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Présidentielle 2005 : Décryptage du soutien de l’ADF-RDA à Blaise Compaoré

Publié le mardi 29 août 2006 à 07h32min

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L’élection présidentielle du 13 novembre 2005 est bien finie et avec elle le lot de points de vue sur la candidature du chef de l’Etat sortant Blaise Compaoré et le soutien de l’ADF-RDA à ce dernier. L’étudiant Pascal Nébié revient aujourd’hui sur ce soutien en essayant de l’expliquer.

Maintenant que l’élection présidentielle es derrière nous, et que Blaise Compaoré a été proprement et confortablement élu, maintenant que notre candidat a été constitutionnellement installé comme Président du Faso, il serait intéressant de revenir sur certains sujets que nous ne pouvions évoquer en son temps, pour des raisons d’appartenance à la même famille politique mais également par respect de certaines valeurs humaines que nous partageons, telles que la fidélité, la franchise, la parole d’honneur et la camaraderie.

Au nombre de ces sujets qui ont d’ailleurs animé les gargottes, les grains, les QG et les cafétérias, deux d’entre eux ont retenu notre attention, et nous voudrions en reparler pour susciter un débat d’idées, et pour contribuer, de manière qualitative, à l’élévation du niveau de démocratie de notre pays.

Il s’agit particulièrement du soutien de l’ADF-RDA à la candidature de Blaise Compaoré, et de la part de contribution de l’ADF-RDA aux 80,30% de succès du président à la présidentielle de novembre 2005.

Concernant le premier sujet, celui qui a trait au soutien de l’ADF-RDA à la candidature de Blaise Compaoré, alors que les productions juridiques de grande classe des uns, les littératures politiques de première grandeur des autres n’avaient pas fini de nous démontrer la légalité constitutionnelle de Blaise Compaoré à se présenter à cette élection présidentielle, une information capitale allait perturber les équilibres politiques de notre pays, et jeter de l’effroi dans le landerneau politique du Burkina.

L’ADF-RDA de Me Gilbert Ouédraogo, deuxième formation politique du Faso, du point de vue de l’implantation mais aussi de la représentation à l’Assemblée nationale, venait de décider, contre vents et marées, de soutenir la candidature de Blaise Compaoré.

En son temps, tous les arguments possibles avaient été développés pour tenter d’expliquer ce que d’aucuns avaient qualifié d’alliance contre nature.

Zoodnomma Kafando, par exemple, avait défendu les thèses suivantes : "il y a de quoi perdre son latin dans la mesure où ce n’est pas tous les jours qu’une formation leader d’une opposition apporte sa caution au candidat d’un parti majoritaire... Que diable l’Eléphant est-il allé faire dans cette galère battant pavillon Blaise Compaoré ... Une fois passée la surprise, l’étonnement et l’indignation, il importe de se demander non pas a quel prix l’ADF-RDA a marchandé son soutien à Blaise Compaoré, mais pourquoi et à quel prix le président candidat a demandé ou accepté que l’Eléphant le soutienne... Jusque-là, les analyses se sont focalisées sur le fait que c’est l’ADF-RDA qui a probablement proposé ses services à Blaise Compaoré, oubliant que c’est peut-être ce dernier qui a sollicité ou accepté l’appui du pachyderme pour des raisons qui lui sont propres ... Peut-être que le Président du Faso, sans le vouloir bien sûr, estime, aujourd’hui plus qu’hier, qu’il est temps de voir au-delà du CDP et des partis politiques de moindre envergure qui le soutiennent...

Jean Marie Le Pen et Blaise Compaoré

D’autres observateurs politiques très avisés, comme les journalistes de L’Evénement, avaient également produit des explications que nous avions trouvées convaincantes en ces termes : "... dans la logique politique, il s’est constitué, avec ce ralliement, un front national pour aborder le scrutin présidentiel qui devrait normalement consacrer l’heureux bénéficiaire, Blaise Compaoré. Une reproduction sous les tropiques d’un tel front national s’est produite pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen et élire Jacques Chirac en mai 2002. Mais, dans notre cas, à qui veut-on faire barrage ? ... à l’image de ce qu’il fit pour le régiment de sécurité présidentielle, le futur nouveau élu voudrait dégarnir les rangs de son entourage civil en mettant à la touche nombre de mandarins qui ont suffisamment accumulé et qui sont aujourd’hui un boulet pour la suite de sa carrière politique. En 1998, juste après la présidentielle, il aurait eu l’intention de faire le ménage, mais les événements du 13 décembre lui ont imposé de continuer à cohabiter. Cette fois, il aurait pris suffisamment d’assurance pour ne pas être surpris. Aussi bien en 1996, avec la création du CDP avant les législatives, que pour cette fois avec les alliances qui se nouent, Blaise Compaoré voudrait un rassemblement plus sélectif... Seulement, les trèves politiques sont de bien maigres chimères, surtout quand ce sont des échafaudages intuiti personnae. Les partenaires cooptés, se sachant illégitimes, travaillent très souvent contre celui qui les a faits rois, soit par zèle excessif, soit par une prudence maladive. Dans les deux cas, le résultat est le même : l’atermoiement."

A la lumière de ces deux grandes réflexions qui avaient été faites sur ce premier sujet, et en nous appuyant sur nos propres visions des choses, nous pensons que l’acceptation du soutien de l’ADF-RDA à la candidature de Blaise Compaoré s’est fondée sur deux principales explications :

- à notre sens, le président Compaoré avait émis des inquiétudes sur la capacité de son parti à lui garantir un large succès à cette présidentielle de novembre 2005, une réélection qui n’aurait rien à voir avec celle de 1998, et surtout pas la très mauvaise première élection de 1991. Les résultats moyens du CDP aux législatives de 2002 ont, par ailleurs, contribué au renforcement de ces inquiétudes.

- nous approuvons également toutes les littératures qui tentaient d’expliquer que le président Compaoré voulait recomposer le paysage politique burkinabè. Il ambitionnait de créer autour de sa personne des compétences nationales diverses qui pourraient converger vers des objectifs de développement sans tenir compte des horizons ou des couleurs politiques. A notre avis, le contrat passé entre le président Compaoré et Me Gilbert Ouédraogo relevait d’une tentative de créer à nouveau une sorte de "think tank", comme disait Newton Ahmed Barry dans L’Evénement n°72 du 25 juillet 2005.

En 1996, lorsque le CDP avait été fondé sur les cendres de l’ODP-MT, de la CNPP, du GDR, du RSI, la principale motivation répondait à une telle volonté d’aller au-delà des idéologies et des alliances de courants pour rassembler des compétences autour des grands défis du pays.

Notre point de vue sur la fondation avait été clair en son temps. Le CDP a été un échec. Au lieu d’être un parti classique organisé sur la base d’un programme, fusse-t-il un copié-collé du programme de large rassemblement ou du progrès continu pour une société d’espérance, le CDP a toujours été une machine électorale que l’on relooke à chaque échéance pour remporter des élections.

Les hommes du président

D’ailleurs, la côte de popularité de ses principaux animateurs est actuellement mise à rude épreuve : le "nan yi moui" de Simon Compaoré ne fait plus recette au Centre, Kader Cissé commence à manquer de l’énergie au Sahel, Alain Yoda ne fait plus l’unanimité au Centre-Est, le tandem Mélégué-Tou Ludovic a montré ses limites dans les Cascades, la méthode Karfo Kampouni bat de l’aile dans le Centre-Sud, le tandem Thomas Sanou-Salia Sanou ressemble plus à un scénario de Starky et Huch qu’à un duo de choc dans les Hauts-Bassins, Marc Obukiri commence à essuyer des critiques dans le Mouhoun, Dieudonné Bonané, l’enfant terrible des palais feutrés, a été terrassé au Nayala, Youssouf Ouédraogo a failli se noyer dans le lac Bam, et Salif Diallo a défié les députés Tahéré et Bernard Lédéa Ouédraogo au Nord. Seuls Paramanga Yonli, à l’Est, et, à un moindre degré, Roch Kaboré, avec la bénédiction du président, comme l’a souligné Michel Ouédraogo de Sidwaya, ont su tirer leur épingle du jeu.

Un autre aspect non moins important à mettre au chapitre des inquiétudes ou de ce que nous avions qualifié de hantise de la mal-élection est la nomination de Salif Diallo comme directeur de la campagne présidentielle. A peine sorti d’un grand hôpital parisien où il était allé se soigner pendant deux mois, le convalescent Salif Diallo s’est vu confié la direction de la campagne présidentielle alors que des cadres bien portants du CDP, comme Léonard Compaoré, Clément Sawadogo, Naboho Kanidoua ou Théodore Zambendé Sawadogo auraient pu remplir le même rôle avec moins de souffrances physiques que le pauvre Salif. Cette nomination a été opérée au grand mépris des règles de considération et de respect pour les autres responsables du parti. Ceci voulait simplement dire que même malade, Salif était le seul à pouvoir diriger la campagne, telle que le président la voulait. Même s’il ressort des renseignements que nous avions pu glaner que c’est l’intéressé lui-même qui s’était porté volontaire pour occuper le poste, il n’en demeure pas moins que son état de santé commandait qu’on rejette gentiment sa demande.

En ce qui concerne le second sujet, celui qui a trait à la contribution de l’ADF-RDA aux 80,30% de Blaise Compaoré à l’élection présidentielle de novembre 2005, nous utiliserons une méthode quantitative comme argumentaire pour mieux exprimer nos propos.

Résultats de la CENI

Selon les chiffres publiés par la CENI sur les résultats de l’élection présidentielle, le candidat Blaise Compaoré a obtenu 80,30% des suffrages totaux, soit 1 674 966 voix. Dans la logique du contrat qui a été passé entre le président Compaoré et Me Gilbert Ouédraogo, l’ADF-RDA a donc contribué pour un certain pourcentage dans les 80,30% de Blaise Compaoré.

Comment peut-on évaluer la part de contribution de l’ADF-RDA dans les 80,30% du président ?

La seule évaluation possible qui se rapprocherait beaucoup plus de la réalité ne peut être le suffrage obtenu par l’ADF-RDA lors des municipales qui se sont tenues quatre mois après la présidentielle. Celle-ci reflète mieux les différents rapports de forces que toutes autres estimations mathématiques.

Pour les élections municipales, la CENI a donné les résultats suivants pour le CDP et l’ADF-RDA : 1 056 939 voix pour le CDP et 207 735 voix pour l’ADF-RDA.

Quelle interprétation mathématique pouvons-nous faire de ces deux résultats ?

Que la coalition CDP, ABC, ADF-RDA et AMP a donné 1 674 966 voix à leur candidat, qui avait recueilli 80,30% à l’élection présidentielle, et qu’aux élections municipales, l’ADF-RDA et l’AMP, qui se sont retirés de la coalition, ont obtenu respectivement 207 735 voix et 410 290 voix, le CDP ayant obtenu 1 056 939 voix. Les 410 290 voix de l’AMP ont été obtenues en soustrayant les voix du CDP et de l’ADF-RDA du total des voix de Blaise Compaoré à la présidentielle, c’est-à-dire

1 674 966 voix.

Une autre interprétation possible est que si Me Gilbert Ouédraogo s’était présenté à l’élection présidentielle, il aurait approximativement obtenu 207.735 voix, ce qui représenterait 9,95% des 2 085 870 suffrages totaux exprimés de élection présidentielle. Ce score de l’ADF-RDA ramenerait le résultat du candidat Blaise Compaoré à 70, 35%.

Il est clair que l’ADF-RDA aurait pu recueillir plus de suffrages que les 207 735 que nous lui avons attribués arbitrairement, mais le parti de Me Gilbert n’aurait également pas pu enregistrer le même score, car en amont des élections, le CDP, l’AMP et les ABC avaient abattu un travail de titan dans le domaine la mobilisation pour le retrait des cartes d’électeur, étape primordiale que le parti de l’Eléphant n’avait pas forcément effectuée avec la même ferveur que ces deux partenaires de la coalition pour la présidentielle. La répartition des suffrages par candidat, sur la base des calculs que nous venons d’opérer, se serait effectuée de la manière suivante :

Rang Candidats Suffrages Pourcentages

1 Blaise COMPAORE 1 056 939 70,35%

2 Gilbert OUEDRAOGO 207 735 9,95%

3 Bénwendé Stanislas SANKARA 103 216 4,94%

4 Laurent BADO 54 550 2,61%

5 Philippe OUEDRAOGO 47 505 2,27%

6 Ram OUEDRAOGO 42 450 2,03%

7 Ali LANKOUANDE 36 346 1,74%

8 Norbert Michel TIENDREBEOGO 33 455 1,60%

9 Soumane TOURE 23 433 1,12%

10 Gilbert BOUDA 21 735 1,04%

11 Pargui Emile PARE 18 175 0,87%

12 Hermann Hector Magloire YAMEOGO 15 753 0,75%

13 Clément Toubé DAKIO 7 802 0,37%

14 Nayabtigungou CONGO KABORE 6 494 0,31 %

Avec un tel résultat à l’élection présidentielle 2005, la carte politique du pays se serait bien dessinée d’elle-même, l’ADF-RDA aurait grandi en expérience électorale, Me Gilbert Ouédraogo aurait acquis des galons d’homme d’Etat et de véritable patron de l’opposition, et, très certainement, la démocratie aurait mieux triomphé qu’avec cette cooptation qui a donné des résultats aux allures du temps des partis uniques ou du temps des kolkhozes et des sovkhozes. Ce résultat de 70,30% aurait fini de consacrer le président Blaise Compaoré comme un des bâtisseurs potentiels de la démocratie en Afrique au lendemain du discours de la Baule.

ADF-RDA, ABC, AMP...

Et puis, si l’acceptation du soutien de l’ADF-RDA à la candidature de Blaise Compaoré répondait à un autre objectif de reconstitution d’une formation politique redimensionnée qui regrouperait le CDP, les ABC, certains partis politiques de l’AMP et l’ADF-RDA, comme les bruits le faisaient courir, alors les élections municipales ont fait reculer l’échéance. L’ADF-RDA a été réduite à sa plus simple expression, certains éléments des ABC n’ont pas connu le succès escompté, et des ténors du CDP ont connu la bérézina. Il faudrait d’ailleurs que le président revoie sa copie sur la constitution des partis de grande envergure. Il paraît parfois compliqué de faire cohabiter des hommes de gauche, de centre-gauche, des socio- démocrates, des communistes reconvertis et des hommes de droite. Le CDP en est illustrissime.

Les leçons à tirer des municipales sont, sans conteste, que le chancelant CDP est toujours une machine électorale redoutable, comme l’avait, du reste, prévenu Salif Diallo dans une émission de la TNB, et que l’électorat est de plus en plus favorable à certains petits partis de l’AMP, tels que l’UPR, le RDB, la CFD et le RDM, qui se sont, respectivement, classés troisième, septième, huitième et onzième lors des échéances électorales du 26 avril 2006.

Le président Compaoré est incontestablement l’homme politique qui a marqué notre pays ces vingt dernières années. Sa stature d’homme d’Etat de grande classe lui confère une vision très éclairée en matière de politique de développement, de démocratie et d’unité nationale.

Imprévisible, fin tacticien et subtil manager des hommes, il a toujours réussi là où beaucoup n’ont pas connu la gloire ; il a toujours su anticiper sur les événements, et, par conséquent, a toujours été en avance par rapport aux autres. C’est peut-être là la différence qui fait les grands hommes. Mais, pour ce qui concerne la préparation, le management et le ficellement de l’élection présidentielle de novembre 2005, le Président Compaoré a commis quelques erreurs d’appréciation qui ne lui enlèvent en rien sa qualité de meneur d’hommes et de chef d’orchestre, mais qui ont quelque peu réduit la qualité de sa victoire.

Le refus du soutien de l’ADF-RDA à sa candidature aurait permis un renforcement de l’opposition, une campagne présidentielle digne d’une démocratie qu’il a su forger, des résultats qui refléteraient mieux le paysage politique du pays, et un score de 70,30% qui conviendrait mieux à la communauté internationale et aux bailleurs de fonds.

2010 est à nos portes. Nous pensons, comme Zoodnoma Kanfando que Blaise Compaoré va y organiser sa dernière campagne présidentielle : "... Blaise Compaoré va abandonner le pouvoir. Le tout est de savoir quand. Mais le quand ne peut être envisagé sans le comment, avait-il écrit en juillet 2005.

Les grands beloteurs ont coutume de dire : "L’américain joue pour la der". Pour sa sortie, nous osons espérer qu’il ne commettra plus les mêmes erreurs que celles qui ont donné à l’ADF-RDA une place gratuite et non méritée dans le jeu politique burkinabè, une place qu’elle n’aurait jamais obtenue si le CDP était le PS, et le Burkina la France, ou si le CDP était le Parti démocrate, et le Burkina les USA.

Pascal NEBIE,
Etudiant à l’UFR - SJP - Université de Ouagadougou
01 BP 1675 Ouagadougou 01

Le Pays

P.-S.

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Présidentielle 2005

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