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Côte d’Ivoire : Les intérêts se jouent de la crise

Publié le mardi 19 septembre 2006 à 08h01min

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Les protagonistes et les médiateurs de la crise ivoirienne ne sont pas sincères dans la recherche de solutions. C’est le point de vue de ce lecteur burkinabè pour qui tous ceux qui s’agitent ne voient que leurs intérêts.

La guerre en Côte d’Ivoire ne finira jamais tant que les fils de ce pays ne réaliseront pas que toute la communauté internationale est en train de se jouer d’eux. La guerre en Côte d’Ivoire ne finira jamais tant que les intérêts des uns et des autres seront garantis.

Avant je suivais avec beaucoup d’intérêt la guerre en Côte d’Ivoire à ses débuts, mais maintenant, je suis lasse de suivre souvent les reportages ou les écrits sur le sujet. C’est comme un film hindou, vous connaissez le dénouement final avant la fin du film, car c’est le bien qui va triompher sur le mal, le bon sur le méchant, le tout, agrémenté de belle chorégraphie. L’histoire de la guerre en Côte d’Ivoire est la même. Dès qu’une sortie de crise se dessine on sait à l’avance qu’elle est vouée à l’échec, mais chacun fait semblant d’y croire et joue le jeu des autres. C’est un jeu de dupes, j’allais dire que c’est de l’hypocrisie et de l’escroquerie politique.

Le jeu est bien joué parce que chacun y gagne : en temps, en notoriété et surtout en argent. Les seuls vrais perdants dans ce cinéma ce sont les pauvres populations sur le dos desquelles, tous les acteurs de la crise (intérieurs et extérieurs) vivent grassement. Je ne suis pas diplomate, ni politologue, ni voyant, ni militaire mais dès que j’entends parler d’une action dans la crise de ce pays frère, je dis échec et mat ! Encore une trouvaille de quelqu’un qui veut exploiter la Côte d’Ivoire et la communauté internationale. De quoi s’agit il ?

Depuis l’éclatement de la crise en septembre 2002, des médiateurs sont intervenus pour proposer des solutions qui préservent des intérêts. Au début, les médiations étaient sérieuses à mon avis, sans grands calculs, tant la surprise et le choc du déchirement de ce beau pays était au comble. Mais avec le temps, les gens se sont rendu compte que c’était une occasion d’affaires très juteuses. Alors les engagements sont devenus très intéressés non pas pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise mais pour maintenir la crise et s’enrichir.

Alors qui gagne dans cette crise ou à qui profite réellement cette guerre ou cette situation de ni paix, ni guerre ?

Gbagbo et ses faucons

J’ai réfléchi et j’ai essayé de me mettre dans la peau de Laurent Gbagbo en considérant tous les crimes commis sous son règne (même s’il n’est pas le commanditaire, mais c’est lui qui en porte l’entière responsabilité), toutes les familles endeuillées souvent très influentes qui l’attendent à l’extérieur, tous ses ennemis politiques et militaires, tous les réfugiés ivoiriens et tous les ressortissants des pays martyrisés comme le Burkina Faso, etc.

En considérant tout ce monde révolté qui l’attend et en jetant un regard intéressé à ce qui est arrivé à Charles Taylor, à Hissène Habré (en sursis), aux génocidaires du Rwanda, à Milosevic, à Saddam Hussein et autres, pour rien au monde si ce n’est la mort, Laurent Gbagbo ne va lâcher le pouvoir. Il connaît son sort déjà et il sait qu’aucune amnistie, aucun pays, fût-il l’Afrique du Sud ou même le Burkina Faso pays « humanitaire », ne pourra le soustraire à cette vindicte populaire, communautaire et internationale.

Alors Gbagbo a tout à gagner en restant au pouvoir, à s’y accrocher jusqu’au dernier souffle avec ses proches qui sont aussi menacés de la même sanction. Son seul environnement sécuritaire, c’est le trône ivoirien car tant qu’il est à ce poste au moins il est toujours l’artisan principal des négociations, du faux jeu. A moins que la France ne décide de faire comme les Américains avec Saddam Hussein, le chasser de force du trône. En ont-ils la capacité et l’envie, eux qui lui ont servi de bouclier au début en septembre 2002 ?

Donc venez avec tous les scénarii que vous voulez pour sortir la Côte d’Ivoire de la guerre, mais ne demandez pas à Laurent Koudou Gbagbo de quitter le pouvoir, c’est un échec certain. Il va faire semblant de vous écouter, gagner du temps et après on recommence avec des refrains du genre « reprenez s’il vous plaît ce que vous venez de dire, je n’ai pas compris ». C’est la raison pour laquelle il est illusoire de penser qu’il y aura des élections en Côte d’Ivoire et même mieux que Koudou va laisser une transition diriger le pays à sa place. C’est se livrer pieds et poings liés à ses bourreaux.

Il n’y aura pas d’élection en Côte d’ Ivoire en octobre ni même en janvier 2007, ni même après et tous les acteurs impliqués dans cette crise le savent bien. Des élections sans Koudou oui, mais tant qu’il sera là, pas d’élections car il sait qu’il va les perdre et donc risque de se retrouver devant un tribunal à rendre compte des crimes de sang, des crimes économiques commis sous son règne. Qui est fou pour se faire hara-kiri ?

Gbagbo a compris que tant qu’il garantit les intérêts des puissances économiques intervenant en Côte d’Ivoire, il peut être sûr de tirer les ficelles du jeu. Il se fait de l’argent et continue à créer des sphères d’influence tant en Côte d’Ivoire qu’à l’extérieur. Alors plus ça va durer, mieux ça vaudra. A bon entendeur salut !

La rébellion

« Nous contrôlons plus de 60% du territoire de la Côte d’Ivoire » aime à dire fièrement Guillaume Soro. Ce dernier est devenu un chef d’Etat officieux et même officiel pour certaine capitale. Lui et ses camarades d’armes sont connus sur le plan international avec même des sympathies. Ils ont la moitié de la Côte d’Ivoire, les honneurs, des fortunes et une armée. Que faut-il de plus pour vivre bien ici-bas ? Seule la légalité leur manque pour faire flotter un drapeau vert blanc orange (l’inverse des couleures nationales).

Tenez, un coup d’Etat transformé en rébellion et une rébellion transformée en un règne légitimé par la communauté internationale, avec tous les attributs liés à la gestion d’un Etat autonome. Là-bas aussi le rêve est permis. Guillaume Soro se voit comme le futur chef de l’Etat de la Côte d’Ivoire nouvelle balayée de tous les vieux pères de la scène politique ivoirienne, qui gagneraient à prendre leur retraite politique et à laisser la nouvelle classe de jeunes faire leur preuve. Déjà qu’avec ces 60% du territoire, il gouverne et sait se faire respecter.

En fait, il est le président de la Haute Côte d’Ivoire (HCI). Il est riche, puissant et écouté. Pourra-t-il conserver les mêmes avantages dans une Côte d’Ivoire unifiée ? Pas sûr. Acceptera-t-il de jouer les seconds rôles après avoir défié aussi longtemps le pouvoir d’Abidjan et avoir géré plus de la moitié du pays dans l’adversité, la guerre, au risque de sa vie ? Va-t-il laisser d’autres cueillir le fruit mûr quand lui et ses hommes ont risqué leur vie pour arracher ce pouvoir ?

Soro sait ce qu’il veut, c’est seulement Bédié et Alassane qui sont les naïfs si vraiment ils croient que l’un d’eux peut remplacer Gbagbo. Au début de la rébellion ce scénario était possible, mais maintenant, c’est du bluff. Les rebelles préfèrent donc aussi continuer à gérer tranquillement leur parcelle de pouvoir (puisqu’il n’y a plus de guerre grâce aux fausses négociations qui font gagner du temps à tous, sauf au peuple) assortis de privilèges colossaux, que de perdre tous ces avantages acquis au péril de leur vie.

Du reste, tout comme Gbagbo, ils ne sont pas à l’abri de poursuites internationales pour les exactions commises pendant cette guerre. Certains sont déjà sur la liste de l’ONU pour des sanctions, donc susceptibles d’être poursuivis si la guerre venait à prendre fin. Ce camp aussi a intérêt à ne pas aller aux élections et à pacifier la Côte d’Ivoire maintenant. Il faut jouer à la prolongation qui ne coûte de l’argent à personne si ce n’est à la communauté internationale.

Les puissances occidentales

En fait, il s’agit de tous ceux qui ont des intérêts économiques avec la Côte d’Ivoire, qui profitent de cette guerre pour davantage piller et exploiter frauduleusement ses ressources. C’est connu, quand il y a la guerre, il y a le désordre au niveau des gouvernants, l’autorité de l’Etat est mise à mal car l’attention est focalisée sur la sécurité et la défense de l’intégrité territoriale. La bonne gouvernance, la bonne gestion des deniers de l’Etat ne sont plus au centre des préoccupations.

Comment pouvait-il en être autrement ? Déjà quand ça va (sans guerre) on assiste à un pillage des ressources publiques et des richesses du pays par les sociétés étrangères et les grands commis de l’Etat. Maintenant qu’il y a une absence d’Etat à tous les niveaux, le pillage est plus que sauvage et de façon impunie. Ce n’est pas pour rien que des tonnes de déchets toxiques se retrouvent en Côte D’Ivoire.

On profite de cette situation pour faire rentrer les déchets et faire sortir les richesses. Un expatrié qui excellait dans le domaine du tabac nous avait confié un jour lors d’une réception dans une chancellerie, « que la guerre ou l’instabilité étaient des facteurs favorables au développement de leurs affaires ». Les produits se vendent non seulement bien, surtout combinés avec les stupéfiants (des excitants pour les combattants), mais que grâce à la corruption très facile en ces moments, les frontières sont fluides à toute sorte d’opération : entrées frauduleuses des marchandises, trafics de devises et même d’or et autres métaux précieux.

En temps de guerre, l’économie est complètement extravertie dans tous les sens. Les seuls vrais gagnants ce sont les dirigeants, les grandes compagnies étrangères, les grands commerçants, etc. Tant pis pour le développement de ces pays. On saura justifier et accorder après des dettes de reconstruction des villes détruites et de l’économie nationale. Toute chose qui participe de notre aliénation, de la prostitution de notre souveraineté. La Côte d’Ivoire n’échappe pas à ce pillage qui est du reste connu et su de l’ONU, des dirigeants ivoiriens (puisqu’ils sont aussi acteurs dans ce système de pillage), de l’OMC, de la Banque mondiale et du FMI. C’est pourquoi, malgré la crise, la Côte d’Ivoire se maintient.

Les pays africains

Cette guerre n’arrange pas, encore une fois, les populations africaines surtout voisines de la Côte d’Ivoire, mais elle arrange certains décideurs de ces pays qui, tout comme le président ivoirien, en profitent pour fructifier leurs affaires. Je ne vais pas acheter une bagarre qui risque de me conduire en prison pour diffamation, mais là où je suis certain de ne pas me tromper, c’est que cette guerre, tout comme d’autres conflits en Afrique et de par le monde, a créé une nouvelle fonction très rentable et très convoitée : les missions de maintien de la paix. Dans les pays africains pour ne citer que ceux-là, aller en mission de maintien de la paix c’est résoudre sa pauvreté.

Les policiers, les gendarmes, les militaires se bousculent, se maraboutent pour figurer parmi les sélectionnés. Tous ceux qui sont allés à ces missions sont revenus s’offrir des villas et circulent en voiture au Burkina pour ce qui concerne ce pays. C’est la crème des forces militaires et paramilitaires qui y va. Il y a tout un réseau autour de la sélection de ces hommes : le copinage, la corruption, le charlatanisme, le fétichisme, tout y passe.

Combien sont-ils en Côte d’Ivoire, ces soldats de la paix et combien nous coûtent-ils tous ? Des millions de dollars. Dites à ces gens-là que la guerre est finie en Côte d’Ivoire et qu’ils doivent regagner leurs pays (ils savent que ça viendra un jour), ce sera la désolation, le deuil chez certains. Leur souhait est que la situation se prolonge encore un peu, le temps qu’ils se fassent une petite fortune sur le dos du peuple ivoirien. Le risque est mince (pas pour faire la guerre avec toutefois quelques exceptions près) et l’enjeu consistant.

Soit dit en passant, cette guerre est bénéfique aux pays qui y envoient leurs troupes car ceci est une école et leur permet d’acquérir de l’expérience en matière de maintien de la paix.

Au-delà des forces armées, il y a aussi les civils des pays africains surtout les voisins et particulièrement les hommes d’affaires. Des commerçants sont de gros fournisseurs de céréales, d’hydrocarbures et autres denrées de première nécessité qui ne peuvent plus venir du port d’Abidjan mais des ports secs du Burkina. Tous ces gens voient-ils ou souhaitent-ils la fin de la guerre en Côte d’Ivoire ? Assurément non. C’est encore trop tôt.

La liste est longue des bénéficiaires de cette guerre et de ceux qui ont intérêt à ne pas voir cette guerre finir si vite. C’est une question d’intérêt de groupes et non de population. Et comme ceux qui décident d’arrêter ou de continuer sont ceux à qui profite cette guerre, alors le peuple ivoirien attendra encore longtemps avant de voir le bout du tunnel. Car la guerre en Côte d’Ivoire est loin d’avoir commencé encore moins de finir. Il ne fallait pas commencer tout simplement.

Pour qu’elle finisse, il faut une solution radicale que je n’ose pas proposer dans ces lignes. Tout le reste n’est que tricherie et Charles Konan Banny sait et savait depuis le jour de sa nomination, qu’il échouerait. Mais son intérêt c’est qu’il entre dans l’histoire de l’Afrique économique et politique pour avoir au moins essayé de réunir ses frères ennemis ivoiriens. Il s’en ira comme bien d’autres viendront. Ainsi va l’Afrique.

Côte d’Ivoire yaako !

Bakdoul citoyen (bakdoul@yahoo.fr)

Le Pays

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