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Pr Willy Rosembaum :« La santé individuelle est un bien collectif »

Publié le samedi 5 août 2006 à 08h09min

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Pr. Willy Rosembaum

Willy Rosenbaum est professeur de maladies infectieuses à l’Université Pierre et Marie Curie à Paris VI. Le professeur Willy Rosenbaum a créé en 1982, le premier groupe français d’étude sur le SIDA, et fait partie des signataires du premier article décrivant le virus du SIDA en 1983.

De passage à Ouagadougou, le professeur Willy Rosenbaum parle de la question des lois spécifiques qui criminalisent la transmission du VIH.

Sidwaya (S.) : Quelles sont les raisons de votre séjour au Burkina Faso ?

Dr Willy Rosenbaum (W.R.). : C’est un séjour très spécifique, puisque depuis trois ans et sous mon chapeau d’enseignant des maladies infectieuses, je suis à l’initiative, avec le Dr Jean-Baptiste en France et aussi avec le Pr Drabo au Burkina, de la formation d’un diplôme inter-universitaire. Il s’agit d’un diplôme universitaire sur le SIDA et l’infection par le VIH reconnu à la fois par les autorités françaises et burkinabè. Nous sommes à la troisième session. Non seulement je parraine ce diplôme, en tant que président du Conseil scientifique, mais je participe à l’enseignement.

Cette année, je suis surtout intervenu sur l’aspect politique avec l’engagement de la société civile dans la lutte contre cette maladie. Certes, il y a des progrès qui sont faits en médecine. Des gens accèdent aujourd’hui au traitement mais si on veut passer aux objectifs de l’accès universel au traitement , il faut avancer sur des sujets extrêmement pointus ou spécifiques qui sont la crise des ressources humaines. C’est une crise qui s’aggrave dans les pays en développement, en partie à cause du SIDA, parce que le personnel médical est surexposé à cette maladie. Ensuite, il y a un enjeu majeur qui est celui de la gratuité des soins parce qu’il s’agit d’une maladie chronique.

Aujourd’hui, il faudrait peut-être traiter dix (10) ou 20 000 personnes au Burkina, mais il est certain que dans dix ans, il en faudra traiter 150 ou 200 000 personnes.

S. : Quel commentaire faites-vous sur les lois spécifiques adoptées qui criminalisent la transmission du VIH ?

(W.R.). : C’est une disposition qui tente beaucoup de gouvernants. D’emblée, je dis que c’est une position réductrice, qui est à côté de la solution. Dans cette disposition, il y a plusieurs aspects. On note un aspect purement légal et je ne suis pas parfaitement bien placé pour en parler parce que je ne connais pas l’ensemble des dispositifs au Burkina et je ne sais pas quel recours a, aujourd’hui, une personne qui se serait sentie lésée par une contamination qui pouvait être volontaire. En France, la question d’une loi spécifique s’est posée. On a pu faire le constat sur le plan de la loi parce qu’il y avait déjà dans la loi française, de quoi faire que si quelqu’un souhaitait porter plainte quand il considère avoir été contaminé volontairement, il pouvait déjà recourir. Il n’y avait donc pas besoin de loi spécifique.

La loi spécifique est symbolique de mesures un peu conjuratoires parce qu’après, il faut voir l’efficacité. Si l’on attend de cette mesure la diminution de la transmission, là on se trompe complètement et on va à l’inverse du but recherché. Je ne connais pas la loi burkinabè, mais je peux imaginer qu’il y a dans l’arsenal législatif, un moyen de porter plainte lorsqu’on a été contaminé par quelqu’un et qu’on se sent avoir été trompé. Et bien entendu, la tromperie comme toute tromperie mérite éventuellement, si elle est démontrée, d’être punie.

Mais je ne suis pas sûr qu’il y avait un besoin de cette loi. Pourquoi cela est nocif à mon sens ? C’est parce que tout d’un coup, on désigne un acte spécifique qui est la transmission du VIH comme une faute particulière. Le plus gros problème aujourd’hui auquel on est confronté en France mais qui est bien pire ici, c’est celui de la stigmatisation vis-à-vis des personnes contaminées. Elle a pour conséquence que les gens ne veulent pas se faire dépister, parce qu’ils appréhendent beaucoup plus le risque de la stigmatisation que le bénéfice de se voir positif.

Le moyen d’échapper à cette loi est de ne pas se faire tester et si on ne sait pas, on est pas condamnable. Or ce n’est pas ce qu’on recherche en santé publique. L’objectif, c’est que le maximum de personnes puissent se faire dépister pour être des acteurs de la prévention.

Mais pour y parvenir, il faut arriver à dire qu’on est contaminé. Une personne qui se sait contaminée doit tout faire pour ne pas transmettre la maladie mais pour ça, il faut lui en donner les moyens. Et les moyens pour qu’elle soit responsable, c’est que la société ne la rejette et ne la considère pas comme un coupable.

S. : Est-ce que une telle loi est nécessaire au Burkina ?

(W.R.). : Elle est franchement inopportune à un moment où le principal objectif devrait être la lutte contre la stigmatisation, la solidarité vis-à-vis des patients, l’accès universel au traitement et son corollaire qui est de permettre cet accès en prenant des médicaments gratuits, c’est-à-dire de faire accepter à la société que la santé individuelle est un bien collectif. Cette loi est à contre-courant de ce que l’on souhaite. La maladie, ce n’est pas une faute, même si dans certaines cultures on considère que c’est une punition. C’est juste un virus. Cela est donc inapproprié puisque non seulement elle ne va pas régler le problème mais en plus c’est contre-productif et va à l’encontre de ce qu’on recherche.

La première chose qu’il faut faire pour rentrer dans la prévention, c’est de se faire dépister, mais est-ce que cette loi va favoriser le dépistage ? Non. Déjà en France, on a du mal avec toutes les méthodes, à le démontrer parce qu’il faut avancer la preuve qu’il y a eu un test négatif.

Interview réalisée par Fernand KOUDA

Sidwaya

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