LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

<I>La chronique du fou </I> : Communalisation intégrale, et après ?

Publié le vendredi 23 juin 2006 à 08h15min

PARTAGER :                          

Depuis le 23 avril dernier, les Burkinabè se sont embarqués dans une nouvelle aventure politique, espérons-le, irréversible : la communalisation intégrale. Comme toutes les aventures, elle comporte des risques.

Dans le sens où nous l’entendons, cette communalisation intégrale signifie transfert d’un certain nombre de prérogatives d’un Etat fortement centralisé à la base. Un nouveau concept si alléchant que si on n’y prend garde, on risque de se faire piéger en faisant une fixation sur son contenant en occultant son contenu. Une telle crainte est fondée sur l’histoire récente des Etats africains.

Une histoire marquée par des ratés dont les conséquences dévastatrices sont encore visibles aujourd’hui. C’est ainsi qu’octroyées ou arrachées de haute lutte, les indépendances africaines ont parfois débouché sur des impasses. Tout simplement parce que l’on a cru naïvement qu’il suffisait de délimiter géographiquement des frontières pour se proclamer Nation en oubliant les frontières morales, psychologiques. Si les deux notions, Etat et Nation, semblent être synonymes, il convient tout de même de nuancer.

Dans certains pays, on parle même d’Etat-Nation. L’Etat, c’est un gouvernement, une administration, tandis que la Nation, c’est la patrie, le peuple, la volonté commune de vivre ensemble. Cette clarification était nécessaire précisément au moment où, au nom du sacro-saint principe de démocratisation à la base, l’on va procéder au transfert de compétences à nos communes, et qui doit se traduire par le désengagement de l’Etat.

Un ministre, et non des moindres, disait que le problème de l’Afrique, c’est l’Etat. Il prêche donc pour le moins d’Etat au regard des résultats peu reluisants du plus d’Etat. Mais en réalité, le Burkina n’a-t-il pas plus souffert de l’absence du mieux d’Etat ? La question mérite d’être posée et mérite des réponses claires. En effet, communalisation ou pas, l’Etat a l’obligation morale de continuer à jouer son rôle régalien en finançant de grands travaux tels que les infrastructures routières, hospitalières, scolaires, les barrages, les forages, etc.

Il devrait le faire de façon équitable et équilibrée, sans discrimination et sans calculs politiciens. Or, jusqu’à présent, les investissements ne se font pas toujours en fonction des besoins des populations, mais en fonction de leur allégeance à telle ou telle chapelle politique. Les investissements se font à la carte, selon que vous avez voté pour ou contre tel ou tel individu haut placé. Une région est parfois mieux ou mal servie au prorata de son score lors des consultations électorales.

En avant la vengeance politicienne : "Ils n’ont pas voté pour moi. Ils ne perdent rien pour attendre. Ils me rencontreront sur mon chemin." Une telle sentence est indigne d’un serviteur de l’Etat qui utilise les ressources de l’Etat à des fins purement égoïstes. Ce n’est ni plus ni moins qu’un crime économique, social, et même politique dans la mesure où il aboutit à un déséquilibre entre régions, exacerbe les frustrations et lézarde la cohésion nationale.

Ainsi, le déséquilibre en termes de développement régional devient criard. On a parfois l’impression que certaines régions sont expressément mises sous éteignoir. Que ce soit dans les domaines de l’Administration, des infrastructures routières, de l’éducation, cette impression de discrimination est de plus en plus vivace.

Dans certaines régions, on voit des villages de deux ou trois quartiers qui sont des chefs-lieux de département, alors que dans certaines autres, de gros villages à forte population sont laissés à eux-mêmes, sans aucun espoir d’être chefs-lieux de département, et de pouvoir ainsi bénéficier d’une administration rapprochée. De fait, quels sont les critères pour accéder au statut de département ? Qu’on nous le dise publiquement et qu’on nous convainque que le critère politique n’est pas l’élément dominant.

Il en est de même sur le plan des infrastructures routières. Examinez les régions et vous verrez qu’à partir de Ouagadougou, certaines peuvent accéder aux pays frontaliers et voisins par plusieurs voies bitumées, au contraire de certaines autres qui n’ont même pas une bonne voie en terre pour parvenir à la frontière voisine. Pire, on a même des routes nationales promises au bitume, mais abandonnées par la suite, alors qu’elles avaient fait l’objet de tous les travaux préliminaires. Conséquence, ces routes sont retournées à leur mauvais état initial, sans que personne ne s’en soucie plus jamais.

Il est même arrivé que des projets soient détournés de leur destination initiale pour satisfaire les ambitions d’un seul homme parce qu’il possède une parcelle de pouvoir à lui finalement attribuée par les citoyens.

Plus scandaleux, il n’est pas rare de voir deux régions se regarder en chiens de faïence, à la limite de l’affrontement, parce que l’une, bien que saturée d’infrastructures socio-économiques, continue à en bénéficier, tandis que l’autre s’éternise dans un total dénuement. Il est même souvent apparu que des projets vitaux, d’importance nationale, soient piétinés pour cause de querelles de leadership régional.

Comme on le voit, ce n’est pas tellement la présence pesante et envahissante de l’Etat à toutes les étapes des décisions qui pose problème. Ce qui rend la situation déplorable, c’est le mauvais choix des hommes. Ce que nous appelons "le mieux d’Etat" devrait se traduire par le choix d’hommes porteurs d’une nouvelle pédagogie, et débarrassés de leurs réactions politiquement corporatistes.

Quoi qu’on dise, l’Etat restera, pendant longtemps, l’accompagnateur, ne serait-ce que dans le domaine des ressources humaines, des communes. A quelques exceptions près, les maires actuels sont les purs produits de notre administration. Certains même cumulent leurs fonctions de maires avec celles de responsables de l’administration. Peuvent-ils, dans ces conditions, faire la distinction entre leur casquette de maires politiquement marqués et celle d’agents de l’Administration publique ? Si dans le principe, la communalisation intégrale est une bonne initiative en ce sens qu’elle libère les intelligences longtemps congelées des individus, il n’en demeure pas moins qu’elle semble mal partie.

En effet, le développement communautaire, pour réussir, a besoin de l’adhésion sincère de tout le monde. Or, la sincérité ne s’achète pas. En mettant à la tête des communes des hommes imposés par des partis, n’obéissant qu’aux mots d’ordre de ces partis et n’ayant de comptes à rendre qu’à ces partis, le risque est grand de voir les populations se replier sur elles-mêmes, car, autant on leur a imposé des dirigeants, autant les citoyens pourraient ne pas se sentir concernés. D’où l’absolue nécessité d’aller vers les candidatures indépendantes, vers le libre choix des maires par les populations.

N’ayons pas peur des mots. Pour que la communalisation réussisse, l’Etat qui a l’obligation de l’accompagner doit se débarrasser des politiciens apatrides, détourneurs de projets, qui mènent cette politique à courte vue consistant à "punir" telle ou telle pour des raisons subjectives, et qui veulent convertir leurs peurs individuelles en peurs collectives.

En définitive, la communalisation échouera ou réussira selon qu’on aura ou non procédé au transfert des mêmes tares dans les communes que celles en cours dans l’administration, selon qu’on aura ou non propulsé des larbins et mis en scène de petits roitelets analphabètes, des potentats impénitents, parfois incompétents, des suivistes et des serviteurs zélés de leurs partis politiques. En somme, des fossoyeurs du développement. Elle réussira selon qu’on aura responsabilisé des hommes honnêtes, guidés par un patriotisme inébranlable. De tels individus seront les vrais bâtisseurs d’une Nation qui se veut une et indivisible.

Le Fou

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique