il faut faire une litanie des frustrés par pays, le Burkina Faso ne serait qu’une petite parenthèse par rapport aux Etats-Unis d’Amérique, ce pays qui a entretenu l’esclavage et où a existé le Ku klux klan qui a essaimé en une multiple de groupuscules néo-nazis aussi racistes que violents les uns que les autres et qui font chaque jour des victimes innocentes parmi les minorités noires, hispaniques, etc.

M. Bédaré sait-il seulement qu’ils sont des millions, les Américains qui vivent en dessous du seuil de pauvreté dont certains dans des conditions de vie autrement plus pénibles et dramatiques qu’un Burkinabè peut connaître, et qui n’ont aucun statut ni politique, ni social dans leur pays ?

Tenez, en terme de nombre, aux Etats-Unis d’Amérique, il y a, s’il vous plaît, M. Bédaré, trente millions de personnes classées dans la catégorie des pauvres. Parmi celles-ci, des centaines de milliers, pour ne pas dire des millions, sont des sans domiciles fixes qui errent de lieu public en lieu public sous les intempéries de toutes sortes ou des squatters qui ne survivent que grâce à l’assistance, non pas de l’Etat, mais d’associations charitatives. M. Bédaré, ces pauvres ont plus d’une raison d’en vouloir à leur Etat, au moins autant que les "Ouali" ! Comparaison n’est certes pas raison, mais tous les Burkinabè frustrés, brimés, brimeurs et autres réunis n’atteignent pas ce nombre.

Je ne jette pas la pierre à ce pays qui fait rêver des millions d’êtres humains, mais je dis tout simplement et, n’en déplaise à M. Bédaré, que si tous ces frustrés (ces pauvres, ces laissés-pour-compte, ces "sous-citoyens", etc.) devaient faire, selon la théorie de M. Liermé Somé, des coups d’Etat, il y en aurait un nombre incalculable tous les jours. C’est une simple question de bon sens et ce serait plus que se voiler la face que de récuser cette évidence ; ce sait de la mauvaise foi.

Je pense en toute conviction que le Burkina Faso mérite son Etat de droit et tous les citoyens devraient se battre pour lui. Les frustrés et les mécontents peuvent s’exprimer par les urnes et rien ne les empêche de se mobiliser pour l’alternance, dont il est évident que M. Bédaré est un adepte.
Autrement, à faire l’apologie des coups d’Etat, j’ai bien peur qu’on ne se retrouve comme au Far West, avec tout simplement des règlements de comptes où chacun agirait par vengeance et non par conviction.

Enfin, j’invite M. Bédaré à méditer sur le coup d’Etat de Noël en Côte d’Ivoire qui n’a pas profité à la classe politique ivoirienne, qui s’était pourtant empressé de le saluer. Il a plutôt plongé le pays dans un gouffre sans fond. Mais en fait, M. Bédaré se soucie-t-il seulement du Burkina Faso ? Le contraire ne m’étonnerait pas. Voilà pourquoi, je le laisse à ses certitudes, en espérant que le mois de pénitence en cours lui enseignera assez d’humilité pour "oser" respecter son pays et sa patrie.

Issaka Lingani
Journaliste, directeur de
publication de L’Opinion

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