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Mausolée de Brazza : L’Afrique a-t-elle fini avec ses propres héros ?

Publié le vendredi 6 octobre 2006 à 08h18min

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Décidément, l’Afrique ne finira pas de panser ses plaies. En effet, c’est au moment où l’on croyait certaines cicatrisées, que d’autres s’ouvrent, béantes. Le drame est que la plupart de ces infections sont le fait des Africains eux-mêmes et non pas toujours, comme on tente parfois de le faire croire, imposées de l’extérieur.

La dernière en date, c’est le transfert de la dépouille de l’explorateur français, Pierre Savorgnan de Brazza, précisément dans la capitale qui porte déjà son nom, pour être réinhumée en grande pompe.

La cérémonie s’est déroulée en présence des chefs d’Etat du Congo-Brazza, du Gabon, de Centrafrique et du ministre français des Affaires étrangères. Aucune épithète élogieuse n’a manqué pour justifier cette décision. C’est ainsi que pour les partisans de ce transfert, Savorgnan de Brazza fut à la fois un "explorateur visionnaire et humaniste", un homme "aux pieds nus" qui avait toujours "refusé la violence". Cependant, peut-on raisonnablement extraire Brazza des motivations réelles de la politique coloniale française en Afrique, perçue en son temps comme une mission civilisatrice et chrétienne ?

Qui dit mission civilisatrice dit forcément soumission d’un peuple à un autre. Et qui dit soumission dit emploi de la force par l’envahisseur contre les populations autochtones. L’on peut à la rigueur admettre que tous les explorateurs n’ont pas eu le même tempérament et que certainement Savorgnan de Brazza n’a pas eu les mêmes dérives mégalomaniaques que par exemple le duo infernal Vouley et Chanoine.

Il n’empêche que tous avaient la même mission : domestiquer les Africains et en faire des hommes dépersonnalisés et dépossédés de leur âme. Que Brazza n’ait pas eu à utiliser les mêmes méthodes brutales (reste à vérifier) que d’autres colonisateurs ne saurait le soustraire à cette responsabilité collective qui a consisté à transformer les Africains en esclaves taillables et corvéables à merci et en chair à canon. Alors que la colonisation, dans son ensemble, a été un désastre humain, économique et culturel, en un mot une blessure indélébile au coeur de l’Afrique, faut-il encore que certains remuent les plaies et que les dirigeants perdent leur temps et leurs maigres moyens pour distinguer bons et mauvais colonisateurs ?

La colonisation est par essence violente, surtout qu’elle s’est toujours imposée par la politique de la canonnière. Elle ne saurait être magnifiée au point de l’immortaliser par ce qui vient de se produire au Congo. Les autorités congolaises avaient-elles besoin d’être plus royalistes que le roi au moment même où le Parlement français a été contraint de supprimer l’article de la loi qui reconnaissait "les bienfaits" de la colonisation.

A l’époque, le sujet avait créé des polémiques et des débats passionnés au sein de la classe politique française. C’est l’Algérie seule qui a eu le courage politique de dénoncer ce mensonge de l’histoire et de retarder la signature du fameux traité d’amitié franco-algérien. Pour le président Bouteflika, en tout cas, il s’agit d’une négation de la mémoire, et tant que la France n’aura pas reconnu le caractère génocidaire de la colonisation française en Algérie, il n’y aura pas de traité.

Au Congo, comme si la survivance du nom de la capitale à celui qui l’a créée ne suffisait pas, on a érigé un mausolée à la mémoire de Savorgnan de Brazza. Plus grave, un pays élu au PPTE (pays pauvre très endetté), qui prétend n’avoir pas suffisamment de moyens pour faire face aux arriérés de salaires de ses fonctionnaires, devait-il se payer le luxe de financer un monument qui a coûté la bagatelle de 10 milliards de F CFA ?

C’est vrai que cet édifice a été conjointement financé par le Congo, le Gabon et la Centrafrique. Mais pour qui connaît la propension au gaspillage des autorités congolaises, il n’y a rien de surprenant. Ce sont les mêmes autorités fêtardes qui sont allées jeter de l’argent dans les grands hôtels de New York. La majorité des Congolais et des Africains avaient été ainsi choqués car cette somme aurait pu servir à financer des projets sociaux : maternités, dispensaires, écoles.

Mais elle n’avait pas ébranlé la Françafrique que d’aucuns qualifient de mafiafrique, avec ses réseaux complexes d’amitié entre chefs d’Etat, tous redevables (politiquement et à des degrés divers) à la France. La plupart de nos responsables, dans leur peur d’indisposer l’ancien colonisateur, n’osent même pas demander l’application du principe de réciprocité.

De mémoire d’Africains, la France a rarement érigé , sur son territoire, un mausolée à la mémoire d’un illustre Africain. L’intrépide Samory Touré, le grand stratège Chaka Zoulou, le dernier roi du Bénin, Behanzin, déporté en Algérie et j’en passe, méritent eux aussi des mausolées en France. Malheureusement, dans l’Hexagone, ils sont perçus, non pas comme des héros, mais plutôt comme des sanguinaires par l’histoire sciemment déformée par la France parce qu’écrite par des historiens aussi retors que le colonisateur lui-même.

Paris n’a jamais eu le courage de leur dédier le moindre édifice qui mettrait en exergue leurs mérites. Tout se passe comme si le Congo, dans son histoire, n’a jamais eu un seul héros qui ait pu retenir l’attention de la France et qui ait pu mériter un monument.

Du reste, il faut reconnaître que ce complexe congénitalement historique, psychologique et culturel à vouloir pérenniser certaines survivances du colonialisme français dans ce qu’il a eu de plus abject est presqu’une (encore elle) exclusivité de l’Afrique francophone. Savez-vous que l’actuel Zimbabwe s’appelait la Rhodésie du Sud et sa capitale actuelle, Hararé, s’appelait Salisbury, et que l’actuelle Zambie s’appelait la Rhodésie du Nord ? De même, le Mozambique avait pour capitale Lorenço Marquès avant de devenir Maputo.

Parler des bienfaits de la colonisation et vouloir faire la distinction entre bon et mauvais colon, c’est engager un débat inutile qui n’apporte rien à une Afrique qui a d’autres chats à fouetter. On pourrait renvoyer à la lecture des oeuvres de Frantz Fanon, notamment son livre "Les damnés de la terre", ceux qui font l’apologie du colonialisme. Ils découvriront ce côté pervers et hideux de cette mission civilisatrice et chrétienne qui distinguait, même dans un même pays, des citoyens de première et de seconde zone.

Certains Africains se laissent facilement séduire par des discours démagogiques et paternalistes et ne se rendent pas compte que derrière certains mots qui endorment se cache un certain mépris. Avant de devenir des arts premiers exposés au musée Branly, d’autres qualificatifs ont auparavant été attribués à l’art africain : arts primitifs, "objets d’arts".

Douloureux ou pas, on ne saurait occulter les liens historiques entre la France et ses anciennes colonies. Nous estimons cependant qu’un musée de l’histoire de la colonisation française aurait suffi pour immortaliser ces souvenirs à l’intention des générations futures. Un musée dans lequel aussi bien Brazza et les autres colonisateurs trouveront leur place. Tout comme en France, au musée de l’Homme où trône le fameux sabre (volé) de Samory Touré et tant d’autres témoins de l’histoire de l’Afrique que l’Occident refuse de rétrocéder.

Le reste n’est qu’élucubrations, fantasmes postcoloniaux et complexes de colonisés. Nul ne peut disputer à l’Afrique le respect qu’elle doit aux morts, y compris ceux qui nous ont traumatisés hier. Encore faut-il que de tels hommages soient consensuellement acceptés par tout le monde. Sinon notre continent continuera à être le dépotoir d’une histoire tronquée.

"Le Fou"

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 8 octobre 2006 à 00:25, par Tonica En réponse à : > Mausolée de Brazza : L’Afrique a-t-elle fini avec ses propres héros ?

    Félicitation au "Fou" qui a écrit cet article.

    Il faut être vraiment fou pour écrire ça, car nos dirigeants africains sont telles impressionnés par le lustres qu’ils ont simplement perdu le sens même de l’histoire. Sinon, comment comprendre ce geste de Sassou N’Guesso qui pendant que son pays manque de tout se permet un tel gaspillage.

    Il n’y a pas d’argent au Congo pour payer les arrièrés de salair des fonctionnaires congolais mais ils ont pu trouver entre 11 et 13 milliards pour organiser toutes ces cérémonies somptueuses pour un colonisateurs, français de surcroit.

    Je remercie sincèrement le "Fou" pour son franc parler, car le monde d’aujourd’hui a besoin des fous pour évoluer. Regardons par exemple des dirigeants comme Castro, Cavez, le Président Iranien, et autres qui sont prêts à mourir pour l’indépendance politique de leir pays. Mais pendant ce temps, nous en afrique francophone, nos dirigeants font le contraire en pensant qu’il est mieux de faire plaisir à la puissance mère en organisant tout ce qui en réalité les ridiculise sur le plan international.

    Encore une foi merci au FOU, le monde a besoin des fous comme vous. L’histoire retiendra les gestes de nos dirigeants et cette histoire les jugera.

    Continuer dans ce sens et l’avenir vous donnera raison. Que Dieu vous garde.

    • Le 9 octobre 2006 à 11:42 En réponse à : > Mausolée de Brazza : L’Afrique a-t-elle fini avec ses propres héros ?

      Vraiment mon frère le FOU, F-E-L-I-C-I-T-A-T-I-O-N. On ne comprend plus ce qui se passe dans la tête de ces présidents africains. Dire que la Republique centrafricaine, le Congo, ..... : Ces Etats qui connaissent des difficultés de tout bord (arrièré de salaire, crises sociales sans pareille, misère, souffrance et guerre,...), leurs chefs d’état se permettent de tel dilapidation pour faire plaisir ou les yeux doux à la puissance colonnisatrice parce que d’une raison ou d’une autre à des échelles relativement variables ils lui sont redevables, alors que leur peuple souffre !! c’est ignoble, immonde,...
      Je me demande si ces personnes(individus de chef d’Etat) connaissent l’histoire de la colonnisataion pour pouvoir reveiller de telle cicatrice indelebile dans le coeur dans africains. Est ce que le peuple africain a besoin de ça ? Quand est ce que certains chefs d’etat africains sortirons de leurs entreprises maffieuses pour appréhender la VRAIE REALITE, LE BESION DU PEUPLE AFRCAIN ?

      Un jour la virité nous affranchira.
      Que DIEU nous garde.

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