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Dominique de Villepin : Difficile parcours d’un électron libre

Publié le lundi 26 juin 2006 à 08h09min

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A l’Assemblée nationale française, le Premier ministre, Dominique de Villepin, pourtant poète à ses moments perdus, n’a pas dédié une ode à François Hollande, premier secrétaire général du parti socialiste. Il a tout simplement traité ce dernier de lâche pour avoir posé une question qui fâche.

A savoir, la découverte d’un délit d’initié dans la gestion de Noël Forgeard, le président français du groupe aéronautique EADS (dont l’Etat est actionnaire à hauteur de 15%), qui a vendu des actions, juste avant l’annonce des retards dans la livraison de l’Airbus A 380.

C’est vrai que dans cette ambiance politique assombrie par des crises (Contrat première embauche) et des scandales (affaire Clearstream dans laquelle Dominique de Villepin est soupçonné d’avoir porté préjudice à Nicolas Sarkozy, son concurrent à l’élection présidentielle), le Premier ministre apparaît comme un animal traqué. Il avait de quoi perdre son sang-froid.

Cependant, de mémoire de Français, c’est la première fois qu’un chef de gouvernement se laisse emporter de la sorte, donnant ainsi de la France, l’image d’une République bananière à l’africaine. Sous nos tropiques en effet, une telle scène aurait pu se terminer par un combat singulier, chacun des protagonistes campant sur ses positions et se réfugiant derrière son petit orgueil personnel et incapable du moindre repentir.

Cependant, même en Afrique, l’adage selon lequel le chef est une poubelle, est en train de gagner progressivement du terrain, même si des responsables, en mal de légitimité, n’hésitent pas à faire embastiller des citoyens accusés de crime de lèse-majesté.

Toujours est-il que quand un Premier ministre perd le nord, c’est la porte ouverte à tous les comportements qui n’honorent pas la République. Car, insulter grossièrement un député, surtout de l’opposition, pour avoir osé poser les mêmes questions que se pose son électorat et dont il partage légitimement les interrogations et les angoisses, c’est manquer d’élégance et cela ne grandit pas. Certes, Dominique de Villepin vient de battre sa coulpe en présentant publiquement ses excuses à François Hollande.

Cela suffira-t-il à apaiser un climat politique dominé par la perspective d’une élection présidentielle où chacun mène une guerre de tranchées sans merci ? Rien n’est moins sûr. Dominique de Villepin, lors de son intervention, a été non seulement hué par l’opposition, mais également et visiblement désapprouvé par les élus de son propre camp, l’UMP.

L’emportement du Premier ministre, sans être excusable, peut s’expliquer par le constat suivant : Dominique de Villepin, homme sans base électorale, se sent désespérément seul, au milieu du gué, car lâché par les sondages et par l’UMP, le parti présidentiel, visiblement assomé par le silence olympien de Jacques Chirac qui l’a fait roi pour contrer les ambitions présidentielles de Nicolas Sarkozy. Tout cela est pesant pour cet homme qui, du temps où il dirigeait la diplomatie française, récoltait des roses et des lauriers.

Pour la petite histoire, il semble que peu de premiers ministres français, dont le rôle est d’encaisser l’impopularité du chef de l’Etat, ont accédé à la charge suprême.

Mais, il s’agit là d’un simple constat qui n’est pas irréversible et qui relève plus de la superstition, dans une France cartésienne, d’autant plus que Chirac lui-même a été Premier ministre.

En réalité, les handicaps du Premier ministre puisent leurs racines dans les réalités de la sociologie politique française. Ce qui manque à Dominique de Villepin, c’est ce ressort sur lequel il pourrait retomber, amortir le choc et rebondir : une base électorale, au contraire de Nicolas Sarkozy.

Grand commis d’Etat, celui auquel tout avait jusqu’à présent réussi et qui n’a jamais traversé les dures épreuves du suffrage universel, n’a pas compris qu’il avait l’obligation de retenir sa langue s’il ne veut pas courir le risque de se mettre à dos, toute une classe politique qui, toutes sensibilités confondues, est allergique à tout ce qui semble être un gros pavé dans la quiétude républicaine.

N’ayant pas un électorat à ménager, le Premier ministre a commis l’erreur de se servir de la tribune de l’Assemblée nationale, symbole de la séparation des pouvoirs, dépositaire des valeurs républicaines et lieu privilégié de débats d’idées, pour s’attaquer de manière frontale et irrévérencieuse à des élus.

L’attitude de Dominique de Villepin, à tort ou à raison, a paru en tout cas comme une insulte proférée contre une institution, l’Assemblée nationale et par delà elle, une partie de l’électorat. Et pourtant, il aspire à incarner les valeurs de la République en se portant candidat à la présidentielle.

Comme le disait Jean-Pierre Chevènement, un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. Un présidentiable doit savoir maîtriser sa langue de peur de heurter l’électorat. Il aurait pu suivre l’exemple de Chirac qui, bien qu’impliqué dans plusieurs scandales, a toujours préféré observer le silence.

Malheureusement, Dominique de Villepin n’est pas à une erreur près. Sa plainte pour diffamation qu’il entend déposer contre des journalistes qui ont enquêté sur l’affaire Clearstream ne fera que lui mettre à dos la presse. Car, il existe une loi de la profession qui, quoique non écrite, est tenace. Quand un journal se rend compte qu’il a été manipulé, il se dresse tout naturellement contre son manipulateur.

Que le Premier ministre gagne ou perde dans un éventuel procès, ne changera en rien la situation inconfortable dans laquelle il se trouve. Même s’il s’en sort innocenté, cette question sera toujours posée : s’il n’avait pas l’intention de couler Sarkozy, pourquoi , en tant que Premier ministre, n’avait-il rien fait pour arrêter l’affaire ?

Parvenu au pouvoir avec comme seul héritage la volonté du chef de l’Etat, lui-même victime des aléas de la politique française, Dominique de Villepin se savait un électron libre, assis sur une chaise à trois pieds dans ce sérail politique fait de réseaux complexes. Le Premier ministre a eu l’imprudence de n’avoir pas pris la mesure d’un éventuel rejet s’il s’attaquait au système.

Le Pays

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