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Le Premier ministre Ernest Paramanga Yonli s’exprime sur le bilan au Burkina Faso de la crise ivoirienne

Publié le mardi 4 novembre 2003 à 16h13min

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Le Premier ministre Ernest Paramanga Yonli s’exprime sur le bilan au Burkina Faso de la crise ivoirienne

Le discours du Premier ministre burkinabè sur la situation de la Nation (un exercice institutionnalisé par la Constitution et qui traduit la préoccupation de transparence des responsables politiques) était attendu avec impatience.

Prononcé devant l’Assemblée nationale, il était le premier de la IIIème législature de la IV ème République. Il était, aussi, l’occasion de dresser le bilan local de la crise ivoirienne.

Yonli n’a pas manqué l’occasion et a fait la part belle aux relations entre Ouagadougou et Abidjan et aux effets de la crise politique ivoirienne. Il a, tout d’abord, rappelé que la préoccupation (il parle, lui, de "devoir ") du Burkina Faso, "face à la crise ivoirienne [...] a été de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les intérêts supérieurs de la Nation ". Cela s’est traduit par l’accueil des "rapatriés". A fin février 2003 (le discours de Yonli a été prononcé le 20 mars 2003), 118.000 personnes ont pu regagner le Burkina Faso notamment dans le cadre de l’opération Bayiri. 10.000 personnes seraient encore en attente à Abidjan et 5.690 "citoyens burkinabè" se trouvent à la frontière Liberia-Guinée.

Par ailleurs, et cela est essentiel, le Premier ministre a présenté un bilan ("provisoire") des dommages subis par ses nationaux du fait de la politique d’ivoirisation et d’exclusion systématisée en Côte d’Ivoire à la suite du soulèvement du 19 septembre 2003. Les chiffres sont éloquents : 42 assassinats de personnes clairement identifiées ; 35 disparitions ; 219 cas de tortures et de traitements inhumains ; 32 cas de violences exercées sur les femmes et les enfants ; 20.000 cas de pillage et de destruction d’habitations ; 1.370 cas de spoliation de biens.

Au-delà du bilan humain, Yonli a mis l’accent sur le bilan politique. Il a stigmatisé "la volonté délibérée d’entraîner notre pays dans le conflit ivoirien" qui s’est traduite, notamment, par la destruction des bureaux consulaires burkinabè de Bouaké, de Soubré et d’Abidjan. Il a, surtout, présenté le point de vue du gouvernement sur l’évolution de la crise ivoirienne. Il n’a pas manqué de souligner que "six mois après le début de cette crise, la situation reste préoccupante parce que l’exacerbation des tensions, les atermoiements des uns et des autres et la fuite en avant [c’est moi qui souligne], éloignent toujours les hommes et étouffent la confiance ".

Cette analyse n’épargne personne. Ni le pouvoir qui" exacerbe les tensions" et pratique "la fuite en avant", ni les oppositions politiques qui pratiquent, à l’instar du pouvoir, "les atermoiements ". Plus que le bilan, ce sont aussi les perspectives qui ont été dégagées par le Premier ministre. Il appelle à "l’application stricte de l’accord de Marcoussis". Il souligne que la résolution 1464 de l’Onu, qui "endosse" cet accord, est "l’occasion unique de donner une perspective à l’ensemble du peuple ivoirien", ajoutant (et c’est essentiel) : "C’est une situation nouvelle qui s’est créée à Marcoussis. Il faut qu’elle soit porteuse d’avenir et d’espoir ".

Que reste-t-il de cet espoir ? Marcoussis et Kléber semblent loin. La rencontre d’Accra à l’initiative du chef de l’Etat ghanéen a pris le relais. Mais le Premier ministre n’entend pas être naïf ; ni dupe. "Si les faits antérieurs ne nous invitaient pas à la prudence et à la réserve, nous aurions exprimé tous les espoirs quant aux conclusions de la réunion d’Accra ", commente-t-il. Il ajoute : "On ne commence pas la négociation d’un accord après que celui-ci ait été signé ".

Mais le Premier ministre du Burkina Faso n’entend pas limiter son commentaire sur la crise ivoirienne au seul constat des "effets collatéraux". Il n’hésite pas à prendre fait et cause pour le mouvement qui a été initié par nombre d’Ivoiriens contre la politique d’ivoirité. "L’occasion me semble appropriée, souligne-t-il, pour réaffirmer notre admiration et notre respect pour le courageux peuple ivoirien qui, malgré l’instrumentalisation de la xénophobie, a continué à cultiver des rapports d’amitié et de fraternité avec les autres communautés, dont la communauté d’origine burkinabè.

C’est grâce à cette solidarité naturelle, que les ravages de l’ivoirité ont été quelque peu contenus, au grand dam de ses thuriféraires" (c’est moi qui souligne). Et à destination des autorités d’Abidjan, il fixe les limites à ne pas dépasser affirmant "la détermination sans failles du gouvernement à défendre ici et partout ailleurs [C’est moi qui souligne] les intérêts du Burkina Faso et de son peuple".

Ce texte est essentiel dans le contexte actuel. La crise ivoirienne a des implications graves pour le Burkina Faso. Des implications humaines, politiques et économiques. Qui ont un coût social et un coût financier : la première phase de l’opération Bayiri a coûté, selon Yonli, 435.299.150 francs CFA et il faut y ajouter les dépenses engagées pour la sécurisation des frontières.

Jusqu’alors, la pression étant maximale sur le pays, l’opposition a adopté un profil bas qui ne durera pas. Le Groupe du 14 février, qui regroupe 9 partis de l’opposition (le G 1 4 compte 16 députés depuis les législatives du 5 mai 2002), n’a pas manqué, le 14 février 2003, à l’occasion de son cinquième anniversaire, de souligner que "la crise ivoirienne ne saurait servir de prétexte à quelques manipulateurs sans imagination pour imposer à tous la pensée unique au service d’intérêts inavouables, ni être l’occasion d’une pré-campagne présidentielle qui ne veut pas dire son nom".

La presse, de son côté, a adopté une remarquable ligne de conduite (qui tranche avec les débordements de la presse ivoirienne) à laquelle le Premier ministre a rendu hommage : "La presse burkinabè, a-t-il précisé, a su faire montre en ces temps de dérives, d’une formidable vertu de tolérance et de modération et d’un traitement équilibré de l’information, dans le respect des principes de l’éthique et de la déontologie de la profession".

Mais, alors que la conjoncture économique souffre de la crise ivoirienne (et du coût élevé du prix des produits pétroliers) et que cette crise perdure (elle vient de dépasser le cap des six mois), il est bien évident que la trève politique et sociale respectée par tous les acteurs burkinabè ne durera pas. Même s’il demeure bien plus élevé que dans bien d’autres pays africains, le taux de croissance de l’économie n’a pas dépassé, en 2002, 4,6 %. C’est moins qu’en 2001 (5,6 %). C’est moins, aussi, que la croissance moyenne sur la période 1998-2002 (5,1 %).

Encore faut-il souligner que la croissance 2002 résulte, essentiellement, de la croissance du secteur secondaire et notamment du BTP : + 17,8 % contre + 5,7 % en 2001. C’est une croissance aléatoire et conjoncturelle, soutenue notamment par les grands projets financés par la Libye et la Chine. Elle est ponctuelle. J’aurai l’occasion, d’ailleurs, prochainement, de revenir sur la situation économique et financière du Burkina Faso.

La pression économique va accroître la pression sociale. Et cette pression sociale va vite se transformer en pression politique. Et, du même coup, diplomatique. Il y a au moins 3 millions de Burkinabè qui vivent et travaillent en Côte d’Ivoire. Ils ne pèsent pas sur le budget burkinabè ; bien au contraire, leurs transferts financiers sont indispensables à la survie de leurs familles restées au Burkina Faso.

La partition du pays et l’effondrement de l’économie ivoirienne ruinent la situation des Burkinabè de Côte d’Ivoire qu’ils soient employés dans les plantations, dans le commerce ou dans les transports. La victoire de Gbagbo et le triomphe (teinté de revanche) de l’ivoirité seraient plus inacceptables encore. Or, le gouvernement croupion mis en place aujourd’hui à Abidjan n’a pas les moyens de changer la donne politique et économique ivoirienne.

Gbagbo joue l’enlisement et le pourrissement de la situation, comptant sur l’écran diplomatico-médiatique que compose la guerre contre l’Irak. Et prépare une offensive d’ampleur contre le MPCl. Face à laquelle Ouaga ne pourra pas rester inactif. Il y va de sa survie !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (31/03/2003)

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