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Atteinte à la dignité de la femme à travers la publicité : Un leurre selon l’Agence internationale pour la protection de l’Image

Publié le lundi 21 août 2006 à 07h18min

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Les réactions ont été multiples quant à la décision du Conseil supérieur de la communication (CSC) de supprimer la diffusion des spots publicitaires sur les produits éclaircissants. Si cette décision est à saluer, elle reste cependant controversée quant à l’approche que les uns et les autres ont par rapport à sa portée.

Aussi, l’Agence internationale pour la protection de l’image (AIPI) qui œuvre depuis pour la protection des images exploitées à des fins publicitaires ne saurait rester indifférente et nous a fait parvenir l’écrit que nous vous invitons à lire.

La Pub ! C’est un message, mais ! Un message, c’est de l’information, donc attention !

Suite à sa session ordinaire du 11 juillet 2006, le Conseil supérieur de la communication a décidé de la suppression de la diffusion des spots publicitaires sur les produits éclaircissants à travers nos médias audiovisuels et écrits. Messieurs les conseillers, vous avez marché sur une funiculaire que l’ AIPI caressait doucement mais sûrement ! Ce n’est pas l’Agence Internationale pour la Protection de l’Image (AIPI), ni ses partenaires belges de « Résistance à l’agression publicitaire (RAP) ni encore moins la « Meute Québécoise » qui se plaindront de la décision hautement digne d’intérêt que vient de prendre le Conseil supérieur de la communication (CSC) du Burkina Faso en interdisant la diffusion sur les chaînes de télévision publiques et privées ainsi qu’au niveau des presses écrites et sur les panneaux publicitaires, les publicités sur les produits éclaircissants qui, non seulement nuisent à la santé de la population féminine, mais dévalorisent l’image de la femme burkinabé.

En effet, le CSC en application des dispositions de la loi du 25 octobre 2001 portant interdiction de publicité sur les produits dépigmentants, vient de donner sa caution morale, aux actions de sensibilisation et d’information à travers quelques émissions-débats télévisées, que l’AIPI a engagées depuis sa création en mai 2003. Elle se réjouit d’une telle décision et ne saurait rester indifférente. Elle mérite d’être saluée. Cependant, malgré l’approche qu’il a eue de ce phénomène d’exploitation des images à des fins publicitaires, le CSC, reste quelque peu en retrait dans sa logique, dans l’argumentaire d’atteinte à la dignité de la femme ciblée sur les produits dits éclaircissants.

Aussi, se fait-elle le devoir d’accompagner cette décision par une réflexion visant à consolider sa substance et à l’étendre à toutes les formes de publicité dévalorisant l’image de la femme. Sans préjuger de la forme de cet acte qui est du ressort des juristes, le souci de l’ AIPI n’est rien d’autre que de contribuer à renforcer l’argumentaire de la décision et par la même occasion, soulever l’insidieuse problématique qui entoure la question de l’exploitation des images en Afrique et particulièrement au Burkina Faso.

Ainsi, au-delà des réactions favorables recueillies par le micro baladeur des Edi tions le « pays » et parues dans son numéro 3666 du mardi 18 juillet 2006 sous le titre « suppression des spots sur les produits de beauté : les Ouagalais réagissent » et des commentaires parus dans L’Observateur Paalga n° 6684 du 19 juillet 2006 à travers les « mercredis de Zoodnoma Kafando sous le titre : « le CSC et les dépigmentants : l’opportune suspension des spots télé », la contribution de l’AIPI consistera en l’appréciation de cette décision d’une part, quant au fond, à travers l’analyse de la notion d’atteinte à l’intégrité et à la dignité de la femme, et d’autre part quant à la notion de messages publicitaires attentatoires à la dignité de la femme qui peut être perçue également sous l’angle de la liberté d’expression.

I : De l’appréciation de la décision du CSC quant au fond

« ...Après délibération, les conseillers ont décidé de la suspension de la diffusion de ces spots sur les supports audiovisuels et écrits du Burkina Faso... » et l’argumentaire déployé pour justifier est : « En effet, les messages implicites et explicites des spots véhiculent des contenus attentatoires à la dignité de la femme, et contreviennent à la loi n°25 - 2001/AN du 25 octobre 2001, alinéa 3 de l’article 41 qui stipule que « les produits dépigmentants ne peuvent en aucun cas faire l’objet de publicité ». Le fondement juridique de cette décision est en effet la loi du 25 octobre 2001.

A la lecture de cette disposition, on pourrait se demander si le législateur de 2001, ne s’est-il pas contenté de caresser sournoisement la femme dans sa dignité parce qu’il interdit la pub sur les produits éclaircissants ; d’où un souci légitime de santé publique. Mais la question de l’atteinte à la dignité de la femme à travers les publicités, n’est pas évoquée par le législateur de 2001. Or cette question est, plus profonde qu’elle ne parait. Ensuite, il s’agit à la lecture de l’argumentaire du CSC, des messages implicites et explicites des spots publicitaires et non de l’image elle-même sans le message à moins qu’on assimile une image sans message à un message implicite auquel cas, on peut être d’avis avec les brillants « décrypteurs » des images publicitaires.

Par ailleurs, cette décision, selon l’interprétation de l’ AIPI ne concerne pas les spots publicitaires dont les messages ne sont pas attentatoires à la dignité de la femme. Non ! Messieurs les conseillers, toute forme de publicité utilisant l’image de l’Homme est quelque part, attentatoire à sa dignité. Si l’atteinte à la dignité et l’intégrité de l’Homme peut être appréciée comme tout acte ou tout fait qui relève de son intimité, de sa vie privée, et dont la manifestation ou la révélation l’expose ou expose sa vie privée au public, on peut admettre que toute forme d’exposition de l’image de l’Homme peut être quelque part attentatoire à sa dignité. C’est pourquoi, l’AIPI s’érige contre toute forme d’exploitation de l’image de la femme fut-elle publicitaire ou autre parce que l’expression de l’image a un effet psychologique et sociologique sur le consommateur.

Ainsi, l’image d’un bébé tenant un biberon contenant le lait « blédine » sur un support graphique, attire non seulement l’enfant, mais aussi la mère. Point n’est besoin d’un message explicite ; implicitement, la maman et l’enfant sont tentés d’oublier le lait maternel au profit de ce lait qui, à priori procure plus de vitalité à l’enfant comme le présente l’image. Et la société, suivant en cela l’enfant et la femme, consent inconsciemment à cet argument de vitalité. Rien ne peut faire vendre plus ces produits que la publicité. N’y a t-il pas là un effet avilissant de l’image de la femme ? En poussant plus loin l’analyse, n’y a t-il pas là également violation d’un droit, en l’occurrence le droit de cet enfant à la protection de sa vie privée ?

N’est-ce pas avilissant, dévalorisant, pour l’être humain que de confondre son image à un objet de commerce ? Combien d’institutions ou de personnes abusent impunément de l’image de nos enfants, de nos femmes à des fins fussent-elles publicitaires ou pas ? Des exemples ! il y en a énormément. La publicité en somme, avilit, asservit, non seulement la femme mais également l’homme. C’est pourquoi, l’AIPI condamne toute forme de publicité qu’elle juge attentatoire à la dignité humaine. Les femmes et les enfants, constituent une couche sociale vulnérable de notre société.

Et les réalisateurs et producteurs des spots publicitaires, maîtrisent parfaitement l’effet boule de neige que l’image de la femme ou de l’enfant joue sur la vente de leurs produits. On rétorquera que même les hommes s’adonnent également à la publicité. Cela est vrai ! mais, n’importe qui n’est pas ciblé par les spots publicitaires. Les réalisateurs et producteurs de spots publicitaires recherchent un effet de conquête du marché pour leurs produits. Aussi, seules les stars de cinéma, de sport, ou autres disciplines sont-elles les mannes recherchées par les fabricants des produits. Peut-on dire que l’image d’un joueur comme Zinédine Zidane se rasant avec une lame de marque « Gillette » ne fera pas monter la vente de ce produit ?

La femme, toujours la femme...

N’est-ce pas là, une forme d’atteinte à sa vie privée, à son image, qui fait aujourd’hui l’objet de commerce ? A quel prix et sur quelle base juridique consent-il pour cette pub. ? On peut dire simplement qu’il use de son droit sur son image constitutif d’un fonds de commerce. Par ailleurs, nul ne saurait lui interdire « d’enfourcher un slip » de marque les « chenilles » pour la pub d’une maison vendant ce produit. C’est sexy, une telle pub ! Mais n’est-ce pas non plus son droit ?

La femme, toujours la femme et encore la femme ! Même dans les démocraties les plus avancées, la femme est l’expression de l’élégance, de la finesse, de la grâce etc. Et pour vendre une voiture, on utilise une belle femme ; pour vendre une maison, on lui associe l’image d’une belle femme. Et, l’homme quant à lui, représente la force, la brutalité, la vigueur. Son image est utilisée pour vendre le ciment de marque « CIMAT », ou pour vendre les véhicules ou autres produits lourds, endurants et solides. La cuisine c’est la femme !

Alors pour vendre les cubes « magies » « JUMBO poulet ou cube JUMBO », on se sert de l’image de la femme. Pour vendre le savon, les produits « OMO », la femme est la cible visée. Même pour inciter les populations à profiter des branchements d’eau de l’Office national de l’eau de et l’assainissement (ONEA), on utilise une belle femme sur un panneau publicitaire, sourire aux lèvres comme pour dire « faites comme moi ». Or, le dessous de cette publicité infériorise la femme. On est d’avis que le prix à payer pour ces branchements est « généralement » du ressort de l’homme.

Mais « l’utilisateur » de l’eau courante, est plutôt la femme, comme quoi, l’homme n’utilise pas l’eau. Elle en a besoin et dès lors qu’elle est satisfaite comme ce panneau l’indique, alors adieu les souffrances, le sourire renaît et la famille devient heureuse. N’est-ce pas encore une forme sournoise d’inférioriser la femme ? Alors, sans sourciller, la femme se complaît dans cette situation d’infériorité à telle enseigne qu’elle n’est même plus capable de ! C’est mon mari qui est capable ! pour illustrer encore cette autre pub qui donna ce sobriquet à la marque de moto « YAMAHA » appelée « mon mari est capable ». Où est sa dignité, sa valeur, si elle n’est même pas capable ? N’est-ce pas là encore une forme d’atteinte à sa dignité, à son intégrité ?

Encore un autre exemple qui illustre parfaitement, l’atteinte à la dignité et à l’intégrité de la femme. « Pô-Pô-Pô ! quelles sont jolies ! » la scène publicitaire à priori, fait rire. Mais, elle devrait plutôt faire pitié. Le comédien dans son rôle, confond ou compare ces jeunes demoiselles, évidemment toutes « jolies » à des motos. Et sa réplique en ces termes : « qui parle de vous, vous êtes des motos ? » à leur réponse, « qui ? nous ? merci ! » parait plutôt les énerver. Comme quoi, elles aimeraient être aussi jolies que les motos. Messieurs les conseillers, elles auraient pu répondre : « ha ! oui, nous ne sommes pas des motos ».

On ne saurait, assimiler une personne humaine, et encore moins la femme à un objet de commerce ! Ce langage publicitaire est également vicieux et même attentatoire à la dignité de la femme. Cependant, il passe inaperçu, et on s’en réjouit, ça fait rire, et les deux comédiens qui ont été choisis au regard de leur « titre » de star de cinéma, et jouant parfaitement leur rôle sans égard à leur image, sont aux anges sur leurs motos, aussi jolies que ces demoiselles.

Pour ainsi dire, « venez acheter cette moto, vous serez jolis comme ces demoiselles, puisqu’elles ont manifesté leur mécontentement parce qu’elles ne sont pas jolies comme les motos ». Donc elles aimeraient être aussi jolies que les motos. Allez y comprendre, messieurs les conseillers, ce phénomène avilissant, indignant, méprisant de l’image de la femme. Et pire, aucune réaction de la part des femmes, pour lesquelles, l’AIPI se bat pour valoriser leurs images. Pour valoriser l’image de la femme au Burkina, messieurs les conseillers, ayez une lecture plus attentive des spots publicitaires indépendamment des messages explicites qu’ils véhiculent. Vous serez certainement d’avis avec l’AIPI que tous les spots publicitaires utilisant l’image de la femme, dévalorisent quelque part et portent atteinte à la dignité de celle-ci.

Nous passons sous silence les pub sexistes dont la femme est toujours le support le plus prisé par les réalisateurs. La lutte contre la discrimination sexuelle est d’abord le combat des femmes et elle passe par la valeur qu’elles donnent à leur image. L’ AIPI se fait le devoir de les accompagner, de les aider à mieux valoriser leur image à travers les pubs ou à défaut à s’opposer à toute exploitation tendancieuse de cette image. Mais, la décision d’interdire la diffusion des spots publicitaires sur les produits dits éclaircissants, protège -t- elle aussi bien des droits tels ceux liés au respect de la vie privée, que les droits des comédiens dont l’image constitue le fonds de commerce ?

Messieurs les conseillers, si à l’égard des supports « humains » utilisés par les fabriquants de ces produits, on peut brandir l’argument de l’atteinte à des droits, tel droit à la protection de l’image, à celui de l’intégrité de la femme, n’y a t-il pas lieu également de brandir l’atteinte à ce droit au respect de l’image, le droit d’autoriser ou non l’exploitation de son image ! On peut alors se demander, quel est le droit réservé à ces femmes qui exécutent ces scénarii publicitaires sur le fondement de leur droit d’artiste interprète indépendamment, de leur droit à l’image. N’ont-elles pas un droit à défendre ? Peuvent-elles contester cette décision, au nom de la liberté du citoyen de disposer de son corps ? au nom du droit à l’image du comédien qui constitue son fonds de commerce ?

Comme le souligne avec pertinence M. Pierre Curzi président de l’Union des artistes en France : « l’image, c’est notre fonds de commerce. Les rôles que l’on va m’offrir dépendent beaucoup de l’image que j’ai ». C’est en cela que la Cour supérieure de France rendait en Janvier dernier, un jugement concernant Linda Malo, artiste mannequin, cité en ces termes par Me Nathalie Chalifour : « c’est le premier jugement qui affirme clairement que le droit à l’image est un droit autonome, et qu’il a une valeur particulière pour l’artiste ».

Si le droit à l’image est bel et bien un droit autonome ayant une valeur particulière constitutive d’un fonds de commerce pour ces artistes comédiens, on est quelque peu perplexe face une telle décision du C.S.C.

Il est vrai, que toute société défend les valeurs qui constituent l’expression de son identité. Et l’AIPI se trouve d’autant plus attachée à ces valeurs qu’elle a été l’une des premières associations au Burkina à brandir la lutte contre l’exploitation des images humaines à des fins publicitaires. La femme et l’enfant ont des droits comme tout autre citoyen, à la protection de leur vie privée et partant de leur image. La lutte contre la discrimination sexuelle ne peut réussir que lorsque on parviendra à considérer le corps de la femme « son image » comme hors de commerce.

Malheureusement, l’image de l’artiste constitue son fonds de commerce.

Enfin, des exemples de publicités qui dévalorisent l’image de la femme, on peut en citer à longueur de journée. Mais, la décision du CSC concerne également un autre aspect que nous aimerions soulever.

Oumar SANON
Directeur exécutif A.I.P.I.
Tél : 76 - 64 - 64 - 23

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