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Francophonie : Quel profit pour l’Afrique ?

Publié le lundi 25 septembre 2006 à 06h42min

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Abdou-Diouf, Secrétaire général de l’OIF

Du 28 au 29 septembre 2006, se tiendra à Bucarest (Roumanie) le XIe Sommet (Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement ayant en partage le français) de la Francophonie. Ce Sommet sera précédé de la réunion de deux autres instances de l’Organisation : le Conseil permanent et la Conférence ministérielle.

Au total, sont attendus à ce rituel, qui a lieu tous les deux ans, plus de 63 chefs d’Etat et de gouvernement, des secrétaires généraux des organisations internationales, des parlementaires, des hommes d’affaires et des journalistes de grandes agences de presse et de chaînes de télévision. Ils échangeront sur le thème : "Les technologies de l’information dans l’éducation".

En rappel, les grandes missions dévolues à la Francophonie tournent autour de quatre axes : promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique ; oeuvrer à la paix, à la démocratie et aux droits de l’Homme ; appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche ; développer la coopération au service du développement durable.

Comme on le voit, il s’agit d’objectifs nobles et incontournables dans un monde plus que jamais troublé et en proie à des guerres civiles, conflits armés, crises humanitaires, famines et maladies. Quoi de plus normal que la Francophonie veuille épouser son siècle et ne plus se contenter d’être cette tribune où les pères fondateurs rivalisaient d’ardeur pour réciter les oeuvres d’écrivains français.

Certes, le sentiment d’appartenir à une même culture (quoiqu’imposée) et le fait d’avoir comme outil de travail la même langue sont des facteurs de compréhension et de cohésion. Mais cela suffit-il dans un contexte de mondialisation où le fait culturel tend à devenir une valeur marchande au même titre que les autres valeurs ?

Un pays comme la France, qui défend bec et ongles son exception culturelle en utilisant les pays d’Afrique francophone comme remparts contre l’invasion culturelle, par exemple, des pays anglo-saxons, peut-il résister pendant longtemps ? Il est vrai que la Francophonie a essayé de trouver la parade en inscrivant dans sa politique la promotion des langues nationales africaines.

Malheureusement, aujourd’hui, malgré cette prise de conscience qu’aucune langue étrangère (fût-elle française) ne peut exprimer convenablement l’âme africaine, il faut reconnaître que la Francophonie apparaît encore comme une affaire d’élites. Elle n’est pas encore ancrée dans les esprits des citoyens moyens.

Sans occulter le fait que la Francophonie a créé en son sein des institutions spécialisées telles que l’Agence universitaire de la Francophonie, l’Association internationale des maires francophones, TV5 et l’université Senghor d’Alexandrie, l’Union de la presse francophone (UPF) et l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, il faut dire que ces grand-messes, cependant, laissent peu de traces dans l’esprit du citoyen moyen, qui n’a pas toujours le sentiment que ses angoisses quotidiennes et existentielles sont prises en compte.

Il a plutôt l’impression que la Francophonie est une affaire au sommet dont la France se sert dans les instances internationales pour renforcer son poids sur l’échiquier diplomatique mondial. C’est surtout le cas de l’Afrique francophone, qui porte à bout de bras la Francophonie et qui, en contrepartie, semble mise à la touche. Le cas le plus flagrant concerne la nouvelle politique d’immigration de la France, dont le sujet n’est pas, en tout cas, pas officiellement, à l’ordre du jour du prochain Sommet.

Peut-on promouvoir la démocratie, les droits de l’Homme, l’éducation, la formation, la coopération, le développement durable et la solidarité, quand la France bétonne ses frontières ? Toute chose contraire à la libre circulation des biens et des personnes. Ne serait-ce que par devoir de mémoire, la France, dépositaire naturel et spirituel de la Francophonie, ne devrait pas oublier qu’il y a un siècle, des colons français avaient débarqué en Afrique sans avoir eu besoin du moindre papier. La France oublie qu’à l’époque, elle avait exporté sa pauvreté en Afrique en vertu de la logique selon laquelle "la colonisation (...) est une nécessité politique tout à fait de premier ordre.

Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche et du pauvre. La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure qui s’y établit pour le gouverner n’a rien de choquant". Maintenant que la pauvreté, exportée par la France, oblige les Africains à fuir, cette même France avec les autres pays européens dressent des barbelés à leurs frontières, et Nicolas Sarkozy de crier que les barbares et les affamés sont à leurs portes.

Evidemment, toutes ces pratiques inhumaines se font souvent avec le consentement de certains dirigeants africains. Ainsi, des avions violent l’espace aérien de l’Afrique, à la recherche d’immigrés clandestins. De géants chalutiers européens naviguent librement sur les eaux territoriales des Etats africains pour piller leurs ressources maritimes. En contrepartie, rien, ou presque, pour l’Afrique. La France qui se veut l’avocat des pays africains, notamment francophones, n’a jamais atteint le cap du 0,7% de son PIB qu’elle a promis depuis longtemps pour aider le continent à amorcer son décollage.

Mieux, elle a été battue sur le terrain de l’aide au développement par les pays scandinaves qui, pourtant, sont historiquement et linguistiquement éloignés de l’Afrique. Certes, les taxes sur les billets d’avion appliquées par la France, et la mise en place d’une Centrale d’achat pour financer le développement sont à saluer. Encore qu’il convient d’être prudent quant aux modalités pratiques de telles initiatives.

Dans l’ensemble, l’on n’a pas l’impression de sentir la présence de la Francophonie en ce qui concerne le volet économique. Seuls les aspects politique, linguistique et culturel semblent prendre le pas. Un tremplin pour faire la promotion de la culture française. Une publicité gratuite dans la mesure où les populations à la base ne se sentent pas toujours concernées. Elles sont parfois même tentées de dire que la Francophonie est sans objet, sauf qu’elle permet à la France de s’en servir pour son prestige international, et à certains dirigeants d’Afrique francophone, après tant d’années de prédation et de dictature, d’être maintenus à leur poste. La preuve, contrairement au Commonwealth qui n’hésite pas à mettre certains de ses Etats membres sur le banc des accusés, la Francophonie, sans états d’âme, n’a jamais pu ou voulu franchir ce pas.

Sur le plan politique d’ailleurs, l’alignement des Etats francophones d’Afrique sur la France est criard. C’est ainsi qu’après une incursion au Togo lors de la crise de succession dans ce pays, la Francophonie a rarement élevé la voix pour dénoncer des entorses à la démocratie. Au Togo, dès lors que la France a avalisé la victoire de Faure Gnassingbé, les pays africains francophones sont rentrés dans leurs petits souliers.

Le même constat se fait au niveau de l’observation des élections. La Francophonie s’est presque toujours jointe au concert d’approbations, quand bien même il y a matière à contestation dans le déroulement des votes. Dans ces conditions, qu’attendre du prochain sommet, sinon des redites et des déclarations d’autosatisfaction ?

Le Pays

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