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Guantanamo : Le coup de frein de la Cour suprême

Publié le vendredi 14 juillet 2006 à 08h56min

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"Guantanamort", comme qualifient certains, la tristement célèbre prison située à Cuba, c’est fini ? Difficile, pour l’instant, de répondre par l’affirmative, à cette question. Cependant, c’est un signal fort que l’Administration Bush vient de donner en affirmant renouer avec l’esprit et la lettre des conventions de Genève sur les prisonniers de guerre.

Pour la petite histoire, il faut rappeler que la Convention de Genève de 1949, à ce jour ratifiée par 188 Etats dont les Etats-Unis, codifie les règles applicables aux conflits armés. De façon spécifique, la 3e Convention, en son article 17, stipule que "Les prisonniers de guerre ne pourront subir aucune torture ou contrainte pour les forcer à livrer des informations".

L’engagement de renouer avec cette Convention est la reconnaissance sans ambiguïté, par l’Administration Bush, d’un délit de flagrante violation du droit international. Du reste, l’opinion internationale et même américaine avait été choquée par le comportement de l’armée américaine qui avait soumis des détenus irakiens de la prison d’Abou Ghraïb (construite en 1970 par Sadam Hussein), à d’avilissantes tortures, et dont les images avaient fait le tour de toute la planète. Le monde entier n’avait pas manqué de dénoncer ce qu’il a qualifié de violation du droit international humanitaire, et, plus grave, de codification de la torture.

Et comme si cela ne suffisait pas, dans cette ambiance de confusion généralisée où pour les Etats-Unis, il ne saurait y avoir de distinction entre terrorisme et guerre de libération ou d’indépendance, des milliers d’individus, parfois victimes de délit de faciès, furent déportés à Guantanamo. Face aux vagues d’indignations et aux nombreux appels en faveur de la fermeture de cette prison, véritable camp de concentration, Bush avait fini par lâcher : "J’aimerais fermer Guantanamo, mais je dois dire que nous y détenons des gens sacrément dangereux..."

Est-ce vraiment une raison suffisante et convaincante pour entretenir tous ces amalgames et enfermer indéfiniment, sans jugement, des gens qui ne savent même pas pourquoi ils sont à cet endroit ? L’Administration Bush n’a-t-elle pas les moyens de séparer le bon grain de l’ivraie ? Rien n’est plus insupportable humainement que d’être embastillé en vertu de la loi du plus fort.

Face à ce qu’ils ont considéré comme une flagrante injustice et comme une rançon de leur innocence, des prisonniers ont-ils choisi la solution du désespoir en se pendant dans leurs cellules ? C’est ce que dit la version officielle après la mort de deux Saoudiens et d’un Yéménite.

Selon le rapporteur général des Nations unies sur la torture, "ces morts traduisent le désespoir de gens, pour certains innocents, emprisonnés depuis quatre ans et demi, sans avoir la moindre idée de leur peine et sans pouvoir se défendre devant un juge". Des propos qui contredisent ceux, disons-le, cyniques, du vice-amiral commandant cette prison de haute sécurité. "Les djihadistes n’ont aucun respect pour la vie humaine, pas plus la nôtre que la leur. Ils sont malsains, créatifs, motivés. Je ne crois pas que leur "suicide" était un geste de désespoir, mais un acte de guerre asymétrique contre nous."

Sans commentaire. Une thèse réfutée par la famille des victimes, compte tenu des convictions religieuses de ces dernières qui réprouvent le suicide, geste banni par le Coran.

Ce n’est donc certainement pas la désapprobation internationale de tels propos que d’aucuns ont qualifiés d’indécents qui a contraint Bush à la reculade. Si c’était le cas, le président américain n’aurait pas piétiné le droit international pour envahir l’Irak. Il n’aurait pas non plus continué à se comporter en indéfectible souteneur d’Israël dans ses méthodes expéditives.

Malgré le tintamarre universel des dénonciations jusqu’aux portes de la Maison Blanche, l’Administration Bush n’avait jamais renoncé à planétariser la guerre. Les Etats-Unis avaient tellement conscience de l’impuissance et de la mollesse de la communauté internationale face à leurs caprices guerriers qu’ils n’ont pas hésité à se comporter en premiers exportateurs de prisonniers au monde en disséminant des prisons à travers certains pays européens plus ou moins consentants. Ce qui a fait fléchir Bush et ses faucons du Pentagone, c’est le récent rejet, par la Cour suprême, du traitement infligé aux prisonniers de Guantanamo, et l’injonction de publier la liste des détenus.

Pourtant, Bush avait tout fait pour domestiquer les juges qui composent cette plus haute juridiction, en nommant certains juges censés lui être favorables. Peine perdue. La leçon qu’on peut tirer de ce revers subi par le président de la plus grande puissance mondiale, c’est la réalité d’une séparation des pouvoirs, et l’impossibilité pour l’un d’influencer les décisions de l’autre. C’est dire qu’aux Etats-Unis, la distinction entre les institutions républicaines et les dirigeants ne souffre d’aucune ambiguïté.

Quelle que soit la "folie" d’un dirigeant, il est dans l’obligation de se plier à toute décision de justice. C’est tout le contraire de ce qui se passe souvent sous nos tropiques où la séparation des pouvoirs, cartographiée par des textes théoriquement plus généreux que la profession de foi d’un mécène, n’est qu’une simple vue de l’esprit, une sorte de panneau destiné à la consommation extérieure. Tout laisse penser qu’après le veto de la Cour suprême, l’Administration Bush va se mettre au pas. Tout comme il a fait démanteler la prison d’Abou Ghraïb, il faut qu’il en fasse de même concernant Guantanamo.

Du reste, le contexte actuel de l’évolution des mentalités dans l’opinion américaine, de plus en plus farouchement hostile à la guerre, peut l’y contraindre. Finie l’époque où l’Amérique était endormie sur ses certitudes. Elle marche actuellement sur de nombreuses braises ardentes (Iran, Corée du Nord, Afghanistan, Irak...) pour se permettre de se mettre tout le monde à dos. Certes, Bush va quitter le pouvoir au terme de son second mandat. Il pourrait être tenté par la solution du pire. Il serait cependant bien inspiré de laisser à son parti, un héritage qui lui donne des chances de remporter la prochaine présidentielle.

"Le Fou"

Le Pays

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