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Crise ivoirienne : 4 ans, et toujours pas de solution

Publié le mardi 19 septembre 2006 à 08h04min

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A.D.O, Gbagbo et Bédié

19 septembre 2002, 19 septembre 2006. Il y a quatre ans jour pour jour qu’un coup d’Etat avorté contre le régime du président Laurent Gbagbo, élu en octobre 2000 dans un bain de sang ( déjà !) s’est mué par la suite en rébellion.

Depuis lors, la Côte d’Ivoire vit la crise la plus grave de son histoire. Très rapidement, les deuxième et troisième ville, Bouaké (centre) et Korogho (nord), sont contrôlées par les rebelles. Le général Robert Gueï, le tombeur du président Henri Konan Bédié en 1999, et le ministre de l’Intérieur Emile Boga Doudou sont tués.

Les jours qui ont suivi cette tentative manquée ont été une véritable chasse aux sorcières avec des exactions à n’en plus finir. De nombreuses familles ont été endeuillées et chaque jour qui passait, la liste des morts ne faisait que s’alourdir. Abidjan, il faut le dire, était devenue subitement une ville dangereuse avec son corollaire de disparus. Dans les autres villes, les conséquences de cette situation ont provoqué des déplacés de guerre.

Alors qu’on se demandait qui sont exactement ces mutins, les masques ne tarderont pas à tomber. Le 14 octobre 2002, l’ancien syndicaliste estudiantin Guillaume Soro Kigbafori a été présenté comme le secrétaire général du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI). Pour une surprise, c’en était une. Et comme le disait Sophocle, « Il est impossible de connaître l’âme, les sentiments et la pensée d’un homme si on ne l’a pas vu à l’œuvre... »

Originaire du Nord, Guillaume Soro, né le 8 mai 1972, était proche du RDR de l’opposant Alassane Dramane Ouattara. Rappelons au passage qu’en décembre 2000, pour les élections législatives, il était le colistier d’Henriette Dagri Diabaté, secrétaire général du RDR, dans une commune d’Abidjan, avant que le parti de Ouattara décide de boycotter ces élections.

Malgré l’arrivée des premiers renforts militaires français en Côte d’Ivoire le 22 septembre et quelques jours plus tard d’une force de paix envoyée par la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la situation était toujours tendue. Après les premières négociations directes à Lomé (Togo) entre le gouvernement et les rebelles, il y a eu les Accords de Linas-Marcoussis, puis d’Accra I, II et III. Mais la mise en œuvre de la feuille de route a toujours été difficile parce qu’il y avait de la mauvaise foi de part et d’autre.

Comme nous le disions dans cette même rubrique, Gbagbo, qui aime à dire qu’il fait la politique en rappelant Soundiata Kéita, sait ce que veut la rébellion et qui est derrière elle. Malgré cela, même s’il n’avait pas vraiment le choix, pour donner une chance à la paix, il a accepté la médiation du président sud-africain Thabo Mbeki.

La rencontre, on se rappelle, a abouti à de nouveaux accords en 18 points, consignés dans un document de 6 pages prévoyant entre autres la cessation immédiate et définitive des hostilités et de la guerre en Côte d’Ivoire, le désarmement et le démantèlement des milices, la résolution de la question de l’article 35 de la Constitution relatif aux conditions d’éligibilité à la magistrature suprême.

Ce dernier point a toujours été la pierre d’achoppement et quand Gbagbo était rentré de Pretoria après avoir consulté les forces vives de la nation, il a presque surpris tout le monde en levant les obstacles qui mènent à la paix. En tout cas en théorie, car pour nombre d’observateurs de la scène politique ivoirienne, à commencer par ses homologues, l’enfant terrible de Mama passe pour un expert boulanger habitué à rouler tout le monde dans la farine.

Difficile donc de connaître souvent ses intentions réelles, suspecté qu’il est de s’appliquer consciencieusement à détruire ce qu’il a accepté, parfois du bout des lèvres, dût-il faire appel au gouvernement de la rue publique du général Blé Goudé. Mais passons...

La date du 14 avril 2005 ayant été arrêtée pour la mise en œuvre du processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), l’armée et la rébellion ivoiriennes avaient procédé, à Yamoussoukro, à la signature d’un accord fixant les modalités pratiques du désarmement. Un document sur la restructuration de l’armée a été également signé. Le désarmement concernait quelque 48 000 combattants (42 500 chez les rebelles et 5500 du côté des forces loyalistes).

C’est pendant que les choses allaient tout doucement sur le terrain que le mandat de Gbagbo a été prolongé d’un an après le 30 octobre 2005, date à laquelle il devait mettre son fauteuil en jeu.

Aujourd’hui, il arrive à expiration et déjà les commentaires vont bon train. En attendant de savoir ce qui va se passer demain, à New York, où l’ONU veut entendre les protagonistes de la crise, le blocage s’est fait jour avec les audiences foraines qui ont fait remonter la tension d’un cran. L’enjeu de ces audiences foraines (qui se sont révélées foireuses) était en effet capital : décerner des certificats de nationalité à des Ivoiriens qui n’étaient pas reconnus comme tels, et donc en faire des électeurs de plein droit.

Il se trouve que ces Ivoiriens de seconde zone sont réputés être proches du RDR, ce qui explique que les caciques du gbagboland poussent de l’urticaire devant le danger électoral que peuvent représenter ces indésirables du fichier électoral. Pour le camp présidentiel, la solution est en fait simple : remettre à jour le (mauvais) fichier de 2000, c’est-à-dire inscrire ceux qui n’avaient pas la majorité à l’époque et biffer les morts, puis le tour est joué. Trop simpliste.

En quatre ans donc, on tourne toujours en rond et aucune solution ne se profile à l’horizon par la faute de tous les acteurs politiques de ce pays. Car si le locataire du palais de Cocody, qui ne veut évidemment pas quitter le nid douillet qu’il a mis des décennies à conquérir, donne souvent l’impression de ne pas jouer franc-jeu malgré les concessions qu’il ne cesse de revendiquer, les rebelles font aussi quelquefois dans la surenchère politicienne, certains voyant d’un mauvais œil le retour de la paix en Côte d’Ivoire.

Car, comme on dit, ils ne peuvent plus « revenir en République ». Dans la Lettre du Continent du 14 septembre 2006, on parle aussi de « business rebelle » dans ce pays en se demandant pourquoi désarmer alors que les affaires dans le nord ivoirien ont toujours été florissantes ?

En 2003, apprend-t-on, la garde rapprochée d’Ibrahim Coulibaly dit IB avait ainsi créé une direction de la mobilisation économique (DIRMOB). Cet embryon d’administration économique, qui a fait long feu entre pro-IB et pro-Soro, est rapidement devenu un business lucratif. La lettre du Continent s’est procuré un document comptable authentifié, abandonné par les proches d’IB dans leur fuite.

En l’espace de sept jours seulement (première semaine d’août 2003) l’ex-Dirimer avait engrangé des recettes de 69, 112 millions de FCFA (105 360 euros), pour des dépenses de 18, 13 millions de FCFA (27 639 euros). Ce document montre que les recettes les plus importantes provenaient de la vente d’essence et de taxes sur les convois de la compagnie malienne des chargeurs. Au bout du compte, le bénéfice hebdomadaire s’élevait à 50, 982 millions de CFA (77 721 euros). Les banquiers de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, étaient aux premières loges...

Au regard de ce qui a été rapporté, on est enclin à penser que les Forces Nouvelles de Soro Guillaume préfèrent, elles aussi, le blocage puisque cette guerre qu’ils ont provoquée semble juteuse. Il est vrai que cette rébellion qu’on disait « exemplaire », « pas comme les autres » au début s’est criminalisé au fil du temps avec comme point d’orgue, les casses de l’agence BCEAO de Bouaké dont on suspectait même les premiers responsables des FN.

Quand on s’est embourgeoisé en roulant carrosse, buvant du champagne dans les avions, dormant sur des lits moelleux, on peut vouloir que rien ne bouge même si du côté du pouvoir, il y a des durs qui campent sur leurs positions parce qu’ils ont peur de perdre le pouvoir qu’ils ont arraché de haute lutte. Dans tout ça, c’est le peuple qui continue de souffrir et pour combien de temps encore ?

La paix, pour sûr, reviendra un jour, mais depuis que l’ex-dauphin de feu Houphouët Boigny, l’homme de Daoukro, a ouvert la boîte de Pandore, on se demande bien si cette Côte d’ivoire redeviendra ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un havre de paix et une terre d’hospitalité et de brassage qui doit faire sa force et non sa faiblesse.

Justin Daboné

L’Observateur

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Vos commentaires

  • Le 19 septembre 2006 à 13:02, par Jean-Claude NABA En réponse à : > Crise ivoirienne : 4 ans, et toujours pas de solution

    Etonnant ! Vous avez réussi un beau survol historique de la crise ivoirienne sans une seule fois mentionner les conséquences pour la sous-région, l’implication du Burkina Faso... La crise ivoirienne : une crise réellement ivoiro-ivoirienne ?

  • Le 19 septembre 2006 à 21:18, par Essigan En réponse à : > Crise ivoirienne : 4 ans, et toujours pas de solution

    J’applaudis de toutes mes forces pour cet article qui est d’une lucidité exemplaire et rappele les faits sans les déformer. Voilà du journalisme, du vrai, pourvu que ca dure.

    Beogo

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