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Laurent Kilachiu Bado : “Il n’y a rien dans l’opposition burkinabè”

Publié le mercredi 30 août 2006 à 08h08min

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Laurent Bado

L’invité de la rédaction des Editions Sidwaya du mois d’août, est un homme qu’on ne présente plus. Intellectuel de bon cru, polémiste à souhait et provocateur quand il a l’occasion, Laurent Bado n’ a rien fait pour mettre à mal toutes ces idées que les Burkinabé ont de lui durant les trois heures de débats avec les journalistes de Sidwaya ce 3 août 2006. Au contraire !

Le moins qu’on puisse dire c’est que le profil d’enseignant -à la faculté de droit et de sciences politiques à l’Université de Ouagadougou de notre invité lui laisse une certaine aisance devant tout interlocuteur. Ainsi au jeu de questions-réponses, avec Bado c’est à la fois à des réponses pimentées, piquantes et fortement argumentées que vous avez droit.

Le non-lieu dans l’affaire Norbet Zongo, l’affaire des trente millions du président du Faso qui a défrayé la chronique l’année dernière, l’opposition burkinabé et bien d’autres préoccupations auront constitué le menu des échanges entre Bado fraîchement déchargé de son titre de président du Parti pour la Renaissance (PAREN) sa formation politique qui lui a valu d’être député, d’avoir trois autres élus parlementaires qui depuis l’ont quitté tout comme d’obtenir une mairie urbaine à Réo son fief retirée après.

Un échec en politique ? Laurent pour sa part ne se fait pas de bile, car pour lui, la politique n’est rien d’autre qu’une occasion de partager ses idées. Est-ce également pour autant qu’il affirme sans sourciller “ qu’il n’y a rien dans l’opposition burkinabé ” ? Le chantre du Tercérisme, cette théorie politique du ni à droite ni à gauche qu’il a développée et qu’il attend de mettre en chantier s’il parvenait un jour au pouvoir, ne cache pas ses ambitions de candidat à la présidentielle de 2010 et de la députation l’année prochaine.

Sidwaya (S.) : L’actualité nationale est dominée en ce moment par l’affaire Norbert Zongo avec le non-lieu concernant Marcel Kafando. En tant que juriste, comment avez-vous accueilli ce non-lieu ?

L.B : Vous faites bien de m’interroger sur ce sujet en ma qualité de juriste. Mais je dois vous faire comprendre que n’étant plus le président de mon parti, toute opinion, même du simple juriste, peut être considérée comme étant l’opinion de mon parti. Le parti ne m’a pas encore rencontré sur ce problème, étant donné que je suis malade en ce moment. C’est pourquoi, même en bon juriste, je suis obligé de me taire pour ne pas porter ombrage à la nouvelle équipe dirigeante de mon parti. Ce que je peux dire, c’est que tout ce qui arrive, c’est la faute notamment à l’opposition burkinabè.

Cette opposition n’a pas su gérer la crise née de l’assassinat de Norbert Zongo. Je sais ce que je dis et je dis ce que je sais. Aux municipales de l’an 2000, mon parti avait à peine un an ; j’ai demandé à toute l’opposition de faire un front commun. Le vrai opposant est un stimulant de ceux qui gouvernent : Il critique, il propose, il suggère. De toutes les façons, quand le peuple verra qu’à chaque fois ses propositions sont meilleures, il parviendra un jour aussi au pouvoir. Or, dans les pays africains, et singulièrement au Burkina Faso, comme les partis n’ont même pas d’idées, c’est le pouvoir seulement qu’ils recherchent.

En conséquence, ils s’opposent d’instinct à toute initiative du pouvoir. Ils ont donc boycotté les municipales en traitant le PAREN de mouvancier. J’avais fait un écrit très cruel. J’ai eu huit (8) conseillers alors que je m’étais présenté dans trois (3) circonscriptions seulement, sans argent, et après moins d’un an de l’existence du parti. Après, il y a eu la fameuse journée du pardon. L’émissaire du gouvernement, qui était venu me voir, m’avait dit : « le pouvoir voudrait organiser une journée du pardon avec tous les partis politiques et la société civile ». J’ai répondu que c’était le pardon sans la confession ! Il m’a répondu : « pas exactement ! Si on cherche d’abord la vérité, les accusés ou les coupables ne délieront pas la langue et s’ils disent des choses horribles, le pardon sera difficile à accorder.

Par contre, si on commence par pardonner, les langues pourraient se délier et le pardon ne pourra plus être refusé. A la suite de cette journée du pardon, ce sont les partis politiques qui détermineront les modalités de la recherche de la vérité ». J’ai trouvé la démarche intéressante et pour ne pas me laisser rouler dans la farine, j’ai proposé qu’un tribunal composé des gens du pouvoir et de l’opposition (puisqu’une juridiction n’a pas besoin d’être composée de magistrats professionnels) s’occupe de l’affaire.

Ma proposition fut favorablement accueillie et le PAREN a donc marqué son accord de principe pour la journée du pardon. Mais comme il n’était que l’un des rares partis de l’opposition a adhéré à l’idée, le pouvoir s’est retourné vers les religieux et les coutumiers ! Vous connaissez les résultats. Il faut donc que l’opposition se démarque du boycott systématique qui ne sert que les intérêts du pouvoir. N’est- ce pas ridicule de boycotter aussi les journées de refondation politique qui ont abouti au nouveau code électoral, et de participer aux législatives de 2002, ou encore de clamer que ce code est un acquis consensuel pour s’opposer à sa révision !

Revenons au non-lieu. De retour du village, j’ai appris que Marcel Kafando a été blanchi du fait que le témoin à charge s’est rétracté : il doute maintenant ! Naturellement, il y a de quoi s’étonner qu’un témoin reconnaisse un criminel quelques semaines après son crime et ne le reconnaisse plus formellement huit ans plus tard ! On peut légitimement penser à un stratagème pour clore le dossier. Si c’est le cas, on aurait mis un sparadrap sur une plaie puante ! Il faut qu’on découvre la vérité, qu’on pardonne aux assassins et à leurs commanditaires pour tourner réellement cette page noire de notre histoire. Et comment y parvenir ? Je ne peux pas devancer mon parti.

S. : Dans le cadre de l’affaire Norbert Zongo, pensez-vous que les esprits sont préparés à cette amnistie telle que vous la prônez ?

L.B. : L’opinion se fabrique. Cela se voit en droit et en sociologie politique. Il faut préparer l’opinion à recevoir telle ou telle idée, au nom de l’intérêt supérieur que nous recherchons. Cela peut se faire. Ce n’est pas encore fait, c’est tout. Mais pour le moment, je ne peux pas m’asseoir dans ce bureau, dire que le peuple est prêt. Je sais seulement que le peuple est essoufflé, après qu’on ait marché dans tous les sens, et jouer au dindon. C’est pourquoi aujourd’hui, il n’y a plus beaucoup de gens pour sortir dans la rue comme avant.

Un gouvernement prépare toujours son opinion publique à recevoir quelque chose. Tout ce qui n’est pas reçu par le peuple ne pourra jamais aboutir à quoi que ce soit.

S. : Pour revenir à l’affaire Norbert Zongo, si le politique que vous êtes ne peut se prononcer à cause du parti, mais que dit l’intellectuel que vous êtes aussi ?

L.B. : Mais je me croyais compris ! J’ai dit que même en tant que juriste, si je me prononce, pour mon parti, ce serait pris comme l’opinion du parti. C’est assez clair quand même.

S. : Est-ce à dire que sur les questions de fond nous resterons sur notre faim si vous ne pouvez pas vous prononcer à cause du parti ?

L.B. : Eh bien, vous resterez donc sur votre faim, parce que je ne suis pas un idiot, je suis intelligent.

Je vous dis que je viens de confier mon parti à une équipe nouvelle. Ce sont eux qui peuvent se prononcer sur les questions, ils peuvent me demander des conseils. Dans l’affaire Norbert Zongo ; le non-lieu est arrivé quand j’étais au village et malade.

Donc, je dis que si je me permets de donner mon point de vue, cela peut contrarier les responsables du parti. Mais un peu de morale quand même !

S. : Selon le dernier rapport du Ren-Lac, le PAREN ferait partie des formations politiques qui corrompent les électeurs, est ce vrai ?

L.B. : Non. Le PAREN ne corrompt pas l’électeur puisqu’il cherche à le conscientiser et à le responsabiliser ! Avec quelles ressources d’ailleurs le ferait-il ? Le PAREN a toujours dit à ses responsables locaux et à ses militants de ne pas faire comme les autres partis sans idées et cherchant donc à acheter l’électeur par les casquettes, les tee-shirts, les pagnes, les promesses folles, bref l’achat de conscience. C’est notre ligne officielle. Maintenant si des individus assoiffés de postes, transfuges d’autres partis marchands, violent les règles de conduite de notre parti ce n’est pas notre faute.

S. : Que peut-on faire contre la corruption en général ?

L.B : Il faut d’abord des lois. Par exemple à l’Assemblée nationale, j’ai proposé le délit d’apPARENce comme un support pour démasquer les voleurs. Cela veut dire que dès que quelqu’un vit au-dessus de ses moyens, de façon manifeste, le juge doit l’interroger pour qu’il dise d’où viennent ses ressources.

De cette façon, il n’y aurait plus de cité de l’impunité. Il faut ensuite la volonté politique. Si j’était nommé « Monsieur propre », j’allais plaider pour que les voleurs remettent les biens sans encourir la prison. Ceux qui refuseraient de le faire et qui seraient découverts, paieront cher.

A partir de là, nous allons sévir contre la corruption de façon impitoyable. Nos pères doivent se retourner dans leurs tombes. Et nos enfants nous insulteront demain pour ce que nous faisons. Pour voir l’avenir de façon sérieuse, effaçons le passé, posons des règles claires et appliquons les sans pitié. C’est ainsi que le problème sera résolu.

La corruption a effectivement tout gangrené dans notre pays. Cela est dû au fait que lorsqu’un parti est certain de rester pendant des dizaines d’années au pouvoir, les profiteurs du régime volent sans peur parce qu’il se disent que même s’ils volent des milliards, au bout de dix ans il y a la prescription.

Si ces bandits redoutaient une alternance, alors il ferait attention. C’est en cela que l’alternance est une bonne chose. La corruption règne parce que le peuple lui-même est devenu corrompu.

La preuve est que pour lui, voter un parti c’est vendre son bulletin à ce parti.

L’élite politico bureaucratique exploite cette mentalité corrompue du peuple pour accéder au sommet : l’électeur ayant été acheté, l’élite vole à qui mieux mieux les ressources publiques pour garantir son avenir dans un pays qui n’en a pas à ses propres yeux ; ainsi, elle pense vivre au sec, comme un castor, en temps d’inondation.

Bref, dans un pays où les gens n’ont pas de valeur commune sacrée, où c’est le chacun pour soi, tout le monde est corrompu du sommet à la base.

Il faut donc toute une révolution, c’est-à-dire un changement radical des mentalités pour avoir un citoyen burkinabè plus mûr, plus conscient et responsable.

Evidemment, on n’est pas dans le domaine du rêve. Non, je crois qu’un parti politique digne de ce nom a une philosophie. J’ai été choqué de voir des électeurs dire nous préférons voter pour des anciens voleurs que de voter pour de nouveaux voleurs, qui vont venir voler à leur tour. Je leur dis, Laurent Bado ne connaît pas de vol, il ne connaît pas le mensonge.

Ils oublient qu’il y a un problème d’éducation. Je suis éduqué pour ne pas connaître le mensonge, pour ne pas connaître le vol. Je crois que même ma vie publique a démontré que je n’ai pas voulu les facilités. Si j’avais voulu profiter des opportunités, aujourd’hui, je serais un grand seigneur de cette république.

Il ne faut pas oublier que c’est le PAREN qui a dit qu’au lieu de créer jusqu’à six (6) institutions de la république qui sont là, en train de chercher à résoudre le problème du banditisme économique, Laurent Bado propose ses services. On n’a qu’à me nommer “Monsieur propre”. Je donne six (6) mois pour qu’il n’y ait plus de détournements au Burkina Faso.

S. : Qui va faire cette révolution ? Bado Laurent ?

L.B. : Non ! Ce n’est pas le problème d’un individu. Tant qu’il n’y a pas une combinaison de facteurs, c’est inutile. Ce sont les hommes politiques d’abord qui doivent être des hommes de lumière et de moralité. Au Burkina, combien de partis disposent réellement d’un programme de gouvernement ! Pendant la campagne présidentielle, je me suis aperçu que les autres candidats n’avaient qu’un chapelet de projets épars à proposer, sans dynamique interne, sans interaction, sans ligne directrice. Ils disaient notamment que s’ils étaient élus, ils allaient développer la santé, l’éducation etc.

Je me demandais s’il jouait au populiste démagogue puisque l’Etat ne peut pas grand chose pour la santé s’il est pauvre. ; le peuple par ailleurs tombe malade parce qu’il ne mange ou mange mal. Donc, la priorité, c’est la production. De même, à quoi sert de développer l’éducation si, avec moins de 60% de taux de scolarisation, on récolte déjà les déperditions, les déchets et le chômage !

Vous voyez bien, c’est l’infrastructure économique qui conditionne la superstructure sociale. Moi je tiens compte des réalités, à savoir que sur 100 écoliers qui parviennent au CM2, moins de 15 entrent en 6ème ; sur 100 élèves qui arrivent en classe terminale, moins de 5 entrent à l’université. Où allons-nous avec ça ? Et voilà, l’université elle-même qui est pleine à craquer avec plus de 1000 étudiants dans certaines classes.

C’est face à ces tristes réalités sociales, qu’un parti politique digne de ce nom doit proposer des solutions crédibles aux problèmes posés. Or chez nous, il y a des partis qui se créent uniquement pour bénéficier de la subvention de l’Etat ; il y a des partis dont tous les militants peuvent tenir dans une cabine de télécentre. Il y a des pseudo partis, à savoir ceux qui se créent pour soutenir Blaise qui a son CDP ! Il y a enfin, les doublons partisans : 3 à 5 partis libéraux, 3 à 4 partis socialistes, 2 à 3 partis communistes ! Sur cette pente savonneuse, un pays pauvre comme le nôtre compte 114 partis ! Quelle honteuse distraction politique ! Le PAREN a une proposition de loi pour mettre de l’ordre dans notre échiquier politique.

Après les hommes politiques, il y a les hommes de la communication qui peuvent contribuer aux transformations mentales. Vous les journalistes, vous pouvez éduquer les partis politiques en dénonçant les partis politiques indignes de ce nom. Au lieu de ça, et sans doute pour amasser des sous, vous vous plaisez dans les faits divers politiques quand vous ne cherchez pas à détruire les hommes politiques animés manifestement d’un idéal. Je donne mon cas. Qui peut douter que c’est le combat d’idées qui m’anime ?

Si donc mon programme ne vaut pas un clou, si mes stratégie et tactique sont inopérantes, si mon discours est inadapté, rendez-moi service et au peuple en les critiquant ! Au lieu de ça, ce sont les condamnations, les jugements a priori du genre : “Ce type-là, il est égaré en politique”. Le parti de l’égaré a toujours pourtant engrangé des sièges quand de vieux partis n’ont jamais eu un seul ! Mieux, suis-je un égaré en politique en proposant une voie originale de développement ! L’homme politique digne de ce nom n’est pas celui qui a de bons résultats électoraux, mais celui qui a des idées valables pour l’avenir d’un peuple.

Après les hommes de communication, il y a les autorités morales. Quand un chef coutumier s’aligne ouvertement sur un parti politique et use de son influence morale pour conduire son troupeau de sujets dans ce parti en vue de bénéficier de subsides, il foule au pied la morale de sa fonction et il incite d’autres à se passer de morale en politique. Quand je vois par ailleurs les directeurs de conscience (prêtres, pasteurs, imams) abordés les questions morales de façon invertébrée, lâche, hésitative, je comprends pourquoi les croyants ont une foi affiché en rupture avec leur comportement quotidien : Ce sont les mêmes qui volent, qui fraudent pendant 6 jours et qui se présentent en « saint » le 7ème jour ! Non.

Les autorités morales doivent être tranchantes dans le domaine de la morale et ce sera leur contribution à l’émergence des citoyens honnêtes, conscients et responsables.

Après les autorités morales, il y a enfin les éducateurs. La jeunesse burkinabè est seulement instruite, et mal instruite, et pas du tout éduquée. Les premiers éducateurs sont les PARENts. Mais il y a de plus en plus de PARENts qui se contentent de mettre les enfants au monde, pas plus ! Les seconds éducateurs sont les enseignants. Mais l’enseignement burkinabè ne comporte aucune finalité, ni les valeurs : nos enfants sont à la croisée des chemins.

Quant aux enseignants, l’infecte atmosphère générale qui les entoure, le peu de considération qui leur est due, leurs conditions de travail difficiles, tout cela fait qu’ils exercent leur profession sans amour et sans vocation. Or, c’est l’école qui doit préparer l’enfant à devenir un citoyen digne de ce nom.

Au total, la corruption n’est pas une fatalité, il faut seulement que l’exemple vienne d’en-haut, que les comportements et les mentalités changent pour espérer le développement économique et social.

S. : Concernant le délit d’apPARENce, quelqu’un qui travaille n’a-t-il pas d’autres moyens ou sources de revenus par exemple pour vivre au-dessus de son revenu ? Ne craignez-vous pas des dérives ?

L.B. : C’est très simple. Cette loi existe dans beaucoup de pays. On demande tout simplement à celui qui semble vivre au-dessus de ses moyens de se justifier. Ce n’est pas une chasse aux sorcières.

Lorsqu’on voit un jeune homme qui n’a même pas cinquante (50) ans, qui a deux (2) grosses villas, qui roule en grosse cylindrée, alors qu’il n’a même pas 200 000 F CFA comme salaire par mois, c’est normal qu’il aille dire tout simplement d’où il tire ses ressources. Une fois cela fait, s’il n’y a rien à lui reprocher, il continue sa vie. Entre deux maux il faut choisir le moindre.

S. : Blaise Compaoré vient de faire l’unanimité au Togo pour être le médiateur dans le processus de solutionnement de la crise dans ce pays. Quelle appréciation faites-vous de cette sollicitation ?

L.B. : Je crois que chaque fois que notre président est demandé pour faire le pompier quelque part, c’est son devoir d’Africain de le faire. C’est aussi un honneur pour le pays, parce que, s’il était un médiocre en matière de négociation, on n’aurait pas confiance en lui. Il n’est pas le seul président de l’ouest africain ; si on l’a choisi, c’est parce qu’on sait certainement qu’il a des qualités bien données, des qualités de négociateur. C’est un homme qui aime écouter, qui parle peu, qui connaît aussi les hommes de ce pays, donc il est capable de façon froide, comme cela convient à son tempérament, de dire des vérités simples à ces gens-là. Je trouve donc que c’est une très bonne chose. Je ne dis pas qu’il va réussir forcément, parce que là, les appétits sont très féroces. Mais le fait qu’on l’ait désigné, c’est une fierté pour le pays et je lui souhaite bonne chance.

S. : Un reportage de Sidwaya vient de montrer que le “21 de Réo” est une source de dépravation. Quel est votre point de vue ? Et que faire pour remédier à la situation ?

L.B. : Un marché, par essence, c’est un lieu d’échanges, de partage, etc. Mais avec la paupérisation, avec la jeunesse évidemment qui a soif de lumière, soif de plaisir, cela ne peut aboutir qu’à une telle situation. Je me rappelle, quand je commençais la politique, avoir dit dans mon village que la jeunesse doit se ressaisir, car le jour du 21, ils sont au marché jusqu’à trois (3) heures du matin. Forcément, il y a des choses sales qui se font, je me suis donc décarcassé pour construire une maison des jeunes à mes frais. C’est quand le CDP a vu cela qu’il a couru pour venir construire la maison des jeunes et de la culture ; or ça c’est l’argent de tout le monde.

Moi, c’est mon argent propre. Le problème réel, c’est le problème éducationnel. Aujourd’hui, dans le marché de Réo, c’est possible qu’au lieu des échanges, il y ait plutôt des dérives. Mais si les autorités constatent, (moi je n’ai pas constaté) que ça prend des proportions vraiment inquiétantes, il faut qu’elles règlementent ça. On peut quand même arriver, surtout à travers la sensibilisation, à conscientiser les PARENts des enfants, pour qu’ils soient plus regardants sur les comportements des enfants.

A Réo maintenant, sans doute ailleurs aussi un mineur boit et fume. Il ne peut en être autrement quand les PARENts ont perdu les valeurs culturelles ; par exemple, un décès est devenu une occasion de fête où l’on se dispute sur la boisson et la nourriture. En résumé, on peut procéder par la sensibilisation préalablement à la réglementation pour venir à bout de ce problème. Rien n’empêche d’ailleurs que le marché soit fermé à partir de 17h...

S. : Est-ce cette déperdition culturelle qui est source de l’insécurité actuelle ou ceci est-il lié au développement comme certains le prétendent ?

L.B. : Il y a les deux. La dérive culturelle au Burkina Faso résulte de beaucoup de facteurs à la fois. Des facteurs endogènes et exogènes. Déjà, dans la famille, combien de PARENts d’élèves s’occupent de leurs enfants ? C’est triste mais c’est la réalité. Le père se contente de mettre l’enfant au monde et le reste, il s’en fout. J’en ai eu une idée qui m’a habité pendant très longtemps de façon négative. J’étais assis avec des copains dans une soupe de caïman et je vois un enfant qui vient tout en larmes. Il se présente ; je ne le connaissais pas ; mais il s’adresse à moi en me disant qu’on l’a chassé de l’école à cause d’un cahier de 100 pages.

Je lui ai dit d’aller voir son père quand même ; il a répondu qu’il a vu son père dans une buvette assis devant deux (2) bouteilles vides et une troisième à moitié pleine, et que quand il lui a parlé du cahier, son père lui a dit “ma gnêdg biiga” qu’il a la chance qu’il l’a mis au monde. Cela m’a choqué. J’ai donné 1000 F à l’enfant et je lui ai dit, de ne pas en vouloir à son père, mais d’avoir pitié de lui car il ne comprend rien à rien. C’est cela la triste réalité aujourd’hui ; beaucoup de PARENts ne s’occupent plus de leurs enfants ; ils ne les suivent pas. Au village, je vois même des mamans qui contribuent à gâter davantage leurs enfants.

Elles sont là, l’enfant est en train de faire des bêtises et elles rient ! Je vois cela à longueur de journée. La dérive culturelle est donc source d’insécurité. Il faut pallier par l’éducation, celle des PARENts et des enseignants. Malheureusement, un père peut avoir des difficultés à éduquer ses enfants à cause de la rue : à vouloir les obliger à ne pas imiter les autres, il est jugé autoritaire, dur et méchant. Malheureusement encore, les enseignants sont réduits à instruire sans éduquer car n’ayant plus d’autorité sur les gosses, avec les nouveaux droits de l’enfant, encore moins de pouvoir de correction. Nos enfants ainsi laissés à eux-mêmes, perdus, éperdus dans le groupe sont poussés au mal à l’absence de nos valeurs culturelles.

Le développement moderne explique également l’insécurité. Avant, la société était hiérarchisée, fondée sur des valeurs sacrées dont notamment la solidarité. Aujourd’hui, à chacun ses valeurs propres, à chacun pour soi et le diable pour tous dans un contexte de course individuel au bien-être. Le développement matérialiste individualiste ne peut qu’acculer les faibles et les exclus à la violence comme mode d’expression, de rejet d’une société de plus en plus inhumaine. En somme, il y a insécurité parce qu’on est déraciné, écartelé entre l’ordre traditionnel qui s’en va avec son humanisme, et l’ordre moderne avec son matérialisme attrayant qui peine à venir.

S. : Des parlementaires et des membres du gouvernement ont participé à une journée de reboisement à Bissiga. Que pensez-vous de ce genre d’action par rapport à la question de l’environnement ?

L.B. : Je pense que ce ne sont pas des sorties publicitaires de ce genre qui peuvent régler notre problème de l’environnement. L’environnement se détériore progressivement au Burkina, la preuve l’hivernage n’est plus ce qu’il était il y a 30 ans. Il faut réagir en réglementant notamment la colonisation interne (interdire l’abattage systématique des arbres en vue de semer comme ça se fait dans les riches terres de l’Ouest et du Sud-ouest), en confiant des missions de résultats aux collectivités, en sensibilisant les populations sur les causes et les conséquences de la déforestation, en veillant au suivi des reboisements, en soutenant les associations de jeunesse dans ce sens. Personnellement, j’aurais préféré voir les ministres et les députés aller dans leur village et mobiliser les gens pour le reboisement ; une autorité plantant des arbres au milieu d’une foule de ruraux a plus d’intérêts et d’effets que les sorties médiatiques de ces mêmes autorités.

Pour ma part, je suis né et j’ai grandi sous les arbres, chaque année, j’en plante. Je vous signale que dans le programme de gouvernement du PAREN, outre un plan d’action étalé sur plusieurs décennies, nous nous proposons de recourir à deux techniques pour accélérer le reboisement : d’une part, instituer un prix du village le plus écologique de l’année et, d’autre part, demander à nos frères prisonniers de réparer leurs fautes commises contre la société en transformant des déserts, parce que ce sont les Blancs qui nous ont apporté la prisons : ça n’existait pas chez nous !

S. : Le nomadisme politique refait surface. Cela à travers les derniers mouvements dans des partis comme l’UNDD, le PARI, l’ADF/RDA, etc. Ce problème vous paraît-il incurable !

L.B. : Il n’y a pas de problème incurable, jamais de problème sans solutions. La solution est là. Et le PAREN a une proposition de loi en la matière. Nous voudrions que si un élu d’un parti le quitte, qu’il cède le siège à son suppléant et qu’il aille se battre dans son nouveau parti. Tolérer le nomadisme, c’est contribuer à l’immoralisation de la vie politique. Il faut donc lutter contre cette pratique honteuse. C’est le rôle des journalistes que de dénoncer ces marchands d’une nouvelle race.

C’est aussi le rôle du législateur. Par exemple au Bénin, ils ont pris des mesures pour limiter le nombre de partis politiques et pour empêcher le nomadisme politique. Ce n’est pas sans raison que Sarkozy et Chavez ont visité le Mali et le Bénin. Si nous voulons un jeu démocratique pour réaliser le développement politique et économique de notre pays, il nous faut mettre fin à ce cancer de notre vie politique interne.

S. : Parlant de programme, quel est votre avis sur le programme du président Blaise Compaoré, à savoir du progrès continu pour une société d’espérance ?

L.B. : Le président a présenté son programme pendant sa campagne, et j’en ai reçu une copie, j’avoue que je n’ai jamais eu le temps nécessaire pour l’analyser. Tout ce que je sais, c’est que Blaise est loin de s’opposer à mes idées. Si vous prenez son programme de large rassemblement de 1991, vous verrez qu’il dit à la page 3 astérix que “l’évolution actuelle du monde, faite de remise en cause de... de... nous exclut tout mimétisme dans la recherche des solutions à nos maux”. Or je venais de publier auparavant l’Alternative où je dénonçais le mimétisme comme étant le mal africain.

Blaise est contre le mimétisme comme moi, à la seule différence que je propose quelque chose à la place. Actuellement le Burkina Faso pratique l’ultra libéralisme que les peuples occidentaux eux-mêmes désapprouvent. Cet ultra libéralisme n’assurera jamais le développement d’un pays africain parce que contraire au principe de cohésion de la société traditionnelle qui est la solidarité avant la liberté individuelle. Avec ce libéralisme, c’est-à-dire l’égoïsme individuel, nous aurons un recul continu pour une société de désespoir.

S. : Ne pensez-vous pas qu’il y a la surdétermination du marché international qui empêche de sortir de ce mimétisme-là ?

L.B. : Oh là, là ! Je prie Dieu que les adeptes d’une telle vision des choses ne deviennent pas des hommes politiques, parce qu’ils seront des assassins de toute la civilisation négro-africaine.

Il faut cesser de se tromper : l’Occident ne nous impose pas le modèle de développement ; il nous le propose en pensant que c’est le meilleur, or ce modèle est critiqué dans son propre berceau par les alter mondialistes et, depuis l’an 2005 par les peuples de l’Amérique Latine. C’est à nous à trouver notre voie, car le capitalisme privé tue nos valeurs cardinales : actuellement, c’est 15% des Burkinabè qui s’accaPARENt des 50% des ressources nationales. Bientôt, on aura les classes comme en Occident, c’est à dire une poignée d’exploiteurs d’un côté et l’immense multitude des exploités de l’autre. Comme l’Africain n’est ni libéral, ni socialiste, mais plutôt grégariste, à nous de nous appuyer sur cette réalité pour bondir dans le développement.

Autrement dit, laissons le capitalisme privé à la société occidentale, et le capitalisme d’état à la société orientale. Le libéralisme ne peut pas créer une société de solidarité ni de fraternité. Il n’exalte que la liberté individuelle qui exclut la solidarité, bien que l’Etat s’efforce maintenant, par des lois, de renforcer cette solidarité. Le socialisme ne peut pas faire mieux. Il n’exalte que la solidarité qui exclut la liberté. Donc, le capitalisme privé et le capitalisme d’Etat n’ont de place dans aucune âme africaine. Notre modèle de société était une catégorie à part en ce qu’elle était fondée sur la liberté et la solidarité. Cela se traduisait clairement au niveau des libertés et au niveau de l’économie.

Au niveau des libertés, on avait une pyramide dont la base était constituée par les interdits et les tabous, le premier niveau par les droits communs à tous, le deuxième niveau par les droits. Cela veut dire que nos pères étaient plus sages que les Blancs : les interdits et les tabous tendaient à prévenir les dérives morales ; les droits communs exprimaient l’égalité de tous les êtres humains, les droits spécifiques traduisaient les aptitudes de chaque catégorie (enfants, femmes, hommes). Or, chez les Occidentaux c’est la liberté individuelle. Cette liberté individuelle résulte d’un postulat qui est faux : « l’homme est né libre à l’état de nature, mais pour garantir sa survie, il a passé un contrat avec d’autres homme ». Voilà qui est faux. Personne ,’est né libre à l’état de nature.

Tout homme naît dans une société domestique (la famille), inféodée elle-même à une société civile (l’Etat) ayant ses principes, ses lois et ses valeurs dominantes. De ce faux postulat, les Occidentaux n’ont pas manqué de tomber dans une contradiction stérile en déclarant que : « le but de toute association politique (de toute société humaine constituée) est la conservation des droits naturels, inaliénables et imprescriptibles de l’homme » ! C’est ça la contradiction stérile : si l’homme est né libre à l’état de nature dans lequel il fait tout ce qu’il veut, tout ce qui lui plaît, il ne peut plus jouir de cette liberté de l’état de nature une fois le contrat passé avec d’autres hommes pour garantir sa survie ou le contrat social est un non sens, un marché de dupes, un dialogue de ventriloques !

Soit il reste dans son état de nature et alors sa liberté est sans limite extérieure, soit il adhère au groupe par nécessité et alors sa liberté est circonscrite par les principes, les valeurs communément admises par le groupe. Le contrat passé impose un devoir de solidarité entre les membres de la société constituée. Ce devoir de solidarité commande que l’exercice de la liberté individuelle, qui n’est d’ailleurs qu’un moyen, respectent les fins terrestres du groupe et les lois qu’il s’est données.

En clair, une fois le contrat passé, l’individu perd sa liberté de l’état de nature ; il n’a plus de droits naturels inaliénables et imprescriptibles ; il a seulement un panier de droits que le groupe reconnaît à chacun de ses membres pour rechercher son plein épanouissement physique, moral, spirituel, intellectuel et matériel. La liberté individuelle ne signifie plus pouvoir faire ce que l’on veut, mais vouloir faire ce que l’on peut, c’est-à-dire ce que le groupe dans l’intérêt général, accepte, autorise, tolère. Si des gens traversent une gorge profonde sur un pont de liane, il est dans l’intérêt de chacun et de tous que chacun fasse attention à ce qu’il fait. Comme on le voit, les Africains ont une bonne compréhension de la liberté dans le groupe. Pourquoi copier d’autres compréhensions ?

Au niveau de l’économie, cela se traduisait par la coexistence d’une propriété privée (champ individuel) et d’une propriété collective (champ collectif). La première visait la satisfaction des besoins superflus de l’individu tandis que la seconde visait la satisfaction des besoins fondamentaux de tous les membres du groupe. Voilà encore une bonne compréhension de la vie en communautés humaines.

Si les Africains ne tiennent pas compte de ce grégarisme économique, ils ne connaîtront jamais le développement. La preuve, c’est que ce continent qui est le plus riche a les populations les plus déshéritées de la planète tandis que l’Asie, plus pauvre, et hier colonisé comme l’Afrique est en train de dépasser l’Occident. Dans notre cas, le processus de développement apparaît aux populations comme une construction de l’extérieur, d’où elles ne s’y retrouvent pas, elles ne se l’approprient pas. N’est-ce pas une honte pour nos dirigeants d’assister à l’assaut des frontières de l’Occident par les jeunes africains, à leurs risques et périls !

C’est en nous complexant devant les modèles étrangers que nous nous amputons de nos capacités intrinsèques. Laisser deux hommes blancs se marier entre eux, et laisser Bado prendre deux femmes ! Cessons surtout de croire que l’étranger sera contre notre propre voie de développement. Ne voyez-vous pas que les Occidentaux veulent le développement de l’Afrique pour que nos enfants ne viennent pas les déranger chez eux avec leurs bruits et leur odeur ! C’est clair : Il ne faut jamais obliger un gaucher à se servir de la main droite.

S. : Etes-vous pour le fédéralisme africain ?

L.B. : Dès le départ, le PAREN a dit qu’il rejetait la formule actuelle des organisations sous-régionales, parce qu’on copie là encore, l’Europe. Les pays européens sont des pays historiquement et culturellement divisés : un Anglais, un Français, un Allemand, loin de s’assimiler se sont fait des guerres de 30 ans, des guerres de 100 ans, et deux guerres mondiales. C’est l’Etat moderne qui tente de les unir, d’où leur prudence en passant par des organisations économiques pour aboutir à l’Union européenne qui n’est même pas encore un Etat fédéral. Pourquoi les Africains veulent les copier ?

Les peuples africains sont culturellement unis, partagent des valeurs cardinales. Mais c’est l’Etat moderne qui est venu les diviser ; c’est l’égoïsme des chefs d’Etat qui fait qu’on ne peut pas arriver à l’Etat fédéral. C’est pourquoi, dans son manifeste, le PAREN propose d’aller directement au fédéralisme, mais par pallier : fédération Burkina Mali Niger d’abord, puis avec les autres Etats ensuite. La preuve qu’il faille aller directement à la fédération, c’est que le Président Konaré se dit déçu de l’UA.

S. : Que vous inspirent ces moments de vacances gouvernementales du mois d’août ?

L.B. : Il n’y a rien d’extraordinaire. Dans tous les pays du monde, c’est normal qu’un gouvernement, qui a travaillé toute l’année, prenne des vacances. Cela est tout à fait normal, je n’y trouve rien d’exceptionnel. Seulement, au niveau de notre parti, nous avons pensé à un tourisme de masse interne pendant les vacances. Puisque nous avons de beaux sites touristiques dans notre pays,il suffit de construire de petits hôtels par l’actionnariat populaire qui serait ouvert à tous les travailleurs qui y séjournent le temps qu’ils veulent mais leurs factures étant transmises à leur administration d’origine pour opérer les retenues sur leur salaire. De cette façon, les ministres, les fonctionnaires, les salariés prendront un vrai repos avant la reprise du travail.

S. : Pour administrer les régions, les provinces et les villes, on a les gouverneurs, les hauts-commissaires, les préfets, les maires, etc. Comment appréciez-vous cela ?

L.B. : Evidemment, j’ai toujours dénoncé le gigantisme. Car l’imbécillité suit toujours le gigantisme. Les provinces ne fonctionnaient même pas encore bien, faute de moyens qu’on crée des régions et des communes rurales pour ressembler aux autres pays africains qui ont institué ces structures. Or, cela va nous coûter des milliards. De plus, quelles seront les ressources de ces régions et de ces communes rurales ? Sous .Maurice Yaméogo au moins, les ressources des collectivités étaient exhaustivement énumérées. Il est certain que ce sera difficile de repartir les impôts et taxes entre l’Etat et ses démembrements décentralisés. C’est certain qu’il y aura des frustrations au niveau des communes rurales : chaque village voudra obtenir des réalisations chez lui chaque année.

Le Burkina aime les changements et le gigantisme. A t-on besoin de plusieurs structures pour lutter contre le banditisme économique ? A t-on besoin d’une trentaine de ministères dans un pays pauvre avec, comme conséquences dommageables, une spécialisation ministérielle verticale qui empêche de disposer d’un tableau de bord pour une même branche ou secteur d’activité ? Même le Conseil Economique et Social (supprimé au Sénégal) est une institution de plus s’il ne donne pas d’avis aux députés sur les lois à portée économique et sociale de manière à orienter leur vote. En tout cas, le PAREN au pouvoir par hasard, la décentralisation serait simplifiée, les duplications institutionnelles supprimées et le gouvernement formé avec 15 à 20 ministres au maximum.

S. : De quoi souffre-t-on exactement alors ?

Le Burkina Faso souffre surtout du manque d’imagination de ses fils comme jadis souligné par Lamizana, et du manque de patriotisme réel. Les hommes politiques, les intellectuels, les travailleurs, le simple citoyen, personne n’est au service de cette nation en construction. Chacun vit du peuple sans croire au peuple. Nous paierons tous un jour pour ça.

S. : Est-ce à dire que vous n’êtes pas d’accord avec la communalisation intégrale du territoire ?

L.B. : La communalisation va poser les problèmes que je viens d’évoquer. La mentalité des villageois n’est pas prête. Chaque village se prend pour toute une commune à part entière. A Zoula par exemple, nous avons trois conseillers. Ils disent qu’ils ont élaboré leur programme pour Zoula (rires), alors qu’il y a douze villages dans le département. Chacun d’eux va tirer la couverture sociale sur lui. Ils vont se disputer, surtout qu’on a des élus qui ne comprennent pas bien leur rôle.

Nous pratiquons du démocratisme. Comment voulez-vous parler de démocratie avec des électeurs analphabètes qui vendent leur bulletin de vote au plus offrant et dernier enchérisseur ? Avec des esprits traditionnels qui suivent leurs chefs traditionnels cupides et déshonorables ? Est-ce bien pour cette société arriérée qu’un intellectuel ait la même voix qu’un analphabète quand les Etats-Unis ont pratiqué pendant longtemps le scrutin capacitaire, et l’Europe le scrutin censitaire avant d’en arriver au suffrage universel direct ? Ce suffrage universel direct, chez nous, c’est le nivellement de la société par en bas, donc la consécration de la médiocrité majoritaire sur la qualité minoritaire.

S. : Le mois d’août est celui des indépendances africaines ; quel bilan faites-vous de ces Indépendances ?

L.B. : Ce sont des gesticulations qui ont seulement une résonance historique, et sentimentale. Nous avons pris nos indépendances parce qu’il fallait faire comme le Viêt Nam ou l’Algérie et parce qu’il y avait une certaine élite qui caressait le rêve de devenir président. Où est cette indépendance quand nous copions mécaniquement l’ex colonisateur et mendions auprès de lui pour survivre ? Les fêtes de l’indépendance ne correspondent présentement à rien. C’est d’ailleurs pourquoi il n’y a plus de grandes manifestations le jour anniversaire. Sous Maurice Yaméogo, attention ! Toute la nation entière défilait. Maintenant, on fait seulement les décorations (décorations d’ailleurs des bandits comme l’a souligné le Grand Chancelier) à la place de la nation et ça suffit. C’est un épiphénomène ; en somme on n’est pas encore indépendant. On le sera quand on trouvera une voie originale de développement propre à nous.

S. : Est-ce à dire que les indépendances sont une désillusion pour les populations ?

L.B. : Evidemment, je n’ai pas besoin de le dire. Dans les années 60, les paysans vivaient bien ; il pleuvait très bien et il y avait la solidarité ; les valeurs étaient encore sacrées. Aujourd’hui, c’est le sauve-qui-peut dans tous les ordres, personne ne veut s’occuper de personne, surtout moins de l’avenir de nos enfants. En outre, il y a la sécheresse et les poches de famine récurrente. Les gens sont donc découragés ; ils ne savent pas où aller. Indiscutablement, les anciens regrettent la colonisation ; il ne peut en être autrement quand on vit de moins en moins bien et qu’on a perdu tout repère dans la société.

S. : Comment s’en sortir avec les doutes sur l’histoire et le piège des langues ?

L.B. : Quelle histoire et quel piège ?

S. : Les désillusions sans fin !

L.B. : Vous voulez dire le processus de sous-développement ?

S. : Oui !

L.B. : Là on demande aux politiciens d’être de vrais hommes politiques, d’avoir un vrai programme cohérent de gouvernement. Quand vous prenez le PAREN, nous avons un projet de société, soutenu par une doctrine ; et un programme de gouvernement quantifiable, mesurable et contrôlable. Quand nous disons que nous allons faire ceci, nous disons d’où viendra l’argent. C’est ça un programme de gouvernement... Je vais développer l’éducation, je vais développer la santé, ça ce n’est pas un programme de gouvernement ; c’est une lettre d’intention ! Le difficile, c’est faire comprendre au peuple le bien-fondé de son programme et la nécessité de s’approprier le processus de développement. La langue n’est pas un obstacle puisqu’il y a des pays avec plusieurs langues comme la Suisse, la Belgique...

J’avais un professeur qui avait la chaire du droit du développement à l’Institut International d’Administration Publique de Paris, du nom d’Eugène Scheffer, qui était critiqué par tous les autres, pourtant il avait raison en parlant du développement en termes de syllogisme à savoir qu’il ne peut y avoir de développement sans changement des comportements individuels et collectifs des Africains, sans transformations mentales, et qu’il ne peut y avoir transformations mentales sans des institutions juridiques, économiques, politiques, sociales, adaptées au milieu. Il terminait par une phrase admirable : “Une belle voiture Ferrari conçue pour les autoroutes italiennes n’est pas sûre de tenir sur les pistes du Sahel”. Voilà la vérité ! Et c’est ça que le Nègre n’est pas arrivé à comprendre. Nous sommes très riches, trop riches, mais nous avons les populations les plus défavorisées, parce que nous n’arrivons pas à trouver la voie.

Vous vous souvenez qu’au Japon, le développement n’est pas entré par une élite. C’est par la base. Le chef traditionnel dirige ses fils dans sa petite entreprise agricole. Le soir, ils sont là en Kimono comme chez nous en Afrique.

C’est lui qui se sert le premier, le premier fils suit, jusqu’au benjamin. Du coup, le chef de famille a réussi à gérer de façon managériale l’entreprise agricole et, comme il est le chef de famille, il maintient les valeurs. Chez nous, c’est une élite formée à New York, à Paris...qui arrive et veut faire le bien du peuple. Le malheur, c’est qu’elle ne sait pas bien le faire. Voilà le malheur des Africains. Un processus de développement non accepté, assimilé par le peuple est voué à l’échec.

S. : Quelles analyses faites-vous des bombardements israéliens contre le Hezbollah ?

L.B. : Je ne me prononce de façon sûre que quand j’ai tous les éléments d’un dossier. Je ne suis pas un homme politique qui prend position pour des raisons opportunistes autres. Je ne peux dire à l’heure actuelle que je connais toutes les pièces du dossier libanais. Je puis cependant dire que la crise au Liban, c’est le fruit d’un mensonge entretenu par les Arabes, par les Israéliens et par la communauté internationale dont notamment les Etats-Unis. C’est une conjugaison de trois gros menteurs au monde. Après 1945, on dit aux Israéliens, qui avaient été chassés et dispersés à travers le monde de retourner dans leur terre. Automatiquement, les Arabes disent non et demandent la destruction d’Israël comme si la Palestine ne leur appartenait pas non plus. L’OLP s’est créée, s’est donné pour objectif la destruction d’Israël !

C’est ça qui a échaudé Israël qui a tellement souffert dans le passé. En avril 1987, Yasser Arafat est allé voir Gorbatchev qui était en train de faire sa Perestroïka. Gorbatchev lui a dit qu’il n’était pas prêt à le soutenir tant qu’il ne renonce pas à la destruction d’Israël. Donc, le premier mensonge est le fait que les Arabes ne veulent pas de l’existence d’Israël. Le second mensonge est le fait que les Israéliens, après la guerre de 1967 ont annexé une partie de la Palestine et le sud Liban, refusant même de remettre ces terres comme l’exige une Résolution des Nations-unies.

Et ces mêmes Israéliens exigent l’application d’une résolution des Nations-unies exigeant le désarmement du Hezbollah. Pour ma part, le problème aurait été déjà résolu si Israël remettait les terres en disant à la communauté internationale qu’il les reprendrait définitivement au cas où les Palestiniens en profiteraient pour l’attaquer de nouveau. Le problème sera encore résolu si les Palestiniens s’en remettaient entièrement à la communauté internationale sans perpétrer des attentats en Israël. Quant à la communauté internationale, son mensonge est de supporter davantage les Israéliens en n’exigeant pas leur retrait des terres occupées, ni le désarmement effectif du Hezbollah. Nous voilà donc au bord d’une troisième guerre mondiale !

S. : Israël peine à maîtriser le Sud Liban, est-ce à dire que l’armée israélienne a perdu de sa superbe ?

L.B. : Je ne sais pas. Je sais seulement qu’il ne lutte pas contre un Etat, mais contre une organisation qui se dissout dans la population civile. Il tente de l’épargner, mais ce n’est pas facile avec des militaires qui s’abritent derrière des civils, la guerre c’est la guerre.

S. : Que répondez-vous à ceux qui disent que la guerre au Proche-Orient est un conflit de civilisation ?

Conflit de civilisation peut être ; je ne peux-être affirmatif. Je sais seulement que les Arabes rejettent l’Occidentalisation comme projet politique, économique, socio-culturel universel. Le seul reproche que je leur fais c’est d’opposer à la civilisation occidentale leur religion musulmane. Pour moi, la religion doit inspirer la conduite des croyants et non pas être instrumentalisée à des fins politiques.

Je suis d’accord avec les Arables quand ils défendent leur identité culturelle. Il n’y a pas de raison que les Blancs trouvent normal le mariage de personnes de même sexe, et juge la polygamie comme étant une barbarie. De même, les droits de l’enfant reconnus par la convention onusienne sont en contradiction avec la place de l’enfant dans les sociétés arabes et africaines : droit à une nationalité différente de celle de ses pères, droit à sa religion, droit à sa vie et à sa correspondance privée, droit d’association, droit de recevoir et de répandre des idées de toute espèce, comme si l’enfant était déjà un majeur capable de discernement ! Les Arabes ont raison de rejeter une société occidentale permissive, atomisée, déstructurée et rendant un culte à l’homme et à l’argent et non pas à Dieu. Bravo pour eux de rester eux-mêmes pendant que les Africains ploient le genou devant les idoles occidentales.

S. : Comment interprétez-vous l’avènement du président béninois Yayi Boni ?

Je ne le connais pas ; mais je le félicite car on sent que c’est un patriote. Le quartier latin de l’Afrique s’embourbait dans la misère et Yayi Boni a trouvé cela anormal. Il a su convaincre ses concitoyens de son programme, et il a le sens de la parole donnée. Il gère par consensus, écoute les intellectuels et le peuple contrairement aux autres présidents africains qui très souvent ont horreur des intellectuels de leur pays.

S. : Comment voyez-vous l’issue de la crise ivoirienne ?

L.B. : Au moment où je suis en train de vous parler, je ne vois pas d’issue. Je pense que les Ivoiriens risquent toujours de s’affronter. Les audiences foraines, pour la partie gouvernementale, c’est une technique pour permettre à des étrangers de s’ivoiriser rapidement. Cela permettra à quelqu’un d’autre que Gbagbo d’être élu président. C’est pourquoi les pros Gbagbo s’y opposent. Ces audiences foraines sont donc le noeud gordien du drame ivoirien. Quand l’une ou l’autre partie se rendra compte que le corps électoral n’est pas en sa faveur, les choses se gâteront : ça passera ou ça cassera.

De toute évidence, le parti présidentiel n’entend pas l’alternance de cette oreille. Laurent Gbagbo a passé les cinq années, non pas à gouverner mais à veiller à l’accident final. Il ne peut pas partir dans ces conditions, d’autant plus que s’il part, il ne sait pas à quelle loi on va le manger, donc il fera tout pour conserver le pouvoir ; et ce sera aussi dans l’intérêt de tout ceux qui l’ont soutenu en commettant des crimes, des exactions, des violations des droits humains.

S. : Que dites-vous de la passation de pouvoir à Cuba, entre Fidel Castro et son frère ?

On chantait la démocratie populaire et on se rend compte depuis 1989, que c’est la pire de tous les régimes.

Castro est au pouvoir depuis des décennies, c’est toute honte bue qu’il passe le témoin à son propre frère. Où est le peuple dedans ?

Les dictatures modernes ont changé leur forme : elles se sont appelées démocratie populaire, par exemple dans l’ex URSS, sous Lénine, il y a eu plus de prisonniers politiques que sous toutes les monarchies occidentales. En 5 ans, la Tcheka (police politique) a tué un million huit cent soixante trois mille personnes, fusillées pour appartenance de classes. Le socialisme aujourd’hui est un fossile ; il s’est effondré sur ses fondements idéologiques bancals.

On ne parle plus de socialisme, c’est un fossile. C’est pourquoi, j’ai pitié des intellectuels et politiciens africains qui le prônent, car ce sont des menteurs de classe exceptionnelle, des anacondas politiques et autre piranhas préparés à bouffer du peuple. Le vrai socialisme, le socialisme à visage humain, c’est le grégarisme africain. Chez nous on pratiquait la devise des trois mousquetaires, à savoir « un pour tous, tous pour un dans tous les domaines ». Nous n’avons donc pas besoin de mimer le socialisme. Nous pouvons, au besoin trouver dans les entrailles de nos poulets plus d’idées justes pour nous développer que les sciences libérales et socialistes ne peuvent en comporter.

S. : La Mauritanie a connu un coup d’Etat, cinquième du genre, alors que l’Union Africaine récuse les régimes issus des putschs ; quelle en est votre analyse ?

L.B. : Les Occidentaux ne sont pas à une contradiction près : il n’y aurait pas de coup d’Etat si le jeu de l’alternance se faisait correctement ! Il y a coup d’Etat parce que des individus, parvenus au pouvoir, se refusent à le quitter contre la volonté populaire.

Lorsqu’un parti passe le temps à frauder aux élections, à exercer des pressions sur l’électeur, à acheter l’électeur pauvre (au Bénin, les dons pendant la campagne électorale sont interdits), sa victoire est une défaite cuisante que son manque de moralité fait qu’il ne le reconnaît pas. C’est un usurpateur. Dans l’impossibilité de changer le pouvoir par le droit (les urnes), le peuple a le droit et même le devoir d’obtenir le changement par la force. Cela est énoncé dans la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis.

Dans son magistère, l’Eglise catholique reconnaît également au peuple le droit de recourir à la violence pour obtenir le changement souhaité :« Si le dépositaire du pouvoir dans l’Etat se rend par les mesures graves qu’il prend indigne de la mission que Dieu et les hommes lui ont confiée, ceux qui l’ont choisi ont le droit de lui donner, par tout moyen légal, un successeur ; s’il s’oppose à l’usage des moyens légaux, il n’est plus qu’un usurpateur ; dès lors, la révolution devient un moyen de légitime défense et les citoyens peuvent l’employer, pourvu qu’ils soient moralement sûr d’en tirer un avantage vraiment appréciable ».

Soyons franc. Personne n’aime son pays plus qu’un autre a priori. Donc, acceptons l’alternance démocratique, ne serait-ce que pour nous éviter un mauvais réveil après un semblant de bon sommeil.

S. : Le magister de l’Eglise catholique n’est peut-être pas un bon exemple ! Quand on regarde cette église dans son évolution, le pape même s’il n’est plus efficace, il est là.

L.B. : Il faut parler des choses qu’on maîtrise. D’abord, il faut distinguer l’Eglise de l’Etat, la Cité de Dieu et la Cité des hommes. Ensuite cet enseignement de l’Eglise ne fait que rejoindre le droit positif et le bon sens commun. Si le peuple confie son pouvoir à quelqu’un par les urnes, le peuple n’a-t-il pas le droit de le lui retirer par les urnes ? Et si ce fameux représentant du peuple refuse de partir, vous condamnez donc le peuple à le supporter ! On n’a pas besoin d’être un intellectuel de haut niveau pour comprendre ça. La vérité, c’est que l’élu est chargé de rechercher le bien commun ; s’il est incapable de le réaliser, s’il cherche son seul intérêt personnel et celui de son clan, c’est le droit de celui qui l’a mandaté de le chasser de gré ou de force.

La différence entre un président et le pape, c’est que le président tient son pouvoir du peuple tandis que le pape même élu par des cardinaux ou même par le peuple comme au moyen âge ne représente pas ses électeurs et n’exprime pas la volonté de ces derniers : il représente Dieu sur terre et exprime la volonté divine.

S. : Et si le gouvernant incarne les vertus du peuple, est-ce qu’il ne peut pas demeurer longtemps à sa place ?

L.B. : Le peuple vise quelque chose ; il a des objectifs précis et c’est ce qu’on appelle grosso modo intérêt général ou bien commun. Si son représentant fait bien son travail, je ne vois pas d’inconvénient qu’il soit réélu même indéfiniment, mais à la seule condition qu’il n’y ait pas fraude électorale, falsification.

S. : Actuellement, le phénomène migratoire est d’actualité ; en tant qu’intellectuel, comment vous l’appréciez ?

L.B. : je n’apprécie pas, je constate que les jeunes Africains fuient leur pays pour prendre d’assaut les frontières occidentales. Les requins les bouffent et les survivants recommencent. Ça traduit l’échec du continent noir, l’échec de l’élite politico bureaucratique africaine. Sinon, ce ne sont pas les richesses qui nous manquent ! Le Japon n’a pas les richesses du sol et du sous-sol africain, et il est la 2ème puissance. Pendant ce temps,le Gabon qui est un pays qui a un million trois cent mille habitants seulement, l’or, l’uranium, le manganèse l’Okoumé (meilleur bois comme celui du chêne), le pétrole...a des populations aussi pauvres que le Burkina Faso. On peut citer d’autres pays africains immensément riches comme l’Angola, les deux Congo, la Côte d’Ivoire, deux des trois Guinée, le Cameroun, la Centrafrique...

C’est donc que nous avons des incapables notoires à la tête de nos Etats et qui osent dormir tranquillement quand leurs concitoyens se font dévorer par les requins. De tels dirigeants sont des monstres nés qu’il faut chasser du pouvoir si on ne veut pas que les aAfricains descendent au fond de l’enfer

S. : En République démocratique du Congo, les élections se sont déroulées, entachées par moments de violences. En tant qu’homme politique, comment voyez-vous l’avenir de ce pays ?

L.B. : Il faut regretter ces violences politiques. Mais quand on voit leur ampleur, (elle n’était pas si forte), on peut quand même se féliciter après la dictature de Mobutu. Mais le problème en RDC c’est qu’après le désordre survenu après la mort de Mobutu, on n’avait pas encore fini de soigner les plaies avant d’organiser des élections démocratiques dans ce pays-continent. On peut toujours s’interroger sur l’avenir du processus démocratique. Le “petit” Kabila est venu au pouvoir par accident initial et le voilà cherchant à s’y maintenir, alors que durant toute la transition, il n’a rien pu faire contre la corruption qu’on reprochait à Mobutu. A vrai dire, l’Afrique a besoin de vrais chefs d’Etat et non pas de clowns ou de parvenus, heureux de bouffer.

S. : Quelqu’un a dit que vous êtes un très grand intellectuel mais un piètre politique !

L.B. : Je répondrai à celui-là, que s’il est meilleur politicien, de se lever tout de suite et de créer son parti politique au lieu de jouir en égoïste de son repos et de sa situation sociale. C’est tellement facile de prendre son salaire, de passer de bonnes nuits avec sa femme et de critiquer les autres de façon légère et irresponsable. Je lui répondrai aussi que le piètre politicien en dépit du manque de moyens et les fraudes électorales a toujours conquis des sièges chaque élection. Je répondrai enfin à cette personne qu’elle ne comprend pas grand chose à la politique. En effet, on n’est pas un bon politicien parce qu’on gagne de bons résultats électoraux. On est un bon homme politique quand, par ses idées neuves, on contribue au changement nécessaire dans son pays. Je suis donc fière d’avoir des idées que de grand intellectuels occidentaux partagent : un Georges Balandier, un Serge Latouche, un Jean Marc Ela, un Pierre Engelhard disent comme moi, mais après moi, que l’Afrique refuse les modèles étrangers.

Pierre Engelhard me répète mot pour mot en déclarant que : « l’Afrique a besoin d’une économie populaire ». Cette économie populaire que je propose depuis des décennies correspond à nos traditions ou la propriété privée coexistait avec la propriété collective. J’ai fait seulement de l’industrie le champ collectif moderne qui devra être exploité par l’actionnariat populaire obligatoire. Du coup, moins d’endettement pour financer l’économie, plus d’amenuisement des effets pervers de la globalisation (le peuple capitaliste étant amené à consommer les produis de ses usines quels que soient leur qualité et leur prix pour espérer la dividende), plus de création d’emplois, plus de juste répartition des richesses nationales.

Il se peut quand même que d’autres me traitent de piètre politicien dans ce sens que je ne veux pas recourir aux mêmes voies et moyens immoraux que les autres pour accéder au pouvoir. A cela je répondrai que la politique parce que ce sont des idées, n’a rien avoir avec le mensonge, les compromissions ;

S. : Si certains disent que vous êtes piètre politicien, c’est peut-être parce que vous avez porté certaines affaires secrètes sur la place publique, par exemple l’affaire des trente millions !

L.B. : Si je comprends bien, on est piètre politicien quand on dit la vérité ? En réalité, ce n’est pas moi qui ai porté l’affaire des trente millions sur la place publique ; j’ai été seulement amené à défendre mon honneur et mon intégrité : à la suite de la crise de l’OBU, suivie de la démission des trois députés du PAREN, mes protagonistes ont cherché à me fusiller moralement et politiquement en susurrant que j’ai été acheté par le pouvoir, ne me fallait-il donc pas réagir pour rétablir la vérité ?

Les trente millions n’ont jamais été une tentative du pouvoir d’acheter un parti politique. En effet, à la veille de l’atelier de l’opposition pour se désigner un candidat à la présidentielle, le pouvoir a pris contact avec les premiers responsables de l’OBU pour leur dire qu’à ses propres yeux, il est de l’intérêt de l’OBU de présenter son candidat parce que ce parti a un vrai programme de gouvernement et l’on connaît ses deux principaux dirigeants.

Pour lui, tout autre candidat est loin d’être un gage de moralité et d’idées valables pour le pays parce qu’il les connaît tous, et parce qu’il a cherché, en son temps à rendre successivement le parti de chacun d’eux plus fort et plus crédible pour être un contre-poids utile et nécessaire au grand parti. Et dans la mesure où le président lui-même respecte mes idées politiques comme déjà vu plus haut, dans la mesure où il sait qui je suis, il a pensé qu’une candidature de l’OBU ferait le bon jeu de l’alternance au Burkina Faso.

Paré et moi avons accepté le soutien que le pouvoir a dit avoir donné inutilement aux autres en prenant en compte le fait qu’en 2001 ce président avait confessé que ce pays était à la croisée des chemins (on n’a jamais vu quelqu’un au pouvoir faire une telle déclaration !) et plaidait pour une voie originale de développement (une voie que je défends depuis des années), c’était donc un signe pour nous. J’ai poussé l’honnêteté jusqu’à exiger des deux parties une comptabilité et ça été fait au niveau du PAREN.

J’ai poussé l’honnêteté pour ne pas prélever sur la part revenue au PAREN les millions que j’ai personnellement injectés dans le parti depuis sa création, à défaut de cotisations des militants. Ce n’est qu’un portable que je me suis payé (dépense comptabilisée) parce qu’on venait de voler mon portable alors que j’ai payé des portables à des membres du bureau à mes frais. J’ai poussé enfin l’honnêteté jusqu’à faire réparer des véhicules de membres du bureau pendant que deux de mes véhicules ont été foutus pendant la campagne législative et que ma 4X4 a été défoncée à gauche et à droite lors de mes tournées en campagne.

Je dois ajouter ceci pour terminer : il y a des partis qui bénéficient de financement occulte, de financement extérieur, le PAREN pas. Pour moi donc, si le pouvoir en place recherche une bipolarisation politique bénéfique au jeu démocratique et au contre-poids efficace du pouvoir, pourquoi refuser ? Wade n’a-t-il pas été financé par Senghor en son temps, qui recherchait une opposition démocratique à son parti Etat sénégalais ? En résumé, je n’ai pas eu du plaisir à dévoiler les choses, mais ma réputation étant mise en cause, mon devoir de réserve devait le céder au droit à la vérité. C’est ce que j’ai fais sans regretter.

S. : On vous appelle abusivement professeur puisque vous êtes resté maître-assistant après avoir échoué au concours d’agrégation. Est-ce exact ?

Laurent Bado (L.B.) : Un préalable : ne faites pas des affirmations gratuites parce que cela est contraire à la déontologie. Non, je ne me suis jamais présenté à un concours d’agrégation. Après ce préalable, un constat : vous semblez tout ignorer de l’agrégation ! Sachez que l’agrégation n’est ni un diplôme (c’est un titre permettant à son bénéficiaire de passer d’un grade inférieur à un grade supérieur, exactement comme les concours professionnels dans la fonction publique ; c’est le doctorat qui est le diplôme le plus élevé de l’enseignement supérieur), ni la seule voie pour accéder à un grade supérieur, il y a les Comités Techniques Scientifiques (CTS) qui constituent une voie longue.

D’ailleurs, il n’y a pas d’agrégation chez les Anglo-saxons (Etats-Unis, Grande Bretagne, Afrique du Sud...), ni dans certains pays européens comme la Belgique et autres. Après ce constat, un simple rappel, j’ai eu personnellement à écrire un jour à l’Observateur Paalga qui en a fait sa Une que je n’avais que le grade de Maître Assistant ! Ceci dit, vous avez visiblement besoin d’être informé sur mon parcours. Le voilà : quand j’ai terminé mes études universitaires, j’ai été écartelé entre être avocat ou magistrat, administrateur civil ou enseignant. Finalement, j’ai opté d’être administrateur civil (fonctionnaire interministériel) et à cet effet, je suis entré à l’Institut Internationale d’Administration Publique de paris dont j’ai obtenu le diplôme.

De retour au pays, j’ai été intégré à la fonction publique en qualité d’administrateur public, tour à tour, j’ai été conseiller technique du ministre de la Fonction publique et du travail (par deux fois), chef du service du recouvrement et du contrôle des risques à la BND, directeur du personnel de la Fonction publique, conseiller juridique du ministre chargé des relations avec le Parlement (j’ai élaboré les tout premiers textes organisant ce nouveau ministère). Pendant que j’étais à la Fonction publique, j’étais chargé de cours à l’ENA dont je serais nommé plus tard Directeur, puis Directeur général, puis professeur permanent de cet établissement. C’est en 1984, après une douzaine d’années de Fonction publique que j’ai été envoyé à l’Ecole Supérieur de Droit (l’ESD) pour emploi. J’ai dû donc recommencer une nouvelle carrière.

Pendant deux ans, j’étais Assistant. Pour passer Maître Assistant, il fallait précisément totaliser deux ans d’enseignement et présenter au CTS trois publications. En 1986 donc, le Directeur de l’ESD de l’époque, l’actuel député Larba Yarga, me tint à peu près ce discours « l’ESD a été créée en 1979 et, jusqu’à nos jours, elle n’a pas un seul enseignant titulaire ; ce n’est pas bon pour le prestige de mon école. Je sais que si tu te présentes, avec tes publications que l’on sait, tu seras admis. Il faut le faire ».

J’ai répondu à mon Directeur que je partageais son souci qui révèle le responsable, mais que malheureusement, la carrière universitaire ne m’intéresse pas ; je savais qu’il y avait une école supérieur de droit, mais je n’ai pas postulé pour y enseigner étant à la fois un théoricien et un praticien, je préfère de loin l’enseignement à l’ENA. On m’a envoyé ici sur une base erronée, irrégulière, mais je compte retourner à l’ENA quand le statut des professeurs permanents sera remis en vigueur. Mon Directeur me répliqua qu’en attendant mon retour à l’ENA, je n’ai qu’à me présenter au CTS. C’est alors que j’ai accepté pour ne pas le décevoir, d’autant plus que je n’avais rien à perdre. J’ai été admis du coup, le premier à être admis au premier essai.

Trois ans plus si je ne m’abuse, on m’incite à passer le concours d’agrégation. Là, j’ai refusé catégoriquement pour deux raisons : la première c’est que ce concours faisait l’objet de tractations, de bras longs, de réseaux de relation. J’en fus convaincu, au delà des rumeurs, quand j’ai entendu une émission à la radio mondiale consacrée à l’agrégation ; un professeur Camerounais y déclarait qu’il met au défi le président du jury du concours d’agrégation qui va nier qu’il subit des pressions et que c’est pourquoi, les camerounais préfèrent passer le concours en France. La deuxième raison était que je n’étais pas un enseignant débutant ; je me voyais mal assis devant des petits frères pour me poser des questions alors que j’ai le bénéfice de la pratique que eux ils n’ont pas. En conséquence, je me suis porté candidat au CTS qui étudie les publications et vous juge digne ou pas d’accéder au grade supérieur.

Mais voyez-vous, depuis que j’étais devenu Maître Assistant, j’avais constaté quelque chose qui clochait : on ne m’avait jamais fait et jusqu’ici d’ailleurs participer aux travaux des CTS, alors que c’est l’occasion pour les gens de se fréquenter, de sympathiser ! Tous ceux qui sont devenus Maître Assistant après moi, ont eu ce bénéfice. Quand même, j’ai déposé ma candidature pour postuler au grade de Maître de Conférence, la veille de son voyage pour les travaux des CTS, le nouveau Directeur de la Faculté de droit qui était Sawadogo Filiga Michel m’avait téléphoné pour me dire qu’il est certain que je serai admis. Je lui ai répondu que je ne serai jamais admis pour les raisons suivantes : le meilleur enseignant chercheur est celui qui répète les leçons reçues à l’université étrangère, qui défend sous quelques réserves la transposition des institutions européennes en Afrique. L’enseignant chercheur qui au contraire rejette cette transposition mécanique, qui défend les réalités africaines, est d’office hors jeu, hors sujet. Il se trouve que parmi mes publications présentées, l’une d’elle, intitulé « Au delà du libéralisme et du socialisme », un ouvrage de 432 pages, est un missile dirigé contre l’occidentalisation ou l’orientalisation de l’Afrique. Il n’y aura donc pas une seule personne pour juger mes thèses nouvelles avec impartialité et sans parti pris.

De retour des CTS, Sawadogo à chercher ses mots pour m’apprendre le rejet de ma candidature. Et quand j’ai reçu le bout de papier (qui doit se trouver encore dans mes affaires) expliquant mon échec, j’ai ri jusqu’à tomber à la renverse ; on y explique le rejet de ma candidature parce que je n’ai présenté que deux publications et que le style était trivial. C’était honteux ! J’avais bel et bien présenté 5 publications et, dans le cas contraire le Rectorat vous renvoie votre dossier pour le compléter. Quant au style trivial, c’était le dernier argument d’un esprit sans argument. C’est le style propre aux ouvrages de science politique, de critique doctrinale ou idéologique. Lisez par exemple un J. D. de Vabres sur l’Etat ou un Duverger sur le marxisme ; ils n’y vont pas par quatre chemins pour combattre les idées des autres !

Or, c’est ce style que j’ai adopté pour mon gros ouvrage susmentionné. Pour être certain que ce sont mes idées qui gênent les autres, j’ai concouru une deuxième fois et j’ai eu la confirmation : on m’a reproché cette fois-ci la qualité des travaux, depuis lors, je n’ai rien à cirer avec les grades et je sais ce que je vaux, tout comme les agrégés savent ce que je vaux, et de même mes étudiants. Enfin, je ne crois pas être au-dessous d’un agrégé parce que moi je professe des idées que je publie. Je signale qu’en France, comme dans certains pays africains comme le Rwanda, on distingue désormais entre les professeurs d’école (alias les instituteurs), les professeurs de lycée et collège et les professeurs de lycée.

S. : Quelles leçons tirez-vous de l’élection présidentielle de novembre 2005 ?

L.B. : En tout cas, j’étais très content parce que mon parti a pu dire au peuple sa façon de voir le développement. Ça été dit dans un style qui pouvait choquer, mais le langage a été choisi pour choquer, pour éveiller les consciences. D’un autre côté, je me réjouis également puisqu’il n’y a pas eu des problèmes sérieux ou toutes autres manifestations d’hostilités ouvertes. Mais bien entendu, Blaise Compaoré avait les moyens qu’aucun autre n’avait. Certains candidats également ont eu la chance d’être soutenus par d’autres partis ou associations étrangères, tandis que moi, j’étais seul, trahi par mes trois députés, et malade. Mais cela ne m’a pas empêché de faire le tour du Burkina avec ma 4x4 et de dire aux Burkinabè ma vision du développement. Pour tout vous dire, j’étais très satisfait, en dépit des défaillances du code électoral, des fraudes organisées et de l’implication des autorités décentralisées ou déconcentrées dans la campagne.

S. : Quelle aurait été la place du Tercérisme dans la mondialisation si vous aviez accédé au pouvoir ?

L.B. : On appliquerait tout simplement notre programme puisque c’est sur la base de ce programme qu’on aurait été élu. Ce programme n’est pas un repliement sur nous-mêmes. On a beaucoup expliqué, mais il y a toujours des gens qui ne comprennent pas ou qui ne veulent pas comprendre. Prenons un exemple banal : pour que le train marche, il faut des rails. Ces rails représentent nos valeurs culturelles positives. L’agriculture sera la locomotive du train. Une agriculture qui serait en même temps alliée à l’éducation, parce que jusqu’à présent, on ne peut pas parler d’éducation au Burkina. Il vaut mieux à la limite fermer les écoles, les lycées et les universités. Il n’y a rien de bon. C’est une bombe atomique que nous avons posée sous nos pieds.

Pour développer l’agriculture, il faut faire en sorte qu’il y ait deux filières parallèles de formation : celle de l’enseignement général et celle de l’enseignement professionnel. Un écolier serait alors admis au CEP et à l’entrée en 6ème en obtenant la moyenne générale résultant de la moyenne des compositions des six dernières années et de la moyenne du certificat actuel. L’écolier qui n’obtiendrait pas cette moyenne générale sera alors orienté vers l’élevage et l’agriculture. C’est après leur formation pratique que les jeunes agriculteurs ou éleveurs sont installés dans les aménagements hydro agricoles, l’Etat pré finançant leurs équipements.

On ferait la même chose au niveau du BEPC où les élèves recalés seraient orientés vers la mécanique auto, la maçonnerie, la plomberie sanitaire etc., même procédé au niveau du BAC.

De ce fait, dès que l’élève finit ses études, il sait ce qu’il peut faire avec ses dix doigts et son cerveau. Ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. C’est aberrant qu’on ait aujourd’hui qu’un établissement d’enseignement professionnel contre huit, cinq établissements d’enseignement général. Et l’on s’étonne de voir nos jeunes diplômés occupés nos rues en criant ; cirer !lotus !bonne chance ! Quand ils ne s’improvisent pas en coupeur de route.

S. : Comment s’est opéré le choix de votre successeur à la tête du PAREN ?

L.B. : Le parti a choisi le meilleur à ce poste, c’est tout. C’est quelqu’un qui me suivait partout quand je donnais mes conférences, surtout à Ouagadougou. Lorsque j’ai créé le parti, il n’a pas hésité un seul instant à me rejoindre. Sincèrement, c’est un garçon battant et qui n’a pas d’ambitions plates. Je l’ai toujours dit, je ne veux pas d’ambitieux plats. Si quelqu’un cherche des postes, il ferait mieux d’aller voir ailleurs. Nous, nous assumons le rôle le plus ingrat dévolu à un parti politique, c’est-à-dire conscientiser le peuple en lui expliquant ce qu’est un parti politique, ce qu’est la démocratie ainsi que la priorité des priorités du point de vue de notre parti. Après la conscientisation, on pourra maintenant chercher le pouvoir d’Etat. En créant le parti, nous nous sommes donné six ans pour cela uniquement. Et si nous participions aux élections, ce n’est pas pour les postes, c’est tout simplement pour pouvoir profiter de cette tribune pour faire comprendre notre message au peuple.

S. : Avez-vous toutes les composantes linguistiques au sein de votre parti pour faire ce travail de conscientisation ?

L.B. : Le parti n’est pas uniquement constitué que de Gourounsi. Il est implanté partout, même chez les Bissa mes esclaves. A Gorom-Gorom, j’ai eu un excellent score à la présidentielle. Il y a plein de cadres dans mon parti qui parlent différentes langues de ce pays et qui peuvent bien expliquer aux paysans ce qui se passe dans ce pays. D’ailleurs, j’ai maintenant changé complètement la forme de mon parti. Avant, c’était un parti de masse. C’est inadapté dans le contexte africain. J’ai choisi maintenant un parti de rassemblement. C’est une chaîne de commandement : il y a un chef de région qui commande des chefs de provinces, un chef de province pour commander les chefs de communes rurales et de communes urbaines. Et sous leurs ordres il y a des chefs de villages qui dirigent des chefs de quartiers. Ils seront l’œil et l’oreille du parti chez eux. Je pense alors que cela ne sert à rien de vouloir traduire notre programme en langues nationales. Personne ne va l’acheter. D’ailleurs, quand on parle de langues nationales, tout le monde voit immédiatement le mooré, le fulfuldé et le dioula. Ce qui n’est pas normal. Je pense qu’il ne faut pas se moquer des autres ethnies. Cela peut créer des frustrations. Toute ethnie, aussi minoritaire soit-elle doit bénéficier du même traitement que les autres.Pour revenir à votre question, je dirai que dans mon parti, il y a bel et bien des gens qui maîtrisent très bien leur langue maternelle et qui sont également bien imprégnés de la doctrine et du programme de gouvernement du PAREN.

Au village, il m’arrive d’assister à des meetings où je laisse les gens parler. Même les paysans comprennent bien notre programme, surtout les femmes. Elles ont l’art d’utiliser des formules et des proverbes qui me donnent envie de danser. C’est dire donc que le tout est d’aimer ce que l’on veut faire et l’on réussit sans problème.

S. : Quelles seront maintenant les relations entre l’ex-président et le PAREN ?

L.B. : L’image que je laisse est celle d’un père qui se sent de plus en plus vieux et qui n’attend pas sa mort pour qu’il y ait une querelle de succession. Il sera à côté, pendant qu’il a un peu de force, pour dire aux enfants d’aller travailler sous quand même sa vigilance. Contrairement à ce que pensent certains, je n’ai pas abandonné la politique, ni mon parti. Lorsqu’on reste longtemps à la tête d’un parti et qu’on s’en va brutalement, ça crée toujours des problèmes. Je ne souhaite pas qu’une telle situation arrive à mon parti. Voyez ce qui arrive à certains partis ! Quant à moi devant normalement aller à la retraite en 2005, j’avais prévenu le parti que j’allais me faire remplacer parce que je ne peux pas le diriger de mon village. Le nouveau président est en communion et doit être en communion avec moi le fondateur du parti. Mais à partir de 2010, si mon parti fonctionne comme je le souhaite, j’arrêterai alors ma vie politique.

S. : Vous dites que vous arrêtez en 2010. Et si vous êtes élu ?

L.B. : Dès lors qu’on est élu, on n’est plus le président d’un parti mais celui de tout le monde.

S. : Votre parti disparaît ou quoi ?

L.B. : Mais non ! En 2010, que je sois élu ou pas, je vais prendre ma retraite en ce qui concerne la vie politique active. Mais jusqu’en 2010, je serai à côté de mon parti pour donner des lumières et même pour sanctionner parfois des décisions.

Parce que quand même, c’est moi le fondateur du parti, qui me suis dépensé pour lui intellectuellement, physiquement et financièrement. Je n’accepterais donc pas qu’on vienne détruire en un jour ce que j’ai construit pendant plusieurs années.

S. : Dans ce cas, vous n’avez pas réellement passé la main ! Dans la mesure où vous n’êtes plus président du parti, à quel titre pouvez-vous sanctionner les décisions ?

L.B. : Vous ne comprenez pas ! Ce n’est pas parce que l’Etat a donné une autonomie à une collectivité que cette dernière se comporte en Etat indépendant ! Le congrès a décidé que compte tenu du fait que le parti est attaché à mon nom si je me mets carrément de côté, les militants risquent de tourner casaque. Les gens doivent savoir que je suis toujours derrière le parti. C’est exactement comme un père de famille : il commande pour que les enfants travaillent sans pour autant aller lui-même sur le terrain pour travailler. Donc la nouvelle équipe doit m’informer des décisions importantes du parti. Les cadres du parti sont des jeunes qui n’ont pas assez d’expériences sur le terrain. Je veux leur succès mais jusqu’à ma mort, aucun d’eux ne peut aimer le parti plus que moi.

S. : Quand avez-vous vu Emile Paré pour la dernière fois ?

L.B. : C’est une question qui n’a pas d’intérêt en aucune façon. Je m’excuse, mais c’est comme ça. Sachez tout de même que Paré n’est pas un ennemi, pas même un adversaire ; s’il demande que tout soit repris à zéro en mettant une croix sur les erreurs passées, le parti j’en suis sûr en discutera avec sérieux.

S. : Que devient le jardin que Blaise Compaoré a donné au professeur ?

L.B. : Ce sont des choses mensongères. Mon père a commencé son jardin en 1933. Il avait déjà fait un jardin à Réo. Vous savez, nous sommes originaire du Yatenga. C’est un Bado qui a épousé une Kinda pour donner naissance à mon grand-père. Tout le monde parle de ce fait, le mooré dans ma famille excepté moi. Je suis de sang Yarga et Gourounsi à la fois, comme Victor Hugo.

S. : Au Séminaire, vous n’avez pas pu devenir prêtre, et, en politique vous avez juste fait une entrée-sortie. Au fond, Bado n’est-il pas un défaitiste ?

L.B. : Votre conclusion est très triste. Ce n’est pas parce qu’on a été au Séminaire qu’on doit devenir prêtre. Mais l’ancien séminariste peut apporter beaucoup au développement de la foi, autant sinon plus qu’un prêtre dans sa vie sociale.

Je n’ai pas fait non plus une entrée-sortie en politique ; vous semblez avoir oublié tout ce que je viens de vous dire à propos de ma succession.

S. : Tout au long de l’entretien, vous donnez l’impression de n’avoir que des lumières. N’est-ce pas prétentieux de votre part ?

L.B. : C’est votre problème si vous avez un complexe d’infériorité devant moi. Chez moi, un chat est un chat. On ne me verra pas entrain de m’auto flageller pour donner l’impression que je suis ni meilleur ni mauvais que les autres. Tout ce que je sais, c’est que j’aime la vérité et c’est sans doute cette vérité qui blesse les autres. Si quelqu’un trouve des ténèbres en moi, de vilains défauts, qu’il me les dise pour mon plus grand bien.

S. : Vous semblez entier et plein. Avez-vous une devise ou un idéal ?

L.B. : Je ne suis plein que de la conscience aiguë que je ne suis qu’un roseau de Pascal ; fragile, mais un roseau pensant. Entre mon berceau et mon tombeau, je tiens à réussir ma vie, c’est-à-dire, donner un sens à mon passage sur cette vallée de larmes, aimer Dieu en aimant le prochain en vue d’espérer la vie éternelle. Mon seul projet au monde est de réussir ma mort ! C’est pourquoi je ne participe pas à vos foires à l’avoir, au plaisir, au prestige d’ici bas. Tout mon bonheur est dans une vie simple attaché à Dieu et à la nature.

S. : Maintenant que vous n’êtes plus président du PAREN, accepteriez-vous volontiers d’être le président de l’Association des chauves et futurs chauves ?

L.B. : Pourquoi ? Cela ne m’intéresse pas. Que les gens soient chauves ou pas, c’est pas mon affaire. Si je porte une casquette, ce n’est pas pour cacher ma calvitie dont je suis fier mais pour que les militants et sympathisants du PAREN sachent que je n’ai pas quitter la politique et le parti, il faut les rassurer.

S. : Pourtant, le photographe souhaite que vous l’enleviez pour qu’il puisse prendre une photo de vous sans le chapeau.

L.B. : je n’ai pas un goût prononcé pour les plaisanteries de ce genre ! (Rires !)

S. : Que pensez-vous de la presse à l’heure actuelle ?

L.B. : Dans le contexte africain la presse a un rôle fondamental à jouer. Elle peut contribuer à l’éveil des consciences et à la formation du peuple. Elle peut guider le choix des électeurs en appréciant les programmes des partis politiques.

Il se trouve malheureusement que certains journalistes sont prisonniers de leur parti pris, de leur sympathie ou antipathie pour tel homme politique sans considération intrinsèque de la valeur de son programme.

Il y a même des journalistes qui cherchent à abattre des hommes politiques soit pour se faire de l’argent, soit pour servir les intérêts d’autres hommes politiques moyennant finance. Pour ma part, j’ai été étonné que mes propositions de lois à l’Assemblée nationale n’aient pas eu d’écho dans la presse écrite et parlée. Or, c’est par là que le peuple allait connaître la valeur de leurs élus.

Enfin, je souhaite plus de professionnalisme, car, par expérience beaucoup de journalistes ne sachant pas faire un compte rendu analytique, tronquent les discours politiques en ne dégageant pas les idées maîtresses dans l’ordre et la logique interne ; il se contente d’additionner les éléments faits-diversifiés pour constituer un article vide dans le fond et sensationnel dans la forme. J’ai foi en une presse de liberté, d’impartialité, de moralité et d’intellectualité.

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 25 octobre 2013 à 08:30, par Gnénéral BADOLO Boukary En réponse à : Laurent Kilachiu Bado : “Il n’y a rien dans l’opposition burkinabè”

    Bonjour Professeur BADO.
    je m’appelle BADOLO Boukary .Fils originaire du sanguié precisement de Didyr village situé à 5km de Didyr le nom c’est MIKÖ entouré des villages suivant Yamadio,Ladiana ,Mata ,Nidiolo et Didyr.
    Je suis un Chef d’Etat Major Armée de l’Air en formation à Ouagadougou.C’est Base Aerienne 511.
    A cause de mon admission à cette concour mes amis et camarades de classe ,mes Fans sont mis en deroute par le Pouvoir en place .N’étant pas sur place car je dois me deplacer pour des raisons de service avec l’Armée Française .Je voudrais que tous mes sympathisants adhèrent votre parti politique pour des raisons de securité .C’est un choix que je les propose mais il faut le Parti sache notre intention.Je suis un futur Chef d’Etat mais de la Republique de Haute Volta .Il aura un grand changement dans le pays .
    S’ils arrivent comme c’est des jeunes c’est sûr que ça va bouger .(c’est ZEBA Solange mon Secrétaire Général ).son contact :78-97-67-87.
    Mes établissements c’est EPP Okromodou -Collège Moderne de Fresco-Lycée Provincial Mollo Sanou-Lycée Privée Béthanie 2-UFR/SVT université de Ouagadougou.

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