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Assassinat de Thomas Sankara : La piste ivoirienne est à prendre au sérieux

Publié le mardi 17 octobre 2006 à 00h00min

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Le 15 octobre dernier marquait le 19e anniversaire de la disparition tragique de Thomas Sankara et de ses compagnons d’infortune. Jonas Hien, sankariste qu’on ne présente plus, tant il est présent de manière régulière dans nos colonnes, lève un coin de l’opaque voile qui continue de couvrir les tragiques événements du 15 octobre 1987. Lisez-plutôt.

Lorsque Dieu créa le monde et les hommes, il leur enseigna l’amour, la solidarité, la paix, la tolérance, le respect mutuel, celui de la dignité humaine et l’égalité en droits entre les hommes. Pour mettre en application la leçon du Bon Dieu, l’Homme créa, développa et entretint la haine, la violence, l’intolérance, la méchanceté, le bafouement de la dignité humaine, le racisme et toute forme de ségrégation.

Cela eut pour conséquences des guerres fratricides et la remise en cause du devenir de l’humanité. Outre les guerres et les conflits qui séparent les hommes et détruisent les continents, la ségrégation raciale devint un vecteur de marginalisation et de dépendance de certains Etats vis-à-vis d’autres.

La domination de certains Etats par d’autres donna alors naissance à des pays inconsidérés, éternellement humiliés et qui ne reçoivent des leçons que des ‘’Maîtres penseurs’’ d’autres continents.

Quand le Capitaine Thomas Sankara prit le pouvoir d’Etat au Burkina Faso en 1983, il se comporta comme un envoyé de Dieu pour rappeler le monde à l’ordre. C’est ainsi qu’il prêcha le respect et la considération mutuels entre les Etats, les communautés et les individus quelles que soient leur race et leur fortune.

Prenant la parole à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) à New York en 1984, il parla au nom des faibles et des pauvres. Il défendit la solidarité internationale avec tant d’énergie qu’il finit par inquiéter le monde entier, notamment les puissances dominatrices.

Au moment où l’espoir renaissait surtout pour les Africains, le Président Thomas Sankara s’en alla précipitamment le 15 octobre 1987 par la force des choses. Il était assassiné par des éléments de l’Armée nationale proches de son ministre d’Etat, ministre de la Justice, son ami, son plus que frère, deuxième personnalité du régime de l’époque : Blaise Compaoré, lui aussi Capitaine de l’Armée burkinabè.

19 ans après le choc mondial, on peut faire l’analyse suivante : Blaise Compaoré, en faisant assassiner son ami Thomas Sankara pour prendre le pouvoir (il ne peut pas démontrer le contraire), a fait non seulement ‘’une mauvaise affaire’’, mais aussi a eu un mauvais départ. Pour développer cette analyse, citons le Naaba Kango, Chef de Sao : « (...)

Il ne serait pas exagéré de penser et d’affirmer que la plupart des Africains, animistes, chrétiens, musulmans ou assimilés, sont restés attachés aux us et coutumes de nos terroirs. Tous croient, à des degrés divers, aux traditions ancestrales (...) ; l’éducation et la formation intellectuelles des Européens et le système dans lequel ont été moulées les élites africaines constituent de nos jours des obstacles à une bonne compréhension du monde noir.... » (in Journal Tradition et Modernité N° 01, février 1996, journal que publiait le Larlé Naaba).

Pour ceux qui n’ont pas compris, dans un langage simple, le passage veut dire ceci : ‘’Nous les Africains qui sommes allés à l’école du Blanc, on se comporte comme des enfants. Nous croyons plus ou moins aux traditions de nos ancêtres, mais nous ignorons jusqu’où nous ne devons pas aller.

D’autres n’y croient même pas du tout, parce que le Blanc leur a dit de croire à autre chose. Et cela constitue un obstacle, car pour que celui qui n’y croyait pas du tout puisse y croire, il faut qu’il vive lui-même le mystère. Et dans certains cas, ça peut être trop tard’’. On ne peut mieux dire. Malgré les flatteries du Blanc vis-à-vis de la culture du monde noir, le sacré africain demeure un fait indéniable.

Et c’est cette attitude africaine qui a manqué à Blaise Compaoré dans l’assassinat de son compagnon fidèle d’hier. Les relations humaines qui existaient entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré d’une part, et entre les deux familles d’autre part, avaient un caractère sacré. Le totem ou le tabou était la trahison.

Malheureusement, « Le système dans lequel ont été moulées les élites africaines constituent de nos jours des obstacles à une bonne compréhension du monde noir ». Blaise n’avait peut-être pas compris. C’est pourquoi sa faute a été grave, gravissime même.

Après la première faute grave, marquée par l’assassinat du Président Sankara, une autre faute de même degré allait être commise : l’interdiction d’une messe de requiem à la mémoire de Thomas Sankara, messe demandée par son père à l’église Jean XXIII du Collège de la Salle de la ville de Ouagadougou. Le vieux Sankara le rappelait régulièrement.

Le 10 janvier 1988, date de clôture des « Assises nationales sur le bilan des quatre premières années de la Révolution », la déviation du régime Compaoré prit des proportions inquiétantes du point de vue de la vision africaine. En effet, en réaffirmant que le mouvement du 15 octobre 1987 était salutaire et que la Révolution s’était débarrassée des opportunistes et éléments dégénérés (c’est-à-dire Thomas Sankara et ses proches, morts ou vivants), la Révolution rectifiée était à la recherche de ses marques.

Blaise Compaoré serait sorti d’une caserne pour faire assassiner Thomas Sankara que la compréhension de l’affaire serait autre. Mais on ne se moque pas du cadavre de quelqu’un avec qui on a presque partagé le même sang.

L’autre faute grave (je ne parle pas d’erreur) que commet chaque année le régime de Blaise Compaoré, c’est cette commémoration séparée de la journée du 15 octobre. Si pour la famille Sankara et les sankaristes, le 15 octobre est un jour de deuil, la même date est pour le camp de Blaise Compaoré un jour de joie, de ’’djandjoba’’, de ’’jiglibiti’’, le tout dans un comportement ’’Yilé Yilé’’ à la Pierrette Adam’s.

Mais que s’est-il passé vraiment pour que Blaise Compaoré en vienne à être subitement méchant avec son ami Thomas et par conséquent avec la famille Sankara ? La réponse demeure difficile à trouver. Seules les rumeurs ont pu apporter des explications ou des tentatives d’explications de ce qui pourrait en être la raison.

La première rumeur avait donné une piste togolaise. C’était le Président Eyadéma (le père et non le fils) du Togo, qui aurait commandé la tête de Thomas Sankara avec Blaise Compaoré. Après ‘’l’abattage’’, Thomas aurait été enterré sans tête ; la tête ayant été envoyée au commanditaire togolais. Cette version, nous l’avons entendue, mais elle est très difficile à prouver.

La deuxième rumeur vient d’Abidjan. Le Président Houphouët-Boigny aurait donné beaucoup d’argent à Blaise Compaoré, ce à quoi il faut ajouter une femme, en échange de la disparition physique du Président Thomas Sankara. Un journaliste d’une presse étrangère avait posé une question à Blaise Compaoé sur cette rumeur à l’occasion d’une interview.

Et le Président du Front populaire y avait répondu : « Je ne savais pas que Houphouët avait des femmes à distribuer ». Et pourtant, sans minimiser la piste togolaise, celle de la Côte d’Ivoire paraît plus plausible.

En effet, Blaise Compaoré aurait pu se marier à une fille du quartier Dapoya de la ville de Ouagadougou. En ce temps- là, cette fille dérangeait sérieusement les cheveux du Capitaine Compaoré à l’époque. Et Blaise voulait faire d’elle son épouse ; la femme du foyer comme on l’entend dire. Il alla se confier à son Papa, le Vieux Joseph Sankara, père du Président Thomas Sankara.

En Afrique, c’est un grand honneur pour un père d’entendre son fils lui demander de lui trouver une femme. De même, le plus grand cadeau qu’un père pouvait "offrir" à son fils, c’était une femme. C’est ce que les programmes de financement et les projets financés appellent aujourd’hui les mariages forcés.

Joseph Sankara se sentit donc très honoré par son fils Blaise. Il s’engagea à fond. Feu Joseph Sankara était un homme connu et respecté. Il était difficile de ne pas donner une suite favorable à une requête formulée par lui.

La famille de la jeune fille accéda alors à la sollicitation et ne trouva pas d’inconvénient à ce que leur fille se marie à un fils de Joseph Sankara. Dans un langage vulgaire, on dira que les choses furent donc calées. Il appartenait à Blaise de choisir une date pour le mariage traditionnel et peut-être plus tard (si ce n’est pas dans le même temps) le mariage reconnu selon l’enseignement de l’école du Blanc. Les choses allaient donc bon train jusqu’au jour où tout à coup patatras ! Blaise Compaoré est de retour d’Abidjan.

Il vient voir son papa Joseph Sankara et lui demande de laisser tomber l’affaire de la fille de Dapoya. A la question de Joseph Sankara de savoir pourquoi, Blaise répond : « J’ai été à Abidjan et là-bas j’ai trouvé une autre fille et c’est avec elle que je vais me marier ». Joseph Sankara fait comprendre à son fils qu’il s’agit là d’une grande honte qu’il veut lui faire porter et qu’il lui demande de revenir à de meilleurs sentiments. Blaise tente aussi de convaincre son papa qu’il lui sera difficile de laisser tomber cette fille avec qui il a fait connaissance à Abidjan.

Là, le Vieux Sankara, dans sa sagesse légendaire, se calme. Il demande à son fils Blaise de lui dire avec franchise les mobiles profonds de ce changement d’avis. Blaise va répondre ; retenez vos souffles et écoutez-le : « Papa, c’est une fille qui sait faire du tô ». Feu Joseph Sankara m’a dit que ce jour-là il faillit devenir fou.

Quelques jours après, pendant que le Vieux Sankara était moralement touché au regard de ses engagements vis-à-vis de la famille de la fille de Dapoya, Blaise Compaoré débouche dans la cour accompagné d’une fille de teint clair, à la démarche rassurante et rassurée. Il dit au vieux Sankara : « Papa, c’est la fille dont je vous avais parlé. Elle s’appelle Chantal ».

Vous avez compris. C’est celle-là qui sait faire du tô. Blaise Compaoré, en tant que ministre à l’époque, avait pris l’avion pour aller chercher une femme en Côte d’Ivoire au seul motif qu’elle sait faire du tô. On ne doit pas s’étonner aujourd’hui de savoir que le Président du Faso aime ceux qui gaspillent les ressources publiques. Ce jour-là, Joseph Sankara joua à l’hypocrite. Il dit : « Soyez la bienvenue, ma fille, c’est très bien ».

Si les débuts ont été difficiles à gérer, le vieux Sankara finit par remettre tout au compte de la jeunesse et de l’amour, qui a sa raison que la raison elle-même ignore. Et il continua avec son Blaise. Il faut échanger avec le vieux Sankara pour savoir qu’il aimait vraiment Blaise.

Et quand il vous disait : « Je ne sais pas pourquoi Blaise m’a fait ça », on le sentait perdu. Il mettait un long temps avant de se ressaisir et de continuer à parler. Répétons donc encore : « Le système dans lequel ont été moulées les élites africaines constitue de nos jours des obstacles à une bonne compréhension du monde noir ».

Si Blaise Compaoré avait effectivement une bonne compréhension du monde noir, le 15 octobre, même s’il devait arriver, ne serait pas venu de lui. La raison de cette tragédie est trop profonde et trop secrète. Il est difficile de croire que c’est parce que Chantal sait faire du tô que Blaise était prêt à mettre la honte à son Papa. Et même si elle sait faire du tô baoulé ou autre, il n’était pas évident qu’il en soit de même pour le tô moaga. Le motif était donc ridicule. C’est une preuve que cette rumeur de femme d’Abidjan dans l’affaire Thomas Sankara est à prendre au sérieux. En outre, à considérer la course à l’argent et à l’enrichissement actuel de ce régime, on est encore tenté de dire que l’argent a aussi joué un rôle prépondérant dans l’assassinat du Président du Conseil national de la Révolution.

Ce pouvoir aime l’argent. Avec un tel régime, c’est un rêve d’espérer une justice indépendante, car les dossiers brûlants se seront jamais confiés à des juges intègres. Mais le décès du vieux Sankara le 04 août 2006 dernier a permis de savoir que le peuple, lui, n’a rien oublié. Après l’enterrement, le débat a été alimenté dans les lieux publics, et la presse a eu la même réaction. Aucune personnalité gouvernementale n’a été présente à l’enterrement. Cette réaction spontanée du peuple n’est pas un non-sens.

Ça rappelle une fois de plus que « Le système dans lequel ont été moulées les élites africaines constitue de nos jours des obstacles à une bonne compréhension du monde noir ». L’évidence, c’est que si nous ne comprenons pas le monde noir, le monde noir nous comprend, pas dans le sens qu’on ait raison de ne pas comprendre, mais dans celui que le monde noir est fait d’histoire (de l’histoire si vous voulez).

Et comme le 15 octobre fait maintenant partie de l’histoire du Burkina Faso, cette date devra aussi être mise à profit pour mener des réflexions sur des thématiques qui permettent le développement : la solidarité, la paix sociale, l’unité nationale, la bonne gestion de la chose publique, le bienfait, les faits sacrés en Afrique.

La génération d’après la révolution du Conseil national de la Révolution a eu la malchance de venir au moment où un régime d’Etat a embarqué le peuple dans une mauvaise école où les brillants élèves sont les voleurs de craies, de bics et de crayons de leurs voisins, tandis que les bons entrepreneurs sont ceux dont les bâtiments s’écroulent pendant qu’on est encore sur le chantier. Blaise ne nous a pas rendu service du tout en mettant fin à la Révolution. Il est aujourd’hui prouvé que la Révolution, même avec ses insuffisances, a rendu de grands services au Burkina Faso et aux Burkinabè.

Sauvons donc la jeune génération en organisant des débats sur des thématiques qui enseignent la bonne conduite sociale. La situation est sérieuse. Il est donc temps que Blaise Compaoré arrête de faire souffrir le peuple. Leur tô, qu’ils savent faire, ne nous convient pas. Il faut qu’il sache qu’il s’agit là d’un tô de type bouillie, qui nous donne la diarrhée et des coliques.

Il y a donc 19 ans que le Président Thomas Sankara s’en est allé, nous laissant dans les mains de gens qui ne savent pas préparer du tô contrairement à ce qu’ils nous ont dit. Prions encore cette année pour cet homme valeureux qui est mort pour nous.

Quant à vous, dites à Madame que le tô-là n’est pas bien préparé, tout comme la tragédie du 15 octobre a été une mauvaise préparation. Mais tout ça, c’est parce que Lle système dans lequel ont été moulées les élites africaines constitue de nos jours des obstacles à une bonne compréhension du monde noir ».

L’Observateur

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