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Halidou Ouédraogo m’a dit...« Oui, j’ai eu peur de mourir ! »

Publié le samedi 5 août 2006 à 08h36min

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Halidou Ouédraogo

Le corps et la chair ont pâti de la maladie, mais l’esprit a retrouvé sa vivacité d’antan. Le geste demeure lent mais le discours reste militant. La mémoire est intacte et le raisonnement encore plus philosophique : Ma maladie m’a procuré des moments exceptionnels, et certaines marques d’attention inédites que j’ai reçues m’ont définitivement convaincu que les êtres humains sont bons », nous a confié cet homme de 61 ans, plein de vitalité, qui a frôlé la mort.

Le 28 février dernier, la capitale burkinabè avait, en effet, brui d’une rumeur morbide relayant les pronostics les plus alarmants et les plus pessimistes sur les chances de survie du président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) et de l’Union interafricaine des droits de l’homme (UIDH), qui avait été pris d’un malaise ce jour-là, au Palais de justice de Ouagadougou.

Grâce à une mobilisation exceptionnelle, Me Halidou Ouédraogo bénéficia d’un avion médicalisé. « J’accepte d’être évacué si c’est pour me sauver », se souvient-il avoir dit à l’équipe médicale qui le transféra alors dans le très huppé hôpital américain de Neuilly, dans la banlieue chic de Paris, chère à Nicolas Sarkozy.

Après quarante-quatre jours d’un traitement intense à l’hôpital américain, Halidou Ouédraogo est admis à la clinique Mirabeau dans le département du Val d’Oise, pour une longue rééducation fonctionnelle. C’est là, dans ce centre médical créé en 1965 par les docteurs Pierre et Eliette Belot, que nous avons passé plusieurs heures avec l’homme qui a décidé de vous ouvrir son cœur...

Fasozine : Quel est votre dernier souvenir de Ouagadougou ?

Halidou Ouédraogo : Le 28 février 2006. Je suis à l’audience au Palais de justice de Ouagadougou. Je suis pris d’un malaise, brusquement. Je m’aperçois qu’un jeune magistrat ôte ma cravate. Je vois du monde qui s’affaire autour de moi. J’entends le procureur général, Abdoulaye Barry, qui dit au président du tribunal d’ouvrir son portail pour que l’ambulance puisse y accéder pour me transporter. J’entends le secrétaire général du MBDHP, Chrysogone Zougmouré, appeler les médecins de l’hôpital Yalgado pour les prévenir qu’on y sera dans cinq minutes...

Puis on vous transporte à Yalgado...

Oui. Je vois des médecins à mon chevet. Je remarque une agitation autour de moi. Ma famille est présente, mes amis du MBDHP sont là. Le ministre de la Santé, Alain Yoda, arrive et me demande : « Halidou, ça va ? » Et je réponds : « Oui, ça va, mais je ne sais pas ce qui m’est arrivé ! » Alain Yoda me dit : « Courage, on va faire tout ce qu’on peut pour votre rétablissement ». Par la suite, d’autres personnes passent me voir : Tolé Sagnon, El Hadj Oumarou Kanazoé, certains ministres comme Salif Diallo, Boureima Badini, Monique Ilboudo, Gilbert Ouédraogo...

Pendant ce temps, s’engage une discussion pour votre évacuation...

Oui, effectivement. J’apprends que deux camps se font face : ceux qui sont pour mon évacuation immédiate, et ceux qui s’y opposent, en attendant de voir évoluer la situation.

Et finalement la décision est prise de vous évacuer...

Oui. Mes camarades du MBDHP, à qui je tiens à rendre un hommage très particulier, remuent ciel et terre, s’activent pour me faire évacuer. Ce sont eux qui prennent contact avec la Fondation Osiwa (qui est financée par le philanthrope George Soros), basée à Dakar et dont je suis membre. Les choses vont donc s’accélérer et Georges Soros va faire affréter un avion médicalisé pour venir me chercher à Ouagadougou...

Etiez-vous toujours conscient ?

Oui, un peu, car j’entends un médecin blanc venu avec l’avion médicalisé me poser la question : « Souhaitez-vous être évacué ? » Et je lui réponds : « Oui, si c’est pour me sauver ! »

C’est ainsi donc que vous débarquez à l’hôpital américain de Neuilly, en France...

Je suis immédiatement pris en charge par une équipe de spécialistes qui m’informent que je suis à l’hôpital américain. J’y passerai 44 jours, totalement pris en charge par la fondation de George Soros.

Et quel est le diagnostic des médecins ?

A ce sujet, j’ai entendu tellement de spéculations et d’affirmations erronées. Tant de choses ont été dites à Ouagadougou. Certains ont dit que j’avais eu un AVC (accident vasculaire cérébral). En réalité, j’ai souffert d’une rupture d’anévrisme cervicale, qui m’a paralysé pendant de longues semaines...

Ce qui a nécessité une longue rééducation...

En effet. Il a fallu que je retrouve la motricité de mes membres. C’est ainsi que la question de mon transfert dans un centre de rééducation s’est posée. Osiwa voulait que je parte à Dakar pour ma rééducation. Ma fille, qui fait la médecine à Dakar, s’est renseignée et s’est rendue compte que le centre qui avait été pressenti pour m’accueillir n’était qu’un centre d’orthopédie. C’est alors que mes camarades du MBDHP ont continué à se mobiliser et ont trouvé, via la société Nasuki, la clinique Mirabeau dans le département du Val d’Oise.

Et voila que surgit El Hadj Oumarou Kanazoé...

Oui. J’ai appris que la participation de Kanazoé pour mes soins a fait des gorges chaudes à Ouaga. Je voudrais dire ici que Kanazoé et moi n’avons jamais été des ennemis. Il n’y a jamais eu de guerre entre lui et moi pour que, s’il se propose volontairement de nous donner un coup de main, on le refuse. Pour ce qu’il a fait, il n’a demandé aucune contrepartie. Je me souviens d’ailleurs que le 28 février 2006, à Yalgado, il m’avait dit : « Si le gouvernement ne peut pas t’évacuer, je m’en occuperais personnellement. » Finalement, c’est la Fondation Osiwa qui s’en est chargée.

Pour revenir à Kanazoé, quelle était la nature de sa contribution ?

Il a décidé de prendre en charge la totalité de mon séjour à la clinique Mirabeau. Il a demandé à mes camarades de lui faire parvenir les devis de la société Nazunki. Chaque mois passé ici, a coûté 6 000 euros (environ 3 millions 250 mille francs CFA), Je suis à Mirabeau depuis cinq mois, faites le calcul et vous verrez ce que ce monsieur a fait pour moi. Il est venu personnellement ici, avec son épouse et sa fille me rendre visite. Et chaque fois, sa fille appelle pour prendre des nouvelles.

Et quel a été l’apport du gouvernement burkinabè ?

Tout d’abord, j’ai reçu des marques de sympathie de la part de certains ministres. Et tout récemment, le ministre de la Santé a décidé de prendre en charge la continuité de mes soins après ma sortie de la clinique Mirabeau. Alain Yoda l’a notifié à mes camarades du MBDHP.

Et le président Blaise Compaoré ? Vous a-t-il appelé ?

Non. Pas personnellement. Mais je sais qu’il a reçu de mes nouvelles. Son Premier ministre, Ernest Paramanga Yonli, m’a appelé quand il était en transit à Paris alors qu’il se rendait à Taiwan. Je ne pense pas qu’il puisse m’appeler en cachette, sans en référer à son chef. Le ministre des Affaires étrangères, Youssouf Ouédraogo, m’a adressé ses encouragements. Mon petit frère, Salif Diallo, le ministre de l’Agriculture, est passé me voir et m’a beaucoup soutenu. Monique Ilboudo, Gilbert Ouédraogo et son grand frère, Gaétan, qui est Addis-Abeba, l’ambassadeur Filippe Sawadogo et son personnel... Je pense que tous ont dû rendre compte au président du Faso.

Avez-vous été surpris par ces marques de sympathie ?

Non, pas vraiment, parce qu’en dehors de mon action militante, nous n’avons jamais été en guerre. Nous avions le souci de promouvoir les droits humains, et eux avaient le souci de gouverner. Nous n’avons pas toujours été d’accord, nous l’avons fait savoir, mais nous avions toujours essayé de trouver des solutions. C’est vrai que la polémique est parfois très difficile, qu’on peut subir toutes sortes de brimades, mais nous avons essayé de maintenir des rapports empreints de respect.

Cet élan de solidarité vous a beaucoup ému...

Je dois avouer que je ne saurais jamais comment remercier toutes ces personnes. Comme les autorités judiciaires, les autorités coutumières, le Mogho Naaba a fait venir ma famille et procédé a des libations pour mon rétablissement. Les Imams ont prié pour moi dans plusieurs mosquées. Mgr Jean-Marie Compaoré, l’archevêque de Ouagadougou, a demandé aux fidèles de prier pour ma prompte guérison. L’archevêque de Bobo-Dioulasso, Mgr Anselme Sanou, m’a envoyé une carte émouvante sur laquelle, il a écrit : « Lève-toi et marche ! » Mgr Dah de Diébougou est passé me voir.

Beaucoup d’autres personnes sont passées me témoigner leur solidarité. Et un jour, une jeune fille m’a envoyé une carte pour me souhaiter bonne fête des pères. J’en ai perdu la voix.

Vous ne vous êtes donc jamais senti seul ?

Non, pas du tout. J’ai toujours pu compter sur le soutien de mes camarades du MBDHP, de la société civile. J’ai bénéficié du soutien et de l’amour de mon épouse, Yvonne, à travers laquelle je voudrais remercier toutes ces femmes qui se sont mobilisées... Ma belle-sœur, Jeanne-Marie Kambou Ferrand, qui me rend visite tous les soirs, sans exception.

Aviez-vous eu peur de mourir ?

Oui. J’ai eu peur de la mort.

Pourquoi ?

Parce que la mort rompt un cycle dans la vie. Elle vous coupe de ceux qui vous sont chers. Vous savez, en Afrique, votre vie implique celle de votre famille et de vos amis. Oui, la mort vous coupe provisoirement de tous ces gens. Et je ne puis me faire à cette idée. J’ai toujours eu envie de vivre longtemps comme mon père (102 ans) et ma mère (93 ans).

Et, durant mes périodes difficiles ici, à l’hôpital, j’ai parlé une nuit à ma défunte mère. Je lui ai demandé de ne pas me laisser tomber, de veiller sur moi. Alors, le lendemain, quand je me suis réveillé, j’ai commencé à sentir ma main droite bouger. Je l’ai remué et j’ai vu qu’elle avait retrouvé sa motricité. Je n’en revenais pas. L’ergothérapeute était émerveillé.

Comment se passe votre rééducation ?

Je peux m’asseoir, me lever, manger tout seul. Je marche déjà sur de petites distances. Reste à retrouver la motricité de mes membres gauches. J’avais fait beaucoup de progrès et, tout récemment, j’ai fait une chute qui m’a causé des problèmes de dentition. J’ai donc dû consulter un dentiste et tout cela a retardé mes efforts de rééducation, mais je garde le moral...

Envisagez-vous de rentrer à Ouagadougou ?

Oui, bien sûr ! J’ai prévu de rentrer chez moi dans deux semaines (l’interview a été réalisée le 8 juillet), mais tout dépend de l’issue de mon rendez-vous avec le dentiste qui doit me poser un implant.

Et l’avenir à Ouagadougou ?

Je vais d’abord faire des sacrifices pour mes parents et mes beaux parents décédés, pour les remercier de m’avoir permis d’être rétabli. J’avais remis ma santé entre leurs mains. Je vais remercier tous ceux qui m’ont soutenu et que je ne pourrais tous citer, tant la liste est longue. Puis je vais réfléchir pour organiser ma succession après 20 ans passés à la tête du MBDHP. Et alors, je vais me consacrer à mon métier d’avocat en compagnie de deux amis avec lesquels on va créer une société professionnelle d’avocats.

Entretien exclusif Par Samori Ngandè

Fasozine

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Vos commentaires

  • Le 5 août 2006 à 16:33 En réponse à : > Halidou Ouédraogo m’a dit...« Oui, j’ai eu peur de mourir ! »

    Le retour au bercail du président du collectif est certainement une bonne nouvelle pour tout burkinabé epris de justice sociale et de paix. L’unanimité des compassions autour de l’homme prouve son importance. Que Dieu le bénisse et lui donne plus de force. Maitre, Papa, Président, Ainé dans une lutte dont nous n’avons pas tous le courage et peut-être pas l’expérience due à notre jeune passé pour certains, la propreté morale et l’abnégation pour d’autres, nous vous souhaitons un prompt et total rétablissement. Le Burkina Faso a besoin de vous. Nous ne comprenons pas toujours l’importance et l’ampleur de cette lutte dans laquelle vous vous êtes illustré toutes ces années durant à la tête du collectif et de bien d’autres causes pour l’Homme. Pardonnez nous pour cela et pour toutes les très graves fautes et erreurs d’écrits ou de parole et peut-être d’actes que nous avons commis contre ces causes sacrées. Jeune journaliste inexpérimenté, désargenté et souvent sans les moyens de notre plume, ni même le temps de nos articles sur des sujets que de meilleurs professionnels auraient dus traiter à notre place, nous savons de quoi nous parlons et nous vous prions de croire en notre sincérité. Pardonnez-nous comme Dieu nous pardonne tous et que la paix soit sur le Burkina Faso et l’Afrique.

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