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Election du représentant de la société civile à la CENI : "Ils ont perdu pour cause d’indiscrétion"

Publié le lundi 21 août 2006 à 07h19min

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De toutes les élections de représentants à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), c’est celle organisée par la société civile qui a été la plus houleuse. Plus d’une semaine après l’élection, Jonas Hien, président du directoire ayant supervisé le scrutin, donne les raisons de l’échec de certains candidats qui ont vite fait de crier au scandale.

Pour lui, ces candidats ont perdu tout simplement parce qu’ils n’ont pas été discrets sur certains soutiens qu’ils ont reçus.

Le 12 août 2006, se tenait au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale une réunion d’organisations de la société civile en vue d’élire un représentant au titre des associations de défense ou de promotion des droits humains et des libertés publiques. Cette élection, qui s’est tenue dans un climat houleux, a suscité des interrogations légitimes.

C’est pourquoi il apparaît nécessaire de fournir de plus amples explications à l’opinion nationale et internationale, au regard des messages et appels que j’ai reçus d’amis de la France, de la Suisse, du Canada et d’Italie, auxquels s’ajoutent ceux au plan national. A l’occasion de cette élection, des gens ont posé intelligemment un piège pour attraper certaines personnes, et, avec intelligence, le même piège les a attrapés. Suivez ce qui s’est passé de façon chronologique.

La chronologie des faits

Le 9 août 2006, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD) invitait les associations de la société civile de défense ou de promotion des droits humains et des libertés à une rencontre au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale.

Cette réunion, présidée par monsieur Kalifara Séré, secrétaire général du MATD, avait pour objet de porter à la connaissance des associations invitées des informations sur la fin du mandat des membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) d’ici le 27 septembre 2006, et le renouvellement des membres de ladite institution. Les organisations de la société civile (OSC) devaient alors s’organiser d’urgence afin de désigner leur représentant, le nom de la personne élue devant être communiqué au MATD le 14 août 2006, date limite.

Cette information n’a pas été du tout du goût des OSC présentes à cette rencontre. Les participants ont demandé au MATD plus de respect et de considération vis-à-vis de la société civile, en portant à temps à leur connaissance des informations ayant une importance capitale pour la vie de la Nation. De telles prises de positions permettraient une participation plus large prenant en compte les associations des provinces.

Pour des raisons de délai et des questions pratiques

Reconnaissant la justesse de leurs réactions, le secrétaire général du MATD a indiqué néanmoins que compte tenu du délai effectivement court et de l’urgence, et pour des questions d’ordre pratique, on pourrait partir des associations qui ont leur siège à Ouagadougou (c’est ce qui a été appelé associations à caractère national). Comme certaines de ces associations ont des démembrements en province, cela pourrait résoudre le problème de représentation des associations des provinces.

C’est donc pour des questions d’ordre pratique que cette proposition a été faite par le secrétaire général, contrairement à ce qui a été dit et développé visant à faire comprendre que le secrétaire général a demandé l’exclusion des associations dont les récépissés sont signés par les haut-commissaires des provinces, même si celles-ci évoluent dans les domaines de défense ou de promotion des droits humains et des libertés. D’ailleurs, à la question d’un représentant d’une des organisations dites provinciales qui voulait savoir s’ils pouvaient participer au choix et même être candidats, le secrétaire général a répondu que ceux qui le pouvaient seraient les bienvenus.

Outre ce point de vue du secrétaire général, il a indiqué que le Ministère de la promotion des droits humains (MPDH) dispose d’un fichier d’associations dans ce domaine qui devait servir de fichier de base pour l’élection du représentant à communiquer au MATD.

Et la tenue de l’élection a été arrêtée au 12 août

Après le départ du secrétaire général du MATD et de sa délégation, les OSC présentes ont échangé sur l’attitude à tenir. C’est ainsi que, tout en dénonçant une fois de plus cette attitude du MATD de dernière minute, les participants ont décidé d’organiser l’élection du représentant pour le samedi 12 août 2006 au même lieu. Le Pr Augustin Loada, directeur exécutif du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), et Jonas Hien, secrétaire général de la Cellule nationale de renforcement des capacités des OSC, ont été choisis pour constituer le directoire de l’organisation de l’élection du 12 août. Jonas Hien est président, et le secrétariat du directoire revenait au CGD.

Sur place, les participants ont convenu que tous les électeurs devaient s’inscrire au siège du CGD sur la base du récépissé de reconnaissance de l’association, chaque électeur devant se munir d’un mandat de son association d’origine le jour du vote. Les personnes candidates devaient déposer leur dossier de candidature au même lieu, la date limite de toutes les opérations également ayant été convenue avec les participants pour le vendredi 11 août 2006 à 17h30mn.

Le vendredi 11 août 2006 dans la matinée, le candidat Ousmane Nacro de la LIDEJEL me téléphone. Il m’informe que ses électeurs ont des problèmes pour s’inscrire au niveau du CGD. En effet, le CGD a voulu appliquer la bonne gouvernance et la démocratie en indiquant que les inscriptions étaient individuelles et qu’une personne n’est pas admise à inscrire des absents sur la base d’une collecte de récépissés d’associations. Ce sont ces inscriptions collectives qui causaient des problèmes au candidat Ousmane Nacro.

Monsieur Nacro me dit qu’il avait des associations qui devaient venir des provinces pour le voter et que ces associations ne pouvaient pas être à temps à Ouagadougou pour s’inscrire individuellement. C’est dire que leurs récépissés étaient arrivés avant. Monsieur Nacro me dit qu’une telle décision n’avait pas été prise lors de la réunion du 9 août, et qu’il fallait ouvrir la liste pour permettre aux associations de s’inscrire librement. Monsieur Nacro me dit encore que si je n’intervenais pas rapidement, il organiserait une descente sur le CGD. Je l’ai rassuré que je rentrerais en contact avec le CGD pour comprendre, et qu’on n’arriverait pas à un scandale.

Incident au CGD

Quand je téléphonais au CGD, un incident s’y était déjà produit. Des ‘’éléments’’ de Monsieur Nacro Ousmane, (particulièrement M. N.B....) qui étaient déjà sur place au CGD voulaient en découdre avec la secrétaire du CGD, chargée d’enregistrer les inscriptions. Face à une telle situation, on a convenu d’ouvrir deux types de listes d’inscription : les inscriptions individuelles telles que le voulait le CGD, et les inscriptions collectives, conformément aux bons vœux du candidat Ousmane Nacro. C’est ainsi que tous les candidats ont envoyé leurs électeurs s’inscrire suivant le mode qui convenait à chacun.

Dans l’après-midi du 11 août 2006, nous avons demandé aux candidats qui étaient sur place au CGD d’y être à l’heure limite des inscriptions et de soumissions de candidatures afin de disposer de l’ensemble des listes enregistrées. C’est ainsi que les candidats qui y étaient à cette heure ont reçu la liste complète des inscriptions individuelles, celle également complète des inscriptions collectives et la liste complète des candidats qui ont déposé leur dossier de candidature.

Monsieur Nacro Ousmane et Monsieur Hamado Ouédraogo ont reçu ces listes en ma présence au CGD. Comme ces listes devaient être affichées le jour du vote cette disposition de transparence visait à permettre aux candidats de comparer les listes qui seraient affichées à celles qu’ils détenaient afin de s’assurer qu’il n’y avait pas eu d’inscriptions frauduleuses après la clôture des inscriptions. On ne peut pas être plus transparent que ça !

Un huis clos houleux

Le Pr Loada et moi avons convenu qu’en plus, il y avait lieu de rencontrer tous les candidats pour discuter avec eux sur les deux types de listes car nous estimions qu’il y avait lieu d’échanger sur les dénominations de certaines associations. Monsieur Ousmane Nacro était encore au CGD au moment de cette réflexion. Quand la proposition lui a été faite par le Pr Loada, il était d’accord pour cette rencontre préalable avec les candidats. Le Pr Loada a alors proposé la matinée du samedi 12 août à 10 h. Monsieur Nacro a dit qu’il n’y avait pas grand-chose à dire, et que 30 mn avant suffisaient. 14h30mn fut alors convenu pour la rencontre avec les candidats, l’assemblée devant siéger à partir de 15h. Déjà à 14h, le monde était impressionnant au ministère des Affaires étrangères.

Le huis clos avec les candidats (les 5 candidats, le Pr Loada et moi) était très chaud. La climatisation de la salle était devenue très faible. L’appareil de chauffage avait comme marque ‘’Ousmane Nacro’’. Il a rejeté en bloc les deux types de listes qu’il avait reçus la veille, menaçant qu’il y figurait des dolotières, des mécaniciens et des photographes, etc. Il demanda, séance tenante, un « assainissement » du fichier avant l’élection ou, à défaut, un report pur et simple du scrutin. A ce moment précis, il parlait au nom de trois candidats. Mme Traoré n’était pas encore du groupe.

En outre, Monsieur Nacro a exigé que toutes les associations venues des provinces soient extirpées des listes pour ne retenir que les associations dont les récépissés ont été signés au ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation, à Ouagadougou. Le même Nacro qui avait menacé la veille parce qu’il avait des électeurs qui devaient venir des provinces ne voulait plus entendre parler des associations venues des provinces. Dès lors, les débats ont pris une autre tournure.

Le Pr Loada est entré en contact avec le SG du MATD pour savoir si un report était possible. Le SG répondit qu’il attendait le nom de notre représentant à la date indiquée. Alors, le Pr Loada a joué une fois de plus la transparence, et moi la fermeté. L’élection devait se tenir avec ces Burkinabè que ni le Pr Loada ni moi n’avions fait venir des provinces. C’est ainsi que l’élection a eu lieu, et que les « dolotières » ont voté. Ce qui était regrettable, c’est quelles étaient dans la salle sans dolo. Mais suivez attentivement, vous comprendrez tout.

Ousmane Nacro a perdu pour cause d’indiscrétion

Monsieur Ousmane Nacro a effectivement fait venir des associations de provinces. Dans cette mobilisation au niveau provincial, Monsieur Nacro a chargé une personne de me voir pour me demander de l’aider en faisant venir aussi des associations de jeunesse. Il avait indiqué à la personne que lui-même ne pouvait pas venir me voir directement car il avait un peu peur de moi. J’ai indiqué que j’étais chargé d’organiser l’élection et que, par conséquent, j’étais soumis à l’obligation de neutralité. Le jour de la clôture des inscriptions au CGD, Monsieur Nacro m’a approché pour s’assurer que j’avais reçu son message. Je lui ai dit que je l’avais bien reçu mais que je n’avais pas de consigne de vote à donner aux associations. Toutes les associations qui m’ont téléphoné des provinces pour me dire qui les avait contactées et me demander quelle était la conduite à tenir ont reçu la même réponse.

Monsieur Nacro a reconnu que ma position était juste. Des associations sont donc venues de provinces sur invitation du candidat Ousmane Nacro. Au cours d’une concertation qu’il a tenue au siège de son association avec ses potentiels électeurs, dont ceux venus des provinces, il a tenu des propos qui ont déconcerté plus d’une personne. Voici un extrait du débat qu’il a eu avec ses potentiels électeurs : « ( ...) A l’heure actuelle, je ne sais pas à combien nous sommes. Je suis agréablement surpris. Depuis le matin, je ne tiens que des réunions. Je rencontre des groupes, des fédérations et des réseaux. On va voir comment ça va se passer.

Mais actuellement je suis perdu. On a eu aussi des rencontres avec les responsables d’associations du CDP du Kadiogo qui ont une capacité de mobilisation forte. On a un travail de mobilisation à faire ensemble. J’ai le soutien du ministre Salif Diallo. J’ai la chance. Là où je travaille là, j’ai une secrétaire qui (laissons ça d’abord)... Je rencontre l’opposition, je rencontre le pouvoir. Nous rencontrons des gens de toutes sortes, que ce soit de la droite, de la gauche, du centre... »Je serais pressé de me présenter devant un tribunal pour diffamation sur la personne de Monsieur Ousmane Nacro afin de fournir le reste de ce débat.

Dès lors, les gens ont compris que la société civile était infiltrée. L’information a circulé très rapidement la nuit, et la plupart des associations venues des provinces ont décidé de voter pour Moussa Michel Tapsoba. Le déséquilibre des électeurs était devenu trop grand alors même que, visiblement, la tendance en faveur du président sortant de la CENI était très perceptible. Ousmane Nacro a fini par être au courant que même les associations qu’il avait fait venir ne seraient plus avec lui. Le directoire que nous étions devait être utilisé pour retirer de la liste les associations venues des provinces. Nous ne pouvions pas jouer à ce jeu là.

Abandonné en cours de route

Jonas Hien, principalement, n’est pas un poussin d’hivernage qui attend sur une pierre l’apparition du soleil pour réchauffer ses ailes. C’est dire qu’on ne pouvait pas organiser une telle élection sans savoir au préalable dans quel état d’esprit chaque candidat devait venir à la rencontre. Ainsi, je me devais d’avoir, la veille, des informations sur le déroulement de la campagne au niveau de chaque candidat pour ne pas nous laisser surprendre. Monsieur Ousmane Nacro était le danger potentiel qui pouvait entraîner les autres candidats et organiser une pagaille pour justifier son échec, qu’il savait lui-même évident.

Monsieur Nacro aurait dû prendre acte qu’il avait été abandonné en cours de route, et tirer les conséquences pour l’avenir au lieu de se lancer dans des déclarations çà et là tendant à salir les gens pour justifier son échec. Et comme le débat est intéressant, je suis disposé à aller de l’avant. Cela permettra d’ouvrir davantage les informations sur cette affaire comme on a ouvert le processus lors des inscriptions, ce qui a permis à des dolotières, mécaniciens et photographes de rentrer s’inscrire et d’aller voter.

Les pirouettes politiciennes ont desservi, et les électeurs qui étaient censés voter pour Monsieur Nacro, en donnant leurs voix à un autre candidat, ont montré qu’il était inconcevable qu’un ‘’politicien’’ou soi-disant soutenu par les politiciens les représente pour des places dévolues aux OSC, dans une institution telle que la CENI. Ce n’est pas facile quand on veut s’inspirer des pratiques de certains partis politiques pour les expérimenter dans la société civile. Il faut avoir un laboratoire performant avec des professionnels confirmés. Sinon, on se brûle les ailes. Comme quoi, « ils ont joué, ils ont perdu, c’est la règle du jeu. La vie continue ».

Jonas Hien

Le Pays

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