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Affaire Norbert Zongo : "Il y a des âmes qu’il faut éviter de déranger"

Publié le mardi 25 juillet 2006 à 07h39min

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Quel lien peut-il y avoir entre les dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo. Dans l’écrit qui suit Jonas Hien établit des parallèles entre les deux affaires, classées à quelques jours d’intervalle par la justice burkinabè.

Deux assassinats, deux dossiers brûlants : le dossier Thomas Sankara et celui Norbert Zongo. Il y a des âmes qu’il faut éviter de déranger. Décider de façon préméditée de tuer un être humain, et de surcroît de façon physique, n’est pas une mince affaire. Les conséquences sont très grandes et parfois avec des effets collatéraux.

Tout dépend de la sévérité de l’âme dérangée. Et il n’y a pas d’âmes petite et grande. Une âme est une âme, c’est-à-dire un phénomène divin. Cela est bon à savoir. Des âmes ont été dérangées et le tourbillon qui se fait autour de ces deux dossiers montre que la famille présidentielle y est pour quelque chose. Alors on tourne et on ment. Prenons-les cas par cas.

Du dossier Thomas Sankara

Lors de son stage de formation d’officier à Antsirabé à Madagascar, Thomas Sankara s’ouvrit à certains de ses camarades jeunes officiers de l’armée. Leurs causeries, d’abord informelles, deviennent par la suite de plus en plus assidues, mais restent secrètes. Ainsi naît le ‘’Rassemblement des jeunes officiers’’. Cette organisation est baptisée ‘’ROC’’ pour signifier la force du roc.

Au cours de leurs causeries, ils abordaient les problèmes que les jeunes officiers avaient par rapport à leurs anciens ; les difficultés qu’avaient les sous-officiers et les hommes de troupe, sur le plan de leur paquetage (habillement) et de leur alimentation. Des améliorations ont pu être obtenues grâce à l’action du ROC. Puis petit à petit, les jeunes officiers en viennent à parler des affaires de l’Etat.

Le ROC prit une véritable forme à partir de 1975 lorsque beaucoup de jeunes officiers, rentrés de leur formation, intègrent le mouvement. Leurs réunions étaient clandestines. Les sujets de débats étaient divers, mais ils stigmatisaient l’extrême pauvreté du peuple et la démission des dirigeants. Les jeunes officiers en viennent à parler de la prise du pouvoir d’Etat, mais dans une optique à moyen terme.

Ils décident alors que tous les membres du ROC doivent avoir une solide formation politique avant la prise du pouvoir. En cela, ils veulent suivre l’exemple des Gamal Abdel Nasser, qui ont pris le pouvoir après de longues années de préparation. Ainsi, les jeunes officiers commencent leur formation politique. Ils choisissent le socialisme scientifique comme fondement théorique de leur mouvement. La formation politique en question revêtait plusieurs aspects :

Il fallait d’abord se former politiquement

a) exposé préparé et présenté par un des membres sur un thème donné en s’inspirant des enseignements des éducateurs du prolétariat : Karl Marx, Lénine, etc. ;

b) simulation de situations : à titre d’exemple, lors d’une grève des syndicats, si l’ordre est donné de tirer sur la foule, l’attitude est de ne pas exécuter l’ordre sans se découvrir. On doit savoir qui a fait quoi. Cela s’appelle responsabilité dans l’action ;

c) intégration des mouvements de masse, inspiration de leurs moyens de lutte et formation auprès de la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD). A cet effet, des contacts furent noués avec des civils et des amitiés ravivées.

L’organisation du ROC était du type cellules communistes avec le cloisonnement que cela suppose et les conditions d’intégration qui étaient le parrainage, le stage et parfois le préstage. Le chef incontesté était Thomas Sankara, qui était à la base de la création de ce mouvement et qui l’animait activement.

En 1978, Thomas Sankara part en stage au Maroc. C’est là qu’il rencontra un autre Burkinabè (Voltaïque à l’époque) du nom de Blaise Compaoré, venu effectuer lui aussi sa formation d’officier. Alors que la majeure partie des éléments du ROC étaient issus du Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) et donc se connaissaient depuis quelques années, Blaise Compaoré, lui, était issu du milieu civil, car engagé dans l’armée, comme bon nombre de collégiens à l’époque, pour sa « Préparation militaire spéciale », pendant les grandes vacances.

Après cette préparation, il manifesta son désir d’embrasser la carrière militaire. C’est ainsi que sa carrière militaire le conduisit au Maroc pour sa formation d’officier. Une grande amitié lie donc les deux Burkinabè au Maroc, qui ne se connaissaient pas au pays. Revenus au pays, Thomas Sankara propose l’intégration de Blaise Compaoré au ROC.

En dépit de toutes les règles édictées par ce Mouvement, Thomas Sankara insiste sur la nécessité d’intégrer son ami dans le ROC. Il développa comme argument qu’il répondait de Blaise Compaoré comme de lui-même. En d’autres termes, Blaise Compaoré devait être considéré comme s’il était Sankara lui-même. Leur amitié était forte.

Gérer un Etat n’est pas une nince affaire

C’est ainsi donc que Blaise Compaoré intégra le ROC, qui continuait son travail de formation politique de ses membres. Plus d’une fois, les officiers de ce mouvement ont eu l’occasion de prendre le pouvoir (lors de la grève de décembre 1975 notamment). Mais si l’aspect militaire ne les effrayait pas, ils estimaient qu’ils n’étaient pas prêts politiquement à tenir les rênes du pouvoir d’Etat.

Diriger un Etat n’est pas une mince affaire, car il s’agit de servir le peuple aux multiples aspirations et non servir qu’un groupuscule ou la famille du Président qui est au pouvoir. La vision était donc juste. Néanmoins, ils s’étaient donné le mot d’ordre d’intensifier et d’élever la formation politique. Thomas Sankara, en leader du ROC, ne rechignait pas à la besogne : il quittait son poste de Commandant du Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Pô, à des heures indues (minuit ou 1h du matin) pour venir tenir des réunions programmées avec ses camarades à Ouagadougou.

Puis il rejoignait la ville de Pô pour être présent à la montée des couleurs (drapeau national) à 7 heures. L’amitié entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré est restée ainsi forte jusqu’à la prise du pouvoir le 04 août 1983 avec l’instauration de la Révolution démocratique et populaire. Blaise devint en quelque sorte un membre à part entière de la famille Sankara et très attaché au père de Thomas Sankara, de qui il prenait soin. Pendant que le Président Thomas Sankara se battait pour les intérêts du peuple au détriment de sa famille, Blaise continuait à veiller sur le vieux Sankara par des visites régulières à la famille. Et si par coïncidence Blaise venait trouver Thomas en famille, Thomas se levait aussitôt en disant : « comme tu es venu pour causer avec ton Papa, je ne vais pas rester pour vous gêner puisque je sais que vous allez parler de moi. »

Malgré les rumeurs persistantes sur le risque de la fin de l’amitié entre les deux hommes d’Etat et peut-être tragiquement, malgré les informations qui parvenaient au vieux Sankara, Blaise Composé rassura le père de Thomas Sankara, une semaine avant le 15 octobre 1987, en ces termes : « Je vous demande de rester tranquille Papa. J’apprends aussi les mêmes rumeurs que vous. La politique est faite de rumeurs. Ce que je sais, c’est qu’il n’y a rien entre Thomas et moi ».

Il faut bien le surveiller, c’est ton frère

Rassuré, le vieux Joseph Sankara se contenta de dire à son fils Blaise : « En tout cas, il faut bien le surveiller. C’est ton frère. S’il y a un problème, n’hésite pas à venir me le dire ». Le problème qu’il y a eu, c’est ce qui est arrivé le 15 octobre 1987, donc une semaine après, et Blaise n’est plus revenu jusqu’à nos jours.

Ainsi, Thomas a tout perdu pour avoir tout donné à Blaise. Quand on conseillait souterrainement Thomas Sankara de faire arrêter Blaise Compaoré au moment où tout semblait irréversible, il répondait ceci : « Non, moi je ne peux pas le faire, car il ne sert à rien de continuer à être un Chef d’Etat quand votre peuple n’a pas ou n’a plus confiance en vous.

Or faire arrêter ou faire assassiner Blaise, je ne sais pas comment l’expliquer à mon peuple. Je vous demande de laisser Blaise faire. Si je ne suis plus là, peut-être que lui au moins saura expliquer au peuple ce qui s’est passé entre nous. En tout cas, moi je ne peux pas, personne ne me croira ». Et c’est ce dossier-là que vous demandez aujourd’hui à Blaise de faire juger ?! Ah ! que c’est compliqué. C’est compliqué pour trois raisons essentielles :

C’est compliqué pour 3 raisons essentielles

1/ Juger le dossier Thomas Sankara, c’est prendre Blaise Compaoré pour le principal inculpé pour la simple raison que la proclamation de prise du pouvoir du 15 octobre 1987 avait été lue en son nom. En outre, selon une de ses justifications qui ont milité en faveur de la tragédie du 15 octobre, il avait appris que c’est lui qui devait être arrêté et exécuté ce même 15 octobre 1987 à 20 heures par les hommes proches de Thomas Sankara. Il a donc devancé les choses.

On comprend aisément pourquoi il n’était pas nécessaire de mettre en place une commission d’enquête à l’époque. Les choses étaient claires. Les choses sont toujours claires. Si jugement il doit y avoir, elle doit consister à explorer les voies judiciaires requises pour aboutir à la levée de l’immunité du Chef de l’Etat burkinabè. Mais quel juge le fera ? Ces juges « acquis » !

2/ La deuxième raison qui permet d’affirmer que le dossier Thomas Sankara ne peut pas être jugé sous le régime de Blaise Compaoré est que personne, dans le corps militaire, n’est encore prêt à salir son image pour ce régime spécialisé dans la trahison. Le procès du dossier David Ouédraogo l’a démontré.

Pendant que l’Adjudant Marcel Kafando s’efforçait de couvrir maladroitement François Compaoré, frère cadet du Président du Faso, le Colonel Gilbert Diendéré n’entendait pas porter un chapeau qui dépassait sa tête. Il n’était au courant de rien au début de l’affaire et il ne savait pas en vertu de quoi il porterait une telle responsabilité. L’impopularité du Colonel Gilbert Diendéré est due à ses multiples services rendus à Blaise Compaoré.

Or, un procès du dossier Thomas Sankara ne peut se faire sans le témoignage de Gilbert Diendéré. La confiance entre Blaise et son chef de la sécurité ne serait plus comme avant. Blaise est donc en droit de douter du soutien total du Colonel dans une telle affaire. Et comme le doute profite toujours à l’accusé, le doute du Président Compaoré ne peut que profiter à lui-même. Il parait que c’est un principe en droit.

Aucun avocat ne peut prouver l’innocence de Blaise

3/ Depuis l’assassinat du Président Thomas Sankara, des années se sont écoulées et des regrets se sont installés dans biens des esprits des Burkinabè au regard du désordre de gouvernance que nous vivons actuellement dans le pays. De même, beaucoup d’informations ont pu circuler, beaucoup de militaires faisant partie des commandos à l’époque ou actuellement ont été brimés d’une façon ou d’une autre.

Or, beaucoup d’entre eux en savent certainement quelque chose et pourraient fournir des éléments accablants, même clandestinement. On ne sait jamais. En tout cas, pendant le procès des présumés putschistes d’avril 2003, on a appris des choses intéressantes avec des anciens commandos du Conseil de l’entente sur la vie de ce corps à l’époque. De même, un procès sur l’assassinat de Thomas Sankara ne peut se faire sans le témoignage des civils qui savent également quelque chose sur cet événement tragique. Il est certain que beaucoup n’attendent que l’occasion.

L’affaire n’est donc pas mince et le Président Compaoré en est parfaitement conscient et ses juges sont déjà à ses ordres. Quel que soit le professionnalisme des avocats qui se constitueront aux côtés de Blaise Compaoré, la tâche ne sera pas facile non plus, puisqu’ils n’arriveront jamais à prouver l’innocence de leur client dans cette affaire, au risque de recevoir dans leur dossier de défense des éléments d’information pouvant les conduire à jeter l’éponge et à garder leur dignité d’avocat.

Ce métier est aussi sensible. Pour un rien, vous perdez tous les clients et la considération auprès de l’opinion avec. Il en est de même pour certains juges, qui ne peuvent plus avoir un simple bonjour de la plupart des Burkinabè. Le dossier est donc brûlant.

L’Observateur

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