LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Quand l’Afrique se soustrait à la marche du monde : De nouveau, esclaves ?

Publié le jeudi 10 août 2006 à 07h48min

PARTAGER :                          

Il arrive dans la vie qu’une conversation banale nous secoue pendant des heures voire des jours. J’attendais tranquillement un ami au terminus d’autobus de Montréal quand un monsieur d’un certain âge a pris place à mes côtés avant d’engager l’une des conversations les plus enrichissantes de ma vie.

Professeur d’études stratégiques dans un institut international, l’homme connaît le continent africain comme le fond de sa poche. Son analyse, son point de vue sur notre avenir, donne froid dans le dos. Et s’il vous plaît, ne sortez pas la rancune du « colon nostalgique ». Lisez avec la tête et la raison ce qu’il dit. Je vous rapporte fidèlement ses constats :

« Cela fait maintenant plus de 25 ans que j’enseigne la stratégie. Dans ma carrière, j’ai eu affaire à des dizaines d’officiers et de hauts fonctionnaires africains. Je suis malheureusement obligé de vous dire ceci : du point de vue des études stratégiques, de l’analyse et de l’anticipation, je leur donne un gros zéro pointé. Nos stagiaires africains sont très instruits, ils ont de belles tenues militaires ou manient le français de manière remarquable, mais, dans les cours, ils ne nous apportent rien. Tout simplement, parce qu’à ma connaissance, dans toute l’Afrique francophone, il n’y a pas un seul centre d’études stratégiques et internationales avec des vrais professionnels à leur tête.

Je vais vous expliquer pourquoi je n’ai aucun espoir pour ce continent. Au moment où je parle, le monde fait face à trois enjeux principaux : l’énergie, la défense stratégique et la mondialisation. Donnez-moi un seul cas où l’Afrique apporte quelque chose. Rien. Zéro. Commençons par l’énergie et précisément le pétrole. Tous les experts mondialement reconnus sont unanimes à reconnaître que d’ici 15 à 20 ans, cette ressource sera rare et excessivement chère. En 2020, le prix du baril tournera autour de 120 dollars. C’est conscients de cette réalité que des pays comme les USA, la France, la Chine, le Royaume Uni, etc. ont mis sur pied des task force chargés d’étudier et de proposer des solutions qui permettront à ces nations de faire main basse sur les ressources mondiales, de s’assurer que quoi qu’il advienne, leur approvisionnement sera assuré.

Or, que constate-t-on en Afrique ? Les dirigeants de ce continent ne sont même pas conscients du danger qui les guette : se retrouver tout simplement privé de pétrole, ce qui signifie ni plus ni moins qu’un retour à la préhistoire !
Dans un pays comme le Gabon qui verra ses puits de pétrole tarir dans un maximum de 10 ans, aucune mesure de sauvegarde, aucune mesure alternative n’est prise par les autorités. Au contraire, ils prient pour que l’on retrouve d’autres gisements. Pour l’Afrique, le pétrole ne comporte aucun enjeu stratégique : il suffit juste de pomper et de vendre. Les sommes récoltées prennent deux directions : les poches des dirigeants et les coffres des marchands d’arme. C’est pathétique.

Ensuite, la défense stratégique. L’état de déliquescence des armées africaines est si avancé que n’importe quel mouvement armé disposant de quelques pick-up et de Kalachnikov est capable de les mettre en déroute. Je pense qu’il s’agit plus d’armées de répression intérieure que de guerre ou de défense intelligente. Pourquoi ? Parce que, comparées aux armées des nations développées, de la Chine, de l’Inde ou du Pakistan, les forces africaines rappellent plus le Moyen âge que le 21e siècle. Prenez par exemple le cas de la défense anti-aérienne. Il n’y a quasiment aucun pays qui possède un système de défense équipé de missiles anti-aériens modernes. Ils ont encore recours aux canons antiaériens. Les cartes dont disposent certains états-majors datent de la colonisation ! Et aucun pays n’a accès à des satellites capables de le renseigner sur les mouvements de personnes ou d’aéronefs suspects dans son espace aérien sans l’aide de forces étrangères. Quelle est la conséquence de cette inertie ? Aujourd’hui, des pays comme les Etats-Unis, la France ou le Royaume-Uni peuvent détruire, en une journée, toutes les structures d’une armée africaine sans envoyer un seul soldat au sol. Rien qu’en se servant des satellites, des missiles de croisière et des bombardiers stratégiques. A mon avis et je crois que je rêve, si les pays africains se mettaient ensemble, et que chacun accepte de donner seulement 10 % de son budget militaire à un centre continental de recherche et d’application sur les systèmes de défense, le continent peut faire un pas de géant.

Il y a en Russie, en Ukraine, en Chine, en Inde, des centaines de scientifiques de très haut niveau qui accepteraient de travailler pour 3000 dollars US par mois afin de vous livrer des armes sophistiquées fabriquées sur le continent et servant à votre défense. Ne croyez pas que je rigole. Il ne faut jamais être naïf. Si la survie de l’Occident passe par une recolonisation de l’Afrique et la mainmise sur ses ressources naturelles vitales, cela se fera sans état d’âme. Ne croyez pas trop au droit international et aux principes de paix, ce sont toujours les faibles qui s’accrochent à ces chimères. Je pense qu’il est temps de transformer vos officiers (dont 90 % sont des fils à papa pistonnés qui ne feront jamais la guerre et je sais de quoi je parle) en scientifiques capables de faire de la recherche et du développement. Mais, je suis sceptique. Je crois que ce continent restera enfoncé dans le sommeil jusqu’au jour où le ciel lui tombera sur la tête.

Enfin, la mondialisation. Malheureusement, comme dans tous les autres sujets in qui ont fait leur temps, les stagiaires africains que nous recevons sont d’excellents perroquets qui répètent mécaniquement les arguments qu’ils entendent en Occident. A savoir, il faut la rendre humaine, aider les pays pauvres à y faire face. Vous savez, dans mes fonctions, il y a des réalités que je ne peux dire, mais je vais vous les dire. La mondialisation est juste la forme moderne de perpétuation de l’inégalité économique. Pour être clair, je vous dirai que ce concept à un but : garder les pays pauvres comme sources d’approvisionnement en biens et ressources qui permettraient aux pays riches de conserver leur niveau de vie. Autrement dit, le travail dur, pénible, à faible valeur ajoutée et impraticable en Occident sera fait dans le Tiers-monde.

Ainsi, les appareils électroniques qui coûtaient 300 dollars US en 1980 reviennent toujours au même prix en 2006. Et puisqu’il l’Afrique n’a toujours pas un plan cohérent de développement économique et d’indépendance, elle continuera à être un réservoir de consommation où seront déversés tous les produits fabriqués dans le monde. Pour moi, l’indépendance signifie d’abord un certain degré d’autonomie. Mais, quand je vois que des pays comme le Sénégal, le Mali, le Niger ou la Centrafrique importent quasiment 45 % de leur propre nourriture de l’étranger, vous comprendrez qu’un simple embargo militaire sur les livraisons de biens et services suffirait à les anéantir. Pour terminer, je vais vous raconter une anecdote. Je parlais avec un colonel sénégalais venu en stage chez nous il y a quelques mois. Nous regardions à la télévision les images de millions de Libanais qui défilaient dans les rues pour réclamer le retrait des soldats syriens de leur pays. Je lui ai demandé ce qu’il en pensait. Il m’a répondu : « Les Libanais veulent retrouver leur indépendance et la présence syrienne les étouffe ». C’est la réponse typique de la naïveté empruntée d’angélisme. Je lui ai expliqué que ces manifestations ne sont ni spontanées ni l’expression d’un ras-le-bol. Elles sont savamment planifiées parce qu’elles ont un but. Israël piaffe d’impatience d’en découdre avec le Hezbollah et puisque Tel-Aviv ne peut faire la guerre en même temps aux Palestiniens, au Hezbollah et à la Syrie, son souhait est que Damas se retire. Une fois le Liban à découvert, Israël aura carte blanche pour l’envahir et y faire ce qu’elle veut. J’ai appelé cet officier sénégalais il y a deux jours pour lui rappeler notre conservation. Malheureusement, il était passé à autre chose. Son stage ne lui a servi à rien.

J’espère vraiment qu’un jour, les Africains auront conscience de la force de l’union, de l’analyse et de l’anticipation. L’Histoire nous démontre que la coexistence entre peuples a toujours été et sera toujours un rapport de force. Le jour où vous aurez votre arme nucléaire comme la Chine et l’Inde, vous pourrez vous consacrer tranquillement à votre développement. Mais tant que vous aurez le genre de dirigeants que je rencontre souvent, vous ne comprendrez jamais que le respect s’arrache par l’intelligence et la force.

Je ne suis pas optimiste. Car, si demain l’Union africaine ou la CEDEAO décide de créer un Institut africain d’études stratégiques crédible et fiable, les personnes qui seront choisies se précipiteront en Occident pour apprendre notre manière de voir le monde et ses enjeux. Or, l’enjeu est autre, il s’agit de développer leur manière de voir le monde, une manière africaine tenant compte des intérêts de l’Afrique. Alors, les fonctionnaires qui seront là, à statut diplomatique, surpayés, inefficaces et incapables de réfléchir sans l’apport des experts occidentaux se contenteront de faire du copier-coller, ce sera un autre parmi les multiples gâchis du continent. Avant que vos ministères des Affaires étrangères ne fassent des analyses sur la marche du monde, ils feraient mieux d’en faire d’abord pour votre propre intérêt ».

Ousmane Sow (journaliste, Montréal)

27 juillet 2006

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 10 août 2006 à 11:18 En réponse à : > Quand l’Afrique se soustrait à la marche du monde : De nouveau, esclaves ?

    Je suis tout à fait d’accord avec cette analyse de la situation africaine. Pour ma part il y a longtemps que j’ai perdu foi en l’Afrique. Je crois que l’afrique ne se développera pas ; en tout cas pas avec la mentalité actuelle. Quand on voit le gouffre dans lequel l’Afrique s’enfonce avec son lot de corruption, de mensonge, d’inconscience, le bout du tunnel est très loin. Je crois que les africains sont pauvres d’esprit et ça on en guérit difficilement. Je suis fier d’être noir mais j’ai honte d’être africain.

  • Le 10 août 2006 à 12:29, par Abraham En réponse à : > Quand l’Afrique se soustrait à la marche du monde : De nouveau, esclaves ?

    Il n’y a rien à ajouter Monsieur Sow. BRAVO pour la beauté et le caractère juste de votre texte.

  • Le 10 août 2006 à 13:23 En réponse à : > Quand l’Afrique se soustrait à la marche du monde : De nouveau, esclaves ?

    Il ne faut pas être naïf. C’est la leçon que je retiens.

  • Le 10 août 2006 à 14:09, par madess_1980 En réponse à : > Quand l’Afrique se soustrait à la marche du monde : De nouveau, esclaves ?

    En lisant cet article j’ai froid au dos et cela m’a fait couler quelques larmes. A la conclusion de cet article, on est vite amené à dire que l’Afrique est sans avenir même si cela n’est pas vrai car l’Afrique a de l’avenir et cet avenir doit nous appartenir. Et nous devons tout faire pour que l’Afrique sorte de cet enfer.

    Personne ne peut nier la véracité de cet article, il résume en lui seul tous les maux dont souffre notre pauvre continent. Presque tous les pays africains sont dirigés sans programme, sans aucun projet de développement durable. On fait semblant de s’intéresser au peuple en mettant en place des projets sans avenir dont l’objectif est de se remplir les poches. Nous sommes dirigés par des gens malhonnêtes, des menteurs, des dictateurs qui ne pensent qu’à leur profit. Ils ne rêvent que d’une seule, « rester au pouvoir à vie ». On modifie les constitutions à tord à travers, le peuple est brimé dans tous les sens. Celui qui veut dire la vérité est purement et simplement considéré comme un ennemi. Ils voient le peuple comme leur ennemi premier au lieu de le voir comme leur partenaire idéal. Leurs partenaires sont ceux qui viennent nous piller et leur permettre de rester au pouvoir pendant des décennies.

    A qui la faute ?

    Il est bon de critiquer les autres, mais il faut penser à se remettre en cause. Certains disent « chaque peuple mérite ses dirigeants » : Tel dirigeant, tel peuple. Si nous sommes mal dirigés c’est que nous le méritons. Comment comprendre qu’un individu puisse voter pour un candidat qui a fait plus de 40 ans au pouvoir. On parle tous les jours et ce sont les mêmes qui gagnent les élections. Il y a des individus qui se plaisent dans cette précarité.

    Regardez même la mentalité de la plupart des jeunes Burkinabés. Il leur suffit d’avoir un petit job, une moto JC, une TV, un lecteur de DVD et quelques pauvres fauteuils pour trouver que la vie est belle. Car il pourra maintenant draguer les petites goes. Lorsque tu lui parles de la politique, du problème de ton pays, il s’en fout. Combien de fois, j’ai été déçu en voulant parler de la politique avec mes amis. Ils me répondent tout simple, « on n’y peut rien, il faut accepter les choses ». Mais lorsque tu essaies de parler des filles, le débat devient intéressant à ce moment et ils sont très intéressés. Comment un individu peut-il se plaire dans la précarité ?

    La jeunesse africaine a un esprit tordu. Ailleurs c’est la jeunesse qui décide. Regardons ce qui s’est passé en France avec la crise du CPE. La jeunesse a pris sa responsabilité. En Europe, la classe politique craint la jeunesse car elle est très ambitieuse et très forte. Chez nous en Afrique, on ne craint pas la jeunesse car son ambition s’arrête à son ombre.

    Quelque chose me fait très mal, nos grands parents ont connu l’esclave, leurs enfants ont connu la colonisation de la part des enfants des esclavagistes et aujourd’hui je me rends compte que nous sommes dominés par les enfants des colonisateurs. Et cela n’interpelle aucun jeune africain. La nuit tombée, on se retrouve dans les bars, on boit, on drague, on danse le coupé décalé et après on est content. On dit « Ouaga est bon » ou « Abidjan est bon » ou « Kinshasha est bon ».

    Un peuple qui dort ne peut être dirigé que par des dirigeants qui dorment. Mais les derniers sont plus éveillés que le premier pour l’empêcher de se réveiller.

    Ne soyons pas pessimistes. Etre pessimiste, c’est accepter cette situation précaire. Prenons conscience que chacun essaie d’apporter sa pierre à la construction du contient. Ki Zerbo disait le développement n’est pas une équation linéaire. Ce que l’Afrique cherche aujourd’hui, ce n’est pas du développement mais du « bonheur » comme le dit Ki Zerbo. Et ce bonheur on peut l’obtenir.

    .

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?