LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Culture de coton transgénique au Burkina Faso : En faire un débat national

Publié le mercredi 15 novembre 2006 à 07h27min

PARTAGER :                          

La décision d’opter pour la culture du coton transgénique au Burkina Faso ne doit pas être la seule affaire du politique et de la recherche. En outre, l’INERA doit se limiter à son rôle de recherche et non être partie prenante quant à la culture ou non du coton bt sur le territoire national. Voici, entre autres, les points de vue d’un citoyen à travers l’écrit ci-dessous.

Je m’invite au débat sur le coton transgénique qui alimente agréablement les colonnes de la presse nationale depuis que M. le Ministre de l’Agriculture de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques a donné le feu vert pour sa culture. Je me réjouis que le débat soit resté jusque-là serein (en dehors du petit accroc entre chercheurs) et espère qu’il va se poursuivre dans ce climat.A travers cet écrit, je viens partager mes inquiétudes avec les lecteurs, apporter ma modeste contribution dans un esprit d’approfondissement et d’élargissement du débat.

Depuis que le Président du Faso a lancé son « offensive de charme » aux Américains lors de du sommet sur la science et la technologie agricole en Afrique tenu en juin 2004 à Ouagadougou, j’avais personnellement le sentiment que nos dirigeants avaient déjà fait le choix des cultures transgéniques. Tout l’arsenal administratif et institutionnel mis en place (adoption de la loi 005-206/AN du 17/03/2006, création de l’agence nationale pour la biosécurité, adoption de textes réglementaires, ...), et que certains ont invoqué pour défendre le fait que le processus ayant abouti à la décision de M. le ministre s’est déroulé dans la légalité, a été mis en place pour entériner ou légaliser une décision qui de toutes les façons me paraissait inéluctable. Ceci dit, il est important que le débat sur la question se poursuive et qu’une solution adéquate soit trouvée dans l’intérêt des producteurs et du peuple burkinabé. Mes propos porteront sur mes attentes vis-à-vis de la recherche, l’application du principe de précaution et la nécessité d’élargir et d’approfondir le débat.

Du rôle hautement déterminant de la recherche

* Personnellement j’ai beaucoup apprécié que l’INERA ait apporté sa contribution au débat en cours en présentant des arguments scientifiques en faveur de la vulgarisation du coton bt. Je pense d’ailleurs que cet institut de recherche a été peu bavard sur une question aussi importante. Il est à mon sens au plan national le seul à même d’éclairer l’opinion sur les aspects scientifiques de la question. Tous autant que nous sommes, nous avons besoin de fonder notre opinion personnelle et collective par rapport aux OGM sur des informations justes, exhaustives et débarrassées de toute arrière pensée.

* Je trouve cependant qu’en prenant fait et cause pour le ministre de l’Agriculture et les autorités politiques de manière générale, l’INERA a outrepassé son rôle qui, à mon sens, devait se limiter à éclairer l’opinion publique avec les résultats de sa recherche. En donnant raison au Ministre, il prend position pour un choix de politique économique et sociale. La contribution de l’institut au débat actuel peut et doit être cependant bien plus importante que ce qu’elle a été jusqu’à présent ; mais l’institut doit surtout veiller à préserver son indépendance pour assurer sa crédibilité vis-à-vis des utilisateurs.

* En outre, la rapidité avec laquelle la recherche est parvenue en quatre (4) années d’expérimentation à des conclusions d’une certitude déconcertante m’inquiète. Dans leur adresse, l’INERA et l’ANE ne laissent planer aucun doute sur les trois questions essentielles qui sont l’objet de préoccupations quand on évoque les OGM. Ils affirment sans ambages que le coton bt ne présente pas de danger pour la santé humaine et animale, qu’il n’a pas d’impact majeur sur l’environnement, et que l’accroissement du revenu des producteurs est une certitude.

De l’application du principe de précaution

Vous comprendrez bien mon désarroi quand on sait que sur les mêmes questions, les recherches engagées depuis plus d’une décennie dans certains pays du Nord et notamment de l’Union européenne n’ont pas abouti à de telles certitudes. Sans douter un instant de la valeur intrinsèque de nos chercheurs que je respecte bien, et qui, du reste ont été formés dans les mêmes écoles que leurs collègues du Nord, vous conviendrez avec moi qu’ils ne disposent pas toujours des équipements de pointe, et surtout que nos Etats leur accordent peu de moyens.

* Un des arguments évoqués par les partisans du coton bt au Burkina pour justifier la décision actuelle est que le principe de précaution a été respecté : essai en milieu confiné, puis en milieu ouvert contrôlé ; adoption de textes réglementaires et mise en place d’institution comme l’ANB, etc. L’INERA va jusqu’à dire que, je cite : « ... le Burkina applique exagérément le principe de précaution ». Je pense personnellement que ce principe de précaution comporte une dimension temporelle qui a son importance et qui n’est pas suffisamment mis en évidence.

Quatre années d’expérimentation me semble-t-il, c’est très insuffisant pour tirer des conclusions définitives sur un sujet aussi sensible et entouré d’incertitudes. Je rappelle d’ailleurs à propos d’incertitudes, que le traité de Carthagène reconnaît explicitement que les OGM sont porteurs de risques spécifiques. Pour un pays pauvre comme le nôtre, la période d’expérimentation devait être plus longue du simple fait que nous disposons de peu de moyen pour gérer d’éventuelles risques liées à la culture du coton génétiquement modifié.

Ne serait-il pas plus prudent pour nous de poursuivre les essais en milieu contrôlé pendant encore six (6) ans ? Ce n’est pas ça à mon avis qui va tuer la filière coton au Burkina d’autant plus que le fameux gain de 29 - 35 % de productivité (35 000 fr./ha) qu’on nous fait miroiter n’est qu’incertitude Les mêmes arguments économiques utilisés dans les pays comme l’Inde pour séduire les agriculteurs ont montré rapidement leur limite, semble-t-il.

* Autre précaution : le protocole de Carthagène prévoit que d’ici 2008 soit mis en place un mécanisme de responsabilité et de réparation en cas de dommages qui résulteraient des mouvements transfrontaliers d’OGM. Cette disposition vise surtout à assurer une certaine protection aux pays pauvres vis-à-vis des puissances qui tentent de faire passer au forceps les OGM dans nos pays. L’agressivité et l’offensive commerciale américaines sur le sujet sont bien connues et des pressions sont semblent-ils exercées sur les dirigeants des pays pauvres pour qu’ils ouvrent leur porte aux OGM, si les donateurs n’en font pas une conditionnalité à certaines aides.

De l’argument économique

* Les défenseurs du coton bt affirment qu’en optant pour cette culture nos braves paysans pourraient avoir un gain de revenu supplémentaire de 35 000 F/ha. Si l’on considère la superficie emblavée en coton au Burkina le déficit de filière sera résorbé aux 2/3 (-20 milliards) environ, ce qui n’est pas négligeable. Ce sur quoi je voudrais cependant insister c’est le caractère artificiel du déficit entretenu par les Américains et autres pays qui subventionnent leur filière coton, qui de toutes les façons ont encore d’autres artifices dans leur sac et ne sont pas prêts à mon avis d’arrêter les subventions.

Il est évident que ça ennuierait plus les dirigeants de ces pays de voir leurs cotonculteurs venir grossir le rang des chômeurs en ville parce qu’on leur a retiré les subventions, que d’apprendre que des agriculteurs d’un pays pauvre sont en difficulté. Nos efforts pourraient être anéantis si les Occidentaux ne se résolvent pas d’arrêter de subventionner leurs contonculteurs, seule solution durable pour la survie des cultures cotonnières en Afrique.

* Il faut dire également que la crise ivoirienne y est pour quelque chose dans ce déficit de la filière au Burkina ces dernières années. Selon des informations données par le DG de la SOFITEX, les surcoûts de transport serait de 20 F/kg de coton transporté soit un manque à gagner de cinq milliards de FCFA (5 000 000 000 FCFA) pour la production de fibre de la campagne 2005/2006.

Il y a nécessité d’approfondir et d’élargir le débat

* Quant à l’assurance que l’on tente de nous donner au sujet de la maîtrise des coûts des semences de coton bt, je suis sceptique. Même si la semence génétiquement modifiée est produite à partir de notre coton, le gène qui lui confère la valeur ajoutée reste une propriété des firmes semencières qui imposeront tôt ou tard leur prix une fois qu’on n’aura plus le choix entre plusieurs semences (monopole).

* La décision d’opter pour la culture du coton bt au Burkina ne doit pas être la seule affaire du politique et de la recherche. Les principaux acteurs que sont les producteurs ne sont pas suffisamment entendus sur la question à mon avis. L’idée de les associer à l’expérimentation me parait tout à fait bien. Il est évident qu’en cas de dommages liés à l’utilisation du coton bt ce n’est ni M. le Ministre, ni les chercheurs qui vont payer, mais c’est bel et bien nos chers producteurs qui seront acculés par les banques et autres multinationales semencières.

C’est pourquoi il est important que les producteurs se placent au centre du débat actuel pour s’assumer et non subir. A l’image du Mali, il serait opportun que la société civile organise un espace d’échange entre producteurs, experts nationaux et internationaux pro et contre le coton bt, agriculteurs indiens et sud-africains ayant une expérience de ladite culture ; cela dans le seul but d’apporter des informations à même d’aider les producteurs à prendre une décision en toute connaissance de cause. L’atelier régional sur le partenariat OP - Recherche Vulgarisation qui se tiendra à Bobo-Dioulasso sur le thème. « OGM : enjeux et perspectives » est un pas important vers une information saine des producteurs.

* La décision du Burkina d’aller à la culture bt et la question des OGMs analysée sous l’angle de l’intégration régionale posent problème. Le Burkina appartient aujourd’hui à un espace économique et monétaire -l’UEMOA- qui a défini une politique agricole (Politique Agricole de l’Union ou PAU). L’intérêt d’une telle politique commune est que sur des questions aussi importantes que les OGM, les parties prenantes s’y accordent minimalement sur la stratégie et la démarche à adopter. Mais aujourd’hui, visiblement, notre pays fait cavalier seul dans cette aventure des OGM. Les autres pays qui sont aussi des producteurs non moins importants comme le Mali qui encore il y a quelques années était le premier producteur ouest africain de fibre- et le Bénin observent une attitude beaucoup plus sage ou prudente. L’avenir de la PAU se trouverait mis à mal si des décisions unilatérales de ce genre prévalent dans les rapports entre les pays.

* En plus de la biosécurité sur laquelle toutes les attentions se focalisent à juste titre, il convient de ne pas occulter l’aspect sécurité socio-économique pour les producteurs en relation avec l’adoption du coton bt. On retomberait dans la même situation de déficit de la filière si les producteurs n’arrivent pas à payer leur crédit et à dégager un revenu décent de la culture du coton du fait d’un accès très onéreux aux intrants, notamment les semences. Remplacer des traitements en pesticides onéreux par des semences chères ne changerait rien au résultat économique des producteurs et de la filière en général. Sur la question, on ne dispose d’aucun résultat. Une étude socioéconomique dont personne n’est en mesure de prédire les conclusions serait prochainement engagée. Une raison de plus pour se donner encore le temps.

Conclusion

Sans être contre les progrès scientifiques en général, et, le coton bt en particulier, je suis un des burkinabés (nous sommes certainement les plus nombreux) qui pensent que d’importantes zones d’ombre demeurent sur l’impact des OGM de façon générale sur notre santé, celle de notre cheptel, sur notre environnement.

Ces incertitudes commandent que la prudence soit encore de mise et que les expérimentations se poursuivent. S’accorder encore quelques années d’expérimentation et surtout de dialogue franc sur la question ne changera en rien l’avenir de notre filière. Son déficit que personne ne conteste aujourd’hui est à mon avis trop utilisé comme argument pour aller au coton bt.

Jean-Paul ROUAMBA
Ingénieur d’élevage,
ingénieur agroéconomiste

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 15 novembre 2006 à 12:49, par Salif KOALA En réponse à : > Culture de coton transgénique au Burkina Faso : En faire un débat national

    "Ces incertitudes commandent que la prudence soit encore de mise et que les expérimentations se poursuivent."
    j’aime cette conclusion. les premières découvertes sur les mutations génétiques ont été faites en 1932 par des chercheurs grecs. depuis toutes les puissances y ont investi argent et énergie. Avant sa disparition l’Union Soviétique était le pays qui semblait le mieux maîtriser le mécanisme. Les Etats-Unis même s’ils ont mis ensuite des bouchées doubles sont parmi les derniers venus dans le débat. Dans tous les cas, de 1932 à maintenant il y a 70 ans. 74 pour être précis. Après tout ce temps les meilleurs spécialistes avec les meilleurs équipements en sont encore à conseiller un "principe de précaution". Le Burkina a fait le tour de la question en 4 petites années. Bravo !
    L’auteur a mis le doigt sur un point qui jusque là était resté abstrait pour moi. Il s’agit d’un détail sur les gains dans les coûts de production en rapport avec les subventions occidentales.
    Que je sache, le coton Burkinabè est plus destiné au marché mondial qu’à une transformation nationale ou même locale. Cela veut dire que nous sommes en concurrence directe avec les Etats Unis d’Amérique dont nous dépendons pour notre coton transgénique d’une part, avec la Chine première productrice et première consommatrice de coton au monde et qui de surcroit a sa propre maîtrise de ses propres OGM d’autre part (Rien que là nous défions 2 Goliath avec un doigt dans la gueule de chacun d’eux.) la simple logique économique veut que si nous réussissons à baisser nos coûts de production, les américains augmentent leurs subventions pour garantir des revenus stables à leurs agriculteurs et que les Chinois soudain assurés d’un surplus de production abaissent les prix d’achat. Dans le même temps le marché européen largement hostile aux OGM nous sera fermé.....
    je voudrais finir en rappelant que les premiers champs de coton au Burkina étaient au Yatenga. C’était du temps du Gouverneur Hesling, celui qui avait décidé le premier, de faire du Burkina un vaste champ de coton. L’échec de son option a été déterminant dans la suppression de la colonie de Haute-Volta. Aujourd’hui le coton s’est déplacé sur les dernières terres fertiles du sud et de l’est. il est y cultivé en grande partie par des paysans ayant fui les terres rendues arides entre autres du Yatenga. Il n’était déjà pas transgénique. A défaut de comprendre l’avenir, interrogeons l’histoire.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?