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Zéphirin Diabré : "Au rythme où l’on va, on risque de transmettre la pauvreté de génération en génération"

Publié le vendredi 1er septembre 2006 à 08h26min

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Zéphirin Diabré

On ne l’avait pas entendu depuis son départ anticipé du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en début d’année, où il était Administrateur associé.

Celui que dame rumeur annonçait comme le probable futur premier ministre de Blaise Compaoré au sortir de la présidentielle 2005 a déjoué les pronostics en mettant le cap sur AREVA, une multinationale exerçant dans le domaine de l’énergie nucléaire et des mines où il est aujourd’hui vêtu du manteau de chairman, en charge du Moyen-Orient et de la région Afrique. Vous l’aurez déjà déviné, il s’agit bien de Zéphirin Diabré, qu’on ne présente plus.

De la somme de leçons retenues de son parcours du ministère du Commerce au PNUD, en passant par le département de l’Economie et des Finances, le Conseil économique et social (CES), l’enfant de Foungou dans le Zoundwéogo tire la conclusion qu’"il nous faut reconstruire notre société autour des valeurs citoyennes". Sans doute n’a-t-il pas tort quand il confesse aujourd’hui que "notre génération a fait irruption sur la scène politique, en chevauchant les valeurs de l’honnêteté, de l’intégrité et du patriotisme".

Dans ce grand entretien qu’il nous a accordé lors d’un récent séjour à Ouagadougou, Diabré n’élude pas les sujets qui fâchent, au nom de cette religion qui est la sienne, le libéralisme politique. Bref, une radioscopie de son Burkina natal qui, à ses yeux, est le fils aîné de la démocratie en Afrique francophone. Sans blague.

Pourquoi avez-vous décidé de quitter le PNUD pour AREVA et pourquoi l’avoir fait avant la fin de votre mandat ?

• C’est un choix personnel de carrière. Ce genre de choses ne donnent pas lieu à débat.

Vous avez fait un record de 7 ans à la tête du PNUD comme numéro 2. Quel bilan faites-vous de votre action ?

• En arrivant aux commandes de l’organisation en 1999, mon collègue administrateur, Mark Malloch Brown, et moi avions reçu une feuille de route très claire de la part de Kofi Annan et de la communauté des bailleurs de fonds : réorganiser le PNUD.

C’est ce que nous avons fait, aidés en cela par l’ensemble de l’état-major de l’institution et par tout le personnel. Il a fallu mettre en œuvre un certain nombre de réformes vigoureuses. Ces réformes ont touché tous les domaines de la vie de l’organisation. La phase initiale a été très dure et des tensions sont apparues.

Mais nous avons gardé le cap. Cela nous a permis de repositionner l’organisation et de regagner la confiance des bailleurs de fonds, puisque les contributions au PNUD ont doublé durant notre mandat. Le jugement de la communauté des bailleurs de fonds et des pays que le PNUD assiste sur le travail accompli m’a comblé de satisfaction.
Je le vois à beaucoup de signes, y compris à la manière dont ils m’accueillent quand je vais chez eux aujourd’hui. Cela dit, l’équipe qui dirige en ce moment le PNUD est remarquable pour sa vision et sa compétence et je suis persuadé qu’elle fera encore mieux que la nôtre.

Il semble que le Burkina est aujourd’hui le pays africain qui compte le plus de représentants résidents et de représentants résidents adjoints du PNUD.
A quoi cela est-il dû ?

• C’est vrai que si l’on fait un décompte des nationalités qui occupent ces responsabilités, notre classement est brillant. La raison est simple : nos compatriotes ont été choisis à cause de leur compétence. Je puis vous dire que les Burkinabè qui évoluent dans le système international font honneur à notre pays, par leur compétence et leur ardeur au travail.

En cela, ils ne font que perpétuer la tradition que nos pères ont établie depuis toujours. Même si les choses ont un peu changé, il faut reconnaître que le Burkinabè est travailleur.

On a tout de même l’impression que certains pays comme le Sénégal ont des stratégies élaborées pour placer leurs cadres, contrairement au Burkina, où on semble laisser les gens se débrouiller !

• Pendant longtemps, les cadres burkinabè ne se sont pas vraiment intéressés à la fonction publique internationale. Les choses ont changé ces dernières années. Et on voit beaucoup d’entre eux se débrouiller pour arracher des postes dans telle ou telle organisation. Pour ce qui est de la politique nationale de placement, je ne peux pas vous en parler puisque je ne la connais pas.

Des cadres disent que parfois ils sont bloqués par mesquinerie ou pour des raisons politiques pour ne pas accéder à un poste international !

• Ce sont peut-être les collègues ou les supérieurs hiérarchiques qui le font par jalousie. Que voulez-vous ? Chaque peuple a ses qualités mais aussi ses travers, et malheureusement certains de nos compatriotes n’aiment pas voir le succès des autres.

Beaucoup de gens se demandent comment vous avez fait pour émerger sur la scène internationale. Quel est votre secret ?

• Il n’y a pas de secret en la matière. Peut-être que j’ai simplement eu de la chance.

On imagine aisément que vous avez dû voyager beaucoup en tant qu’Administrateur associé du PNUD. Combien de pays avez-vous visités et lequel vous a le plus fasciné ?

• Je n’ai pas tenu la comptabilité des pays que j’ai visités. Et puis je n’ai pas pu visiter tous les pays où le PNUD est présent. Beaucoup m’ont laissé d’intéressants souvenirs, mais je n’ai pas vraiment ressenti de complexe. J’ai toujours pensé que le développement d’un pays est une chose propre à ce pays. Ce n’est pas une chose qui se copie ou s’exporte.

Chaque pays a son histoire, sa culture, son environnement et beaucoup d’autres choses qui l’amènent à évoluer de telle ou telle manière. _Cela étant dit, j’ai été intéressé de comprendre comment certains pays ont connu des progrès fulgurants. Je pense à des pays comme la Malaisie, la Thaïlande, l’Inde, la Chine Populaire, ou plus près de nous la Tunisie, le Mozambique ou l’Ile Maurice. Pour ne citer que ceux-là. Les enseignements que l’on peut tirer de ces expériences sont intéressants.

Les Nations unies sont très critiquées aujourd’hui. Pensez-vous que cette organisation est encore utile quand on voit l’unilatéralisme américain ?

• Quand on regarde l’ensemble des problèmes du monde aujourd’hui, qu’il s’agisse des questions de développement, de paix, de stabilité, ou de sécurité, on voit bien que l’ONU a un rôle irremplaçable. _C’est une organisation qui n’est pas parfaite et je ne pense pas qu’elle ait cette prétention. Elle accomplit ses missions avec les moyens mis à sa disposition et fait un travail remarquable à travers le monde .

Elle est animée par des hommes et des femmes qui, comme vous et moi, font des erreurs ou même des fautes. Mais cela n’entache en rien sa valeur ni son utilité. Et puis on oublie souvent que les Nations unies, c’est rien d’autre qu’une association de pays. Et ce sont les pays membres qui ont à la fois les moyens et le pouvoir de décision, au sein de l’assemblée générale, mais surtout au sein du conseil de sécurité. La bureaucratie est là pour exécuter leurs décisions.

Les tractations auraient commencé pour la désignation du prochain Secrétaire général. L’Afrique a-t-elle une chance de l’emporter ?

• Si vous comptez les mandats de Boutros Boutros Ghali et de Kofi Annan, l’Afrique aura occupé le poste pendant 15 ans. Nous ne pouvons pas prétendre à plus. D’ailleurs, selon la règle non écrite qui veut que le poste soit rotatif entre les régions, c’est le tour de l’Asie. Sauf surprise.

Connaissez-vous les candidats en lice et quel est votre pronostic ?

• Je ne les connais pas. Mais je pense qu’ils ont tous l’étoffe qu’il faut pour assumer la responsabilité. En plus, il est difficile de faire un pronostic, parce que certaines candidatures ne sont peut-être pas encore déclarées.

Pour en revenir à vos fonctions actuelles, pensez-vous vraiment que l’Afrique a besoin du nucléaire ?

• L’Afrique est confrontée à une grave crise énergétique. Les besoins de nos populations et de nos industries sont immenses, et ces besoins sont très loin d’être satisfaits. Prenez la question de l’électricité. Toute la production africaine d’électricité, du Maroc à l’Afrique du Sud, ne dépasse pas celle d’un seul pays comme la France.

C’est dire si la question de la production d’électricité est une question urgente. Or comment peut-on produire l’électricité ?
On le fait :
- en brûlant le pétrole, comme le fait la SONABEL ;
- en utilisant la force du vent ;
- en utilisant la force de l’eau des barrages ;
- en captant le soleil ;
- en brûlant la végétation ;
- ou en brûlant l’uranium, c’est-à-dire le nucléaire.

Toutes ces solutions ont des avantages, mais aussi des inconvénients. Le pétrole coûte de plus en plus cher et malheureusement son prix n’est pas près de baisser. Tous les pays n’ont pas un vent assez fort. Le soleil existe, mais la technologie est encore très chère, et les ingénieurs vous disent qu’il est difficile de stocker son énergie. L’eau des barrages est liée à la pluviométrie, or le réchauffement climatique est en train de dérégler la pluviométrie.

La végétation est là, mais si on la coupe, on détruit l’environnement. Par contre l’uranium est abondant et le monde peut en consommer encore pendant des siècles. Vous voyez que tôt ou tard, le nucléaire fera partie du groupe des solutions. Ce ne sera pas la solution unique, mais ce sera à coup sûr une des solutions.

Oui mais est-ce que l’Afrique peut maîtriser la technologie nucléaire ?

• Dans la vie, toute chose s’apprend. Les Sud-Africains ont maîtrisé le nucléaire depuis longtemps, grâce au concours d’AREVA. Le Nigeria vient d’annoncer la relance de son programme. Et puis de nombreux autres pays africains nous sollicitent.

Moi je souhaite que notre sous-région adopte une stratégie dans ce domaine. Une seule centrale nucléaire peut alimenter tous les pays de l’UEMOA. Et nous pouvons former les cadres pour cela. J’ai découvert que les choses étaient moins compliquées qu’on le croit.

Depuis votre retour, vous êtes très discret. On vous voit voyager beaucoup à partir de Ouagadougou, mais on ne sait pas trop si vous habitez au Burkina ou ailleurs. Bref, quelle est votre situation actuelle ?

• Je suis un employé d’une entreprise internationale. Je conduis la mission que l’on m’a confiée. C’est une mission à l’échelle de plusieurs pays, donc il faut bien que je voyage. Je vis là où je travaille.

Aux lendemains de la présidentielle, dame rumeur disait que vous étiez pressenti pour le poste de Premier ministre. Qu’en était-il en fait ? Avez-vous été approché dans ce sens ?

• Je n’en sais rien, je n’étais pas là.

Mais n’en avez-vous pas entendu parler ?

• Pas vraiment. Et puis ce débat ne m’intéresse pas.

Vous auriez dit oui si on vous l’avait proposé ?

• Le Burkina, c’est mon pays. Et j’ai été élevé dans l’esprit du patriotisme. Comme par le passé, si je peux aider mon pays à aller de l’avant, je n’aurais pas la moindre hésitation à le faire.

Est-ce à dire que vous êtes prêt à retourner au gouvernement, comme son chef ou en tant que simple membre ?

• Je ne me situe pas dans cette logique. Ce n’est pas seulement en étant dans les instances gouvernementales ou dans les fonctions officielles que l’on peut aider son pays. Il y a des millions de Burkinabé qui n’ont pas un seul titre officiel et qui, pourtant, aident leur pays de manière excellente.

Moi je suis actuellement dans le secteur de l’énergie. Si par exemple mes opinions, mes idées ou l’action de mon groupe peuvent contribuer à aider à résoudre la question énergétique au Burkina et en Afrique, je n’hésiterai pas un seul instant à apporter ce concours et j’aurai le sentiment d’avoir été utile.

Quelles devraient êtres, selon vous, les priorités de l’actuel gouvernement burkinabè ?

• Un citoyen ne peut pas définir les priorités d’un gouvernement puisque ce n’est pas lui qui le nomme. C’est la personne qui nomme le gouvernement qui doit lui définir ses priorités.

Mais comme la mission d’un gouvernement c’est de trouver des réponses aux problèmes quotidiens que vivent les citoyens, il n’est pas difficile d’imaginer là où son action doit se concentrer. Il suffit de regarder autour de soi.

Justement quels sont d’après vous ces problèmes et de manière plus générale quels défis de développement voyez-vous pour le Burkina ?

• Comme beaucoup de pays africains, le Burkina fait des avancées dans certains domaines, et enregistre malheureusement des retards ou des échecs dans d’autres. Le gros problème pour notre pays, c’est encore et toujours la pauvreté des populations. On peut débattre pour savoir si elle a légèrement diminué ou augmenté ces dernières années, mais là n’est pas vraiment la question.

La réalité, c’est que nous sommes un pays de pauvreté de masse, ou l’écrasante majorité de la population vit d’une agriculture soumise aux aléas du climat et pour qui manger trois fois par jour, se nourrir donc, se loger, se vêtir, se soigner, etc. demeurent encore des questions difficiles à résoudre. Nous avons fait des progrès remarquables dans certains domaines comme l’accès à l’eau potable, la lutte contre la dégradation de l’environnement, la promotion de certaines cultures, etc.

Mais nous traînons encore le pas dans les domaines clés de l’éducation, de la santé, de l’emploi, du pouvoir d’achat, de l’emploi des jeunes, de la formation professionnelle, etc. Les défis sont énormes.

Le président du Faso a dit qu’il voulait faire du Burkina un pays émergent. Vous qui êtes économiste, pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?

• Pour simplifier, un pays émergent, c’est un pays qui n’est plus sous-développé, mais qui n’est pas encore développé. C’est un pays qui connaît des progrès rapides et dont on pense que, s’il continue, il deviendra vite un pays développé. Les principaux exemples que l’on cite dans ce domaine sont bien connus : l’Inde, la Chine Populaire, Taiwan, la Thaïlande, Singapour, la Malaisie, le Brésil, le Mexique, l’Argentine, la Pologne, la Turquie, la Tunisie, l’Ile de Maurice, les Iles Seychelles, l’Afrique du Sud, etc...

Pensez-vous que le Burkina peut intégrer cette catégorie à court ou moyen terme ?

• Chaque pays a ses chances. La vraie question est de savoir quelle est la stratégie que l’on met en œuvre pour y arriver.

Le gouvernement prétend toujours que la croissance économique est là, et pourtant la pauvreté persiste. Comment expliquez-vous cela ?

• Les chiffres montrent que la croissance économique du pays s’est améliorée, si on la compare à la situation des années 90. Maintenant, quant à savoir si cette croissance entraîne la fin de la pauvreté, c’est un autre débat. Quand on analyse le lien entre croissance et pauvreté, il y a toujours deux questions fondamentales à poser :

Première question : le niveau de la croissance est-il assez suffisant pour éliminer la pauvreté ? Pour le Burkina, la réponse est non. Notre croissance se situe autour de 6, 7 ou peut-être 8 pour cent. Pour un pays sous-développé ou plus de quarante pour cent de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté, si vous ne faites pas une croissance à deux chiffres sur au moins une décennie, vous ne pouvez pas entamer sérieusement la pauvreté.. C’est une leçon classique d’économie. Regarder la Tunisie, la Chine populaire, ou l’Ile Maurice.

Deuxième question : la croissance profite-t-elle à tout le monde ? Malheureusement, la réponse est non. Il y a certains qui saisissent les opportunités et qui s’en sortent. Et puis il y a d’autres, la majorité, qui se demande ou va cette croissance, parce qu’eux n’arrivent pas à saisir les opportunités. On le voit à la manière dont les inégalités se creusent dans notre pays.

Qu’est-ce qu’il faut faire ?

• Ce serait un long débat. Le plus important est d’avoir conscience que certains sont laissés de côté, et que cela engendre des frustrations. Et qu’il faut donc trouver les formules pour corriger ces inégalités. Et çà, c’est le rôle de l’Etat.

Vous évoquiez tantôt les retards que nous avons en matière d’éducation. Vous qui êtes enseignant de formation, comment jugez-vous la situation de l’éducation au Burkina ?

• L’éducation, c’est la clé du développement. Nos problèmes dans ce domaine sont connus : notre scolarisation reste faible, même si elle a progressé récemment ; la qualité de notre enseignement a baissé, et surtout nous ne formons pas nos jeunes en adéquation avec le marché de l’emploi. Je ne veux critiquer aucune filière, mais quand je regarde comment nous orientons nos élèves après le BAC, je crois qu’on gagnerait à diminuer certaines filières et à augmenter d’autres.

Le Burkina d’aujourd’hui manque cruellement de médecins, d’ingénieurs, de gestionnaires, etc. Mais l’éducation trace aussi les contours de la société future. Et là, il y a une évolution qui me pose problème. Dans la république, c’est l’école qui permet l’égalité des chances. On l’a vu dans le passé. Grâce à l’école républicaine, les enfants de paysans dans ce pays sont devenus hauts fonctionnaires.

Or aujourd’hui, l’accès à l’école dépend de plus en plus des revenus des parents. C’est très net au niveau de l’enseignement supérieur. Du même coup, on risque de créer une situation ou l’on transmet la pauvreté de génération en génération. Il nous faut trouver le moyen de corriger cela.

Beaucoup d’opérateurs économiques se plaignent que l’Etat ne paye pas leurs factures alors que les conventions de financement sont signés chaque jour. Vous qui avez été ministre des Finances, comment expliquez-vous cela ?

• Je ne connais pas la situation actuelle de nos finances publiques. J’imagine que ces retards de paiement sont parfois dus à des tensions de trésorerie comme il peut en exister de temps en temps dans la gestion financière de l’Etat.

Je crois que c’est de cela que souffrent nos opérateurs économiques, mais je n’en sais pas plus. Cela dit, c’est un vieux problème et il y a des manières de le régler, du moins si on se réfère à l’expérience de certains pays.

C’est-à-dire ?

• Je pense à la formule des Caisses nationales des marchés de l’Etat. L’Etat crée un établissement financier où il centralise les ressources budgétaires prévues pour les marchés publics. Cette caisse devient l’interlocuteur des fournisseurs de l’Etat ; fait le nantissement des marchés ; emprunte de l’argent sur le marché des capitaux pour faire les paiements quand l’Etat est en retard ; et se fait rémunérer pour le travail de relais qu’il accompli.

J’ai vu des pays où ce système marche bien et met les opérateurs économiques à l’abri des tensions de trésorerie de l’Etat. Cela dit, je ne sais pas dans quelle mesure un tel système peut être imaginé au Burkina, dans l’état actuel des choses.

Que pensez-vous de la corruption au Burkina Faso ?

• Il y a des faits et des signes qui montrent que certains de nos compatriotes préfèrent la voie des raccourcis. Quand on parcourt un rapport comme celui du RENLAC, on y découvre des choses très inquiétantes. Et quand on discute avec nos compatriotes, on entend un jugement qui est très sévère. On a l’impression que notre société repose maintenant sur la recherche du gain facile et sans vergogne. Nous devons donc prendre la question très au sérieux.

Le gouvernement a mis en place une Haute Autorité pour lutter contre le phénomène. J’en déduis qu’il est conscient du problème et qu’il reconnaît sa gravité. Nous avons aussi tous les corps d’inspection commis à la surveillance des actes de gestion publique.

Maintenant, il faut que les constats qui sont dressés par telle ou telle structure soient suivis de décisions. Nous devons avoir une tolérance zéro pour la corruption, parce que la corruption est le premier ennemi du développement.

J’ajoute que pour notre génération, c’est un défi politique et moral de première classe. Notre génération a fait irruption sur la scène politique en chevauchant les valeurs de l’honnêteté, de l’intégrité et du patriotisme. C’est dire que nous n’avons pas le droit de faillir sur cette question.

A qui incombe la responsabilité ?

• D’abord au gouvernement, puisque c’est lui conduit les affaires de la nation et qui est investi de l’autorité pour appliquer et faire respecter la loi. Mais aussi à chacun d’entre nous en tant que citoyen, et à tous les niveaux, de la famille à l’entreprise, de l’école aux partis politiques, des services aux associations.

Quelles mesures concrètes préconisez vous ?

• Il n’y a pas de mystère dans ce domaine. D’abord, il faut appliquer la loi. Quand on vole, quand on corrompt, quand on se fait corrompre, quand on rançonne les usagers, etc., on doit aller en prison. Et puis, il faut éduquer et sensibiliser. Il nous faut reconstruire notre société autour des valeurs citoyennes, et cela passe par l’éducation.

Il faut expliquer à nos enfants dans les écoles qu’un citoyen doit être honnête et gagner sa vie à la sueur de son front ; que le bien collectif doit être bien géré au profit de tous ; que la tricherie n’est pas une bonne chose, etc.

La même éducation vaut pour les adultes. Il faut ramener à l’ordre du jour les valeurs citoyennes qui ont toujours symbolisé le Burkinabè : le travail, la culture de l’excellence, la dignité, l’intégrité, la responsabilité, le patriotisme, la modestie, la fierté nationale, le sens d’appartenir à une grande nation, à une grande culture, à une grande histoire, etc.

Au fait, quels souvenirs gardez-vous de votre passage au gouvernement ?

• Le souvenir d’un devoir accompli. Quand on vous invite à participer à un gouvernement, c’est parce qu’on a vu en vous des aptitudes qu’on veut utiliser. Mais, en même temps, c’est un privilège et un honneur que l’on vous fait puisqu’on vous donne l’occasion de servir votre pays au plus haut niveau. Dans ces circonstances, la meilleure façon d’exprimer votre gratitude, c’est de mettre à contribution le maximum de vos forces physiques et intellectuelles. C’est ce que j’ai essayé de faire.

L’une des choses qui m’ont le plus marqué, c’est le dévouement des cadres de l’Administration. Je venais du secteur privé, un endroit où circulent beaucoup de préjugés vis-à-vis des fonctionnaires. J’ai eu la bonne surprise de rencontrer des cadres très compétents, très intègres et très patriotes.

Avez-vous des nouvelles de l’emprunt Diabré qui a été lancé du temps où vous étiez le grand argentier du Faso ?

• Il n’y a pas d’emprunt Diabré. Il y a un emprunt d’Etat lancé par le Burkina Faso. Je n’ai pas besoin de ce genre de qualificatif pour exister. Cela dit, ça fait 10 ans que j’ai quitté le ministère des Finances et depuis lors, je n’ai pas suivi l’évolution de ce dossier. D’ailleurs, je n’ai aucune raison de le faire.

Mais, quand je regarde aujourd’hui, dans notre sous-région, la multiplication des emprunts d’Etat et des emprunts obligataires faits par les entreprises, je me dis que le Burkina a eu raison d’innover.

Toutefois, j’expliquais récemment lors d’une réunion, que je vois déjà apparaître un danger : celui de l’effet d’éviction. Les Etats de la sous-région commencent à prélever un peu trop sur l’épargne sous-régionale : 50 milliards par-ci, 80 milliards par-là. Cela ne pourra pas durer longtemps parce que cette épargne ne se reconstitue pas à la même vitesse.

Ce qu’un Etat emprunte sur le marché financier, c’est autant d’argent en moins pour les entreprises et les particuliers qui veulent s’endetter. C’est cela l’effet d’éviction. Et c’est parfois nuisible pour le développement, notamment lorsque l’Etat utilise cet argent pour juste combler ses déficits.

Peut-être que nos Etats devraient laisser l’épargne locale et aller sur le marché financier international pour s’endetter. Cela rendra peut-être le crédit moins cher pour les gens qui veulent acheter une voiture ou construire, ou pour les entreprises qui veulent s’équiper.

On dit aussi que vous êtes l’inventeur de l’assemblée générale des sociétés d’Etat. Comment en avez-vous eu l’idée et quel était votre objectif ?

• Avec l’avènement de l’Etat de droit en 1992, le ministère du Commerce, qui a la tutelle des sociétés d’Etat, s’est trouvé confronté à un banal problème de droit : comment faire fonctionner ces sociétés, qui ont statut de sociétés anonymes, selon les prescriptions du droit des sociétés ?

Les sociétés anonymes ont trois étages de décision : une direction générale, un Conseil d’administration, et une assemblée des actionnaires. Pour les directions générales et les conseils d’administration, les choses étaient en place.

La difficulté était d’inventer l’assemblée des actionnaires, étant entendu qu’une société d’Etat a un seul actionnaire, en l’occurrence l’Etat, donc la nation entière. D’où l’idée de symboliser cela par l’ensemble des membres du gouvernement, puisque c’est le gouvernement qui agit au nom de la nation.

En même temps, en tenant une session publique, on donne l’occasion au gouvernement de consacrer un temps au contrôle de la marche de ses sociétés, de prendre les décisions qui relèvent de la compétence des actionnaires, et surtout au véritable propriétaire, la nation, d’être informée. Je me suis trouvé mêlé à tout cela, tout simplement parce que j’étais le ministre du Commerce à l’époque.

De votre passage au ministère du Commerce et à celui des Finances, l’opinion garde de vous l’image d’un technocrate, champion du libéralisme. Or sous votre direction, le PNUD a pris des positions antilibérales.Avez-vous changé ? Quelles sont vos convictions actuelles ?

• Je ne sais pas si on doit poser les choses en ces termes-là. D’abord, comme beaucoup d’économistes de ma génération, je suis un partisan de l’économie libérale. Nous sommes tous libéraux aujourd’hui. Le débat est seulement de savoir quel degré de libéralisme nous mettons en œuvre, et comment nous le faisons.

Il y a de cela 30 ans, on trouvait des économistes pour vous parler d’une option socialiste dont l’une des principales caractéristiques serait la propriété collective des moyens de production. Tout ça, c’est fini maintenant._ La liberté d’entreprendre, la liberté d’association, la liberté de concurrence sont des choses qui sont acceptées par tous.

Deuxièmement, je suis aussi libéral sur le plan politique. Je suis partisan de la démocratie libérale pluraliste. J’accepte et je souhaite la libre expression des opinions et la libre compétition des projets. Je crois que la liberté individuelle est un facteur d’épanouissement pour l’individu et une source de progrès pour la nation.

Mais comme beaucoup de gens, je suis de ceux qui pensent que le libéralisme est bien quand il s’agit de créer des richesses, mais qu’il a des défaillances quand il s’agit de les répartir. Et là, forcément, l’Etat a un rôle important à jouer. L’Etat doit mettre en place les mécanismes de régulation, de contrôle et il doit faire en sorte que les plus forts ne l’emportent pas toujours sur les plus faibles. L’Etat doit veiller à la répartition d’un certain nombre de biens afin que ceux qui ne sont pas à même d’être dans la course libérale ne soient pas des laissés-pour-compte.

L’Etat doit aussi prendre sur lui un certain nombre de domaines qu’on ne peut pas laisser au marché. Il y a des domaines comme l’eau, l’éducation, la santé, etc., qui ne peuvent pas être totalement laissés aux seules lois du marché. Ce sont des biens publics qui seront mal exécutés, car le marché n’a pas cette vocation.

Le PNUD ne dit pas autre chose que ça. Le PNUD, sous notre direction, s’est donné comme devoir de mettre en garde contre les excès du libéralisme, notamment dans le cadre de la mondialisation telle qu’elle se déroule actuellement. C’est une mondialisation qui est un peu « laisse-guidon » pour reprendre une expression de chez nous. Elle ne profitera pas à tout le monde. Et on le voit déjà.

Vous avez démissionné du CDP en 1998 pour incompatibilité avec vos fonctions d’Administrateur associé du PNUD. Etes- vous toujours en contact avec votre ancien parti ?

• Avec le CDP en tant que parti, non, puisque je n’en suis plus militant. Avec des militants du CDP, oui. Tout comme je fréquente des gens qui militent dans d’autres partis. Je ne détermine pas mes fréquentations en fonction de la couleur politique des gens.

Je garde d’excellents souvenirs de mon passage au sein du CDP. J’ai d’ailleurs surtout connu l’ancienne ODP/MT. J’y ai rencontré des hommes et des femmes de valeur, anonymes, engagés et désintéressés. Certains sont même devenus des amis. Je garderai toujours pour eux considération et estime.

Avez-vous l’intention de refaire de la politique et si oui, où allez vous militer ?

• Je fais un travail qui me donne satisfaction sur tous les plans et qui me passionne. Et je n’ai pas d’autre ambition que de réussir la mission que l’on vient de me confier au sein du groupe AREVA.

Alors, comment voyez-vous votre rôle sur la scène nationale aujourd’hui ?

• Au Burkina, je suis un simple citoyen. Je suis à la base. Je n’ai pas à avoir une place quelconque. Il se trouve simplement que par la nature du travail que je fais, je vis à temps partiel au pays. En plus de mes activités chez AREVA, j’anime l’Institut Afrique Moderne (IAM) avec quelques amis. Je n’ai pas d’autre rôle que cela et je n’en recherche pas.

Avez-vous des contacts avec nos autorités ?

• Pas vraiment. Et j’ajoute qu’il n y a pas de raison d’en avoir. Je n’ai pas un statut officiel au Burkina. Cela n’empêche pas de croiser tel ou tel membre du gouvernement à telle ou telle occasion.

Quel jugement portez-vous sur la démocratie dans notre pays ?

• Notre démocratie est à la fois ancienne et jeune. Le Burkina peut se considérer comme le fils aîné de la démocratie en Afrique francophone, puisque nous avons connu des débats démocratiques et des élections libres et transparentes avant la plupart des pays africains francophones.

L’histoire a fait qu’il a fallu repartir d’un pied nouveau à partir des années 90 et reconstruire tout cela. Il y a par-ici des avancées, mais aussi hélas des retards par-là. C’est un long chemin.

Avez-vous le sentiment que le jeu démocratique est vraiment réel au Burkina ?

• Nous avons les acteurs qu’il faut, à savoir les partis politiques et la société civile. Et on me dit qu’ils sont nombreux. C’est à eux de donner au jeu démocratique sa vraie qualité.

Pensez-vous que l’alternance est possible au Burkina Faso à brève échéance ?

• Aucune situation politique n’est figée à l’infini. L’alternance est donc toujours possible. Elle est d’autant possible que tout gouvernement en gérant les affaires de son pays, pose des actes, donc crée des satisfaits et des mécontents. C’est à l’opposition de trouver les voies et moyens pour convaincre l’électorat qu’elle peut faire mieux.

Que pensez-vous justement de l’opposition burkinabé et comment expliquez-vous sa défaite lors des récentes consultations électorales ?

• Je ne connais pas vraiment notre opposition. J’ai croisé certains de ses animateurs à des étapes de mon parcours politique, et j’ai le plus grand respect pour eux. Sur certaines questions, nos opinions divergent, mais cela n’entache en rien la cordialité de nos relations. Comme tout être humain, ils ont leurs qualités et leurs défauts.

Cela dit, l’opposition est très importante dans une démocratie. Elle est importante d’abord parce qu’elle permet à la majorité de voir ses erreurs et donc de se corriger pour le bien du pays. En plus, vu de l’extérieur, l’opposition apporte une certaine crédibilité au jeu démocratique.

C’est pour cela que certains disent même que la qualité d’une démocratie se mesure à la qualité de son opposition. Pour ce qui est des dernières échéances électorales, je ne les ai pas suivies de très près. Je peux donc difficilement expliquer les résultats.

Ne pensez vous pas que cette opposition est trop dispersée et manque de moyens ?

• Posez-lui la question. Je ne suis pas compétent pour la juger. Quant à la question des moyens, c’est l’évidence même. En Afrique, c’est le pouvoir qui a les moyens. Cela dit, l’expérience montre qu’il ne suffit pas d’avoir les moyens pour gagner une élection.

Maintenant que vous êtes de retour au pays, peut-on savoir si vous avez l’intention d’être à nouveau actif dans votre fief du Zoundwéogo ?

• J’ai servi ma province le Zoudwéogo, du mieux que je le pouvais. Et j’en ai retiré une grande satisfaction. D’autres ont pris le relais. Je leur souhaite du courage et du succès.

On dit que les populations du Zoundwéogo regrettent votre départ à cause des nombreuses réalisations que vous avez faites dans cette province. N’êtes-vous pas tenté de "reprendre votre province en main" comme disent certains ?

• Moi, je n’ai pas besoin de reprendre quoi que ce soit en main. Je lisais il y a quelques jours avec des économistes du ministère de l’Economie et du Développement, des indications qui montrent que la province du Zoundweogo est classée parmi les provinces les plus pauvres du Burkina. Les défis à relever sont donc énormes. C’est aux dirigeants politiques de la province de créer la dynamique de rassemblement et de développement. En politique, quand on ne fait pas son travail, ou quand on le fait mal, les gens vous remplacent, et reprennent les choses en main.

La presse a annoncé récemment que vous avez été désigné Grand frère d’honneur d’un mouvement dénommé Mouvement pour une jeunesse citoyenne. De quoi s’agit-il ?

• J’ai été approché par des jeunes qui souhaitaient mes conseils pour réussir le lancement d’une association qu’ils venaient de former. J’ai été séduit par leur objectif qui est de promouvoir les valeurs citoyennes au niveau de la jeunesse.

Nous en avons besoin, car notre jeunesse donne parfois le sentiment d’avoir perdu ses valeurs. Je suis très flatté qu’ils aient pensé à moi et même si je ne suis pas très disponible, je ferai de mon mieux pour les aider.

La même presse a annoncé que vous êtes président d’honneur d’un Forum d’amitié avec la Chine populaire. Est-ce vrai ?

• Oui, c’est vrai. Lorsque les promoteurs de cette association m’ont approché et m’ont expliqué qu’ils travaillaient au rapprochement des peuples chinois et burkinabé, je n’ai pas hésité un seul instant. La Chine populaire est un grand pays, fruit d’une grande histoire.

C’est aussi un géant économique qui émerge et qui offre de nombreuses opportunités commerciales. D’ailleurs, selon certains experts, ce pays sera la première puissance économique du monde en 2050. Nul ne saurait rester indifférent à un tel pays.

La presse financière dit que votre groupe, AREVA, y a perdu le fameux marché du siècle. Est-ce vrai ?

• Pas du tout. AREVA est toujours dans la course pour fournir les centrales nucléaires et à ce que je sache, aucune décision officielle n’a été annoncée par les autorités chinoises. D’ailleurs, ceux qui ont dit cela sont étrangement silencieux depuis.

Nos discussions se poursuivent avec la partie chinoise. J’avoue que ce n’est pas facile, parce que les Chinois sont extrêmement durs en affaires. Mais j’ai confiance.

On vous dit aussi très attaché à votre village, Foungou. Etes-vous prêt à briguer la succession de votre défunt père au poste de chef de canton et que pensez-vous de l’entrée des "bonnets rouges" en politique ?

• Je vais régulièrement à Foungou parce que c’est mon village et que j’ai été élevé dans le culte de mes origines. Cela n’a rien à voir avec des histoires de chefferie coutumière. Les chefs coutumiers sont des citoyens comme vous et moi. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu’ils fassent la politique.

On dit que vous êtes un proche ami d’Alain Juppé. Serait-il candidat à l’élection présidentielle française ?

• Je ne sais pas d’où vous tenez cela. Dans tous les cas, lui, il fait de la politique. Moi, je vends des centrales nucléaires. Vous voyez que nos chemins ne peuvent pas se croiser fréquemment ! De plus, je ne sais rien de ses ambitions présidentielles.

Vous qui connaissez bien la classe politique française, quel est votre pronostic pour la présidentielle française de 2007 et quelles seront ses retombées pour l’Afrique ?

• On connaîtra les résultats de l’élection présidentielle le soir même de l’élection. Pas avant. On ne peut donc pas faire des pronostics, surtout que tous les candidats ne sont pas encore déclarés. Mais pour ce qui est de l’Afrique, notre rôle n’est pas de choisir entre tel ou tel candidat.

Je crois que les Africains attendront de voir qui sera élu ou élue, et verront avec cette personne comment travailler. La seule chose que nous pouvons souhaiter, c’est que ceux qui prônent le racisme et la xénophobie ne soient pas présents au second tour.

Entretien réalisé par Bernard Zangré
San Evariste Barro

L’Observateur Paalga

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