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Suisse : Une neutralité à l’épreuve des contingences

Publié le mercredi 9 août 2006 à 08h00min

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L’histoire donne finalement raison à ceux qui avaient averti : le grand débat sur la neutralité de la Confédération helvétique n’est qu’une question de temps. Aujourd’hui, il refait surface à la suite d’une réaction de la ministre suisse des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, au conflit actuel qui oppose Israël au Liban ou, du moins, au Hezbollah.

Mais, enfin, quelle différence ? Plus les hostilités durent, plus Israël court le risque de nouvelles bavures dans les villes libanaises, et plus le Hezbollah coalise autour de lui les populations meurtries.

Si elle n’est pas contre cette neutralité vieille de plusieurs siècles, Micheline Calmy-Rey ne pense pas moins que son pays ne doit pas rester indifférent à la mort de nombreux civils innocents au Liban. Comment, dans ce cas, s’étonner qu’elle défende une approche active de la neutralité dont les maîtres-mots sont : solidarité et disponibilité ?

Tandis que la diplomate estime que le conflit au Liban oppose deux Etats, des avis contraires se dégagent, notamment au sein du Conseil fédéral, selon lesquels le conflit armé n’oppose pas Israël au Liban, mais au groupe armé, le Hezbollah.

Une divergence de vues qui, comme on le sait, a nécessité une réunion de crise au cours de laquelle le gouvernement a demandé au Département fédéral des affaires étrangères de produire un rapport sur la neutralité de la position helvétique dans le conflit au Proche-Orient.

Peut-être la nécessité et l’urgence d’une redéfinition du cadre juridique du concept de neutralité allant dans le sens d’une meilleure prise en compte de la nouvelle donne, où s’opposent des Etats et groupes armés, s’impose-t-elle. Il n’empêche que, quel que soit le cas de figure, ce sont avant tout de nombreux civils qui, au Liban comme ailleurs, payent un lourd tribut à la folie meurtrière de l’état hébreu.

Dans un cas pareil, la Suisse peut-elle garder le silence face aux nombreuses violations des droits de l’homme ? En tant que dépositaire des conventions de Genève sur l’amélioration du sort des malades et blessés des forces armées en temps de guerre, le traitement des prisonniers de guerre et la protection des civils dans les conflits armés, la Suisse ne mettrait-elle pas en jeu sa crédibilité si elle fermait les yeux sur les exactions ?

Doit-elle se taire face au non- respect du droit international humanitaire incarné principalement par ces mêmes conventions ? Il apparaît que cet Etat devrait pouvoir s’exprimer en faveur du respect du droit international, sous peine de se voir discrédité. Tout comme il devrait se garder de se mettre en marge des grands débats qui agitent le monde actuel.

Un bref rappel de l’histoire. Due, au départ, aux guerres de religion, la neutralité de la Confédération fut consacrée au plan international par les Traités de Westphalie, qui mirent fin à la guerre de Trente ans en 1648. Un nombre important de cantons suisses adhéra au protestantisme, tandis que les autres restaient fidèles au pape. A la même époque, l’ensemble de l’Europe connaissait les mêmes divisions. Une situation qui générait des tensions au sein de l’ancienne Confédération.

Mais ce risque intérieur s’aggravait d’un péril extérieur. Les Etats européens - catholiques d’un côté, protestants de l’autre - avaient tendance à se coaliser pour mieux se combattre. La crainte était que les cantons catholiques ne s’allient aux Etats catholiques d’Europe, et que les cantons protestants ne fassent de même avec les Etats protestants. Ajoutée aux tensions intérieures, une telle crise aurait probablement scellé l’éclatement de l’ancienne Confédération.

Alors, les anciens Confédérés purent s’accorder sur un compromis minimum en inventant "la neutralité". Les cantons et la Confédération décidèrent de s’abstenir, dorénavant, de prendre parti pour les pays catholiques ou pour les pays protestants. Ils resteraient en dehors des conflits religieux qui déchiraient l’Europe. Les conflits religieux s’étant peu à peu estompés, les guerres entre nations leur ont succédé. La neutralité suisse prit, cette fois, un contenu politique. La Suisse resta neutre, et ce pour le bien du nouvel équilibre européen. C’est ce qui lui valu de rester relativement épargnée de la Seconde Guerre mondiale.

Cela dit, la neutralité active défendue par Micheline Calmy-Rey dans le cadre de la guerre au Liban ne constitue pas un événement en soi, la Suisse ayant eu des prises de position que d’aucuns n’ont pas trouvé contraires à cette fameuse neutralité. Pourquoi donc une telle volée de bois vert ? Si elle exprime une telle indignation, c’est que, à la vérité, la majorité du gouvernement suisse ne veut pas ouvrir un débat sur la délicate question qu’est le Proche-Orient. Il faut éviter de s’attaquer à Israël, parce que les Juifs ont un réel poids politique en Suisse. Là-bas comme en Europe ou aux Etats-Unis, leurs intérêts constituent un sujet très sensible et électoralement risquant. Il suffit d’une petite critique pour se voir taxé d’antisémite.

En tout cas, ce n’est pas en s’abstenant de se mêler des affaires des autres que l’on pourra toujours leur être utile. Certes, en se montrant neutre, l’on se présente généralement comme l’homme du compromis. Mais cela s’applique-t-il à tous les cas de figure ? Le monde ayant changé, la neutralité n’est pas toujours un instrument adapté au service du bien. Peut-on, par exemple, se montrer neutre face à un sujet aussi délicat que le terrorisme ? La Suisse, en tant que refuge des avoirs de certaines mafias politico-financières, n’affiche-t-elle pas, sciemment ou inconsciemment, une complicité avec ceux qui déstabilisent le monde ? Par rapport à ces questions et à bien d’autres aussi sensibles que d’actualité, la Suisse devrait se donner les moyens de trancher. Assurément, il y a lieu qu’elle s’adapte au vaste courant du changement mondial.

Le Pays

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