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M. Ousmane NACRO : “Le sondage est un outil que le CGD donne aux hommes politiques et à chacun de pouvoir l’exploiter...”

Publié le vendredi 7 juillet 2006 à 09h05min

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Ousmane NACRO de la LIDEJEL

Pas deux sans trois devrait-on dire. En effet, le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) ne démord pas de l’exercice « hautement risquant » auquel il s’est adonné depuis peu : le sondage d’opinion.

Après les sondages portant sur l’élection présidentielle de novembre 2005 et sur la gouvernance locale à Ouagadougou, le professeur LOADA et ses collaborateurs se sont encore investis dans le domaine en réalisant un troisième sondage sur l’état de la gouvernance au Burkina Faso.

Si certains membres de l’opposition politique ont immédiatement jeté l’anathème sur ledit sondage parce que révélant leur faible représentativité, il y a lieu de reconnaître que cette troisième enquête reste comme toutes les deux précédentes, un instrument au service de tous les acteurs du développement du Burkina Faso. Nous avons dans ce sens approché, un acteur de la société civile, M. Ousmane NACRO, président de la Ligue pour la défense de la justice et de la liberté (LIDEJEL) qui ne s’est nullement dérobé à nos questions sur ce sondage.

Après Faso-baromètre I, l’enquête par sondage qui a porté sur l’élection présidentielle et Faso-baromètre II portant sur la gouvernance locale à Ouagadougou, le CGD vient de publier un troisième sondage qui, lui, porte sur l’état de la gouvernance au Burkina. Comment accueillez-vous ce sondage et qu’en retenez-vous ?

Ousmane NACRO (ON) : J’ai eu abord des sentiments de satisfaction lorsque j’ai appris que le CGD a réalisé, une fois de plus, une enquête pour entendre les populations afin qu’elles s’expriment par rapport à la gouvernance démocratique. Il y a lieu de dire que c’est une enquête qui s’est effectuée sur la base d’un sondage. Un échantillon de 1738 personnes a été sélectionné dont 36,59% femmes et 63,41 d’hommes. Lorsqu’on regarde que les 13 régions ont été couvertes, les trois langues nationales ont été utilisées en plus du français, je dois dire que c’est une enquête qui de prime abord ne peut être qu’intéressante.

Je n’ai pas de commentaire particulier à en faire sauf que cela doit être considéré comme un instrument ou un outil que chacun doit prendre afin de voir par exemple pour les politiciens quelle stratégie mettre en place et quant à nous, nous tirons les conséquences et nous verrons comment réajuster nos opinoons ou nos méthodes de travail par rapport à cette enquête.

Pensez-vous que la méthodologie utilisée soit pertinente ?

(ON) : C’est une méthodologie qui est scientifique. Il y a un échantillon qui est déterminé.
Il y a un questionnaire qui est préparé. Sur une multitude de questions, on sélectionne celles qu’on pense les plus pertinentes et le CGD a fait tout ce travail. La méthode est donc belle et bien pertinente. Maintenant selon la position qu’on a dans la société, on peut apprécier ou pas les commentaires ou les analyses qui vont en résulter. L’analyse que le CGD va faire n’engage que lui parce que chacun pourra avoir aussi une interprétation de ces résultats. Mais quant à la méthodologie utilisée, il n’y a rien à redire, c’est une méthode scientifique.

Il y a tout de même un certain nombre de leaders de l’opposition politique qui se sont démarqués des résultats. Qu’est-ce qui peut expliquer leur attitude et surtout quelle est votre opinion sur cette attitude ?

(ON) : C’est leur droit. Comme je l’ai dit tantôt une enquête est faite, les résultats sont produits, et chacun peut les interpréter de la façon qui lui convienne. Le CGD pour ce que je sache n’a pas encore produit une analyse pour approfondir ces résultats mais certains hommes politiques qui pensent qu’on a fait une part belle à une autre partie de la clase politique sont sur le gril.
C’est un point de vue. Ce groupe a le droit de partager ou pas ce sondage. Je ne voudrais pas faire de commentaire par rapport à la position de ce groupe.

Pour ce qui me concerne, je me dis qu’il s’agit d’un instrument que le CGD met à la disposition des acteurs politiques et de la société civile. J’ai d’ailleurs remarqué que certains éléments de ce sondage méritent de mener des réflexions.
Lorsqu’on dit par exemple que les populations à la limite ne sont pas satisfaites de l’action des conseillers municipaux ou de leurs députés, vous comprenez avec moi qu’il y a véritablement beaucoup de choses à faire à ce niveau.

La polémique sur ces résultats n’amenuise-t-elle pas l’importance du sondage ?

(ON) : Pas du tout. A mon sens, c’est cela aussi qui est recherché. Pour qu’il y ait polémique, il faut qu’il y ait eu d’abord un travail. Pour une enquête donnée, il est pratiquement difficile d’avoir une unanimité des résultats. Il n’y a que 1738 personnes qui ont été consultées sur des millions d’électeurs.
J’allais être surpris que ces résultats soient acceptés par tout le monde. Nous sommes en politique, et vous comprenez que si je suis un candidat et qu’on publie que mon adversaire est crédité de 71% d’intentions des populations, je crois que c’est tout à fait mon droit de m’y opposer. Mais je dis que cela ne remet en rien en cause la qualité du travail qui a été fait.

Quel impact ce sondage peut-il avoir sur le processus démocratique ?

(ON) : Au regard des taux qui sont ressortis, nos acteurs politiques doivent être interpellés. Lorsqu’on affirme par exemple que 45,74% pensent que la gouvernance économique se présente plutôt mal, je pense que ça doit interpeller nos gouvernants. Lorsque plus de 60% pensent qu’il y a moins d’opportunités pour l’emploi par rapport aux années précédentes, il faut comprendre que ce sont les problèmes qui sont posés depuis et qui attendent encore des solutionnements. L’enquête ne fait que confirmer ce qui est déjà connu.

Ce que cela peut entraîner, c’est ramener nos gouvernants et tous les leaders d’opinion à travailler et faire en sorte que les tendances qui semblent mauvaises puissent être inversées. Si plus de 60% pensent qu’il n’y a pas d’opportunités d’emploi, il faut travailler à ce qu’on ait beaucoup plus d’emplois et que la prochaine enquête puisse prouver le contraire. En ce moment, on pourrait dire que les gens se sont appropriés les résultats de cette enquête et les actions ont été menées pour corriger ce qui à vue d’œil à partir de ce sondage paraît comme des lacunes.

L’enquête révèle que le degré de satisfaction à l’égard du fonctionnement de la démocratie est autour de 70,72%. Quelle lecture faites-vous de ce chiffre.

(ON) : Après toutes ces années d’apprentissage de la démocratie, il y a quand même lieu de croire que nos populations en savent davantage par rapport à ce système de gestion. A ce titre, 70,72% de satisfaction, c’est un taux à la limite qui est très encourageant. Cela signifie également qu’un travail pertinent a été fait par les hommes politiques et que les populations à la base sont de mieux en mieux informées de ce qui se passe quant à la gestion de leur cité. Je crois que c’est un taux qui mérite que le travail soit poursuivi afin que nos populations s’impliquent de mieux en mieux dans le système démocratique.

Mais les résultats font ressortir que contrairement aux Sénégalais, les citoyens burkinabè s’intéressent moins à la gestion de la cité. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

(ON) : C’est juste. Il y a un adage qui dit que comparaison n’est pas raison. Mais je peux dire que les Sénégalais sont un peu en avance sur nous par rapport au processus démocratique. Nous, nous sommes en train d’apprendre. La décentralisation intégrale ne fait que commencer. Je crois que ce système amènerait davantage les populations à s’intéresser beaucoup plus à la gestion de la cité au regard de l’engouement qu’il y a eu autour des élections des maires. Cela démontre que les populations prennent conscience que dorénavant la gestion de la cité, c’est d’abord leur propre affaire.

Je suis d’accord qu’il y a une faible participation des populations quant à la gestion des cités mais cela aussi est lié au degré d’ancrage de notre démocratie. Mais je dis que nous sommes une démocratie qui est en train de se construire et j’espère que d’ici peu, les populations s’intéresseront beaucoup plus à la chose publique qui deviendrait à la limite leur quotidien. Attendons la prochaine enquête, je peux affirmer sans me tromper qu’à ce niveau, les tendances vont s’inverser.

Et si l’on vous demandait d’analyser et de commenter la grande approbation de l’action du président du Faso avec un taux de 71,06% et la relative faiblesse de la popularité des actions des députés et des élus locaux qui est respectivement de 44,87% et de 30,26% ?

(ON) : Je dois dire que c’est d’abord une grosse inquiétude parce que les populations doivent connaître d’abord ceux qui sont élus à travers les élections de proximité. Alors que ceux qui sont plus proches des populations à la base sont les conseillers municipaux. Et c’est inquiétant de se rendre compte que les populations ne sont pas satisfaites de leurs actions. Après les conseillers, il y a les députés dont les populations ne sont pas aussi satisfaites de leurs actions. A contrario on est d’accord avec l’action du président à plus de 71%.

Cela traduit que pour nos populations à la base, tout ce qui est acquis, tout ce qui se réalise, à leur faveur c’est d’abord par l’action du président du Faso. Mais lorsque ça ne va pas, tout de suite, on préfère accuser celui-là qui est à côté notamment le conseiller ou le député. On pense que ce sont eux qui n’ont pas fait leur travail. J’ai l’impression qu’il existe fondamentalement un problème de communication entre les députés, les conseillers municipaux et les populations à la base.

Et si ce n’est pas le cas, je pense que c’est une situation qui est alarmante et mérite vraiment que les conseillers municipaux et les députés s’asseyent pour se demander véritablement ce que les populations les reprochent. Car ce sont ces élus qui doivent être les plus proches des populations. Et si d’aventure on les rejette, je crois que c’est inquiétant. On ne me dira pas que le paysan qui est à 300 km voire 500 km, de Ouaga connaît mieux le président du Faso que son conseiller qui est à côté de lui. Si c’est le cas, c’est inquiétant et c’est tout le système électoral, j’allais dire, qu’il faut revoir.

C’est encore une fois de plus l’intérêt de ce sondage. Chaque acteur politique doit s’en approprier et faire une rétrospection afin de se poser des questions et apporter des éléments de réponses à ce qui expliquerait au mieux les inquiétudes de nos paysans.

En vous basant sur ce sondage, que pouvez-vous dire de l’état actuel de la démocratie burkinabè ?

(ON) : Indéniablement, je pense que nous sommes sur la bonne voie. Notre démocratie, chaque jour que Dieu fait, prend du galon. En dépit de toutes les insuffisances qu’on peut noter çà et là, on ne peut s’empêcher de dire qu’on avance. Il y a certes un travail énorme à faire, mais je crois que c’est inhérent à toute jeune démocratie. Nous sommes une démocratie émergente, toutes les forces vives doivent travailler à consolider les acquis, à éliminer les tares que nous traînons en ce moment pour faire en sorte que notre démocratie soit débarrassée de certains maux comme la corruption et bien d’autres choses que je ne citerai pas.

Que dites-vous des intentions de vote aux législatives de 2007 qui donnent le CDP en pôle position avec 44,94% suivi de l’ADF/RDA (5,52%) mais avec un taux d’indécis très important de près de 30% ?

(ON) : Une fois de plus, je dirai que ce sont des intentions. Je souhaite vivement que ces chiffes ne soient pas vérifiés aux législatives de 2007. Ce qui me fait dire aussi que ce ne sont pas des chiffres qu’il faut contester. Dès l’instant qu’on accepte de procéder à ce type d’enquête, on est obligé de s’en remettre aux résultats. Nous attendons ces législatives, mais je pense sérieusement que le CGD sera dans la fourchette. Il y a des marges d’erreur qui sont autorisées avec ce type d’enquête.

Si nous prenons en compte ces erreurs, je pense véritablement que le CGD sera dans les chiffres parce que ce n’est pas la première fois que ça se réalise. Le CGD a déjà donné des chiffres suite à des enquêtes qui se sont avérées. Je n’ai pas de commentaire particulier à faire. Si j’étais l’un ou l’autre responsable de ces partis, il n’y a que les stratégies à revoir pour que ces taux puissent être revus à la hausse. Quand on me donne des intentions de vote de 3,5%, je travaillerais à les remonter à plus de 5%.

Si le CDP a 44%, vous comprendrez aussi qu’il doit travailler à remonter ces intentions. C’est pour cela, je dis que c’est un outil que le CGD donne aux hommes politiques et à chacun de pouvoir l’exploiter pour tirer le maximum de profits possibles.
Quant au taux élevé d’indécis, je dirai que c’est tout à fait juste. Si l’on fait même un sondage des électeurs à l’entrée des bureaux de vote, on trouvera toujours à ce niveau une proportion d’électeurs qui diront qu’ils ne sont pas encore décidés.

C’est ainsi qu’on prévoit aussi des enquêtes à la sortie des urnes pour avoir les éléments d’indécis précis par rapport au vote. Nous sommes encore loin des législatives, et plus nous allons nous rapprocher de cette échéance, ce taux va forcément baisser. Donc il n’y a pas lieu de s’alarmer parce que nous ne sommes pas encore au jour j. Et si d’aventure il y a 29% qui n’ont pas encore d’intention, cela veut dire qu’il y a un potentiel d’électeurs qui existe et il revient aux hommes politiques d’aller travailler à ce que ces gens qui ne sont pas encore décidés basculent dans un camp ou dans l’autre. Je crois que le CGD donne l’élément aux acteurs politiques d’aller les chercher pour les faire changer d’avis.

Pensez-vous donc que comme à la présidentielle, les législatives à venir vont confirmer les tendances dégagées par le sondage ?

(ON) : Je le pense sincèrement parce que je l’ai dit au début qu’il s’agit d’un travail scientifique. Par extrapolation, nous serons dans cette fourchette s’il est vrai que les électeurs ont été sincères dans les réponses qu’ils ont données. C’est le seul facteur qu’on ne maîtrise pas dans une enquête. Si les enquêtés ont répondu sincèrement, il n’y a pas de raison qu’on s’écarte de la réalité. En tout cas pas de façon considérable.

L’égalité des chances entre les hommes et les femmes, le vote des Burkinabè de l’étranger reviennent dans le sondage. Quel commentaire faites-vous ?

(ON) : Pour moi on n’a vraiment pas besoin de se réunir pour décréter d’un quota à donner aux femmes. C’est une question sur laquelle je n’aimerais pas polémiquer par crainte qu’on me traite de ceci ou de cela. Il y a des femmes qui se battent très bien et qui méritent leur place là où elles sont. Mais je ne voudrais pas que par un système mécanique on puisse amener d’autres femmes à la limite qui ne sont pas déterminées pour occuper des postes. Il faut laisser les femmes elles-mêmes se battre et arracher leur poste. C’est seulement par cette façon qu’elles vont mériter leur place et les conquérir de façon durable.

Mais lorsqu’on passe par un colloque où autre, je crains qu’un jour encore on ne revienne à un colloque pour réviser des taux à la baisse. C’est une question délicate, je crois qu’il est bon de continuer de réfléchir là-dessus.
En ce qui concerne le vote des Burkianbè de l’étranger, c’est une question très intéressante. Pendant très longtemps la société civile a toujours demandé qu’on puisse quand même leur permettre d’exercer ce droit.

Lorsque certains acteurs politiques se plaignent d’une partie de ce rapport, il y a aussi que les mêmes doivent se réjouir parce ce rapport ressort des éléments qui ont été aussi demandés par une certaine partie de l’opposition. Le taux de 78% qui est favorable à ce vote est très important et cela doit du même coup interpeller nos gouvernants pour qu’ils sachent que pratiquement les Burkinabè souhaitent que leurs frères qui sont dans d’autres contrées puissent participer au choix de leurs dirigeants. Ce qui est à la limite légitime.

Mais je pense que c’est une chose qui va arriver parce qu’on ne pourra pas continuer à reculer cette option éternellement. C’est peut-être un problème d’administration et dès l’instant que toutes les conditions seront réunies, je crois sincèrement que nos gouvernants nous feront le plaisir de permettre à ces Burkinabè qui ne sont pas à part de participer aussi au choix des dirigeants de leur pays.

En tant que membre de la société civile, quelle peut être l’utilité d’un sondage comme celui-ci ?

(ON) : Je pense sincèrement que l’utilité est assez importante en ce sens que ces résultats nous permettent de revoir nos stratégies d’approche des populations. Ce sondage nous permet de nous rendre compte que nous ne sommes pas toujours compris ou que nous nous exprimons peut-être mal. Nous avons donc tous à gagner que ce soit les acteurs de la société civile ou les acteurs politiques, à revoir nos méthodes d’approche des populations. Parce que nous risquons d’avancer sans les populations et cela signifie qu’on essayera de leur imposer un développement. Et dès l’instant que celles-ci ne sont pas impliquées dans ce processus, je crains fort que nous ne prêchions dans le désert.

Donc je répète que c’est un instrument qui est donné et chacun tirera les conséquences de ces résultats pour revoir vraiment sa façon de faire afin que nous soyons mieux compris de nos populations parce que nous ne travaillons véritablement que pour elles. S’il y a un véritable fossé entre les populations et les acteurs politiques et ceux de la société civile, c’est tout le développement qui en prendrait le coup.

L’Opinion

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