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La Côte d’Ivoire succombe entre les mains d’un régime de pollueurs

Publié le lundi 11 septembre 2006 à 07h56min

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Banny, ADO et Gbagbo

II faut être clair et net. La crise politique qui pourrit la vie (plus exactement, la survie) des Ivoiriens incombe aux Ivoiriens. Ce n’est pas par hasard qu’ils se retrouvent avec un pays coupé en deux depuis bientôt quatre ans et des milliers de soldats étrangers qui occupent leur territoire national.

Pire encore : leur totale incapacité à trouver une solution à leurs problèmes. La Côte d’Ivoire a sans doute été, au sud du Sahara, le pays le plus capitaliste-impérialiste qui soit en s’adonnant, sous la colonisation française puis au temps de l’indépendance, à l’exploitation forcenée de la main-d’oeuvre étrangère (sans compter qu’il a largement organisé, à son profit, la "fuite des cerveaux" des pays de la sous-région).

Un capitalisme confinant à l’impérialisme mais qui était géré, cependant, par un appareil bureaucratique qui n’avait rien à envier au soviétisme (y compris dans l’organisation de procès politiques truqués). Même ramené à sa version "tropicalisée", ce double atavisme n’a pas été sans faire des dégâts irréversibles dans le mode de production politique de la Côte d’Ivoire contemporaine. C’est dans ce cadre que la classe politique ivoirienne a été formatée. Qu’il s’agisse de celle qui est aujourd’hui au pouvoir comme de celle qui est, désormais, dans l’oppositon. En Côte d’Ivoire, d’où qu’ils viennent, les "en haut d’en haut" ont toujours le même comportement : le pillage du pays à leur profit personnel.

Quand on regarde l’évolution récente de ce pays, tellement persuadé qu’il est supérieur à tous les autres, il y a de quoi rire. Une opposition (sic) qui ne cesse d’annoncer la faillite du régime en place et qui, dans le même temps, prolonge son mandat au-delà de sa durée légale. Des hommes politiques totalement disqualifiés, costumés et cravatés, mais incapables d’assumer leurs engagements. Une administration pas plus rigoureuse sous Gbagbo qu’elle ne l’était sous Houphouët (je ne parle même pas de Bédié).

Quand les leaders ivoiriens se réunissaient, autrefois, dans la salle des congrès de l’Ivoire, les Ivoiriens haussaient les épaules : ils n’étaient pas conviés au "bal des voleurs". Désormais, ils participent au "bal des baisés". Quel écrivain a, voici quelques mois, quelques années déjà, qualifié ainsi la vie quotidienne de la Côte d’Ivoire ? j’ai évoqué son nom à l’occasion ; je l’ai oublié. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Les Ivoiriens et les Ivoiriennes sont "baisés " par leur classe politique - ou ce qui en tient lieu !

La population ivoirienne subissait jusqu’à présent la pollution au quotidien d’une classe politique particulièrement toxique ; désormais, ils crèvent d’une autre pollution : Abidjan est devenue le Tchernobyl des tocards. Là encore, ce n’est pas un hasard.

Il y a quelques semaines, dans un magazine panafricain (qui avait connu son heure de gloire dans les années 1980-1990) mais qui n’est plus qu’une ombre, une soixantaine de pages étaient publiées à la gloire de Marcel Gossio, directeur général du Port autonome d’Abidjan (PAA). Il en était le patron depuis le 15 novembre 2000. Dans le dossier évoqué, il était écrit qu’il faisait "tous les jours le même rêve : voir le Port autonome d’Abidjan renouer avec son faste d’autant". Le rêve est devenu cauchemar. Gossio vient d’être suspendu de ses fonctions. A la suite de la monstrueuse pollution provoquée par le déchargement, dans plusieurs quartiers de la capitale ivoirienne de produits hautement toxiques. Et mortels.

Gossio, c’est un des patrons du Tchernobyl des tocards ! Avant d’être patron du port, Gossio n’était pas grand chose. A 26 ans, il avait décroché un diplôme d’études économiques et juridiques du Conservatoire des arts et métiers de Paris ; il va vivre la vie d’un employé de banque, sous-directeur, pendant onze ans, à la Compagnie ivoirienne de financement immobilier (CIFIM), filiale du Crédit de Côte d’Ivoire.

Quelques semaines après le coup de force du 24 novembre 1999 qui a balayé le régime Bédié, il se retrouve directeur du Centre régional des oeuvres universitaires d’Abidjan (le CROUA, l’équivalent du CROUS français). C’est un pas en avant dans le sillage des "sociale-universitaires" ivoiriens qui, après avoir accédé au pouvoir, vont lui confier, le 15 novembre 2000, la direction générale du PAA. Il n’a aucune expérience du secteur ; mais ce n’est pas grave, la compétence n’a jamais été un critère d’excellence en Côte d’Ivoire.

D’ailleurs, Gossio revendique quantité de prix (de ceux que l’on obtient, généralement, dit la rumeur, en échange d’une contribution financière) : International World Quality Commitment, prix Euromarket Award, "Meilleur gestionnaire des sociétés d’Etat" (prix remis par la première dame, Simone Gbagbo), médaille d’or pour l’excellence dans la pratique des affaires, diplôme d’honneur du Conseil des entreprises européennes pour l’Afrique, prix Phénix-Ci de l’exemple national, etc. Normal qu’il soit récompensé, Gossio est un bosseur : "Ce rythme de travail que m’imposent mes responsabilités, dit-il, donne quelques soucis à mon entourage qui s’inquiète pour ma santé".

Gossio n’est qu’un rouage du système Gbagbo dont personne ne peut nier qu’il soit clientéliste. pour ne pas dire tribaliste. Quand Gbagbo a conquis le pouvoir, il a fait avec les moyens du bord ; autrement dit avec pas grand chose. Une poignée d’universitaires, de syndicalistes, des militants socialistes. Parmi eux, beaucoup étaient des hommes et des femmes sincères ; ceux qui l’ont pu ont d’ailleurs quitté le bateau depuis longtemps ; Gbagbo ne manque pas d’ex-amis dans les rangs de l’opposition.

Gossio, comme beaucoup d’autres, s’est retrouvé avec un job dont il ne connaissait rien. "Je suis de nature, un homme de challenge, donc prêt à servir à tous les niveaux et partout où le devoir m’appelle. Je n ’ai donc ni préférence particulière ni a priori, dès lors qu’il s’agit d’apporter ma modeste contribution au développement de mon pays et à l’intégration économique sous-régionale". OK. Nous en sommes tous là. Sauf que les pôles portuaires, plus encore quand un pays est en quasi état de guerre civile, sont les pôles de toutes les tentations.

La "modeste contribution" de Gossio lui a cependant permis, selon certains documents circulant à Abidjan, de se constituer une petite fortune qui prospère de comptes en comptes, de la Belgolaise à Bruxelles et à Paris jusqu’à la BMCE Bank au Maroc en passant par la Société Générale et la Banque Banorabe à Paris. Une "modeste contribution" qui lui a permis d’acquérir, ici et là, dès 2001, au lendemain de sa nomination au PAA, quelques appartements.

La Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny se portait plutôt bien ; la corruption et la prévarication aussi. Dans le contexte florissant de l’époque, cela (disait-on quand on en profitait) ne portait pas à conséquence : c’était la règle du jeu politique, là comme ailleurs. La Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo se porte plutôt mal ; mais la corruption et la prévarication ont trouvé, dans une "économie de guerre" d’autres raisons de prospérer.

Ayant mis son nez là où il ne le fallait pas, Guy-André Kieffer a été rayé de la carte... des journalistes. L’affaire du Probo Koala n’est pas qu’une affaire de pollution de grande ampleur (il y aurait neuf sites concernés dont trois décharges publiques) ; c’est une affaire de corruption (le contrat aurait rapporté, selon les sources, entre 6 et 20 millions d’euros). Bien organisée (c’est dans la nuit du samedi 19 au dimanche 20 août 2006 que l’opération, portant sur 400 tonnes - ce qui met la tonne d’hydrogène sulfuré à, en hypothèse basse, 15.000 euros la tonne ! - aurait été menée). Hors effets induits (trois morts à l’heure actuelle et plus de 1.500 personnes "polluées") qui n’ont pas été pris en compte par ses promoteurs.

Par contre, les effets politiques ont été, aussitôt, bien assimilés par le pouvoir qui a vite perçu l’intérêt qu’il pouvait tirer de cette affaire. Qui ne trouve son premier épilogue (la démission du gouvernement) que plus de quinze jours plus tard. Un hasard ?

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique


La Côte d’Ivoire succombe entre les mains d’un régime de pollueurs tandis que sa classe politique passe son temps
à ménager les susceptibilités des uns et des autres (2/2)

Dans la nuit du 19 au 20 août 2006, la société ivoirienne de gestion de déchets Tommy (ou TOMY) va répandre 400 tonnes d’hydrogène sulfuré (H2S), un gaz mortel à très fortes concentrations, dans neuf sites de la capitale ivoirienne, Abidjan. Travail de nuit ; plus encore pendant un week-end.

Alors que partout dans le monde occidental (et en Côte d’Ivoire) c’est la semaine la plus calme de la planète, au coeur de l’été, au coeur du mois d’août : la semaine du 15 août ! Qui peut penser que cette opération d’envergure (400 tonnes, cela nécessite la noria de quelques camions-bennes !) a été menée sans le feu vert sinon des autorités ivoiriennes au moins de quelques pontes du régime qui savent pouvoir agir dans l’impunité.

Mais ce qui n’était alors qu’une affaire de corruption (on évoque un contrat de 6 à 20 millions d’euros pour lequel il y a eu, nécessairement, des "arrangements financiers") va se révéler être une affaire de pollution de grande ampleur : les premiers morts ; les premiers milliers de contaminés. Il n’est plus possible, dès lors, d’étouffer l’affaire. Il est possible, par contre, de lui donner une autre ampleur : politique. Le contexte s’y prête.

Lundi 28 août 2006. Hôtel Ivoire. Le pasteur Ernest Tomo, ministre d’Etat gabonais et directeur de cabinet adjoint de Omar Bongo Ondimba, tient une conférence de presse relative à un message divin concernant la Côte d’Ivoire : il ne faut pas toucher à Laurent Gbagbo ! (cf. LDD Gabon 051/Mercredi 30 août 2006).

Mardi 29 août 2006, Bongo Ondimba sort de l’Elysée également porteur d’un message concernant la Côte d’Ivoire : il propose une cohabitation, pendant deux ans, entre Gbagbo et les leaders de l’opposition (cf. LDD Gabon 052/Jeudi 31 août 2006).

Une semaine plus tard, le mardi 5 septembre 2006, après avoir été reportée de vingt-quatre heures (Guillaume Soro, qui devait participer à la réunion, était encore à Paris où il avait des entretiens avec Bongo Ondimba, et devait transiter par Ouagadougou), Charles Konan Banny, premier ministre de Côte d’Ivoire, réunit à Yamoussoukro tous les acteurs de la crise ivoirienne : le "Club des Quatre" : Gbagbo, Henri Konan Bédié, Alassane D. Ouattara et Soro. Un huis clos devait être organisé de 10 heures à 17 heures ! De cette réunion, il ne ressortira rien. Si ce n’est que la "susceptibilité des uns et des autres a été ménagée".

La réunion de Yamoussoukro s’achève alors que quelques échéances internationales sont déjà fixées : le vendredi 8 septembre 2006 doit se tenir à Abidjan la réunion mensuelle du GTI ; le mercredi 20 septembre 2006, aux Nations unies, une réunion sera consacrée, une fois encore, à la situation ivoirienne ; le mardi 17 octobre 2006 (deux semaines exactement avant la date fatidique du mardi 31 octobre 2006), le Conseil de sécurité doit voter une nouvelle résolution sur la Côte d’Ivoire. Dans le même temps, on annonce que "La situation est très grave " ; des échéances internationales engagent le devenir du pays. Et le Premier ministre décide, unilatéralement, de présenter au chef de l’Etat la démission de son gouvernement. Sans en discuter avec les ministres et les leaders de l’opposition (partie prenante de ce gouvernement).

C’est un coup de force politique. Et un pied de nez à la communauté internationale. "En effet - et je reprends là mot pour mot les termes du communiqué du G7 publié le jeudi 7 septembre 2006 - c’est conformément à la Résolution 1633/2005 que Monsieur Charles Konan Banny a été nommé Premier Ministre de Consensus du Gouvernement de Transition le 4 Décembre 2005, et ce jusqu’au 31 Octobre 2006, sous la signature de Son Excellence Monsieur Oluségun Obasanjo, Président en exercice de l’Union Africaine, Son Excellence Thabo MBéki Médiateur de l’Union Africaine et Son Excellence Monsieur Mamadou Tandja Président de la CEDEAO.

En conséquence, le G7 fidèle à ses engagements pris dans le cadre de la Résolution 1633/2005, ne se sent pas concerné par la démission du Gouvernement de Transition entre les mains de Monsieur Laurent Gbagbo qui consacre la mort de ladite Résolution. Le G7 condamne cette volonté du Chef de l’Etat et du Premier Ministre d’exploiter de façon cynique le drame et les souffrances des ivoiriens pour régler des problèmes politiques. Le G7 affirme qu ’il ne participera à quelque gouvernement que ce soit, qui serait formé par un Premier Ministre nommé en dehors de la Résolution 1633/2005 et de tout consensus ". Tout est dit.

Une fois encore Gbagbo garde l’initiative du mouvement et brouille les cartes à la veille d’échéances majeures. Et l’opposition, une fois encore, ne fait que subir. Il y a moins d’une dizaine de jours, Bongo Ondimba, dans ses propositions, mettait Konan Banny hors circuit. Aujourd’hui, Konan Banny fait allégeance à Gbagbo - qui l’a reconduit au poste de premier ministre et lui a confié la formation du gouvernement - et c’est l’opposition qui se retrouve hors circuit.

Konan Banny pense jouer un jeu politique subtil ; je ne lui souhaite pas de se réveiller de son habituelle hébétude avant que le rouleau compresseur des séides de Gbagbo lui soit passé sur le corps : cela lui ferait trop mal ! Entre les mains de Gbagbo, Konan Banny ne sera que ce qu’il a toujours été : une marionnette. N’en déplaise à tous ceux qui ont misé sur lui. A commencer par la France.

Dans Le Figaro du vendredi 8 septembre 2006, Brigitte Girardin, ministre déléguée à la Coopération, déclarait (avant son départ pour Accra et Abidjan et donc avant d’être informée de l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire) : "Le premier ministre, Charles Konan Banny, est apparu comme celui qui a su remettre autour d’une table les responsables ivoiriens qui ne se parlaient plus". Ce n’était, effectivement, qu’une apparition.

On ne reviendra pas à la case précédente. Gbagbo le sait. Tous ceux qui ont affirmé que Konan Banny était parvenu "à pousser Gbagbo à la faute" (cf. LDD Côte d’Ivoire 0187 et 0188/Mercredi 2 et Jeudi 3 août 2006) se sont plantés. Cela fait un certain temps déjà que le torchon brûle entre le Premier ministre, accusé dé jouer le jeu de Gbagbo, et le G7. La rupture est sans doute définitive. La réunion de Yamoussoukro, voici quelques jours, n’a rien changé à l’affaire. On ne reviendra pas à la case précédente ; on revient à la case départ.

Il y a quelques jours, tout le monde se posait la question de savoir ce que signifiait la proposition de Bongo Ondimba ; était-ce une proposition soutenue par l’Elysée ? La question est dépassée. Avec le président Abdoulaye Wade, nous nous la sommes posée également. Lors de notre dernier entretien en tête-à-tête, à Paris, le samedi 2 septembre 2006, évoquant cette incapacité des Ivoiriens à sortir de la crise dans laquelle ils ont plongé leur pays, nous convenions d’une responsabilité collective.

Mais Wade ne veut plus entendre parler de ce dossier. Il y a beaucoup de Sénégalais en Côte d’Ivoire. Et, lui, n’est pas dupe des actions que Gbagbo est capable de mener à bien. Wade a été un des premiers médiateurs dans cette affaire (il présidait la CEDEAO et avait réuni à Dakar, à la mi-décembre 2002. un "sommet d’urgence". Il prônait un traitement à chaud : suspension des activités politiques et partisanes et mise en place d’une équipe technique pour remettre à plat la gestion économico-sociale du pays. Il faudra bien, effectivement, où laisser la Côte d’Ivoire se soumettre au plus fort, ou démettre une classe politique discréditée.

Des sanctions seraient prononcées à l’encontre de personnalités ivoiriennes proches du pouvoir. Nous en sommes là quand le mercredi 6 septembre 2006 au soir (au lendemain de la réunion de Yamoussoukro), Konan Banny annonce subitement la démission de son gouvernement à la suite de "l’affaire Tommy". "La situation est très grave, déclare le Premier ministre. C ’est pourquoi je vous présente la démission du gouvernement". Qui peut penser qu’il n’y a pas instrumentalisation ?

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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