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Elections en Afrique : Les faux arguments du manque d’argent

Publié le lundi 3 juillet 2006 à 07h15min

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Winston Churchill, Premier ministre britannique d’alors, disait que la démocratie était le pire des systèmes politiques, à l’exception des autres. Quoi qu’il en soit, de façon volontaire ou sous la pression des événements, beaucoup de pays africains ont remis au goût du jour leur système politique pour se conformer au vent de liberté qui souffle désormais sur notre continent.

Ce continent longtemps dominé par la pensée unique distillée et imposée par des potentats locaux, convaincus que l’Afrique devrait affirmer son exception dans ce concert tendant à promouvoir et à universaliser la démocratie qui, disons-le, ne saurait se satisfaire des élucubrations de nostalgiques charlatans politiques africains. Du reste, certains d’entre eux continuent à croire dur comme fer que les citoyens africains ne sont pas assez mûrs pour la démocratie et qu’il faut encore du temps pour les éduquer.

C’est pourquoi, on assiste çà et là, à des tentatives de blocage des processus démocratiques dont l’une des conditions de renforcement est la tenue d’élections régulières avec des échéances qui sont clairement consignées dans la Constitution complétée par des codes électoraux.

C’est ainsi que, l’on se rend compte qu’actuellement, la tendance dans certains pays africains, est à la violation des textes édictés souvent par les mêmes acteurs. Après le président sénégalais Abdoulaye Wade qui a émis l’idée de coupler l’élection présidentielle avec les législatives, pour faire face à la facture occasionnée par des calamités naturelles, le Bénin, pays phare en matière de vertu démocratique en Afrique, vient d’être piqué par le virus du couplage des élections législatives avec les municipales.

Au Sénégal comme au Bénin, l’argument est le même. Manque de crédits pour organiser des élections séparées. S’il est trop tôt pour connaître les réactions provoquées par cette décision des députés béninois de prolonger leur bail pour un an, au Sénégal, société civile et partis de l’opposition sont montés au créneau pour dénoncer l’initiative du président Wade. Au Bénin, l’ultime tentative de l’entourage de l’ex-président Mathieu Kérékou de prolonger son mandat en arguant du manque de crédits, n’a pas résisté à l’hostilité générale de ceux qui ont la démocratie, la soif de changement et l’alternance chevillées au corps.

Certes, il ne viendra à l’idée de personne de s’en prendre à des dirigeants soucieux de faire des économies sur les maigres budgets de nos Etats. Encore faut-il se convaincre que ces budgets sont bien gérés, utilisés à bon escient et là où il faut. On ne peut pas avoir foi en la démocratie et ignorer que la démocratie coûte cher. En réalité, avancer des problèmes d’intendance pour différer des élections programmées à l’avance, relève tout simplement de la malgouvernance.

Sinon, comment comprendre que des gouvernements trouvent des moyens pour improviser des dépenses de prestige qui ne sont pas toujours prévues au budget national, pour mener un train de vie paradisiaque et que des députés s’octroient des indemnités faramineuses dans cette misère généralisée ?

Une élection, qu’elle soit présidentielle, législative ou municipale, est une affaire de souveraineté nationale et devrait d’abord être prise à bras le corps par les autorités. Avec cette manière de marchander notre souveraineté en tendant toujours la main à l’extérieur pour financer les élections en Afrique, il ne faut pas s’étonner des ingérences dont notre continent est actuellement victime. Si l’Afrique veut une démocratie choisie et non subie, elle devrait se débarrasser de son indigence qui consiste à éternellement demander l’aumône.

Malheureusement, certains dirigeants africains utilisent le manque d’argent pour organiser des élections comme argument de chantage pour retarder la tenue de scrutins. Tout se passe comme si la démocratie était à usage extérieur alors qu’elle est destinée à la consommation intérieure.

Mais, il y a plus grave dans le comportement de nos dirigeants. Comment être des démocrates tout en ne mettant pas un point d’honneur à respecter la loi ? Lorsqu’un parlement, censé être garant de la loi, viole la loi, il n’existe plus aucun rempart contre toutes les dérives.

Pendant combien de temps, nos dirigeants vont-ils comprendre que ces scénarios répétitifs conduisent aux éternels et inévitables balbutiements de la démocratie ?

Au-delà des arguments financiers et économiques avancés en Afrique pour plomber les ailes à la démocratie, se cachent pas mal de calculs politiciens. D’abord la peur d’affronter un électorat de plus en plus critique et exigeant. Que ce soit au Sénégal, au Bénin ou ailleurs, on a le sentiment que c’est la même peur d’être désavoué par un électorat qui, dans un contexte de déficit de confiance entre lui et les dirigeants, pourrait être amené à sanctionner ces derniers.

On l’a vu tout récemment au Bénin. Boni Yayi a été élu sans la bénédiction d’un parti politique. Les députés ont-ils peur d’un vote sanction ? On peut le penser. En prenant acte de cette prolongation du mandat des députés, le nouveau président ne se laisse-t-il pas enfermer dans un piège ?

Par ce geste, les députés béninois n’accomplissent-ils pas simplement un geste de cupidité camouflé derrière une prétendue volonté de permettre à l’Etat de faire des économies ? En tout état de cause, avec cette démocratie au rabais, cette démocrature diront certains, ce sont les députés qui se donnent encore un an pour se remplir les poches. Toujours est-il que si l’on n’y prend garde, cette propension à contourner les urnes risque de faire tâche d’huile en Afrique. Des perspectives malheureuses pour la démocratie.

Le Pays

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