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Burkina : Etienne Minoungou, ou le théâtre en construction

Publié le samedi 21 février 2004 à 16h45min

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Auteur, acteur, metteur en scène, responsable du festival des Récréatrales, le jeune Burkinabé qui vit désormais en Europe s’efforce dans toutes ses activités de défendre un théâtre vivant, à la fois de création et ouvert sur le public.

Etienne Minoungou est un rêveur très éveillé… Les projets se bousculent dans la tête de ce comédien et auteur d’origine burkinabé, qui partage aujourd’hui sa vie entre Paris et Bruxelles et réussit cependant, comme de plus en plus de créateurs africains aujourd’hui, à garder un pied dans son pays.

Depuis 2002, il organise ainsi à Ouagadougou un festival assez atypique, les Récréatrales, conçues comme une résidence de créateurs de théâtre (auteurs, metteurs en scène et comédiens) invités pendant plusieurs semaines à élaborer ensemble textes et mises en scène de spectacles, ensuite représentées dans le cadre du festival.

L’idée est originale, puisqu’il s’agit de déconstruire la chronologie ordinaire de la création, consistant à partir d’un texte ensuite mis en scène, pour privilégier ici la production simultanée et du texte et du jeu, dans un échange permanent entre l’auteur, son metteur en scène et les comédiens des troupes présentes. Ce que résume ainsi Etienne Minoungou : « Il s’agit de voir aujourd’hui dans quelle mesure nous pouvons faire notre théâtre, en partant d’un travail sur la parole, élément fondateur de nos cultures. Et, à partir de ce travail, arriver à l’acte théâtral et à celui d’écriture. »

Pour appuyer cette démarche, qui s’adresse à des effectifs restreints, des ateliers animés par des professionnels chevronnés sont proposés aux troupes invitées (6 troupes ouest-africaines en 2002, 5 en 2003).
Si le concept séduit, il lui reste cependant à s’affirmer dans un paysage d’Afrique francophone déjà très riche (trop, pensent certains) en festivals de théâtre, en permettant d’accoucher de spectacles suffisamment aboutis pour pouvoir intéresser les programmateurs. A l’issue de l’édition 2002, Etienne Minoungou et son complice Ildevert Méda avaient pu ainsi présenter à Paris, au théâtre international de langue française (TILF), une pièce, « Madame je vous aime », à 2 personnages assez représentative de cette approche qui privilégie des créations légères.

Soutenir un tel projet, au rythme annuel, demande pourtant un appui renouvelé des bailleurs de fonds et Etienne Minoungou connaît bien les affres de la recherche, toujours aléatoire, de subventions. Comme d’autres avant lui, il déplore le faible engagement des États africains dans le financement de la culture. Et suggère des pistes : il serait bénéfique, note-t-il, de doter ainsi la création de fonds de garantie permettant d’appuyer les promoteurs dans leur recherche de crédits, notamment auprès des banques… l’alimentation de ce financement pouvant passer par des prélèvements relativement modiques, par exemple sur les ressources générées par les loteries nationales !

Singulier est aussi le propre parcours d’Etienne Minoungou, venu comme il le dit en souriant de « mon village, mes champs, ma brousse… », dans le centre-est du Burkina à quelques 200 kilomètres de Ouagadougou, pour s’installer, après le petit séminaire et sa stricte éducation dispensée par des Pères blancs, dans la capitale à 22 ans (il est né en 1968).

Tout en allant à l’université, il commence à pratiquer le théâtre avec Jean-Pierre Guingané. Celui-ci est directeur du Théâtre de la Fraternité, doyenne d’âge des troupes burkinabé et l’une des seules à pouvoir professionnaliser son travail grâce à d’importantes activités dans le secteur du théâtre d’intervention : or on sait l’importance acquise les vingt dernières années par cette forme de théâtre didactique, proposé en langues nationales à l’attention des populations rurales et fortement soutenu par les ONG qui y voient un moyen de sensibilisation autour des thèmes du développement.

D’une langue à l’autre

« Ces années-là - les années 90 - ont constitué une période charnière, qui a vu la naissance de la plupart des festivals au plan dramatique au Burkina, et ont permis de dynamiser un secteur où le gros du travail avait été fait auparavant par les troupes d’intervention, sous l’égide des deux promoteurs que furent Prosper Compaoré et Jean-Pierre Guingané ».

L’aller retour est d’ailleurs permanent pour les comédiens entre le théâtre de sensibilisation et le théâtre d’auteur. C’est ainsi avec le théâtre de la Fraternité qu’Etienne Minoungou peut jouer en 1992 dans Peer Gynt d’Ibsen (auteur finlandais du XIXe siècle) et, en 1994, Hamlet de Shakespeare, tout en se faisant la main dans le théâtre d’intervention sociale. De ce dernier, il souligne : « je crois que c’est très formateur, car l’acteur est sollicité constamment et il apprend ainsi les rudiments du métier… ensuite il y faut de la spontanéité, de l’enthousiasme, ce qui est à mon sens essentiel y compris pour exercer ensuite dans le théâtre d’auteur où il faut s’attaquer à une recherche beaucoup plus poussée sur des personnages… »

D’un théâtre à l’autre, on opère aussi un changement de langue : « c’est vrai que dans le théâtre d’intervention, où ils parlent dans leurs langues, les comédiens ont plus de naturel, ont moins de frein dans la construction de leur personnage que dans une langue qui leur échappe, comme la langue française. D’autant plus que la structure du français met en difficulté le comédien parce que ça répond à une autre structure mentale, psychologique… qui est à reconstruire, à rechercher. Et on a souvent remarqué que les acteurs sont plus à l’aise, plus « justes » lorsqu’ils s’expriment dans leur langue maternelle que quand ils abordent le français. »

Il n’y a pas, en la matière, de conflit majeur, considère toutefois Etienne Minoungou, en rappelant la formule de Sony Labou Tansi : ce n’est pas moi qui ai recours au français, c’est le français qui a recours à moi… « La langue française fait partie de mon patrimoine, j’ai appris en elle d’une certaine manière à connaître le monde… et en tant qu’auteur, je pense naturellement en français. Mais ce qui respire à travers mon travail, mon invention, ce n’est pas la langue française en tant que telle, mais un français réapprivoisé, et le mouvement de ce que j’écris est inspiré de ce que je suis… Mais j’aime à dire que je n’ai aucun conflit avec le français. »

Cette capacité à circuler d’une langue à l’autre a enfin été illustrée par un projet, né de la rencontre avec le metteur en scène français, Mathias Langhoff qui décide de monter une création autour du Prométhée enchaîné de l’auteur grec Eschyle : c’est Etienne Minoungou qui effectue la traduction en mooré, sa langue natale, pour un spectacle présenté en 2000 à Ouagadougou.

Parmi les créateurs africains, Etienne Minoungou admire Sony Labou Tansi et l’Ivoirien Koffi Kwahulé, auteur d’une pièce, « Bintou », dans laquelle il vient d’ailleurs de jouer, dans une production belge, à Bruxelles. Aussitôt cette prestation achevée, l’acteur est redevenu organisateur, pour lancer la préparation de la prochaine édition des Récréatrales, qui coïncideront cette année avec la tenue du Sommet francophone de Ouagadougou, en novembre.

Et le metteur en scène, lui, songe à adapter pour l’événement la célèbre pièce de Shakespeare, Richard III.
Entre temps, il aura peut-être réussi à faire avancer un autre de ses rêves : mobiliser un large panel de créateurs africains, hommes de théâtre ou de cinéma aussi bien que musiciens, pour qu’ils se retournent, une décennie plus tard, sur le génocide rwandais de 1994. Etienne Minoungou, qui est allé au Rwanda et en est revenu profondément ébranlé, continue à penser que l’Afrique n’a pas tiré tous les enseignements de ce drame « absolu ». Et que les artistes doivent aider à cette prise de conscience.

Thierry Perret

Promouvoir le théâtre d’auteur

Ildevert Méda et Alain Héma font partie de la jeune garde du théâtre au Burkina. On a retrouvé les deux artistes en octobre 2003 en France, dans une pièce sur le Sida : Situmem, écrit par la française Evelyn Fagnen.

Dernier volet d’un tryptique intitulé Transmissibles amours, Situmem proposait, pour 18 acteurs d’Afrique et d’Europe, une variation à la fois dramatique et chorégraphique sur un thème grave, ici traité avec inventivité et assez de lyrisme et de légèreté pour ne pas tomber dans le théâtre didactique. L’autre atout de cette pièce étant d’avoir été montée en parfaite symbiose entre l’auteur-metteur en scène et ses partenaires burkinabè.

Il s’agissait, indique Ildevert Méda, de mener « une réflexion autour du sida : comment peut-on continuer à s’aimer, en dépit de la maladie… on a nous mêmes des gens qui disparaissent autour de nous… Mais nous ne voulions pas passer par le didactique, comme c’est le cas souvent dans les formes de théâtre-débat ou théâtre-forum… plutôt faire « sentir » le sujet au public, lui faire passer des émotions. »

Depuis une dizaine d’années, pour Ildevert Méda comme pour Alain Hema, tous deux à la tête de compagnies, le propos est de réussir à sortir du répertoire classique… Mais cette option, consistant à faire du théâtre de création à partir de textes d’auteurs contemporains, demande une forme d’organisation plus souple : « nous n’avons pas des « troupes » en tant que telles, ce sont des compagnies qui rassemblent des gens sur des projets donnés. C’est un fonctionnement nouveau au Burkina, qui nous convient », même si au plan matériel la situation est loin d’être florissante.

Ildevert Méda croit pourtant qu’il y a, dans son pays, un public pour ce théâtre d’auteur, qu’il s’agit d’atteindre et de sensibiliser : « les gens aiment le théâtre ; nous avons tous un progrès à faire, dans toute la chaîne de la création, pour aller vers eux ; mais il faudrait aussi que les autorités fassent un effort pour soutenir ce travail. »

T. P.

RFI/MFI (www.rfi.fr)

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