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Dialogue intertogolais : Un texte à l’épreuve du terrain

Publié le lundi 21 août 2006 à 07h43min

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Même les plus grandes guerres se terminent toujours autour d’une table de discussions. La crise politique qui sévit au Togo depuis ces quinze dernières années, exacerbée par le décès de la figure tutélaire du pays le 5 février 2005, vient peut-être de connaître un début de solution avec les accords de Ouaga, signés hier à Lomé.

Débutée le 8 août dernier à Ouagadougou, la palabre entre les protagonistes togolais aura accouché, après 10 jours de travaux sous le magistère du facilitateur Blaise Compaoré, d’accords historiques, si l’on en juge par le contenu des conclusions :

d’abord le point 1.3 relatif aux réformes institutionnelles : il s’est agi de toiletter ce cadre afin d’offrir la plus grande chance à tous ceux qui veulent se lancer dans le jeu politique. Plus concrètement, les accords de Ouaga, version 2006 (1), ont revu la copie de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), qui n’est pas permanente au Togo. Ainsi, cette structure sera désormais composée de 19 membres issus de toutes les sensibilités politiques et de la société civile. La dernière CENI, dirigée par Mme Tchangaï Walla Kissem (rapporteur du Bureau du dialogue inter-togolais), qui avait supervisé la présidentielle du 24 avril 2005, avait été vivement prise à parti par la Coalition jaune (opposition) qui l’avait qualifiée de structure inféodée au pouvoir.

Ensuite il y a les conditions d’éligibilité : en particulier, "Ouagadougou" est parvenu à lever l’hypothèque relative à la sempiternelle question de la double nationalité. Véritable "peste" politique, cette clause "frappait" de nombreux Togolais et pouvait les empêcher de briguer un mandat électif. Or, c’est connu, le Togo, colonie allemande, est liée ombilicalement à la France ; de nombreux Togolais possèdent donc des doubles nationalités, dont Gilchrist Olympio, le patron de l’UFC, qui est Anglais et Togolais. Ces accords auront aussi résolu "l’histoire" de la résidence permanente. Toutes choses qui assouplissent les conditions à remplir pour être éligible.

La problématique de la grande muette a donné lieu également à Ouaga 2000 (lieu des travaux) à de chaudes empoignades verbales. L’armée togolaise est jusqu’à une époque récente, un Etat dans un Etat. Et pour cause, les soldats n’obéissaient qu’à feu le général Eyadéma qui était certes constitutionnellement le chef suprême des armées, mais surtout de l’ethnie kabbyè, majoritaire dans cette armée et appartenance de la plupart des éléments de la Troupe. Ces accords veulent en faire une armée véritablement républicaine.
Un point focal de cette palabre fut sans doute aussi le sujet ayant trait à la formation d’un nouveau gouvernement. On sait que l’appel de Faure Gnassingbé au lendemain de son élection controversée à former une équipe d’Union nationale a fait "flop". De ce fait, le gouvernement du Premier ministre, Edem Kodjo, formé le 20 juin 2005, ne compte pratiquement pas de représentants de l’opposition, excepté le ministre de la Justice, un modéré.

Les accords inscrivent ce point comme prioritaire pour le début d’un retour à la paix au Togo. En tous cas, si toutes les chapelles politiques parviennent à être présentes dans ce futur gouvernement, ce serait la preuve que l’espoir est permis. Peut-être même que les marchandages pour l’obtention des strapontins ministériels ont déjà été conclus.

Enfin, la cessation de l’impunité figure naturellement dans les présents accords de Ouaga. En dépit des dénégations du pouvoir togolais, les violences post présidentielles des 26 et 27 avril ont fait de nombreuses victimes (plus d’une centaine selon le rapport de l’ONU) et d’exilés, au nombre de 28 000, qui végètent actuellement à la frontière béninoise et ghanéenne. C’est vrai que le chef de l’Etat, Faure, a fait des gestes concrets d’apaisement, notamment par la création d’une Commission d’enquête, et manifesté sa compassion pour les familles endeuillées. Mais ces accords ont l’avantage de fixer désormais des règles claires en matière de justice ou plus exactement de bannissement de l’impunité.

Mais si ce dialogue entre fils et filles du Togo a eu un dénouement heureux, c’est grâce au tact et à l’entregent d’un homme : Blaise Compaoré. Le 26 juillet dernier, au sortir d’une audience avec le chef de l’Etat burkinabè, le président du Bureau du dialogue intertogolais, Me Yawowi Agboyibo, déclarait : "... Sur une liste d’une dizaine de noms de personnalités, l’unanimité des délégués s’est faite autour de celle du président Blaise Compaoré, pour être le facilitateur de ce dialogue". Mais lorsque l’on remonte plus loin dans le temps, on voit que le PF n’était pas l’homme indiqué, puisque certains opposants togolais le taxaient de partial, car "ayant de l’ascendance sur Faure".

En réussissant à mettre les frères ennemis togolais sur un minimum d’entente, le facilitateur Blaise Compaoré reprend sa stature africaine, une dimension qu’il avait acquise en 1997 et surtout en 1998, une envergure qui, semble-t-il, ironie de la politique, avait fait un jaloux de premier choix, Eyadéma himself, le père de Faure, qui se considérait incontournable en la matière en tant que doyen des chefs d’Etat. Il a fallu le drame de Sapouy pour que l’homme de Ziniaré s’éclipse de la scène continentale pour faire face à la fronde sociale qui a secoué son pouvoir.

Aujourd’hui, c’est donc un Blaise Compaoré "requinqué politiquement" qui revient au devant du théâtre des affaires africaines. Il est vrai qu’avec le dernier développement de l’affaire Norbert Zongo (2), ça bouge de temps en temps à l’intérieur, mais cela n’a rien à voir avec le tsunami social de 1999, 2000 et 2001. Ce qui a permis au facilitateur d’être disponible et de manœuvrer pour que les dialogueurs parlent à peu près d’une même voix. Pari réussi donc pour le facilitateur, même si un accord reste toujours un accord, surtout que les présents sont valables seulement jusqu’aux législatives de 2007. A la présidentielle de 2008, il va falloir encore palabrer dur.

Après plus d’une décennie de périodes troubles, voilà qu’avec ces accords de Ouaga, les Togolais se remettent à espérer des lendemains qui chantent, le retour de la paix. Parce qu’ils sont lassés par ces interminables années de chicaneries politiques aux conséquences désastreuses, ce sentiment semble avoir prédominé et fait taire les rancœurs de part et d’autre.

D’un côté, il y a Faure Gnassingbé, qui, quoiqu’on dise, même s’il souffre d’un délit de patronyme, n’est pas comme son père. C’est un homme de son temps, qui n’est pas un personnage de la coloniale. Il a étudié aux USA et est conscient comme l’avait énoncé la formule héraclitéenne, bien à propos, que "L’on ne se baigne pas deux fois dans les eaux d’une rivière, tout s’écoule". Il en a une claire vision et sa jeunesse (tout comme un Kabila Junior de RD Congo) et sa volonté de faire des 22 engagements de l’UE son programme sont des atouts non négligeables. Reste à travailler pour que ce ne soit pas le "Tout change pour que rien ne change".

De l’autre côté, il va falloir que l’opposition veille à ce que l’esprit et la lettre de ces accords soient appliqués, et surtout, que des fissures n’apparaissent pas très rapidement entre eux, mettant encore en relief, air connu, les guéguerres entre les opposants historiques et les autres. Avec ces accords, c’est véritablement les 22 engagements pris avec l’UE en 2003 qui s’enclenchent. Une Europe qui, déjà, a débloqué 15,8 millions d’euros pour "l’ex-Suisse", un signe qui ne trompe pas. Mais les principes ne valant que ce que valent les hommes chargés de les appliquer, c’est à l’épreuve du terrain que ces accords seront jugés.

LObservateur Paalga

Notes :

(1) : En 1993, il y a eu les Accords de Ouaga I, II et III. (2) : La justice a prononcé un non-lieu pour Marcel Kafando dans l’affaire Norbert Zongo.

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