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Côte d’Ivoire : Le trapéziste et le guichetier

Publié le mercredi 30 août 2006 à 07h49min

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Très cher neveu. En Côte d’Ivoire, on peut dire que les carottes sont cuites. En effet, l’élection présidentielle, initialement programmée en octobre prochain, n’aura pas lieu. Reste à savoir qui, finalement, aura le privilège de manger ces carottes.

Ce qui est sûr, le maître cuisinier, le Premier ministre, aura du mal à conduire, à la même table à manger, des invités au goût et à l’appétit très différents. Pourtant, Konan Banny veut rassurer tout le monde en déclarant qu’il a repris les choses en main. Il ne précise cependant pas pourquoi il avait perdu la direction de la conduite de sa mission. Volontairement ou contraint ? Ce qui est sûr, ses déclarations sonnent comme une sorte d’aveu de demi-échec, ne serait-ce que momentané, durant son parcours.

Pour l’instant, la seule consolation et la seule force du Premier ministre, c’est d’avoir, dès le départ, bien identifié le principal obstacle à ses initiatives depuis qu’il est à la barre. C’était donc en toute connaissance de cause qu’il avait accepté d’aller au charbon.

L’avantage de connaître son ennemi, c’est de bien se préparer en évitant qu’il vous impose l’heure, le lieu et les armes du combat.

L’erreur et la faiblesse du Premier ministre, c’est d’avoir cru qu’il pouvait composer avec Gbagbo en inventant sa fameuse et fumeuse formule de tandem. Konan Banny, par cette stratégie, ne pouvait pas cheminer avec un homme qui l’avait devancé sur le terrain et qui connaissait toutes les ficelles qui font la trame de la vie politique en Côte d’Ivoire. Pendant que Banny manipulait avec art des billets de banque à la BCEAO, Laurent Gbagbo était déjà passé maître dans l’art du trapézisme et du patinage politiques.

Toujours est-il que Banny croit encore en ses chances de réussir dans sa mission d’autant plus que la communauté internationale ne lui a pas retiré les moyens (financiers, institutionnels, matériels, et même militaires) qu’elle lui avait donnés. En programmant une rencontre avec toute la classe politique ivoirienne avant la réunion du GIT (Groupe international de travail), encore un machin de l’ONU qui doit faire preuve de fermeté, Banny devrait mieux apprivoiser, même à l’aide d’un bâton, tous les hommes qui vont l’écouter d’une oreille tout en tendant l’autre oreille à leurs propres affaires qui prospèrent si bien dans une économie de guerre.

Cher neveu, pendant que le Premier ministre se débat pratiquement seul, selon certaines sources, le camp présidentiel affûte ses armes au sens militaire du terme. Le chef d’Etat-major de l’armée réunit régulièrement, dans la discrétion, l’armée loyaliste et les milices. En même temps, le pouvoir est en train de se constituer des réserves stratégiques en carburant au cas où... En tout état de cause, Gbagbo n’a jamais renoncé à sa volonté de recourir à la solution finale pour en découdre avec ceux d’en face, surtout qu’il a su contourner le fameux embargo décrété par l’ONU sur les armes.

En même temps, même officiellement dépouillé d’une partie de ses prérogatives, Gbagbo sait que tant qu’il n’aura pas été attrapé par l’Histoire, rien ne pourra s’opposer juridiquement à sa prochaine candidature. C’est ainsi qu’il exploite tout ce qui pourrait élargir sa base électorale. Dernier exemple en date : les funérailles du général Gueï, quatre ans après sa mort.

Entre les membres de sa famille qui s’entre-déchiraient pour décider entre l’enterrer dans son village de Guéguesso et Abidjan, l’argent de Gbagbo a décidé qu’Abidjan sera la dernière demeure du général-président. Dans un pays où les députés de l’opposition, représentants du peuple ivoirien, n’ont pas craché sur leurs indemnités bien que récusant la compétence d’une Assemblée nationale à légiférer, rien d’étonnant à ce que Gbagbo ait réussi à corrompre une partie de la famille du général dont la mort demeure encore une énigme.

En tous les cas, cher neveu, tu sais qu’en politique, il y a rarement de la décence. D’aucuns prétendent même qu’en politique, il y a parfois des cadavres exquis. En tout cas, Robert Gueï a eu droit à de grandioses funérailles nationales de la part de ceux qui l’auraient fait.

Très cher neveu, un dernier fait en date : L’affaire Guy André Kiefer, journaliste franco-canadien, assassiné, il y a deux ans alors qu’il enquêtait sur les différentes interconnexions mafieuses sur le café et le cacao.

Selon certaines sources, les présumés coupables seraient officiellement connus. Ce qui est établi aujourd’hui avec certitude, le journaliste a été assassiné, enterré, exhumé et réenterré dans un lieu à l’abri de toutes les curiosités. Je ne sais pas si le juge chargé de l’enquête, venu de Paris et qui a donné des précisions sur le scénario de cet enlèvement et de cet assassinat, pourrait faire sauter les verrous d’un pouvoir judiciaire qui a déjà eu à cadenasser de multiples dossiers semblables.

Ton oncle

Le Pays

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