LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Banditisme : "Une victime devenue coupable"

Publié le mardi 5 septembre 2006 à 07h39min

PARTAGER :                          

Au nombre des éléments du gang démantelé fin août à Niangoloko dans l’Ouest du Burkina figure un jeune du nom de Oumarou Tall présenté comme un ex-rabelle ivoirien (cf "Le Pays" N° 3695 du mardi 29 août 2006). Aujourd’hui, Issaka Hermann Traoré décortique le cas de cet élément en le présentant comme une victime du système social qui est devenue un coupable.

Nous présentons nos condoléances aux familles des différentes victimes des attaques à mains armées perpétrées par Tall Oumarou et autres. Nous nous excusons auprès de ces familles, quant au contenu de notre écrit, qui en plus de la justice qui doit leur être rendue, en appelons également à une analyse de la situation de Tall Oumarou.

L’objet du présent écrit est de relever et analyser certaines informations parues dans la presse suite à l’arrestation de ladite bande. Nous avions cru qu’au-delà de l’aspect scoop, les différents journaux ou d’autres lecteurs ou téléspectateurs reviendraient sur les faits que nous soulèverons dans le présent écrit. La presse, aussi bien audio visuelle qu’écrite, a révélé des informations sur le sieur Tall Oumarou qui mérite qu’on s’ y attarde, analyse, comprendre, situer les responsabilités collectives (la société), individuelles, (sa famille, ses mentors, etc..) , et faire des suggestions .

1. Premier fait : sur l’ardoise de Tall Oumarou décrivant son identité il est écrit : « Tall Oumarou, né en 1981 à Ouahigouya. Pour attaques à mains armées ».

2. Deuxième fait : dans les différents reportages, surtout celui de la RTB, il est dit que Tall Oumarou a déjà purgé une peine de huit (08) ans au camp pénal de Bouaké.

3. Troisoième fait : « ...On dénombre deux Maliens et un ex-rebelle ivoirien du nom de Tall Oumarou, qui s’était réfugié dans les falaises de Toussiana en compagnie de son acolyte. » In L’Observateur paalga du 29 août 2006, p24.

Analyse des faits

Si Tall Oumarou est né en 1981, qu’il a passé huit (08) ans au camp pénal de Bouaké, et enfin s’est engagé chez les rebelles ivoiriens. Faisons un calcul mathématique et des estimations à base du début de la rébellion ivoirienne.

Premier cas : Tall Oumarou s’engage chez les rebelles au tout début de la rébellion en septembre 2002. Ainsi 2002-1981= 21 ans. A ces 21 ans si l’on soustrait 8 ans de prison, il lui reste 13 ans. Dans ce cas de figure, il a été condamné à huit ans au camp pénal de Bouaké quand il avait 13 ans.

Deuxième cas : Tall Oumarou s’engage chez les rebelles en 2003. 2003-1981= 22 ans. En soustrayant 8 ans de ces 22 ans, cela donne 14 ans. Donc dans cette hypothèse il a été condamné à huit ans de prison, quand il avait 14 ans.

Troisième cas : Tall Oumarou s’engage chez les rebelles en 2004. 2004-1981= 23 ans, 8 ans soustrait de 23 ans, nous obtenons 15 ans. Ici l’hypothèse révèle qu’il a été condamné à huit ans de prison quand il avait 15 ans.

Quatrième cas : Tall Oumarou s’engage chez les rebelles en 2005 à l’âge de 24 ans, si on soustrait 8 ans de 24 ans, cela donne 16 ans. Ce qui signifie qu’il a été jeté en prison pour 8 ans quand il avait 16 ans.

Cinquième et dernier cas : Tall Oumarou s’engage en 2006 chez les rebelles à 25 ans. En sosutrayant 8 ans de 25 ans, il a 17 ans. Dans cette dernière hypothèse il a été condamné à 8 ans de prison quand il avait 17 ans.

Jeté en pâtrue à des grands criminels

Dans toutes les hypothèses évoquées ci-dessus, il a été condamné à 8 ans de prison alors qu’il était mineur. Dans un camp pénal et non un centre de détention pour mineur ayant la possibilité de faciliter sa réinsertion. Certains lecteurs se demanderont pourquoi tous ces calculs. Simplement parce qu’à l’analyse des 5 cas de figure, il ressort que Tall Oumarou a été jeté en pâture à des grands criminels au camp pénal de Bouaké, alors qu’il n’avait même pas encore 18 ans.

Mieux la probabilité de son engagement chez les rebelles ivoiriens en 2005 et 2006 est très faible. Les hypothèses les plus fiables sont celles de 2002, 2003, et 2004 comme année d’engagement chez les rebelles. Dans lesquels cas il aurait été emprisonné à Bouaké dès l’âge de 13 ans, 14 ans ou 15 ans. Soit en 1994, 1995 ou 1996.

Question 1 : quel crime avait il commis en son temps, quel était son degré de responsabilité (en tant que mineur) pour qu’il mérite une peine de 8 ans de prison malgré son âge ?

Question 2 : est-ce que le camp pénal de Bouaké était un lieu indiqué pour un mineur de son âge ?

Question 3 : durant ces 8 ans de détention qu’est-ce que Tall Oumarou a eu comme opportunité pour se remettre sur le droit chemin ? Où a-t-il tout simplement été admis à une université de grands banditisme pour se perfectionner ?

Question 4 : Comment Tall Oumarou s’est-il retrouvé engagé chez les rebelles. Est-ce avec la grande pagaille qui a suivi le début de la rébellion à Bouaké, fuite des forces loyalistes, ayant peut-être entraîné aussi celle des gardes pénitenciers. Ce qui par ricochet aurait pu favorisé l’évasion de prisonniers ? Où est-ce lié aux largesses des rebelles qui ont favorisé l’ouverture des portes de la prison, histoire de se faire une popularité (populisme plûtot), et d’y recruter des prêts à tirer sur tout ce qui bouge, ce qui est probablement le cas de Tall Oumarou.

Question 5 : depuis quand, comment, et pourquoi Tall Oumarou s’est retrouvé dans la région de Bouaké ou sur le territoire ivoirien aussi mineur, au lieu de rester dans Ouahigouya natal ?

Une justice impitoyable

Au regard de tout ceci, il est clair que la justice entre 1994 et 1996 a eu la main trop lourde contre Tall Oumarou. Si l’on considère que c’est à cette période probablement qu’il a été condamné à 8 ans de prison. Il était non seulement mineur, mais aussi la prison de Bouaké est une espèce d’Alcatraz. Un lieu de détention de tout sauf des saints, il nous est revenu que certains grands bandits d’Abidjan y sont transférés à cause des conditions sévères et rigoureuses de détention. Donc tout mineur qu’il était on l’a mis en détention avec la vraie racaille, et ces derniers ont fait le reste. C’est-à-dire qu’ils ont formé Tall Oumarou au métier de grand banditisme. La faute ici incombe au système social à travers la justice et le système carcéral. Et finalement aujourd’hui c’est la société (burkinabè, ivoirienne et malienne) qui en fait les frais dans la mesure où Tall Oumarou attaque et tue dans les trois pays sans pitié.

Où sont les parents de Tall Oumarou ?

Qui sont les parents de Tall Oumarou, Où sont ils aujourd’hui et pourquoi l’avoir laissé très mineur dans la nature au point qu’il se retrouve entre 0 et 13 ans en territoire ivoirien loin de son Ouahigouya natal ? A travers les statistiques auxquelles nous avons eu recours souvent aux résultats de certaines études. Il ressort que les causes du phénomène sont entre autres la fracture sociale au sein des familles, la pauvreté qui entraîne la migration et le travail des enfants, et l’école coranique où mal encadrés, certains talibés se retrouvent dans la rue. Et les conséquences entre autres sont la délinquance juvénile (vol, consommation de stupéfiants) sous parrainage de personnes adultes, le travail des enfants et la prostitution plus souvent pour les filles.

Il nous semble que dans le cas de Tall Oumarou s’il n’était pas chez un maître coranique et a dévié dans la rue, il a certainement quitté ses parents pour rechercher du travail en Côte d’Ivoire seul ou sous les bonnes grâces d’un intermédiaire proche de la famille. En tous les cas, le fait qu’il était mineur a permis que des adultes l’utilisent à d’autres fins. Et dans ce genre de situations, le rite de passage avec un code de conduite basé sur l’acceptation et l’intégration aux groupes oblige les mineurs à faire leurs preuves. Faire leurs preuves dans le banditisme, sous entend courage, audace et être sans pitié, et aussi la loi du silence sur les « koros » quand on est arrêté. Et pour montrer leur témérité, les mineurs font généralement pires que leurs formateurs ou coach adultes sous l’effet de la drogue très souvent. (regardez la photo de Tall Oumarou, parmi celles de tous les autres, les images de la RTB sont plus parlantes. C’est un éternel éméché : drogué).

Trois faits majeurs à notre avis ont pu faire basculé la vie de Tall Oumarou :

- primo, il quitte sa famille, mineur pour un autre pays pour une raison que nous ignorons.

- secundo, entre 13 et 15 ans il est condamné à 8 ans de prison. Années durant lesquelles, il était au contact de grands bandits qui l’ont certainement formé. Nous passons sous silence, ou nous n’osons plutôt pas imaginé les sévices qu’il a du subir ;

- tertio, la rébellion de 1992 qui a parachevé la formation théorique du camp pénal de Bouaké, en formation pratique sur le maniement des armes et les techniques de combat et de guerre.

Peut-être que nous nous trompons. Mais au stade actuel, seul un concours de plusieurs spécialistes nous le dira sur la personnalité de Tall Oumarou. Cependant, nous avons la certitude au regard de son background, qu’il a eu toutes les conditions qui l’ont préparé pour être un révolté social, un bandit de grand chemin. Au lieu d’avoir l’itinéraire que chacun de nous souhaite pour son enfant ou ses proches parents.

A note avis, sans être aux USA, en France ou dans n’importe quel autre pays du Nord. Ce cas mérite que les différents spécialistes en matière d’enfance et de jeunesse en difficulté, mettent leurs compétences au service des forces de sécurité. Car le profil de Tall Oumarou aiderait certainement les forces de sécurité à mieux comprendre. Et ferait un grand bien pour toute la société, dans la mesure où cela permettrait d’anticiper dans certaines autres situations.

Si à 25 ans aujourd’hui il est majeur, il n’en demeure pas moins que tout mineur qu’il était, la société ne lui a pas laissé le choix, à commencer par sa famille et un système social défaillant. Nous ne demandons pas qu’on libère Tall Oumarou ou qu’il bénéficie d’un non-lieu. Cependant, il mérite une attention particulière en ce sens qu’il constitue un cas d’éthique social. Les services de sécurité gagneraient à s’attacher la complémentarité de psychologue, psychosociologue et d’assistant social pour mieux comprendre à travers Tall Oumarou, le cas de nombreux enfants qui tombent dans la dérive du fait de la société elle-même. Laquelle société devient par la suite la cible des déchets qu’elle a produite.

Ma proposition peut énerver ou peut faire sourire certaines personnes, seulement au regard de son parcours, nous pensons que la société gagnerait à comprendre, car des cas comme lui il y en a certainement des dizaines voire des centaines qui sont des grands bandits.

Le crime étant devenu transnational et transrégional, la lutte ne doit pas seulement incomber aux forces de sécurité à travers la Police et la gendarmerie. Elle doit devenir holistique et pluridisciplinaire.

Nous remercions surtout les CRS de la région de l’Ouest, qui au lieu de les abattre tous, comme ils auraient pu le faire dans la mesure où il y a eu échange nourris de coups de feu entre ces forces et les bandits. Ils ont préféré les arrêter vivants certainement pour mieux comprendre. Puisqu’en tous les cas un bandit mort est absolument inutile pour les besoins de l’enquête. Il faut le dire haut et fort, les CRS ont mis hors d’état de nuire un gang qui semait la désolation et la tristesse dans la région, c’est à leur honneur et nous leur tirons notre chapeau.

Par contre dans le futur, nous souhaiterions que la presse, passé l’effet scoop de certains cas comme celui là, puisse revenir mieux en analyse. En effet, les faits que nous avons relevés dans cet écrit auraient pu être relevés par tous les journaux et même la RTB qui ont couvert cette arrestation. Pour finir nous souhaiterions qu’il y ait des réponses allant dans le sens du débat constructif au regard du contenu de notre écrit et non des écrits de polémique.

Issaka Herman Traoré

Le Pays

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 5 septembre 2006 à 11:03 En réponse à : > Banditisme : "Pourquoi Tall et pas Saul ?"

    Cher frère,
    vous avez unraisonnement très faux, mais on vous excuse car vous êtes certainement de bonne foi.
    D’abord, pour répondre tout simplement à une des questions qui vous tracasse, il est dit dans la presse que le délinquant Tall Oumarou PURGEAIT une peine de 8 ans d’empisonnement. Il n’était donc pas au bout de sa peine. On ne sait pas si, de cette peine, il en a purgé 1, 2, 5 ou combien d’ans. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il a dû bénéficier des troubles nés de l’éclatement de la rebellion et, en quelqu’un qui devait aimer "ça", il ne s’est pas fait prier pour s’y engager.

    Ensuite, vous accablez la société, pour parvenir à la clonclusion que ce présumé criminel doit être libéré. Même sans passer devant la justice. Je trouve que c’est trop facile d’accuser la société, parce que nous avons vu ici que l’un des plus "vilains" criminels de ces derniers temps est né d’une très bonne famille et passait chaque année des vacances en Europe. Il n’était pas plus vieux que votre protégé "Tall". Pourtant, il s’est révélé à la barre être un tueur dans l’âme et a écopé de la peine capitale. Pendant que nous y sommes, retournez dans votre laboratoire pour nous fabriquer aussi un bouc émissaire à la place de Saul Traoré. Suggestion : vous pouvez même essayer d’établir que c’est moi Somwékré suis en cause.
    Bonne journée.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?