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Renouvellement des commissaires de la CENI : Moussa Michel Tapsoba élu sous haute tension

Publié le lundi 14 août 2006 à 08h12min

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Moussa Michel Tapsoba

Les débats étaient houleux, très houleux, samedi 12 août, au ministère des Affaires étrangères. Les organisations de la société civile présentes ont, pendant 4 h 22 mn, tenté, en vain, d’accorder leurs violons. Quatre des 5 candidats en lice et leurs partisans ont finalement claqué la porte. Le président sortant de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Moussa Michel Tapsoba, seul candidat resté dans la salle, a été soumis au verdict des urnes.

A peine la rencontre a-t-elle commencé que la tension est montée de façon vertigineuse. Plusieurs agents de sécurité, armés, étaient dans la cour du ministère des Affaires étrangères, les yeux et les oreilles en alerte. Cinq d’entre eux étaient postés dans la salle de réunions. Ils ont ensuite été rejoints par 5 autres, les risques de dérapages devenant de plus en plus importants.

Mais avant la rencontre officielle, les cinq candidats se sont livrés à un clash, à huis clos. « C’était vraiment chaud. Chacun a craché ses vérités », confie le président de séance, Jonas Hien. 15h 47 mn : Ousmane Nacro, président de la Ligue pour la défense de la justice et de la liberté (LIDEJEL), sort de la salle, visiblement nerveux. Les responsables d’associations qui attendaient dehors, sont convaincus que « les choses commencent à tourner au vinaigre ». Certains tentent de rentrer. Les forces de sécurité barrent le passage. « Attendez d’abord ; ce n’est pas le moment d’entrer », affirme l’un d’entre eux. Mais « les choses » se gâtent davantage.

Trois autres candidats claquent, eux aussi, la porte : Célestin Lokré Sawadogo du Mouvement pour la défense des personnes sans voix (MDPV), Hamado Ouédraogo de la Fondation Survie de l’enfance en Afrique (FSEA) et Somkinda Traoré de l’Association des femmes juristes du Burkina (AFJB). Dans une déclaration commune, ils affirment que le fichier électoral est truffé « d’insuffisances et de confusions » (voir encadré).

Les commentaires vont bon train. 17 mn de spéculations. Et voici les portes du ministère qui s’ouvrent enfin aux représentants d’associations. Ils sont très nombreux. Sur la liste affichée à l’entrée du bâtiment, on dénombre au total 516 associations. « Je n’avais jamais vu autant de structures de la société civile répondre à un rendez-vous », confesse le directeur exécutif du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), le professeur Augustin Loada. Et c’est justement là qu’il y a problème.

Il s’agit de l’élection du représentant des associations de défense des droits humains et des libertés à la CENI. La colère monte d’un cran. De nombreux participants dénoncent, de façon virulente, la présence d’associations ne répondant pas à ces critères. « Il est scandaleux de voir que des associations de dolotières, de mécaniciens, etc. soient venues voter », martèle un participant.

Un autre lui rappelle que « les dolotières font partie de la société civile ». « Mais ces associations-là ne sont pas des associations de défense des droits humains », réplique une femme. Le professeur Loada du CGD et Jonas Hien de la Cellule de renforcement des capacités des organisations de la société civile (OSC) tentent de calmer le débat. « Je vous demande de vous en tenir aux points inscrits à l’ordre du jour », affirme Augustin Loada.

"Le MATD se fout de nous "

Mais certains participants reviennent à la charge : « Voulez-vous qu’on ferme les yeux et qu’on piétine la démocratie ? », lance, nerveux, un homme. Un autre se montre encore plus nerveux : « Je vais quitter la salle tout de suite parce que je ne peux pas assister à cette mascarade ». Et le voici qui se dirige vers la sortie. Augustin Loada tente de manoeuvrer d’une main de diplomate pour éviter les dérapages : « J’appelle une fois de plus les uns et les autres à la tolérance réciproque », lance-t-il aux participants. Il tente, de concert avec Jonas Hien, de recadrer les interventions.

Mais certains intervenants ont tenu à dénoncer ce qu’ils qualifient de « magouilles politiques ». « Les dés, disent-ils, sont pipés ». Ils dénoncent notamment le délai très court, « deux jours seulement », accordé aux associations pour désigner leurs candidats à la CENI. « Le ministère de l’Administration territoriale se fout de nous. La société civile est une entité de la république qu’il faut respecter. Il aurait fallu qu’on nous donne le même temps que les partis politiques ».

Ces derniers doivent en principe élire leurs représentants le 16 août. Un autre participant ne va pas, lui non plus, avec le dos de la cuiller : « La société civile est mal organisée. On nous appelle un seul jour ; on veut qu’on résolve un problème national en quelques heures et on accepte aveuglément. Il faut qu’on arrête de nous divertir ».

Le présidium change de cap. On va bientôt passer à l’élection. Augustin Loada et Jonas Hien expliquent aux participants qu’ils auront affaire à un bulletin unique comportant la liste des candidats. Ils montrent comment le vote va se dérouler. Mais la pilule a du mal à passer. Les réactions fusent encore. Plusieurs participants affirment mordicus que « la CENI n’est pas n’importe quoi ; qu’il ne faut pas bâcler le travail et qu’il faut d’abord trouver des réponses appropriées aux questions fondamentales qui se posent ». Réponse du professeur Loada : « La liste n’est pas parfaite mais nous n’avons pas le pouvoir de la revoir. Comme toutes les élections qui se déroulent au Burkina Faso et même aux Etats-Unis, il y aura toujours des imperfections. Il faut faire avec.

Ce n’est pas en une seule journée qu’on va résoudre tous les problèmes de la démocratie burkinabè ». Il se fait alors cribler par des attaques verbales : « J’ai l’impression que nous nous trouvons dans un champ de maïs où les gros oiseaux essaient de tromper les petits », déplore un homme. Et voici la réaction d’une femme : « Je suis bouleversée ; je suis éducatrice ; je suis désolée d’entendre ce que j’entends ici. Si c’est pour simplement voter et partir, ce n’est pas la peine ».

"C’est un scandale"

Le présidium tente alors d’expliquer que ce n’est pas de sa faute. « Nous avons pris en compte certaines doléances des candidats », affirme Jonas Hien. Mais il ajoute que « nous n’avions pas le pouvoir de refouler ceux qui se sont inscrits après la rencontre du 9 août ». Et ce n’est pas tout : « Le ministère nous a dit de remettre le nom de notre représentant au plus tard le 14 août. Nous n’avions pas le choix ». Jonas Hien dit avoir le cœur net : « Le professeur Loada et moi dormirons tranquille à propos de cette affaire ».

Très vite, le présidium lit le CV des candidats. Ousmane Nacro qui avait repris place dans la salle, comme les autres candidats, demande que les postulants au poste de commissaire à la CENI, puissent s’exprimer avant le vote. « Monsieur Nacro, vous n’avez pas la parole ! », lui dit Augustin Loada, avant de préciser que « cela ne fait pas partie du scénario arrêté le 9 août avec les associations. Il était seulement prévu la lecture des CV des candidats et la présence effective de ces derniers dans la salle ». « Laissez-lui la parole », clame une partie du public. Le professeur Loada se ravise : « Nous allons leur donner à chacun deux minutes, pas plus ». Somkinda Traoré affirme alors qu’elle n’a pas eu de réponse à une question fondamentale : « Qui doit voter ? ». Moussa Michel Tapsoba préfère ne pas s’exprimer. Les deux autres joignent leurs voix à celle de Ousmane Nacro (lire encadré). La suite ? Les quatre candidats et leurs partisans quittent la salle en faisant un brouhaha.

19h 22 mn : l’élection a lieu dans un contexte de morosité. Moussa Michel Tapsoba obtient 226 voix sur 252 suffrages exprimés. Ousmane Nacro, bien qu’étant absent, obtient 9 voix. Célestin Lokré Sawadogo : 4 voix ; Somkinda Traoré, 1 voix. Personne par contre n’a voté pour Hamado Ouédraogo. Il est 21h 19mn. Bientôt la fin des "hostilités". Juste le temps pour le président de séance, Jonas Hien, de dire à Moussa Michel Tapsoba de « ne pas verser la figure des associations de défense des droits humains et des libertés par terre ». Juste le temps aussi pour lui de dire à la presse de « ne pas écrire que ce qui s’est passé ici est un scandale. C’est comme ça que nous travaillons. Nous nous sommes dit ce que nous pensions ».

Mais à la fin de la rencontre, l’un des participants, toujours mécontent, s’approche de nous et déclare qu’ « il s’agit bel et bien d’un scandale. La société civile a été prise en otage ». Moussa Michel Tapsoba, lui, est embarrassé : « Ce n’est pas de gaîté de cœur que j’ai été candidat. Je souhaite qu’à l’avenir, la désignation des commissaires de la CENI ne se fasse pas par voie électorale mais en tenant compte de la compétence. Il faut une structure pour examiner les candidatures ». Il est ensuite monté dans son véhicule et a démarré sous les applaudissements de ses partisans.

Par Hervé D’AFRICK


"Insuffisances et confusions"

Voici la déclaration lue par les candidats protestataires avant de quitter la salle.

Candidats au poste de représentant des organisations de défense des Droits humains à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), nous référant par ailleurs aux instructions issues de la rencontre du mercredi 9 août 2006 avec le secrétaire général du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD) ;

Considérant que l’état actuel du fichier électoral qui servira de base à la désignation de notre candidat souffre de beaucoup d’insuffisances et de confusions sur la nature et le caractère des organisations y figurant ;

Considérant la nécessité pour une institution comme la CENI chargée de l’organisation équitable et impartiale des élections de faire montre d’une crédibilité à toute épreuve, ce qui passe d’abord par une désignation démocratique et transparente de ses membres ;

Considérant le bref délai accordé par le MATD aux organisations de défense des Droits humains pour désigner leur représentant, soit deux (02) jours ouvrables ;

Recommandons :

* Premièrement, un assainissement du fichier électoral sur la base uniquement des récépissés délivrés par le MATD conformément aux instructions du MATD.

* Deuxièmement, sur la base des récépissés délivrés par le MATD ne retenir que les associations de défense des Droits humains et à revendications spécifiques.

* Troisièmement, un traitement diligent du fichier électoral par le CGD à proposer aux candidats pour appréciation et vérification, le lundi 14 août 2006 à 18h si possible.

* Quatrièmement, au regard de ce qui précède, un report pur et simple de ces élections en vue de créer les conditions minimales acceptables de leur tenue au jeudi 17 août 2006.

Fait à Ouagadougou, le 12 août 2006

Ont signé :
- Célestin Lokré Samandoulgou (MDPV)
- Hamado Ouédraogo (FSEA)
- Ousmane Nacro (LIDEJEL)
- Somkinda O. Traoré (AFJB)

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