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5 août 1960-5 août 2006 : Qu’avons-nous fait de nos 46 ans d’indépendance ?

Publié le vendredi 4 août 2006 à 08h05min

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Blaise Compaoré

Le 5 août 1960, la Haute-Volta naissait à la souveraineté internationale en accédant à l’indépendance politique. Un moment solennel et d’une haute portée symbolique qui mérite qu’on s’arrête pour une introspection profonde.

Un exercice que nous avons voulu « étaler » dans le temps, afin que les lumières du passé puissent éclairer notre avenir commun, en cette période où le climat socioéconomique est à tout le moins tendu.

Le 5 août 1960 donc, « au nom du droit inaliénable des peuples à disposer d’eux-mêmes », le président Maurice Yaméogo, proclamait l’indépendance de la Haute-Volta, « la terre des Hommes » ainsi que l’avait baptisée le général De Gaulle. Un peu plus de cinq ans plus tard (le 3 janvier 1966) « l’homme de Koudougou » était chassé du pouvoir par la première insurrection populaire de l’Afrique Occidentale. Un destin grandiose et tragique à la fois que celui de « Monsieur Maurice » qui n’est pas loin de ressembler à celui de son pays, qui a tutoyé les dieux à certains moments de son histoire avant de cotoyer les abîmes à d’autres, sans pour autant perdre son équilibre et son âme.

Cette chute prématurée de Maurice Yaméogo trouve sa justification dans trois raisons essentiellement. Premièrement, le nomadisme politique déjà prisé par la classe politique de l’époque avec à la différence de l’actuelle, une instabilité politique chronique.

Nomadisme politique donc, car dès avant les indépendances formelles, le premier gouvernement véritablement voltaïque (sous la conduite du parti démocratique unifié de Ouezzin Coulibaly qui deviendra plus tard une section du Rassemblement démocratique africain (RDA) issu des élections législatives du 31 mars 1957 et formé le 17 mai 1957 connaissait ses premières difficultés dès décembre 1957.

A l’origine, la naissance du Groupe de solidarité voltaïque (GSV) qui regroupait des députés « dissidents » hostiles au gouvernement Ouezzin (les chefs de file de la contestation étaient Gérard Kango Ouédraogo du Mouvement démocratique voltaïque (MDV) et Youssoufou Conombo du néo- Parti socialiste pour l’émancipation des masses africaines (PSEMA) et qui entendait le démettre par le biais d’une motion de censure, majoritaire qu’il était à l’Assemblée Nationale.

Le « lion du RDA », Ouezzin Coulibaly, ne devra son salut qu’à l’abandon du GSV par Maurice Yaméogo le 12 janvier 1958 avec cinq autres députés. A nouveau majoritaire à l’Assemblée nationale, Ouezzin pouvait toiser les « solidaires voltaïques » et récompenser Maurice Yaméogo qui de ministre de l’Economie agricole, devenait ministre de l’Intérieur et n°2 du cabinet. Une ascension fulgurante qui lui vaudra de « rafler la mise » à la mort de Ouezzin et de conduire le pays à l’indépendance.

Là, réside la deuxième raison de la chute rapide de Yaméogo, qui avait peut-être le flair politique, mais pas la carrure et le leadership de son prédécesseur dont la mort avait laissé un vide difficile à combler. Troisième raison enfin, le régime autoritaire et gabégiste instauré par « Monsieur Maurice », avec la consécration du RDA en parti unique, les remaniements ministériels fantaisistes et un train de vie élevé de l’Etat. Le 3 janvier 1966, une « poussée d’adrénaline » put donc l’emporter, mais du fait des raisons invoqués plus haut, (manque de leader politique transcendant) l’armée sera appelée à cueillir le fruit de la lutte populaire.

Démocratie, ruptures d’équilibre ...

Exit donc Maurice Yaméogo et bonjour au général Sangoulé Lamizana, plus haut gradé de l’Armée et qui se révèlera à l’exercice du pouvoir débonnaire, hésitant par moments, mais toujours guidé par le bon sens commun à tous les militaires. Gouvernement provisoire militaire, gouvernement du Renouveau, troisième République, voici les grands axes d’un règne dont le moment le plus « savoureux » aura été la présidentielle d’avril-mai 1978 qui a permis la naissance de la IIIe République.

Une présidentielle au cours de laquelle, le Burkina Faso aura donné une leçon démocratique au monde entier, à une époque où l’air du temps en Afrique, était aux timoniers et aux régimes monopartisans. Balloté par son challenger Macaire Ouédraogo, le vieux général passera au second tour par le trou de l’aiguille (un peu plus de 57% des voix).

Un fait politique qui, ajouté au soulèvement populaire de janvier 1966 et aux grandes grèves de décembre 1975, ont fait dire à certains analystes, que le peuple voltaïque était l’un des plus matures au plan politique. Un peuple qui s’offrait le « luxe » de la démocratie et s’attirait des sympathies du monde entier, mais qui, hélas n’a pas su, pu ou voulu capitaliser cet acquis immense. C’est que ce peuple avait été « vacciné » très tôt du sérum de la contestation sociale et politique et en était arrivé à abuser de sa force par moments.

Conjugué aux ambitions inassouvies de certains leaders politiques, cet « activisme » ne pouvait qu’entraîner l’instabilité politique vécue entre 1980 et 1987 avec son corollaire, la violence. C’est que, entre la prise de pouvoir « pacifique » de Lamizana en 1966 et le coup d’Etat (un vrai celui-là) de Saye Zerbo le 25 novembre 1980, la classe politique avait fondamentalement changée, avec les groupuscules crypto-communistes qui faisaient leurs armes dans l’ombre, les socialistes « africains » qui réclamaient clairement leur obédience, la frange « consciente » des étudiants qui donnait de la voix et last but not the least, la politisation croissante de la grande muette.

A côté, la vieille classe politique issue de la période coloniale, apparaissait de plus en plus « ringarde » avec ses principes chevaleresques, à l’heure où l’on parlait de plus en plus de lutte des classes en indexant le néocolonialisme ainsi que les impérialistes. Un cocktail détonnant somme toute, qui se « chauffera » avec le coup d’Etat du 7 novembre 1982 avant d’exploser le 4 août 1983 avant l’avénement du Conseil nationale de la Révolution.

... Et démocratie

Une expérience enrichissante au plan de la perception du Burkinabè par lui-même que cette Révolution, si tant est qu’elle a rétabli la confiance en soi et la fierté d’être burkinabè. Le discours politique de l’époque qui pourfendait les tuteurs d’hier tout en fustigeant leurs « suppôts » locaux y a été pour beaucoup. Las, les dérives constatées dans l’exercice du pouvoir populaire, l’intolérance politique (il y avait le peuple et ses ennemis) la négation du passé selon certains sacro-saints principes marxistes (les « féodaux » étaient voués aux gémonies) là où on devait intégrer et assumer celui-là, auront raison de cette expérience originale.

Héritier de ce passé à la fois riche, varié, trouble et complexe, Blaise Compaoré, arrivé au pouvoir le 15 octobre 1987, tente de renouer avec les sentiers de la démocratie. Un exercice qui n’est pas allé sans mal au début, en raison de certains préjugés et qui s’avère plus ou moins difficile si tant est que la fracture politique n’est jusque-là pas totalement résorbée. Raisons de ce contentieux, certains crimes non encore élucidés et cette impression qu’ont certains Burkinabè d’être des « laissé-pour-compte » dans la société d’espérance qu’il veut bâtir.

C’est oublier un peu vite que si l’homme est responsable suprême du pays, il ne saurait être coupable de tous les maux qui minent celui-ci, ceux-ci étant la résultante de notre histoire commune en interaction avec celle des autres peuples. Ceci pour dire que si nous nous sommes cantonnés à l’analyse politique de notre pays pour des raisons évidentes (fête de l’Indépendance), il nous faut aussi garder à l’esprit que dans ce monde globalisé où il existe des « mondialisés » et des « mondialisateurs », nos pays, malgré leur bonne volonté, ne sont plus totalement maîtres de leur destin.

Oui, ils doivent lutter pour changer cet état de fait, mais, les fruits de cette lutte ne viendront pas comme une « génération spontanée ». Esclavage, colonialisme, néocolonialisme, mondialisation, c’est-à-dire surdétermination du capital mondial, autant d’adversités historiques et de handicaps actuels qu’il faut vaincre pour prétendre au soleil. La voie se trouve dans les politiques intégrées et endogènes et avant cette occurrence (nous parlons d’un vrai Etat fédéral africain) la vie sera dure ici au Faso, comme à Maputo, Dakar, Conakry, Kinshasa, Lilbouré etc.

Pour en revenir à la politique « pure » disons qu’il faut éviter les excès qui ont arrêté « l’envol démocratique » amorcé en 1978. Malgré les tares et les torts dont on l’accable, « il faut aider Blaise » à construire notre maison commune, qui n’est pas plus déshéritée que d’autres sur le continent. Il suffit de faire un tour dans certaines capitales « pétrolières » pour s’en convaincre.

Tolérence, foi, pardon et courage, ces vertus séculaires du peuple burkinabé doivent nous guider en ces moments d’interrogation. L’aube n’en sera que plus resplendissante.

Boubakar SY
magnansy@yahoo.fr

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