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Réabilitation de l’image de l’enseignant : "Halte à l’accusation facile et gratuite !"

Publié le jeudi 31 août 2006 à 07h23min

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L’écrit paru dans notre édition du 10 août 2006, et relatif à la situation peu reluisante de l’enseignant, a suscité la réaction suivante d’un enseignant résidant à Bobo. Pour lui, l’Etat est beaucoup plus responsable de la situation que les enseignants eux-mêmes. Alors, il faut arrêter "l’accusation facile et gratuite".

"Comment redorer le blason de l’enseignant ?" Tel est le titre que la rédaction du "Pays" dans la parution n°3683 du jeudi 10 août 2006 a bien voulu attribuer à l’écrit de monsieur Donatien Yaméogo relatif à la perte de la crédibilité de l’enseignant. Un écrit qui, sans être un réquisitoire contre les enseignants, n’en garde pas moins l’aspect culpabilisant, au regard de la gravité des forfaits reprochés à ces chevronnés de l’éducation, comme s’ils n’étaient pas déjà suffisamment attristés par moult problèmes. Que reprochait au juste monsieur aux enseignants, et qui semble avoir été la source d’inspiration de la présente réaction ?

Lisons plutôt quelques extraits de ce que monsieur considère lui-même comme un diagnostic clinique du mal. " Ce sont, dit-il, nos mauvais actes indignes de nous, éducateurs, qui justifient la chute vertigineuse de notre cote : vol de matériel scolaire, détournements de cotisations, fornication, mesquineries, non-respect de la parole donnée... " Et ce n’est pas tout puisque, estime-t-il, le pire, c’est que " nous versons dans le grand banditisme". Oui, vous avez bien lu, et c’est là où le bât blesse : "Nous, éducateurs, baignons dans le banditisme." N’est-ce pas du délire, de la plaisanterie, en tout cas quelque chose non loin d’une erreur de locution, une erreur dont, certainement, la motivation réelle échappe à la conscience claire ? Sinon comment justifier l’incongruité de ces jérémiades ? Ne vaudra-t-il pas mieux, dans ces conditions, déposer la craie et les livres, prendre, de préférence, un colt, un fusil d’assaut et se transformer en desperado pilleur, coupeur de route ? Cela n’évitera-t-il pas de perte de temps pour une profession dont on ne perçoit pas les incompatibilités et dont la noblesse pour cette raison même échappera toujours ?

Mélange de genres

Certes, monsieur, on ne peut s’empêcher de louer votre courage, pour avoir osé dénoncer ouvertement les pratiques licencieuses, les bassesses et autres mesquineries, facteurs de dénigrements à la base du discrédit gratuitement collé à l’enseignant. Mais on ne saurait, non plus, ne pas vous reprocher d’avoir mélangé les choux et les fleurs. Oui, monsieur, c’est un tort de vouloir, par souci d’euphémisme, peut-être aussi du fait d’un style pas tout à fait maîtrisé, confondre les brebis et les brebis galeuses, le bon grain et l’ivraie. Nous sommes bien ici dans la sphère des valeurs socioculturelles, morales ou spiritualo-intellectuelles, et pour cette raison, même un singe ne peut, ne saurait détériorer la réputation de tous les autres, encore que l’enseignant, s’il n’a pas choisi sa profession par simple nécessité mais par vocation, ne doit, tout au plus, paraître que comme un singe conscient. Un singe conscient de sa responsabilité et donc du caractère sacerdotal de sa profession. C’est aussi pourquoi, sans vouloir remettre en cause votre liberté de jugement et de ton, il semble néanmoins impératif, au nom du "sacerdoce éducatif", d’interdire à quiconque de généraliser que "nous, enseignants, baignons tous dans le banditisme". Refuserons-nous d’admettre qu’enseigner un enfant, c’est autre chose que dresser un animal ou initier au gangstérisme ? C’est, bien au contraire, une noble tâche, un déploiement continuel d’énergie destiné à éduquer, instruire, cultiver, c’est-à-dire, inculquer des valeurs. Mais y aurait-il des valeurs transmissibles qui soient négativement assimilables au banditisme ?

Ne pas ménager les bandits

Donc, monsieur Yaméogo, ne cherchez plus à ménager les bandits, à vouloir paraître modeste, au risque de vous perdre dans le piège de vos propres mots et, de la sorte, ternir l’image, la dignité déjà bafouées de l’enseignant, que vous espérez pourtant réhabiliter. En tout état de cause, devant des forfaits d’une telle bassesse, et à moins que la conscience de la vocation-d’aucuns diront la conscience professionnelle-soit inexistante ou complaisante, il paraît plus indiqué à l’honnête homme frustré d’exploser. Euh ! je veux dire d’être ferme dans ses jugements. C’est ici qu’il faut faire comme l’autre : appeler " un chat, un chat " et, surtout, faire partager l’avis que même incapable d’attraper une souris, un chat vieilli par l’âge ne devient pas, pour autant, une souris. Il est vrai que l’incompatibilité qui se veut radicale entre l’enseignement et le banditisme ne saurait souffrir d’aucun marchandage. C’est pourquoi dans la grande maison des éducateurs, un bandit, même de "petit chemin", ne saurait avoir droit de cité. Il n’est juste bon que pour en être éjecté, banni, à défaut d’être mis au poteau. Mais enfin... attention à ne pas confondre vitesse et précipitation ; attention à ne pas condamner des victimes de bonne foi. Même obligés d’admettre que le chemin de l’enfer peut être pavé de bonnes intentions, donc que l’enseignant aussi peut trahir, nous ne devons pas cependant nous meprendre sur sa bonne volonté, une volonté incompatible avec la mauvaise foi. C’est une question de logique : on ne peut pas vouloir en même temps une chose et son contraire. Alors, à qui la faute du dérapage ?

De la responsabilité limitée de l’enseignant

Certes, dans cette histoire, l’enseignant n’est pas "vierge". Et nul ne peut contester le fait que sa mission soit incompatible avec les pratiques licencieuses dénoncées par monsieur Yaméogo. Mais en quoi un être raisonnable de cette qualité peut-il passer pour le fossoyeur de ses propres possibilités ? A supposer même qu’on le surprenne en flagrant délit de débauche, que dis-je, de fornication, voire de viol, en quoi l’enseignant serait-il véritablement coupable, lorsqu’à longueur de journée il est victime d’agressions sexuelles ? Agressions qui se manifestent, du reste, par des exhibitions intempestives du corps à travers des tenues dont l’indécence laisse découvrir la nudité jusqu’au seuil de l’intimité. Non satisfaites de harceler, de provoquer de la sorte les pauvres enseignants - avec la bénédiction des parents, SVP -, il leur arrive de pousser l’effronterie jusqu’à défier verbalement. Voilà justement le hic ! Et tant pis pour la maîtrise de soi.

Entre nous, l’enseignant serait-il insensible au point de manquer de réaction d’orgueil, ou n’aurait-il dans ses veines, en lieu et place du sang, que du métal liquéfié ? Halte donc à l’accusation facile et gratuite ! Le bon sens recommande plutôt de la lucidité, l’esprit de discernement dans l’appréciation de l’enseignant. Au lieu de préjuger, il faut juger : l’enseignant est-il seul coupable lorsque, menacé par la précarité et affaibli par la nécessité, forcément préjudiciables à son rendement, il se voit obligé de puiser dans les cotisations en attendant sa maigre paie ?

L’intention n’est point d’encourager ici l’escroquerie, mais d’inviter à une prise effective de conscience pour un diagnostic plus crédible. Il ne paraît pas du tout superflu de rappeler, non pas forcément comme La Rochefoucauld, que "les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves se jetteraient à la mer", mais que là où règne une extrême nécessité, il ne saurait y avoir de pratique sincère et efficace des vertus. C’est parce qu’à tout moment le vice peut, avec succès, leur faire la cour. Ce qui revient à dire qu’une éventuelle culpabilité ne saurait être imputable qu’à un manque de vocation, disons à l’ignorance du "sacerdoce éducatif". Mais alors, les formateurs ne seraient-ils pas plus en cause ?

A l’analyse, on ne peut soutenir le contraire puisque, visiblement, monsieur semble avoir oublié que c’est au formateur d’inculquer à l’enseignant ce que le journaliste appellerait les règles déontologiques. Pire, lui-même semble confondre conscience professionnelle assortie de l’amour de la profession, avec la vocation. La différence est que si l’on peut, chemin faisant, acquérir l’amour de la profession en découvrant les règles qui la régissent, il n’en va pas de même de la vocation, qui est une disposition naturelle de l’âme à vouloir ce qu’on aura choisi d’être. Ici, l’appétit ne vient pas en mangeant car il est déjà au départ de l’acte, et c’est toujours avec amertume que l’on constate la fin du regret.

Tout comme on ne peut vouloir une chose et son contraire à la fois, il paraît incongru d’admettre qu’un enseignant puisse faire ombrage à sa propre destination d’éducateur. D’où la nécessité de méditer sur l’adage selon lequel "lorsqu’on tombe pour avoir buté contre un caillou, c’est à celui-ci et non au point de chute qu’il faut s’en prendre". Ce qui revient à dire que c’est ailleurs qu’il faut chercher le pou et non sur le crâne rasé de l’enseignant, dont la responsabilité est limitée.

De l’entière responsabilité de l’Etat

Si l’enseignant n’est pas coupable, on ne saurait cependant l’innocenter, au regard des exigences de "bonne éducation", de probité irréprochable, de pratique permanente de vertus que requiert sa mission. Aussi, pour être efficace dans ses efforts pour éduquer, façonner positivement l’enfant, l’enseignant se doit d’être un modèle. Mais en réalité, peut-on être vertueux ou initier autrui à la pratique de la vertu là où celle-ci ne semble plus payer ? Non pas tant parce que la nécessité naturellement la noierait, mais parce qu’elle ne constitue plus en soi un critère de sélection, encore moins de valorisation.

Alors pourquoi l’enseignant doit-il continuer à s’échiner pour être l’image de ses aînés d’antan, exemplaires, lorsqu’à côté de lui des délinquants de tout acabit sont présentés en modèles ?

Des "môgôs-puissants", les appelle-t-on. De véritables voleurs, en réalité, des êtres immoraux qui n’hésitent même pas à violer la femme du pauvre au vu et au su de tous, sans que personne puisse mot dire, parce que c’est comme à chaque fois qu’on "tombe", c’est-à-dire, lorsqu’on n’a plus rien, à l’approche de la paie. Quelle dépravation ! Mais cela s’appelle, par euphémisme, "attraper la femme" pour, soi-disant l’empêcher de tomber comme si la femme était devenue une mangue mûre, une pintade, que dis-je, une "chienne" à qui on veut faire regretter à son "vaurien" de mari d’avoir choisi une infidèle. "Mais en quoi l’Etat est-il responsable de toutes ces perversions ? demandera-t-on. Eh bien ! parce qu’à la faveur de la corruption sexuelle qui se généralise jusqu’aux "thuriféraires du pouvoir", tout le monde feint d’ignorer ce qui se passe.

Mais enfin... à chacun sa conscience. Si les autorités prenaient des mesures, aussi bien dans le public que dans le privé, pour créer les conditions idéales de vie et de travail, la femme de cet homme se prostituerait-elle ? Lui-même serait-il jamais tenté par la délinquance au point de devenir la risée des autres ? Quelle autorité, quelle efficacité peut-on attendre d’un enseignant abandonné à son sort pendant plus de trois mois de vacances, sans salaires ni soutien ?

Si d’autre part les recrutements étaient fonction de la vocation, de l’amour de la profession, la mesquinerie et la mauvaise foi auraient-elles pu conduire à ce dérapage éducatif ? Bien sûr que non. Au contraire, l’enseignement aurait cessé d’être un dépotoir où n’importe quel misérable en mal d’aisance matérielle viendrait se cloîtrer en attendant de trouver mieux. Chargées à la fois du recrutement des éducateurs et de leurs formateurs, c’est encore une fois aux autorités qu’incombe la lourde responsabilité de séparer les imposteurs des hommes de bonne foi. Mais qu’on ne se trompe pas, l’exemple doit d’abord venir d’en haut. Ceci dit, à enfants bien éduqués, il faut de bons éducateurs ; à bons éducateurs, de bonnes autorités morales et politiques. Pour ce faire, on instituera, par exemple, non pas des tests ultra-sélectifs mais de simples lettres de motivation accompagnées d’entretiens directs avec les spécialistes.

En outre, ce ne sont point les décorations et autres attributions de titres honorifiques qui rendront à l’enseignant sa dignité, mais plutôt une amélioration consciente et constante des conditions matérielles et morales susceptibles de le préserver contre toute forme d’humiliation. La dignité étant la reconnaissance par soi-même de sa valeur intrinsèque, de ses forces, de ses faiblesses, sa quête est solidaire de celle du respect et de l’autorité de l’éducateur. Leur réalisation exige plus que la simple prise en compte des besoins en logements, en locomotion, en santé ; une sensibilisation permanente des autorités destinée à la revalorisation de la fonction.

En conclusion, s’ils ne sont pas coupables de leur propre calvaire, il n’appartient plus qu’à l’Etat de les nourrir au prytanée, c’est-à-dire avec l’honneur qui sied aux magistrats, aux officiers.

Il ne faudra surtout pas oublier que qui veut une cité vertueuse, du haut de son trône vertueux, plutôt que de se soucier de flatter l’orgueil des éducateurs sous prétexte de rehausser leur crédibilité, doit s’efforcer, en tant qu’autorité suprême, de former des éducateurs vertueux. De manière vertueuse, ceux-ci pourront éduquer les enfants.

La réhabilitation de l’image de l’enseignant, sa considération par les siens seront à ce prix. Ce n’est pas une question de sous.

A bon entendeur, salut !

Un enseignant à Bobo

Le Pays

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