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Interview de Salif Diallo au "Pays" : Lecture entre les lignes

Publié le lundi 6 novembre 2006 à 13h22min

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Salif Diallo

Dans son édition n°3741 du vendredi 3 novembre 2006, le journal le "Le Pays" a publié un entretien que Salif Diallo lui a accordé quelques jours plus tôt. Parce que, écrit à juste titre notre confrère, "l’homme, en tant que l’un des fidèles de Blaise Compaoré, est très sollicité, respecté, craint ou descendu en flammes... il est forcément intéressant".

Et de fait, l’interview ne manque pas d’intérêt surtout à quelques jours du 3e congrès ordinaire du Congrès pour la démocratie et le Progrès (CDP) dont l’interviewé est le Coordonnateur général du Comité d’organisation. L’intérêt devient plus grand quand on sait que depuis quelques mois, Dame Rumeur, abondamment relayée par la presse, fait état de profondes divergences entre celui qu’on dit avoir l’oreille du chef et le premier ministre, Ernest Paramanga Yonli (EPY).

Une espèce de guérilla médiatique dont on accuse Gorba d’être l’instigateur dans l’ombre, servi par des mercenaires de la plume. Et si depuis, c’est d’illustres inconnus qui se sont exprimés sur le sujet, la livraison du "Pays" aura permis d’entendre l’un des protagonistes. Il n’en a pas dit beaucoup ou pas assez, mais en tout cas suffisamment pour qu’on se fasse une petite idée de l’affaire, à condition de savoir lire entre les lignes. N’est-ce pas, comme le disait le philosophe, que celui qui a des yeux pour voir (et pour lire, ajoutons-nous) et des oreilles pour entendre constate que les humains ne peuvent cacher aucun secret et que celui dont les lèvres se taisent bavardent avec les doigts ?

Tout commence, rappelons-le, par un entretien que le chef du gouvernement a accordé à "l’Evénement" dans son numéro 93 du 10 juin 2006. "A votre nomination en 2000, on a dit que vous étiez l’homme de Salif Diallo. Après 5 ans passés à la Primature, est-ce que vous vous êtes maintenant émancipé de Salif Diallo ?" interrogent Germain Bitiou Nama et Newton Ahmed Barry. Réponse : "Ce que vous dites fait partie des rumeurs habituelles de notre pays parce qu’on veut mettre un certain nombre de gens sous la coupe d’autres personnes... Du reste, si vous me regardez, est-ce que je ressemble à quelqu’un qui peut être l’homme de quelqu’un ? Ce que je sais, c’est que Salif Diallo et moi sommes de vieux camarades. Nous sommes camarades depuis les mouvements scolaires jusqu’à aujourd’hui. Et à force de camaraderie nous sommes devenus des amis".

"Si vous me regardez, est-ce que je ressemble à quelqu’un qui peut être l’homme de quelqu’un ?". Il n’en fallait pas plus que cette boutade pour que certains, surtout dans son propre camp, poussent des cris d’orfraie, quand d’autres parlent d’imprudence langagière. Mais qu’est-ce qu’on aurait voulu qu’il dît ? Que c’est effectivement son tout-puissant ministre d’Etat chargé de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques qui l’a fabriqué et qui l’a installé à la Primature ? Un tel premier ministre par procuration pouvait-il tenir ces propos sans remettre aussitôt sa démission à Blaise ou plutôt à Salif ? Non, soyons sérieux.

En réalité, on a fait dire à Paramanga que quand il affirme sans sourciller qu’il n’est la fabrication de personne, il veut dire qu’il n’est même pas l’homme de Blaise Compaoré qui, pourtant, les faits et les défaits selon son bon vouloir ou ses intérêts du moment. Alors, il faut lui montrer qu’il est au moins l’homme de quelqu’un : le Président du Faso.

Mais pour ses contempteurs, le plus grave était à venir dans Jeune Afrique du 31 juillet 2006 à qui Paramanga confie, en substance, qu’ayant occupé différents niveaux de responsabilité qui sont autant d’expériences cumulées, ce ne serait pas un scandale si, un jour, son parti, le CDP faisait de lui son candidat à la fonction suprême. L’autre fois, c’était une petite imprudence langagière, cette fois c’est une vraie maladresse, un véritable dérapage verbal pour qui connaît les mœurs politiques burkinabè.

Péché d’orgueil ? Ambition somme toute légitime pour celui dont l’arrivée au premier ministère avait déjà été perçue comme la surprise du chef ? Comment un homme aussi intelligent que Paramanga a-t-il pu ignorer que cette sortie malheureuse serait retenue conter lui comme le furent également ses envolées politico-judiciaires dans sa Tapoa natale après le non-lieu prononcé le 18 juillet 2006 en faveur de l’adjudant Marcel Kafando, alors unique inculpé dans le dossier Norbert Zongo ? Quelle mouche a bien pu le piquer pour qu’il en vienne à parler de la présidence, alors que le natif du Gourma est censé savoir que l’animal, comme on dit chez lui, c’est par la patte qu’on l’attrape, mais l’homme, c’est souvent sa bouche qui fait son malheur ?

Certes Blaise Compaoré n’est pas le Naaba de Ziniaré ou le chef de Tansarga et en bonne démocratie, on peut fort bien parler de sa succession de son vivant, mais il semble que ce soit déconseillé, en tout cas à ceux qui veulent être dans ses bonnes grâces. Si Bongnessan Arsène Yé a été débarqué du perchoir après (seulement) un mandat, c’est que, dit-on, il avait fini par se prendre pour le chef de terre, or on sait que dans nos traditions, celui-là est souvent plus puissant que le chef de village. Et si Rock a fait long feu à la Primature c’est que, de tous ses camarades, c’est lui qui aurait une véritable envergure d’homme d’Etat et à ce poste il était susceptible de faire de l’ombre à son patron. Dans nos démocraties tropicalisées où on a toujours une conception nabale du pouvoir d’Etat, ce sont des éléments à prendre en compte si on veut faire carrière en politique.

Ces rappels faits, venons-en maintenant aux propos de l’interviewé du "Pays" et à l’interprétation qu’on peut en faire. Quand Morin Yamongbè parle de lutte de clans entre les éléphants du CDP (Salif Diallo, Rock Marc Christian Kaboré, François Compaoré...), son interlocuteur les balaie d’un revers de main, fustigeant "les gens qui s’asseyent dans leurs salons et qui inventent des clans et dessinent des lignes de clivage entre nous". Et de s’étonner de "l’ampleur que les gens veulent attribuer à tel ou tel phénomène résiduel dans notre parti".

Encore heureux qu’il reconnaisse que ces phénomènes, même résiduels, existent et que "les clans et les lignes de clivages" ne sont pas toujours des vues de l’esprit. Mais quand Salif Diallo croit "que personne d’entre nous n’a des ambitions au-delà de ce qu’elles peuvent être", à qui le dit-il, et à qui fait-il allusion ? Ce ne serait pas par hasard à Paramanga qui a dévoilé ses ambitions présidentielles dans J.A. ? De même, quand il affirme que "Nous sommes tous des hommes de Blaise Compaoré, que ce soit le Premier ministre, moi ou d’autres...", il n’est pas loin de répondre à celui qui disait n’être l’homme de personne.

Si l’on croit d’ailleurs ce qu’il dit, il a fait savoir de vive voix au PM ce qu’il pense de ses déclarations dans la presse, tout en se défendant d’être celui qui a orchestré le lynchage médiatique contre lui. Bien sûr, il se garde de révéler ce qu’ils se sont dit, mais Salif, qu’on sait franc du collier trahit sa désapprobation quand il assène : "Chacun est libre de dire ce qu’il veut à travers la presse et s’attendre aussi à des réactions diverses à travers la même presse". Traduction : Paramanga a provoqué l’orage qui est en train de tomber sur lui.

Alors, quand Gorko affirme qu’il n’y a vraiment aucun problème entre lui et son ami de premier ministre, on éprouve quelques difficultés à le croire. En vérité, il botte en touche, il est parfois obligé de faire dans la langue de bois, mais la discorde entre les deux hommes relève désormais du secret de polichinelle même s’ils doivent sauver les apparences.

Car, Salif a beau s’en défendre, la religion du locataire de la primature serait faite : c’est lui qui est derrière tout ça. On raconte même qu’une fois rentré (puisque les choses, comme il l’a rappelé, ont commencé quand il était absent du pays), "l’homme qui ne boxe pas en dessous de la ceinture" a cherché dans un premier temps à voir vainement Paramanga qui refusait même de le prendre au téléphone.

C’est dire ... Il va encore parler des "animateurs indécrottables de la rumeur", mais c’est ce qui se murmure. Eh oui, la politique, pour ne pas dire la vie tout court, est ainsi faite que même des amis de trente ans en viennent à se brouiller surtout que les cercles du pouvoir sont par essence des lieux d’intrigues sur fond de guerres de positionnement.

Et pour de nombreux observateurs de la scène politique burkinabè, toute cette histoire n’a qu’un seul objectif : préparer le limogeage de l’enfant de Tansarga, en poste depuis six ans et dont le terminus naturel serait les législatives de 2007.

Mais, Blaise Compaoré qui est, en définitive, le seul à décider, a-t-il besoin de cette littérature pour le débarquer ou, au contraire, prolonger son bail à un poste qui, par définition, est instable ? A moins que cette affaire Paramanga soit un nouvel avatar de la rivalité légendaire qui existerait entre Salif et François, le premier ministre s’étant beaucoup rapproché de ce dernier depuis qu’il est aux affaires.

Quoi qu’il en soit, si Paramanga doit encore apprendre à tourner sa langue 7 fois avant de parler, rien ne saurait justifier les amabilités dont il est victime depuis quelques temps, comme si ceux qui le pourfendent n’ont jamais été pris en flagrant délit de dérage verbal.

Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 6 novembre 2006 à 22:38 En réponse à : > Interview de Salif Diallo au "Pays" : Lecture entre les lignes

    Vraiment, vous ne pensez pas que notre pays mérite mieux que ces petites phrases ? Salif, François, Ernest sont des grands hommes de notre Burkina et ne méritent pas que l’on fasse de la fiction politique. La moisson est grande dans notre pays et je demande aux journalistes de rechercher d’autres domaines d’intervention politiques que ces points de mesquineries qui n’intéressent, sans aucun doute, les burkinabé. Les règles de fonctionnement des institutions sont si clairement établies qu’il n’ y a pas de place pour les tergiversations. Même si le Premier Ministre n’est pas "l’homme de personne", il applique la politique du Chef de l’Etat. Ange TAMPSOBA, France.

  • Le 7 novembre 2006 à 21:20 En réponse à : > Interview de Salif Diallo au "Pays" : Lecture entre les lignes

    Pour quelle raison mon intervention sur ce sujet n’a pas été publiée ? Cordialement. Ange TAMPSOBA, France

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