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Etre beau avec son casque... sans contrainte

Publié le jeudi 7 septembre 2006 à 07h32min

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Le sujet qui est sur toutes lèvres depuis vendredi 1er septembre dernier, c’est bien sûr le port obligatoire du casque. La mesure a tourné court, on le sait, mais les réactions et les commentaires sur la question, hautement sensible, se poursuivent. A travers une analyse qui ne manque pas d’objectivité, un confrère, pour qui la responsabilité de la mesure est partagée, fait des propositions pour le futur.

La décision de rendre obligatoire le port du casque est en train de faire des vagues et pourtant, c’est bien normal. Le problème se trouve peut-être ailleurs, sinon pensez-vous que les Burkinabè ne soient pas conscients de l’intérêt de porter un casque pour des raisons de survie face aux nombreux accidents de la circulation ?

Sur cette importante question qui nous interpelle tous et qui a même entraîné des réactions (pour ne pas dire un début d’émeute), je voudrais apporter ma modeste contribution en tant que journaliste et communicateur.

Sur le plan de l’analyse, je pense que le péché se trouve dans l’absence d’une stratégie globale bien agencée. Cette stratégie peut être classée dans ce concept relativement nouveau qu’est la PROMOTION DE LA SANTE, qui fait difficilement ses premiers pas en Afrique.

La question est simple : peut-on vouloir faire le bien des autres sans les associer réellement ? La prise de la mesure du port obligatoire du casque suffit-elle pour convaincre de son bien-fondé ? Prenons du recul et référons-nous aux derniers événements dans l’Hexagone.

Le Contrat Première Embauche (CPE) était certainement, aux yeux des autorités françaises, la meilleure des mesures en faveur de l’emploi des jeunes, mais pourtant, on sait ce qui s’est passé : face aux manifestations et réactions négatives de la majorité, le CPE a été rangé dans les tiroirs...

Chat échaudé craignant l’eau froide, les mêmes autorités, sur une autre question, qui avait l’aval de la majorité de la population (interdiction de fumer dans les lieux publics), ont reporté son adoption pour une mise en œuvre, pourtant souhaitée. Voilà pour les exemples, mais revenons au Burkina avec la question du port obligatoire du casque. Je répète que la mesure est bonne en soi. Pourquoi son application a posé problème ?

Le concept de PROMOTION DE LA SANTE est né à Ottawa au Canada en 86. Avec le temps, il a connu beaucoup d’évolution sur sa définition et son contenu. Ce qu’il faut retenir de ce concept, c’est le fait que la Promotion de la santé combine habituellement l’éducation pour la santé (EPS), la communication pour le changement de comportement (CCC), l’Information Education Communication (IEC), la mobilisation sociale, le plaidoyer, le marketing social, la médiation, en réalité, toutes les stratégies existantes en matière de communication avec recours, entre autres, à la réglementation.

Si l’on se réfère aux différentes définitions, on peut noter que la promotion de la santé apparaît comme un processus de médiation permanente entre l’individu, la communauté et leur environnement, opérant la synthèse entre les choix individuels et la responsabilité de la société dans le domaine de la santé ou dans tout autre domaine. Cela nécessite, dans la plupart des cas :

√ une réglementation comprenant des lois à caractère juridique, fiscal, économique ou portant sur l’environnement ;

√ des normes et mesures ;

√ l’élaboration de politiques d’intérêt général en faveur de la santé, etc. La Promotion de la santé consiste en une analyse ou diagnostic préalable de plusieurs domaines ou facteurs d’ordres social, comportemental et environnemental, éducationnel et organisationnel, administratif et politique, sanitaire.

Ces analyses permettent de mieux apprécier la situation sous différentes facettes avant qu’on propose les objectifs à atteindre pour faire adopter un comportement identifié comme souhaité ou favorable ; il s’agit enfin, par l’utilisation du plaidoyer et d’une combinaison d’actions individuelles et sociales menées en direction des décideurs et leaders, à tous les niveaux, de créer les conditions favorables à la mise en œuvre d’une action d’intérêt social donné.

De manière plus concrète au Burkina

Qu’avons-nous fait pendant les deux (02) années avant la mise en application du décret ? Je ne pense pas que la réponse soit une aide à ce niveau. Poursuivons pour voir comment en utilisant la promotion de la santé on serait arrivé à un résultat meilleur. Il ne faut pas voir seulement le port du casque comme une solution aux accidents de la circulation avec comme conséquences les traumatismes et à la suite desquels, malheureusement, beaucoup de vies humaines sont perdues.

Voici quelques éléments de réflexion pour intégrer la question du port du casque dans une politique de sécurité routière où on retrouverait le port obligatoire du casque. Les normes, les mesures et la réglementation, c’est bien, mais la politique, c’est mieux et plus complet pour rendre les résultats durables et engager les uns et les autres.

Pour les deux roues : 1. Pour assurer la sécurité routière, il aurait été plus judicieux de commencer par amener les détenteurs d’engins à deux roues à connaître le code de la route avant de leur accorder l’autorisation de circuler. Le délai avant la mise en application du décret pouvait être mis à profit pour cela. Quand un pays compte autant de deux roues, le bon sens voudrait qu’on se penche sur la question du permis de conduire pour ce type d’engins.

2. L’âge pour conduire les différents types d’engins doit être précisé pour aller de paire avec le type de permis. La question du port d’un casque pourrait déjà apparaître comme une obligation en même temps que l’obtention du permis deux roues.

3. Le contrôle de qualité au niveau des engins nécessite également un certain regard. Quelle vitesse est admise au niveau du compteur ? Quel type de cylindrée ? Peut-on utiliser des véhicules de formule I (qui font plus de 300 km/h sur la chaussée en agglomération) ? Le cas des motos actuelles, pour ne pas citer de marques, pose énormément de problèmes : ces engins vont souvent à une allure de plus de 90 km/h.

4. L’homologation et la subvention des casques. Il y a de bons et de mauvais casques sur le marché. Une structure de contrôle pourrait donner son visa avant toute vente de caque. Par ces temps de crise économique où tout augmente, il aurait été bon de subventionner les casques pour faciliter la mise en œuvre de la mesure rendant leur port obligatoire ou de la politique de sécurité routière. Le partenariat élargi peut aider à subventionner (assurances...).

5. L’intégration effective du coût du casque dans le prix d’achat des engins et la surveillance de l’application de la mesure. Le texte le dit, mais en réalité, la pratique n’est pas courante, les engins et les casques étant vendus séparément.

Pour les automobiles :

1. Le contrôle de l’obtention du permis de conduire. Selon certaines informations, de nombreux permis de conduire, acquis sans que leurs détenteurs aient forcément passé un seul jour dans une auto-école, sont légion. D’où de nombreux accidents et le non-respect des règles minimales de la circulation dans nos grandes villes. N’allons pas plus loin sur ce dossier.

2. Le port de la ceinture de sécurité. Voilà un objet utile qui finit par se rouiller dans la plupart des véhicules automobiles. Une mesure réglementaire y relative serait bien à propos.

3. Le respect de la limitation de vitesse en ville, à l’entrée des villes et en dehors. A force de ne pas respecter la limitation de vitesse, on finit par ne plus savoir qu’elle existe et qu’il est nécessaire de s’y conformer pour une raison de sécurité routière.

4. L’utilisation du téléphone portable au volant (la mesure existe, mais est non appliquée à cause des intouchables, semble-t-iI). Qui s’en préoccupe vraiment ?

La responsabilité des autorités

Dans cette actualité relative au port obligatoire du casque, les autorités ont tenté de jouer leur rôle même si la pilule a du mal à passer. Il est vrai que le rôle premier des pouvoirs publics se situe à plusieurs niveaux.

D’abord, il faut concevoir une politique bien pensée, qui prenne en compte tous les tenants et les aboutissants du problème et, également, qui associe les différents acteurs. Comme je l’ai dit plus haut, on ne peut pas faire le bonheur de quelqu’un malgré lui, il faut qu’il y soit consentant.

Il y a aussi le soutien aux associations qui œuvrent dans le domaine de la promotion des bons comportements en matière de sécurité routière et aux services publics du domaine. Qu’est-il fait à leur endroit ? De quel type de budget disposent-ils ? Ils n’ont presque rien. Les services publics et les rares associations « se cherchent » tout simplement.

Leur travail remarquable ne bénéficie même pas de l’appui moral des citadins, qui ne comprennent pas l’utilité de leur action. Félicitations à tous ces jeunes volontaires, à leurs promoteurs et aux rares personnes qui les soutiennent dans l’anonymat.

L’Etat a pour obligation de soutenir les services de santé dans ce domaine de même que les sapeurs-pompiers, qui sont les deux branches d’appui à la politique de sécurité routière. Nos sapeurs-pompiers ont-ils les moyens de gérer autant de situations... le nombre d’accidents de la circulation au quotidien et leurs conséquences ?

Nos structures de santé et hôpitaux sont-ils bien dotés en matière de personnel et de plateaux techniques ? De combien d’urgentistes et de traumatologues dispose-t-on dans un pays avec autant d’engins à deux roues ? A ma connaissance, peut-être 01 ou 02 maximum. Qu’est-ce qui est fait en matière de formation ?

Comme on le voit, la responsabilité des autorités est énorme et elle fait appel à une action multisectorielle. La sécurité routière ne doit pas être perçue comme l’affaire du seul ministère des Transports. Les acteurs sont nombreux et le concours de tout un chacun est attendu pour penser la politique et la mettre en œuvre en lui imprimant un rythme bien approprié. Il faut tenir également compte, lors de la planification, des événements sociaux importants comme la rentrée.

La responsabilité des parents et du citoyen

Le drame dans nos pays, c’est qu’on pense et est même sûr que toute la responsabilité incombe à ceux qui dirigent. La faute, c’est toujours celle des autres quand on ne simplifie pas en disant que « c’est la volonté de DIEU... ». Lorsqu’un enfant ne réussit pas à l’école, on accuse les éducateurs et l’enfant. Et les parents, quelle part de responsabilité ont-ils dans cet échec ? Lorsqu’on perd un parent dans un accident de la circulation...

Revenons à notre préoccupation. Pourquoi les autorités obligeraient-elles les détenteurs d’engins à deux roues à porter le casque ? En réalité, il faut se demander qui a intérêt à porter le casque, l’usager qui court le risque ou l’autorité qui prend la mesure ? Pas besoin de réponse.

Cette question permet de mettre en évidence la responsabilité du citoyen et des parents de manière globale. Prenons des exemples simples, mais révélateurs : un parent qui achète un engin de plus de 50 CC à un de ses enfants.

Qui à intérêt à inciter l’enfant à porter régulièrement un casque pour éviter les drames que nous connaissons ? Evidemment, les parents, ici, ont le rôle essentiel de veiller et de surveiller leur progéniture, même sans cette mesure nécessaire mais mal acceptée du port obligatoire du casque. Comme on le voit aisément, les parents ont très peu joué leur rôle pour venir en appui aux autorités.

La responsabilité des médias

Où étaient les hommes et femmes de médias depuis les deux dernières années ? Ont-ils joué leur rôle de service public pour accompagner la mesure ? Ont-ils intégré la dimension communication de cette mesure pour en faire leur affaire ? L’ont-ils tout simplement confondue avec toutes ces décisions administratives qui n’ont pas les mêmes besoins d’appui pour être bien accueillies au moment de leur application ?

Autant de questions qui devraient interpeller les journalistes au sein des rédactions. Demandez, autour de vous, qui a regardé une émission au petit écran, où l’on essayait de faire la promotion du port du casque pour ses avantages reconnus. A mon avis, les médias ont été absents, comme sur beaucoup d’autres questions d’intérêt public, absorbés qu’ils sont par la couverture d’éléments « d’actualité », souvent sans enjeux, comme les ateliers et séminaires.

Les journalistes auraient pu jouer un rôle essentiel et décisif pour amener l’adhésion d’une partie importante des citadins ; dommage ! Au-delà du fait qu’ils auraient pu s’autosaisir du sujet, ont-ils été contactés par les promoteurs de la décision ? cela pourrait contribuer à les disculper en partie.

Les corrections à apporter

Si l’on veut que les Burkinabè portent le casque de manière volontaire et raisonnée, voici quelques propositions sur le plan de la communication, à prendre nécessairement en compte.

1. Revisiter la politique de sécurité routière si elle existe, en y intégrant l’approche Promotion de la santé. Sinon l’écrire en y conviant plusieurs spécialistes de domaines divers. Dans ce cas, il faut tout simplement remettre avec courage l’application de la mesure à plus tard.

2. Faire des études ou des recherches pour savoir avec précision la part des décès dus aux accident de la route et le taux de traumatismes crâniens. Cela permettrait de construire un argumentaire solide pour persuader du bien-fondé de la mesure.

3. Utiliser des images fortes en matière d’accidents de la circulation pour amener la prise de conscience à propos du problème.

4. Amener les leaders communautaires et utiliser leur image ou celle de personnes influentes socialement pour obtenir l’adhésion des populations.

5. Amener des personnes ayant perdu des parents des suites d’accidents de la circulation à délivrer des messages de témoignage.

6. Identifier des personnes ou des groupes favorables au port du casque pour servir d’exemples dans un premier temps, pour susciter le port par imitation.

7. Mener une vaste campagne de communication en utilisant différents canaux de communication et les langues nationales pour être sûr que le message sera bien reçu et compris.

Pour conclure...

Il faut reconnaître que le sujet est très sensible. La preuve en est que c’est la seconde fois que les autorités burkinabè essayent de faire passer cette mesure. La dernière fois, c’était dans les années 80. C’est l’échec qui avait sanctionné la tentative de mise en œuvre du port du casque obligatoire.

A-t-on, pour cette fois, procédé aux analyses nécessaires pour tirer avantages des erreurs du passé ? Je ne saurais le dire. Cette fois encore, les choses ne semblent pas aller dans le sens souhaité. Faut-il conclure que les Burkinabè sont réfractaires à toutes les mesures, même celles qui vont dans le sens de sauver des vies ?

Je ne le crois pas. Il nous faut, avec beaucoup de courage et d’abnégation, accepter de revoir ensemble la copie tout en prenant soin d’associer plusieurs acteurs aux profils différents. Il faut également éviter les raccourcis, en refusant d’investir les moyens qu’il faut en matière de communication notamment, en faisant de la communication sans stratégie préalable.

Les réactions également méritent d’être analysées. Partout ailleurs dans le monde, le port du casque et de la ceinture de sécurité est obligatoire. Les pays voisins sont là pour en apporter la preuve. Comment ont-ils fait ? Pas besoin d’aller jusqu’à chercher des experts et des exemples du Nord.

Les arguments du non-port du casque peuvent et doivent être collectés et étudiés pour constituer un argumentaire auquel il faut apporter des réponses appropriées. Le changement de comportement ne se fait pas en un seul jour, qu’on se le dise. Je n’ai, à aucun moment, abordé la question de la répression. Elle est nécessaire, mais seulement en dernier recours.

La combinaison de toutes les stratégies avec intégration de la répression a donné des résultats satisfaisants en Europe et en Amérique du Nord. Le port du casque est une mesure nécessaire pour sauver des vies surtout au Burkina, où règnent les engins à deux roues. C’est peut-être l’approche qu’il faut revoir, pour se donner un autre rendez-après avoir, d’ici là, mis à profit le répit en vue de mieux affiner la stratégie.

Pendant ce temps, encourageons ceux qui l’ont compris à toujours porter leur casque. Gardons à l’esprit que chaque année, la route tue plus d’un million de personnes, dont la majorité dans les pays du Sud...

Un rapport récemment publié conclut même que "Plus on est pauvre, plus le risque est grand" : état précaire du parc automobile et des routes, surcharge..., pas besoin de faire un dessin ; le Sida tue quelque 3,1 millions et la faim environ 6 millions de personnes dans le monde chaque année, mais les prévisions prévoient une augmentation de 66% du taux de décès dus aux accidents de la route.

Se protéger est l’affaire de soi avant d’être celle des autres. Faut-il préserver sa tête, qu’on peut perdre définitivement, ou une coiffure, que l’on peut changer à souhait ? Désolé, mesdames. Que chacun fasse son choix ! A force de combattre la mesure, on ne fait que contribuer à augmenter le nombre de vies perdues sur la route.

Si certains n’ont perçu dans cette mesure que le côté « marché et sous... », ici s’arrête ma petite contribution. Les spécialistes prendront en temps utile le relais et les autorités décideront ce qu’elles pensent juste.

Rodney Leroy (leroyrodney@yahoo.fr)

L’Observateur

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Vos commentaires

  • Le 7 septembre 2006 à 14:03, par Sansan En réponse à : > Etre beau avec son casque... sans contrainte

    Bonjour,
    J’ai lu avec un grand interêt votre article. Je suis tout à fait d’accord avec vous.
    Pour aller court, je dirai simplement, l’Etat doit revoir son approche. Je pense, qu’on aurait dû commencé par instaurer le permis de conduire A1 aux usagers ; ce qui permettra aux uns et aux autres de connaître mieux le code de la route et de la respecter un temps soit peu. Inclure en effet le casque (même 2) comme un accessoire obligatoire à l’achat d’un engin. Parce que, je ne sais pas si on cherche à reduire le nombre d’accident ou le nombre de traumatisme cranien lors des accidents.
    Ce qui est sûre, en reduisant le nombre d’accident de la circulation routière, on reduit forcement le nombre de traumatisme cranien.

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