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Diplomatie : Notre intérêt est bien à Taïwan

Publié le mardi 21 novembre 2006 à 08h19min

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Depuis le 19 novembre courant, le président du Faso se trouve en visite officielle en République de Chine, autrement dit à Taïwan, cette île où, en 1949, se sont repliés les partisans de Tchang Kaï Check lors de l’avancée des hordes de Mao Tsé Toung.

Intervenant quelque un mois seulement après le grand jamboree qui a convoyé à Pékin la quasi-totalité des chefs d’Etat africains ou leurs fondés de pouvoir, ce 4e séjour de Blaise Compaoré à Taipeh peut paraître improductif ou à tout le moins inopportun au goût des géopoliticiens et des prospectivistes pour qui la République populaire de Chine, cette Chine dite de Pékin, sera bientôt le centre du monde.

Pour les économies anémiées et les gouvernements désargentés dont notre continent pullule, cette Chine-là n’a-t-elle pas déjà donné des gages de grande puissance-providence, dispensatrice, à profusion, de l’aide dont manque cruellement l’Afrique pour, elle aussi, émerger ?

- Remise sabbatique des dettes ;
- doublement de 3 à 6 milliards de dollars de l’enveloppe financière ;
- assurance "gagnant-gagnant".

Excusez du peu, mais il y avait suffisamment de quoi expliquer, sinon justifier la ruée, vers Pékin, de 48 chefs d’Etat et de gouvernement, soit plus que n’en ont enregistré ces derniers temps les meilleurs sommets de l’Union africaine.

Quand on ajoute que, se drapant du sacro-saint principe de la non-ingérence dans les affaires domestiques d’autrui, les autorités pékinoises n’entendent assortir leur coopération d’aucune conditionnalité, on comprend que nos chefs d’Etat, qui ne sont pas toujours des parangons de gouvernance démocratique, aient accouru nombreux chez le grand frère chinois ; sans le moindre soupçon de visées impérialistes de la part de la Chine, Pékin n’ayant pas de contentieux colonial à gérer avec notre continent.

Alors question : dans ce contexte de sinolâtrie bêlante, Blaise Compaoré a-t-il eu raison d’avoir été l’un des rares absents à la grand-messe sino-africaine officiée le mois dernier par Hu Jintao, pour s’en aller ostensiblement échanger aujourd’hui des toasts chaleureux d’amitié et de solidarité avec son homologue Chen Shui- bian de Taipeh ? Entre les deux Chines, notre pays a-t-il eu raison d’avoir choisi Taïwan ? La question se pose avec d’autant plus de pertinence, qu’il y a seulement quelques mois, des rumeurs d’une rupture imminente avec la Chine de Formose s’étaient emparées de Ouagadougou, aggravées en septembre par la visite au Burkina d’une mission commerciale chinoise commanditée par Pékin.

La donne semble plus claire désormais, car même si la perfidie est parfois la fille préférée de la diplomatie, ce n’est tout de même pas de retour de Taipeh, c’est-à-dire de sitôt, que Blaise Compaoré tournera casaque pour s’engager dans le panurgisme prochinois, ce béni-oui-ouisme d’un nouveau genre qui a conduit tant de ses pairs dans la capitale de l’Empire du milieu.

De cela il faut bien se féliciter, parce que les choses étant ce qu’elles sont et le monde ce qu’il est, l’intérêt bien compris du Burkina Faso se trouve aujourd’hui à Taïwan.

Non pas qu’il faille ignorer le poids dont pèsera Pékin à l’échelle mondiale au double plan économique et diplomatique grâce respectivement à la croissance à deux chiffres que nous lui envions et à sa position non moins enviable de membre permanent du Conseil de sécurité. Notre cher ami de la lagune Ebrié, Laurent Gbagbo, s’en pourlèche bien aujourd’hui les babines.

Mais, en comparaison de l’aide ô combien fructueuse et concrète dont nous a toujours gratifiés Taïwan depuis la reprise, en 1994, de l’axe Ouaga-Taipeh, qu’espérerions-nous engranger de plus en embrassant sa rivale, sinon le risque de lâcher la proie pour l’ombre, tout en nous rangeant, nous aussi, malgré le label d’hommes intègres que nous revendiquons, au rang des pays parjures qui nouent et dénouent leur serment diplomatique sans le moindre état d’âme, c’est-à-dire pas même la reconnaissance du ventre ?

Et de fait, le "gagnant-gagnant" proposé par Pékin n’est rien d’autre qu’un nouveau marché, un marché, peut-être pas de dupes, mais où vous ne recevrez qu’autant que vous en aurez à vendre et à revendre.

Or, de quoi raffole, de nos jours, la Chine de Pékin, sinon de matières premières, plus précisément d’or noir, ce pétrole dont elle a une soif inextinguible pour nourrir le nouveau dragon asiatique qu’elle est en passe de devenir ?

De cet or-là nous ne disposons pas, car nous ne sommes ni l’Angola, ni le Nigeria, ni davantage le Soudan, des pays dont Pékin soutient à fond les régimes, fussent-ils le système génocidaire et crypto-esclavagiste d’Omar El Béchir.

Et l’or blanc ? Oui, nous produisons du coton, mais nous connaissons tous la problématique des subventions iniques qui en plombent les cours mondiaux. Et il serait illusoire de croire que la Chine populaire, qui en produit également et qui dispose d’autres fournisseurs en Asie même, y puisse changer grand-chose à l’avantage de nos contonculteurs.

Pour tout dire, ne tireront vraiment profit du new-deal proposé par Pékin à l’Afrique que ceux de nos pays qui ont de quoi assouvir la fringale énergétique de ce nouvel ogre. De tels pays auraient alors tort de ne pas mordre à l’hameçon. Tout comme auraient tort de ne pas le faire des Etats comme le Nigeria, l’Afrique du Sud ou l’Egypte, dont on connaît les ambitions pour le Conseil de sécurité, où la Chine populaire dispose justement d’un éventuel droit de veto, autant dire de blocage. Tel n’est pas aujourd’hui le cas du Burkina qui, de ce fait, et dût-il être seul, ne devrait éprouver aucun complexe à rester à Taïwan. Cela revient à refuser de succomber à ce nouveau tropisme diplomatique sur front de snobisme qui attire grégairement tout le monde vers la curée de Pékin, tels des moutons de Mao selon le mot d’un humoriste en herbe.

Bien sûr que nous aussi irons un jour à Pékin, puisqu’un jour bien sûr, la Chine sera réunifiée comme l’a été l’Allemagne et comme le sera un jour la Corée. Mais alors, de quelle Chine s’agira-t-il ?

Certainement plus de cette Chine où règne le parti unique tout-puissant ; cette Chine qui réédite chaque jour des Tianamen en violant les libertés individuelles et collectives, en embastillant les journalistes et les activistes des droits humains. Ce sera, espérons, un pays définitivement acquis aux valeurs démocratiques, au système économique qui en découle, et qui n’aura donc plus honte d’avouer son capitalisme libéral sous l’appellation vicieuse de "socialisme de marché".

Bref, quand la Chine populaire se sera définitivement éveillée, quand elle aura accédé au niveau de vie du Taïwan d’aujourd’hui avec sa masse critique de classes moyennes difficiles à embrigader durablement, elle procédera inéluctablement à un aggiornamento institutionnel qui fera d’elle un Taïwan en plus grand.

Ce sera la victoire du Taïwan d’aujourd’hui qui est déjà, rappelons-le, le premier investisseur étranger en Chine continentale, et dont la question éminemment politique de l’indépendance se résoudra d’elle-même, c’est-à-dire par l’économie. En attendant, que vive l’amitié et la coopération Ouaga/Taïpeh et honni soit qui mal y pense.

Par Pierre-Emmanuel Kouma

L’Observateur

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