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Présidentielle en RDC : Ces urnes qui sentent la poudre

Publié le lundi 30 octobre 2006 à 06h56min

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Joseph Kabila

25 millions de Congolais "démocratiques" étaient rappelés aux urnes hier dimanche pour départager Joseph Kabila, le président sortant, et Jean-Pierre Bemba, l’un de ses quatre vice-présidents, arrivés respectivement premier et deuxième à l’issue du premier tour de la présidentielle, disputé le 30 juillet 2006.

En théorie, l’affaire devrait n’être qu’une simple formalité pour Kabila fils qui a vu s’ajouter à ses 44,81%, les 13,06% d’Antoine Gizenga du Parti lumumbiste unifié (PALU) et les 4,7% de François-Joseph Zanga Mobutu de l’Union des démocrates congolais (UDECO) contre 20,03% pour Bemba.

En théorie seulement, car ici comme ailleurs, le report des voix n’est pas automatique, les électeurs ne se sentant pas toujours liés par les consignes de leurs leaders, fruits des marchandages électoraux de l’entre-deux-tours auxquels ils sont souvent étrangers et dans lesquels ils ne se reconnaissent donc pas. Il est vrai que les ralliements manquent quelquefois de lisibilité si ce ne sont les intérêts sonnants et trébuchants dont on suspecte Zanga ou les ambitions personnelles comme c’est le cas de l’octogénaire Gizenga. A 85 ans, celui qui fut le vice-premier ministre de Patrice Lumumba se verrait bien chef de gouvernement pour terminer sa longue carrière en beauté.

On le sait, une élection, en tout cas quand elle est ouverte comme c’est le cas ici, n’est pas une simple affaire d’arithmétique et l’histoire nous en a parfois donné de bien belles illustrations. De ce point de vue, il faut se garder de vendre la peau de Bemba qui ne manque pas d’atouts (financiers notamment) et qui sait bien que les partisans des deux soutiens majeurs de son rival ne suivront pas leurs chefs comme des moutons de Panurge.

Plus déterminante sera l’apport des 30% d’abstentionnistes du tour précédent, en l’occurrence les tchishekedistes, les militants du vieux lion du Kasai qui a boycotté, à tort, le scrutin et qui a de ce fait appeler ses ouailles à ne pas voter. Si ceux qui ont boudé les urnes il y a 3 mois décidaient cette fois-ci de ne pas aller taquiner la truite, la balance pourrait pencher d’un côté comme de l’autre, surtout que Bemba caresse ses compatriotes par là où ça les démange. Car lui, c’est le "Bana Congo", entendez "le fils du pays", opposé au "Rwandais" Kabila, à "l’étranger soutenu par l’étranger". Bien sûr, Bemba lui-même se garde d’en faire mention, mais il laisse le soin à ses militants de surfer sur la vague dangereuse de la "congolité" comme si on n’avait pas été suffisamment instruits par "l’ivoirité" qui a fini par accoucher d’une rébellion en Côte d’Ivoire avec toutes les conséquences qu’on sait.

Si donc l’Alliance pour la majorité présidentielle (AMP), la constellation de formations qui s’est formée autour du candidat Kabila part favori, les jeux sont loin d’être faits (à condition que le scrutin soit sincère et transparent) dans ce duel à mort entre le jeune homme qui a hérité, à 29 ans, d’un pouvoir après l’assassinat de son père Laurent-Désiré le 26 janvier 2001, et le fils à papa né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Jeannot Bemba, son géniteur, est en effet milliardaire depuis le temps de Mobutu, et depuis, le rejeton a ajouté de la terre à la terre pour être, lui aussi, une grosse fortune. Et s’il est parvenu au second tour, il le doit sans doute en grande partie à ce trésor de guerre (au propre comme au figuré).

En vérité, la question qui taraude tous les esprits est celle de savoir sur quoi va déboucher ce 29 octobre 2006, et de quoi demain sera fait. Ces élections générales (les premières démocratiques depuis l’indépendance de l’ex-Zaïre en 1960) organisées aux forceps trois ans après la signature de l’Accord inclusif étaient censées rallier tous les suffrages et ramener la paix dans un pays ravagé par une décennie de guerres civiles mais il faut se rendre à l’évidence : ce scrutin risque de ne pas apporter la stabilité escomptée.

Quand on a vu les violents affrontements armés consécutifs à l’annonce des résultats du premier tour et ceux qui ont précédé ce second tour malgré le tête-à-tête Kabila-Bemba pour faire baisser la tension ; quand on a vu le domicile du second cité être pillonné par les éléments du premier ; quand on a vu Zanga Mobutu (qui a, soit dit en passant, épousé la sœur cadette de Bemba) pris sous le feu nourri des miliciens bembistes alors qu’il était allé accorder une interview à "Radio Liberté", l’une des stations de son beau-frère ; quand on a vu les premiers cadavres joncher le sol lors de la journée électorale d’hier, on se dit que les jours d’après seront lourds de dangers dans la mesure où chacun est allé aux urnes le doigt sur la gâchette et le couteau entre les dents.

Il faut dire que chacun des deux challengers est servi par une véritable armée prête à tirer. D’un côté, la garde prétorienne du chef de l’Etat sortant, forte de quelque 5000 hommes et de l’autre, autant de miliciens. Avec une telle concentration de bazookas au mètre carré, la religion de beaucoup de Congolais serait déjà faite. La question ne se poserait plus de savoir si les deux camps vont s’affronter de nouveau, mais "qui va tirer le premier ?". Car si après le premier round ils n’ont pas hésité à caresser la détente alors même qu’ils étaient qualifiés pour la finale, on ne voit pas ce qui pourrait les empêcher de rebelotter à l’issue de cette manche décisive puisqu’il n’y a, hélas, qu’un seul fauteuil à prendre.

Et quand on demande à l’impulsif Bemba s’il accepterait le verdict des urnes s’il venait à perdre, il précise toujours : "Si c’est dans la transparence...". Et comme on sait qu’il n’a pas arrêté d’accuser le camp présidentiel de fraudes et de toutes sortes d’irrégularités, on comprend pourquoi ça sent la poudre.

Le tout ne sera donc pas de sortir vainqueur de ce match dont les résultats ne seront pas connus avant deux à trois semaines, encore faut-il gagner la bataille de la paix pour ensuite s’atteler au vrai combat qui vaille : celui de la reconstruction et du développement de ce pays-continent (2, 3 millions de kilomètres carrés) qui se débat dans d’inextricables difficultés socio-économiques et dont le malheur est d’être trop riche.

Observateur Paalga

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