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Bissiri Joseph Sirima, coordonnateur national du MCA : « Nous attendons près de 500 millions de dollars »

Publié le samedi 25 novembre 2006 à 08h40min

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Bissiri Joseph Sirima

Economiste de formation, ancien ministre, titulaire d’un DEA en économie du développement, Bissiri Joseph Sirima est aujourd’hui à la tête du Millenium challenge account (MCA). Le MCA vient de franchir une étape importante en déposant son compact le 24 octobre dernier auprès du Millenium challenge corporation de Washington.

Dans cet entretien, M. Sirima évoque les prochaines étapes de la mise en route de cette initiative dont l’objectif est d’accélérer la croissance dans les pays en développement.

Sidwaya (S) : Qu’est-ce qui a présidé à la mise en place du millenium challenge account MCA) ?

Bissiri Joseph Sirima (BJS) : Le Millenium challenge account a été créé suite à l’éligibilité du Burkina Faso en novembre 2005 au MCC(Millenium challenge corporation) de Washington. Suite à la rencontre de Montéray en 2002, les pays développés s’étaient engagés à aider beaucoup plus que cela ne l’a été, les pays en développement pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Voici le point de départ du MCA dont l’objectif est d’accélérer la croissance dans les pays pauvres.

Le président Chirac avait proposé de prélever des taxes sur les billets d’avions, à partir de la classe affaires, pour financer le développement en vue d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Le président George Bush, au nom des Etats-Unis d’Amérique a imaginé le Fonds MCC pour aider les pays qui consentent déjà des efforts pour se sortir de la pauvreté. Le MCA est compris dans le MCC, c’est-à-dire le fonds pour relever les défis du millénaire. A ce fonds, les pays sont éligibles suivant des critères bien définis.

S. : Quelles sont ces critères ?

BJS : Il y a une batterie de 16 indicateurs que l’on peut succinctement regrouper en trois domaines essentiels : le domaine de la gouvernance, le renforcement des ressources humaines, l’environnement économique. Un des critères essentiels est la lutte contre la pauvreté, la corruption. Si un pays ne respecte pas cet indicateur, il ne peut pas être éligible au MCA. Il y a d’autres critères comme la scolarisation des filles, l’environnement des affaires ou le temps mis pour créer une entreprise, la pression fiscale, l’inflation.

Le Burkina a été éligible après avoir traversé toutes ces étapes. Une mission est venue au Burkina Faso en décembre 2005 évaluer l’état des lieux. En janvier 2006, une autre mission est venue expliquer aux autorités ce qu’il faut faire lorsque l’on est éligible pour pouvoir bénéficier des fonds. Et l’une des premières dispositions consistait à mettre en place une structure MCA local. C’est ainsi que le MCA-Burkina a été créé en février 2006. J’ai donc été nommé à cette période, coordonateur natonal du MCA.

S. : Après le dépot du compact en octobre dernier, quelle sera la prochaine étape ?

BJS : Nous avons effectivement fait le tour du Burkina Faso. Nous avons recensé les priorités et nous avons rédigé un programme soutenu par des projets issus des priorités des populations. Sur cette base, nous avons élaboré notre compact, qui a été déposé le 24 octobre 2006 et transmis à travers notre ambassadeur, son Excellence M. Tertius Zongo. Une fois ce rapport déposé, il est soumis à un comité d’investissement, qui examine et autorise à cautionner les démarches.

A partir de décembre prochain, les experts du MCC-Washington viendront à travers plusieurs missions, à l’intérieur du pays sur le terrain pour constater de visu que nos propositions correspondent à la réalité. Une fois que nous aurons franchi cette étape, une deuxième mission viendra en janvier 2007, et ainsi de suite.

Tout cela permettra, à terme, de confirmer toutes nos propositions et d’évaluer réellement les montants par rapport aux réalités du terrain. Ce processus durera 6 à 9 mois, c’est-à-dire, dans le meilleur des cas, c’est 6 mois et dans le pire, c’est 9 mois. C’est dire que nous sommes à cette étape ou nous sommes sollicité de part et d’autre pour les échanges d’information en vue d’approfondir, de détailler, de donner des éléments techniques des propositions qui ont été faites.

S. : Pour certains pays, le processus de consultation c’est-à-dire jusqu’à la signature des contrats, a duré deux ans. Est-ce que cela peut être le cas pour le Burkina, où les délais vont être relativement brefs ?

BJS : Tout dépendra. Parce que certains éléments dépendent de nous et d’autres dépendent d’eux. Nous avons été nommé en février 2006 et avons mis l’équipe technique des experts en place en mars 2006. En mai, nous avons entamé les consultations pour recueillir toutes les propositions des populations.

En juillet, août, septembre, nous avons rédigé notre compact, qui a été remis en octobre, après bien sûr, les échanges avec tous les partenaires. Nous sommes allé vite et si les choses vont bien, en ajoutant 6 à 9 mois, vous verrez que le MCA ne tardera pas à démarrer ses activités sur le terrain.

S. : Voulez-vous dire avant fin 2007 ?

BJS. : Probablement en mi-2007, si tout va bien, le démarrage sera effectif.. C’est-à-dire en juillet-août 2006, nous avons espoir.

S. : A côté du MCA, il y a le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. Quel lien existe-t-il entre ces deux instruments qui ont la même finalité ?

BJS. : La finalité des deux, c’est la lutte contre la pauvreté. Mais ce sont les moyens et la manière de faire qui diffèrent. En fait, le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté est un cadre global pour le Burkina Faso. C’est un cadre de référence pour guider l’action de la lutte contre la pauvreté. Donc, le MCA tire du CSLP son action.

Par exemple, dans son axe 1, le CSLP dit « accélérer la croissance et la fonde sur l’équité ». Nous avons opté pour cet axe qui est d’accéder la croissance car on ne peut pas lutter contre la pauvreté en distribuant la misère. Si vous avez des moyens que vous dégagez, il faut les l’affecter pour construire des écoles, des dispensaires, pour acheter des médicaments etc.

S. : Quels sont les secteurs qui ont été retenus et pourquoi ?

BJS. : Les consultations nous ont beaucoup édifiés. Il y a l’agriculture, le désenclavement, les technologies de la communication, de l’information, etc.

L’un des critères de choix de nos propositions de projets est la rentabilité économique. Si le projet n’a pas de rentabilité économique, nous le mettons en seconde priorité. Le deuxième est l’impact sur les populations. Le projet va-t-il concerner tout le monde ou s’agit-il de l’affaire d’une élite ? Ensuite, le 3e concerne comment le projet contribue réellement à la lutte contre la pauvreté. Voici donc les 3 critères essentiels qui ont guidé nos choix.

Ainsi, nous nous sommes dit : si l’on veut lutter efficacement contre la pauvreté, il faut tenir compte de l’agriculture. Ce secteur occupe plus de 80% des populations. Nous essayons, dans cette perpective, d’envisager des actions pour lever les obstacles au développement agricole aujourd’hui.

S. : Comment le MCA justement va juguler ces obstacles ?

BJS. : Une fois les obstacles identifiés, nous essayons de voir comment les lever. Les populations ont énuméré tous les obstacles, nous avons fait le point de ceux-ci. Les questions foncières constituent un véritable problème. Les zones aménagées du Sourou, la vallée du Kou, Bagré, on a distribué des superficies à des gens qui ont dit qu’ils peuvent les valoriser et on leur a dit : allez-y les mettre en valeur. Mais ces gens ne peuvent pas aller.

Sur quelles bases vont-ils allés ? Quel est le contrat ? Ce n’est pas seulement le cahier des charges. Pour pouvoir dire : cela est ma terre, la propriété, comment est-elle gérée ? Tant que ces questions ne sont pas résolues, les gens ne s’y donnent pas à fond. La première question qu’il faut donc chercher à résoudre est celle de la propriété foncière.

Dans cette perspective, nous avons essayé de proposer l’aménagement du territoire d’abord, pour assurer la sécurisation foncière. Cela va permettre des titres fonciers à ceux qui veulent travailler la terre. En outre, le MCA a prévu le bitumage de plus 1000 km de route. Le projet va faciliter l’écoulement de la production.

Sur le Mouhoun, nous entendons procéder à l’aménagement des abords, sur le lac Bam qui est déjà en partie aménagé, nous allons réorganiser cela, étendre les aménagements et construire des infrastructures de stockage. Il y aura une chambre de conditionnement des produits sur place avant leur écoulement. Ce sont autant d’aspects qui sont aussi fondamentaux pour le programme.

S. : Combien a coûté à peu près le MCA-Burkina ?

BJS. : Nous avons fait des propositions et celles qui sont acceptées à ce jour, tournent autour de 500 millions de dollars. Les négociations se poursuivent et on verra dans le futur ce qui peut se passer. En tout état de cause ce chiffre peut être revu à la hausse, ou à la baisse.

S. : Si tous ces fonds sont acquis, pensez-vous que le Burkina pourra être au rendez-vous des objectifs du millénaire en 2015 ?

BJS. : Je pense que, s’il y a la croissance et si on utilise les fruits de cette croissance pour le bien-être des populations, il n’y a pas de raison de ne pas atteindre les objectifs du millénaire. Je pense que tout ce qui se fait , contribue à élever le niveau de vie des populations. Les gens vendront plus, produiront plus. Il faut maintenant investir pour accroître les infrastructures sanitaires et l’éducation.

S. : Le Sénat américain est majoritairement démocrate. Or, l’initiative MCA vient du président Bush qui est républicain. Cette donne ne va-t-elle pas affecter l’initiative dans sa mise en ouvre ?

BJS. : Je ne crois pas. J’ai dit au début que le président Bush a pris cet engagement au nom des Etats-Unis d’Amérique. Le MCA n’est ni au nom d’un parti politique ni d’un président, il est d’une volonté des USA. C’est donc un engagement de l’Etat américain. Dans l’histoire des Etats-Unis, nous avons eu à un moment donné, le Corps de la paix (peace corps) qui existe toujours. Ce sont des institutions qui sont créées et qui dépassent les gouvernements. il n’y a donc pas de raisons que les choses changent.

S. : Le MCA n’est-il pas une initiative visant à apaiser la colère des pays pauvres face aux effets pervers des subventions allouées aux cotonculteurs américains ?

BJS . : Je vous ai dit que cet engagement fait suite à la rencontre de Monterrey au Mexique. Les débats sur le coton, je ne dis pas que c’est assez récent, mais je peux dire que c’est tout à fait indépendant de ce qui avait été à l’origine du MCA. Maintenant, ce qui est sûr, le débat sur le coton est une réalité, les subventions aussi, chacun gère son pays et ce n’est pas du jour au lendemain qu’il faut s’attendre à voir les subventions disparaître.

Les cotonculteurs sont devenus de grands lobbies dans l’économie américaine et tout pouvoir est tenu de compter avec eux : Il faut combattre en rangs serrés, pour espérer inverser la tendance. Voilà ce que les africains doivent faire.

S. : Axelle Kabou écrivait « Et si l’Afrique refusait le développement » parce qu’elle est partie du constat que depuis les indépendances, des milliards ont été injectés pour impulser le développement en Afrique mais avec de très maigres résultats. En tant qu’économiste, quel lecture faites-vous de tout cela ?

BJS. : Effectivement, j’ai eu écho de ce livre d’Axelle Kabou. Je crois que c’est une Camerounaise, c’est un titre choquant. Si l’on regarde d’un côté on peut dire, c’est vrai, on met de l’argent et au bout du compte, rien ne sort. De l’autre côté aussi, on peut dire, c’est discutable. Parce que, ceux qui mettent l’argent, ils le mettent comment ? On vous donne cent francs et il y a 80 F qui sont destinés à payer les gens qui viennent pour vous aider. Comment peut-on s’en sortir avec les 20 F ? Si bien que moi je pense qu’on peut poser la question autrement ; au lieu de « Et si l’Afrique refusait le développement ? » on peut dire « Et si on refusait que l’Afrique se développe ? » C’est cela aussi l’autre facette de la pièce.

S. : Autrement, vous remettez en cause l’ordre mondial ?

BJS. : Vous avez des conclusions de journaliste. Remettre en cause l’ordre mondial ? Je vais du principe que dans toute société, dans toute organisation, chacun se bat pour se développer. Donc, si vous vous asseyez on vous mangera. C’est cela le problème de l’Afrique. Il faut se battre. Il faut accepter la confrontation, c’est-à-dire accepter le sacrifice. Il n’y a rien qui soit là, cadeau.

Interview réalisée par S. Nadoun COULIBALY

Sidwaya

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