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Coton OGM : Le principe de précaution est-il respecté par les autorités burkinabè ?

Publié le vendredi 17 novembre 2006 à 07h46min

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La Coalition de veille face aux OGM au Burkina Faso (CV/OGM/BF) révèle, à travers cette analyse, que "les autorités burkinabè ne respectent pas le principe de précaution" par rapport à la production du coton OGM au Burkina.

La décision des autorités burkinabè de vulgariser le coton Bt dès la saison prochaine a suscité des réactions dont celle de CV-OGM qui soulignait avec force que les autorités burkinabè violaient le principe de précaution. ¬

Suite à ces réactions, un écrit signé de l’ANB (Agence nationale de biosécurité) et de l’INERA (Institut de l’environnement et de recherche agricole) a été publié dans la presse. Ces deux institutions affirment, d’une part, que le ministre respecte bel et bien le principe de précaution, et, d’autre part, s’attaquent à CV-OGM et, particulièrement, à son président.

Tout le monde a pu apprécier le style et la profondeur de l’écrit, et certains ont déjà réagi pour donner leur sentiment. Pour notre part, nous revenons pour montrer, d’abord, que les autorités burkinabè ne respectent pas le principe de précaution contenu dans la loi 005-2006/AN, ensuite, pour relever quelques inexactitudes scientifiques contenues dans l’écrit en question. Notre objectif est d’informer l’opinion publique.

Les preuves citées par l’écrit pour montrer que notre pays respecte le principe de précaution et va au¬-delà même de ce qui est exigé par les instances internationales se réfèrent toutes à la préparation et à l’adoption des textes y relatifs. Mais, le respect du principe de précaution ne se limite pas à la rédaction et à l’adoption des textes. Le plus important, c’est leur application. Voyons ce qu’il en est.

Rappelons tout d’abord que les expérimentations ont commencé en 2003, avant la rédaction et l’adoption des "règles nationales en matière de sécurité en biotechnologie" (18 juin 2004), et l’adoption de la loi 005-2006/ AN portant régime de sécurité en matière de biotechnologie au Burkina Faso (17 mars 2006), et, bien sûr, avant la création de l’ANB (démarche un peu curieuse). Ces expérimentations n’ont été portées à la connaissance du grand public que sur questions insistantes de la société civile au cours de l’atelier organisé par Monsanto en juillet 2003 à Bobo Dioulasso. Alors que l’article 23 du Protocole de Carthagène stipule en son paragraphe 2 que "les Parties, ... consultent le public lors de la prise de décisions relatives aux OVM"(Organismes vivants modifiés).

Les essais en milieu ouvert

Depuis, les essais sont menés sur les stations de recherche agronomique de l’INERA à Farakoba (près de Bobo Dioulasso) et à Kouaré (près de Fada N’Gourma), officiellement en milieu confiné, mais nous avons déjà montré que le confinement n’était pas réel (cf. nos interventions aux ateliers de restitution et nos précédentes publications dans la presse).

En effet, nos visites des essais en 2004 nous avaient permis de voir que lesdits essais se faisaient non pas en milieu confiné mais en plein champ avec des filets qui avaient été placés après 50 % de floraison, et que l’état de ces filets permettait même aux hommes de passer à travers. La fuite des gènes était donc possible.

Pire, les années suivantes, les filets ont été retirés. Alors que les Règles nationales, à la page 35, stipulent, pour les travaux sur des plantes entières, qu’il faut "maintenir un confinement total pour les plantes à pollinisation mixte (insectes et vent) ou entomophile (insectes)". Ce qui veut dire que les essais censés se passer en milieu confiné l’ont été en milieu ouvert.

Le public n’a pas été consulté

Le principe de précaution n’avait donc pas été respecté, et nous l’avions déjà dénoncé en son temps. Les autorités ont toujours affirmé attendre les résultats de la recherche pour décider de l’introduction

ou non des gènes Bt dans les cotonniers burkinabè.

Ceci aurait été une application d’un aspect du principe de précaution.

A ce propos, l’INERA se donnait alors un minimum de 5 ans pour tirer des conclusions scientifiquement valables. Mais voilà que, contre toute attente, avant que des réponses à des questions essentielles concernant la santé humaine et animale, et concernant l’environnement ne soient connues, avant même que les résultats des variétés burkinabè en cours de transformation ne soient connus (la récolte n’avait pas encore eu lieu), ces autorités déclarent que leur vulgarisation commencera dès "la saison prochaine" et que les semences sont disponibles. Une fois encore, le public n’a pas été consulté.

Est-ce là une application du principe de précaution ?

On dit que des scientifiques d’ailleurs ont déjà répondu aux questions purement scientifiques (en taisant les conclusions contraires d’autres chercheurs), mais qu’en est-il des rendements et des impacts sur l’environnement. En toute rigueur scientifique, les résultats obtenus en "milieu confiné" ne sauraient être extrapolés avec une bonne crédibilité. Surtout quand des expériences venues d’ailleurs (publications scientifiques sur la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde, etc.) montrent que le passage à la grande culture conduit, à plus ou moins long terme, à la prolifération d’autres insectes nuisibles au cotonnier (donc usage de plus d’insecticide) et à la ruine des petits paysans.

Nos questions concernant les résultats des études sur les impacts possibles dans le domaine de la santé et l’environnement, et dans le domaine socioéconomique n’ont toujours pas de réponses. Il nous a été dit que les études étaient en cours. C’est le cas notamment pour la toxine : passe-t-elle, oui ou non, dans l’huile ? On n’a donc pas attendu d’avoir des réponses à ces questions et d’en informer le public pour décider, en violation de l’article 40 de la loi.

N’est-ce pas une bien curieuse façon de respecter le principe de précaution ?

Au plan scientifique, en soulignant, nous aussi, que la science est universelle, nous ajoutons qu’elle est aussi objective et rigoureuse. Cependant, quand des scientifiques contournent la rigueur scientifique pour voler au secours du ou de la politique, ils sont capables des pires bêtises. L’histoire récente de notre pays nous en donne de belles illustrations : rappelons-nous le barrage de Zamsé dans le Bazèga (construit en 1985 pour plaire aux politiques et emporté par les premières pluies).

Les vrais scientifiques savent quelle est leur place, et le CNRST et l’INERA en regorgent. Malheureusement, on y trouve aussi, comme partout ailleurs, des thuriféraires préoccupés de tout autre chose que de Science.

La première qualité d’un scientifique, c’est son objectivité qui l’amène à considérer les résultats d’autres scientifiques, sans parti pris, dès lors que la méthodologie utilisée répond aux normes scientifiques.

Influence sur la qualité du coton

C’est pourquoi nous estimons que :

- se contenter de répondre que l’innocuité de la toxine Bt est attestée ne suffit pas quand des informations font état de milliers de moutons qui seraient morts après avoir brouté des terres sur lesquels avait été cultivé du coton Bt en Inde (Etat d’Andhra Pradesh) ;

- affirmer que la diffusion des gènes par les hommes est "hautement improbable", c’est ignorer que les traditions paysannes de gestion des semences au Burkina Faso sont fondées sur le libre et gracieux échange des semences entre agriculteurs, et ignorer aussi ce que l’expérience indienne a donné dans ce domaine ;

- affirmer que "le pollen du coton OGM ne peut pas féconder un plant de cotonnier situé a 15 m" n’est pas exact puisque les résultats donnent un taux de 0,42 % de graines polluées à 15 m, et que des résultats du ClRAD ont montré que le pollen de maïs OGM était transporté à plus d’un km par les abeilles. Les probabilités de fécondation sont donc faibles, peut-être, mais elles ne sont pas nulles et il faut en tenir compte ;

- déclarer que "même si cette pollinisation était possible, on s’interroge sur le problème que cela pose dans le cas de la toxine Bt compte tenu de son innocuité", c’est négliger le problème que pose la dispersion des transgènes dans la nature, alors que c’est le plus grave danger que fait courir la diffusion des OGM dans l’environnement ;

- même "made in Burkina", les semences contiendront le gène Bt qui est une propriété de Monsanto, à qui on paiera des royalties que l’on va répercuter sur le prix de la semence. Cette multinationale n’est pas une organisation caritative. Nous consacrerons ainsi la mainmise de cette multinationale sur nos variétés ;

- le rétrocroisement est une méthode classique qui demande, après le croisement entre la variété burkinabè à transformer et l’américaine, un certain nombre de générations de croisements retour avec le parent burkinabè pour retrouver la variété burkinabè. Compte tenu du temps écoulé depuis le début de cette opération, la question que nous posons est de savoir si les variétés burkinabè sont en cours de transformation ou sont déjà transformées (c’est-à-dire avec toutes les qualités des cotonniers burkinabè et contenant le gène Bt). Surtout que le ministre affirme que : "Dès la saison prochaine ! Nous sommes dedans ! Nous avons même nos réserves de semences" (Le Pays du 29/09/06) ;

- la simple logique voudrait que, si l’on admet que l’introduction du gène Bt puisse avoir une influence positive sur le rendement des variétés, on puisse admettre également que ce même gène puisse avoir d’autres influences, notamment sur la qualité de la fibre du coton. Ce sont des phénomènes d’interactions entre gènes, et seule l’observation peut permettre de conclure. C’est d’ailleurs pourquoi on estime nécessaire d’observer les variétés burkinabè transformées.

Qui dit des inepties ?

Le ministre Salif Diallo, dans son interview dans Le Pays du 3 novembre dernier, a parlé d’inepties. Si inepties il y a, il faudrait qu’il regarde bien de quel coté elles se trouvent.

Parlant de l’affirmation de CV-OGM sur le non-respect du principe de précaution par les autorités burkinabè, l’écrit déclare qu’"au-delà du caractère inexact d’une telle information, il y a un mépris grave à l’endroit de ses collègues chercheurs en général, et ceux du CNRST en particulier... C’est également un mépris à l’endroit de l’ANB..."

Nous venons de donner les éléments qui nous permettent de dire que le principe de précaution n’est pas respecté, et tout le monde peut apprécier. Y voir un mépris pour les chercheurs de tout le CNRST est un procès d’intention dont l’objectif est d’isoler CV-OGM et son président, de les opposer aux chercheurs et de minimiser la pertinence et la portée de leurs objections. Il faut savoir que, d’une part, CV-OGM compte parmi ses rangs, et a le soutient, d’éminents scientifiques (du CNRST notamment) qui sont des références aux niveaux national et international, et qu’elle jouit, d’autre part, du soutien de bien d’autres scientifiques qui n’en font pas partie. Son président Jean-Didier Zongo (puisqu’il a été indexé), enseignant-chercheur, travaille depuis 1978 avec les chercheurs du CNRST et de l’INERA, particulièrement dans des projets de recherche et à la formation d’ingénieurs du développement rural et de chercheurs dont l’écrasante majorité font la fierté de notre pays.

CV-OGM et son président savent donc, mieux que quiconque, qui sont les chercheurs du CNRST, et les preuves de sympathie qu’ils reçoivent depuis la publication de l’écrit confirment qu’il est illusoire de vouloir s’appuyer frauduleusement sur leur dos pour poursuivre d’obscurs objectifs.

L’écrit continue pour dire que "il faut y voir la preuve d’une mauvaise foi du président de CV-OGM dont l’association a toujours été associée aux visites commentées des champs et aux débats sur la question". A ce sujet, il convient de préciser que :

Des précisions qui s’imposent

1. CV-OGM est une organisation qui regroupe une quarantaine d’organisations de la société civile qui se donne pour mission de travailler à l’application du principe de précaution en matière d’OGM au Burkina Faso. Dans cet objectif, elle acceptera de participer à tout débat dans le domaine pour y apporter sa contribution. Mais en aucun cas sa participation à un débat ne saurait aliéner son autonomie d’analyse et d’action, notamment ses actions d’information large du public ;

2. le président de CV-OGM est un scientifique qui, à ce titre, a participé aux débats nationaux et internationaux sur le sujet des OGM sans que cela n’engage CV-OGM, et parfois même à son insu. CV¬OGM ne peut et ne se donne même pas pour mission de suivre pas à pas les activités professionnelles de son président.

Ainsi, la participation aux débats sur les OGM organisés par les autorités burkinabè ne saurait ôter à notre coalition le droit de s’exprimer publiquement et d’informer largement le public.

De même, et pour l’information de monsieur le ministre et ses porte-voix, puisqu’ils feignent l’ignorer, c’est Jean-Didier Zongo, professeur de génétique à l’université de Ouagadougou, désigné par le président de l’université de Ouagadougou pour le représenter, qui a été nommé membre de la commission ad hoc, et non CV-OGM qui n’en a été informé que par le biais de l’interview du ministre, compte tenu de la confidentialité exigée des membres de la commission. A propos de cette commission, est-ce elle qui a donné l’autorisation de passer à la vulgarisation du coton Bt ?

Mais l’écrit pose, à ce sujet, un problème de fond qui est celui de l’exclusion que l’on pratique dans ce pays envers certains citoyens. En effet, l’écrit note que "c’est sur instructions expresses du ministre d’Etat que le Pr Zongo a été associé aux débats sur les OGM". Cela appelle les deux questions suivantes :

Produit fini fabriqué par Mousanto

1. pour quels motifs et par qui le Pr Zongo avait-il été écarté des débats sur les OGM, lui dont la formation de généticien et le grade le désignaient tout naturellement pour y prendre part ?

2. pour quels motifs le ministre a-t-il donné des instructions expresses pour qu’il y soit associé ?

Quant au ton agressif de l’écrit, il ne nous étonnerait pas s’il venait des responsables du Projet coton de l’INERA, parce qu’il refléterait alors l’agressivité avec laquelle nous avons toujours été reçus par ces responsables lors des visites des essais et pendant les restitutions. C’est l’attitude peu scientifique de quelqu’un qui ne souhaite pas qu’on vienne jeter un coup d’œil sur ce qu’il fait. Mais que des responsables de l’INERA en arrivent là est plutôt étonnant.

Pour l’ANB dont la mission est de veiller à l’application des textes relatifs à la biosécurité, son acharnement à défendre l’attitude des autorités fait planer de sérieux doutes sur sa crédibilité et son autonomie d’analyse.

D’une manière générale, c’est l’occasion pour nous d’interpeller tous les chefs de service ou de projet, les responsables et les scientifiques quant à leurs responsabilités historiques.

Enfin, les amalgames que l’on fait sur notre position qui n’a jamais remis en cause ni l’efficacité de la biotechnologie Bt quant à la lutte contre les ravageurs du cotonnier, ni la nécessité pour notre pays d’acquérir les biotechnologies, les amalgames, disions-nous, sont généralement faits, pour permettre de s’éloigner du véritable débat. Mais la société civile sait que ce n’est pas en achetant les produits finis que nous allons acquérir les biotechnologies, et l’exemple de l’Asie le montre effectivement bien, elle qui a refusé des produits finis pour créer en imitant, d’abord maladroitement, puis plus adroitement, pour ensuite dépasser même le maître. Le coton Bt, même made in Burkina, est un produit fini que Monsanto a fabriqué et que nous n’allons faire que multiplier au Burkina.

Ouagadougou, le 14 novembre 2006

CV/OGM/BF

Le Pays

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