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Lettre ouverte aux Africain(e)s : Notre Télévision nous Leurre

Publié le jeudi 22 juin 2006 à 07h27min

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Hadja Maï Niang (écrivain/doctorante en littérature générale et comparée à l’université Paris 12 Val-de-Marne) nous a fait parvenir le présent écrit dans lequel elle s’insurge contre le comportement des responsables de chaînes de télévisions sur le continent africain.

Elle évoque plusieurs aspects qui apportent la preuve que les stations de notre continent n’ont rien à envier à celles de l’Occident. Nous vous proposons son argumentaire.

Certes des lettres ouvertes écrites par des Africains sur l’Afrique, il en existe beaucoup mais ce qui diffère celle-ci des autres est qu’elle incarne une pensée qui a toujours hanté et torturé l’esprit des Africains. Il appert d’une large enquête, que nous avons menée auprès des Africains, ce message qui porte la voix du peuple.

Considérons que la télévision n’est au fond qu’un substrat pour mettre à nu l’image de l’Afrique. _Aujourd’hui l’homme mondial assoiffé de victoire et de domination se cherche une nouvelle guerre pour vaincre. Elle est déjà là : c’est la guerre des images. La question qui se pose est de savoir dans quelle position se trouve notre chère Afrique, celle du vainqueur ou du vaincu ?

Depuis la première projection de film étranger en Afrique dont l’âge dépasse la centaine, notre continent est prisonnier de l’image que le monde nous livre, l’image sous laquelle le monde nous regarde et l’image que nous faisons de nous-mêmes. Et toutes ces images sont en grande partie l’œuvre d’une machine qu’on appelle télévision avec la participation de son aîné dont le nom est cinéma.

Si nous comprenions l’utilité et le danger de ces deux machines ; si nous évaluions leur force d’impact sur le processus de développement spirituel, culturel et économique ; si nous saisissions le "complot" qui a été ourdi contre notre continent pour nous réduire de nouveau à l’état d’esclave ; si nous prenions conscience de la pratique de lavage sans pitié de cerveau qu’ils sont en train d’exercer sur les jeunes Africains, tout le continent africain se lèverait d’un saut et agirait promptement sans parler pour ne pas perdre une seconde de plus.

Au cas où nos chefs d’Etat et nous croisions les bras, croisons aussi les doigts. Et dans ce cas, pour être réaliste, chantonnons tristement : la naissance du développement de l’Afrique n’est pas prévue pour demain matin. Dans ce cadre, la distinction entre nos chefs d’Etat et nous s’avère juste parce que l’Afrique est et sera ce que sont et seront les décisions de notre gouvernement. Quant à nous, notre rôle a toujours été de se taire ou de crier et de supporter.

Cependant rattrapons-nous sur l’histoire ; ne soyons plus leur complice. Ne laissons plus ces débris d’images atterrir sur notre télévision sous prétexte de nourrir la coopération ou ce genre de mondialisation dont l’Afrique est la première victime. Notre télévision s’est avec juste raison assigné la mission de montrer les images du monde mais elle n’a pas le droit d’ignorer l’Afrique et les Africains, qui doivent être son premier objectif.

La télévision, premier outil de la communnnication

La télévision est une merveille quand on passe au tamis son programme ; elle est le premier outil de communication du vu et de "l’entendu", qui passe des messages à la même minute à des milliers de personnes séparées par des milliers de kilomètres.

En suivant le programme des Journaux de notre Télévision, on n’a pas besoin d’être un manitou pour comprendre que nos journalistes ne tiennent pas les rênes de leur studio et ne contrôlent pas l’objectif de leur caméra tant il est sûr qu’aucun journaliste du monde ne voudrait que son journal soit aussi pauvre : le seul et éternel événement du J.T. (Journal télévisé) est l’Etat avec son cérémonial de tous les sons.

Nos journalistes ont certainement appris qu’un Journal télévisé comporte des normes de conception et de diffusion sur le fond et la forme. Mais les images qu’ils nous présentent dans leurs J.T. laissent croire qu’ils n’ont pas le droit d’appliquer leurs leçons comme si leur fameuse et tumultueuse déontologie n’était qu’une parole sur micro. Et si les journalistes de notre télévision prenaient en main le destin de leur métier et décidaient de ne plus se soumettre aux caprices d’une minorité égocentrique en vue de mieux servir leur peuple ?

Nos J.T. voire le programme de notre télévision nous donnent l’impression qu’en dehors des activités politiques de l’Etat, il n’y a aucun événement social dans notre pays qui mérite d’être diffusé ; on ne sait jamais ce qui se passe dans les autres pays africains : les télévisions africaines s’ignorent comme si elles s’étaient passé un contrat de Imago non grata.

Une chaîne de télévision africaine est prête à accueillir sur sa toile toutes les images du monde sauf celles de ses voisins directs. Par le rythme de largage d’images du satellite-relais, il nous arrive souvent d’être contraints de suivre des reportages dont le passage dans nos J.T. est purement saugrenu.

Les mauvais choix de nos journalistes

On se demande à quoi sert la présence dans nos J.T. d’un reportage sur les centres commerciaux français à chaque période de baisse ou de hausse de prix, sur la rentrée des classes des Français, sur les podiums de défilé de la haute couture française, sur beaucoup de sujets venus de partout sauf de l’Afrique et dépourvus de tout intérêt pour les Africains alors qu’il y a tant à montrer sur notre continent.

On se demande si nos journalistes prennent la peine de faire un tri parfois selon l’horizon d’attente des téléspectateurs ou s’ils placent le programme sous nos yeux comme ils l’auraient fait avec les pions d’un jeu du hasard.

Par exemple, il suffit qu’un Président d’un autre continent effectue un déplacement sur le Sénégal pour que toutes les caméras fassent un Zoom sur son pays pendant de longues semaines et dans ce cas toutes sortes d’images sur ce pays sont les bienvenues sur l’écran de la RTS (Radiodiffusion et télévision du Sénégal) ; rien n’est négligé : on nous montre le pays jusqu’aux chambres à coucher. C’est peut-être dans cette logique hallucinante que dans l’après-midi du 08 janvier 2005 la RTS a soûlé ses téléspectateurs d’un documentaire de près d’une heure de temps uniquement en expression asiatique, sans reportage ni sous-titrage ni doublage.

Parmi les prix à payer pour amadouer un pays en faisant passer à la RTS son programme incompris par les Sénégalais, le ridicule est sûrement le plus cher. Aucun drame social ayant lieu en Afrique ou concernant les Africains n’ébranle les caméras de notre Télévision. Par exemple, en février 2003, à Saint-Louis du Sénégal, un petit talibé (enfant mendiant) âgé de sept ans appelé Siléye est séquestré, ligoté, fouetté, ensanglanté comme une bête sauvage pendant trois jours par son "maître coranique" et la RTS n’en a soufflé mot au peuple.

Si ce n’était l’image frappante et poignante de la photo de Siléye tout nu, les mains liés au dos par une corde sur la première page de WalFadrji (journal privé local) et les informations à ce sujet fournies par les radios privées locales et RFI (Radio France internationale), les Sénégalais jureraient sans souffle qu’une telle barbarie n’existe point dans leur pays.

La télé est une épée de Damoclès en Occident

Si dans les pays européens les malfrats limitent leurs dégâts c’est parce que la télévision est pour eux une épée de Damoclès prête à trancher leur tête à la place publique ; ils redoutent plus la télévision que le juge : combien sont-ils à se couvrir de leur chemise devant les missiles de la caméra ?

Alors, tous les malfrats sont conscients que de but en blanc ils peuvent être tristement célèbres comme les pédophiles, Marc du Troux et Emile Louis : les Français et même d’autres Européens peuvent reconnaître leur visage parmi des milliers grâce à leur passage assidu dans les J.T. et des documentaires.

Et nos J.T. sont toujours prêts à diffuser ces images en ignorant celles qui les concernent. Tout laisse croire que les caméras de notre Télévision ne regardent pas pour voir et nous faire voir la réalité qui nous permet de faire une auto-analyse et de progresser dans le bon sens. En Afrique, la Télévision est un luxe accaparé par l’Etat qui en fait bénéficier en miettes à ses partisans et l’utilise à son bon vouloir.

Où étaient nos caméras, lorsque l’Afrique du Sud vivait presque depuis toujours l’esclavage moderne par le système de l’Apartheid alors que les caméras étrangères fermaient les yeux là-dessus ? Pour le cas du Sénégal, il a fallu dans les années 80 que le chanteur Youssou Ndour joue le rôle du journaliste en informant d’une façon excellente les Sénégalais dans une de ses chansons. C’est ainsi que le mot Apartheid entre dans leur vocabulaire et ils critiquent ouvertement ce crime. Et après, la télévision court après le train en marche...

Où étaient nos caméras lorsque de 1976 à 2004, une population du Congo, de l’Ouganda et du Soudan était éliminée par la maladie mortelle et extraordinaire de l’Ebola qui a même inspiré le cinéma hollywoodien ? Les Africains sont-ils informés sur cette maladie pour savoir à quoi s’en tenir ?

Par faute d’information préventive, les Africains particulièrement du Sénégal sont confrontés en ce 3e millénaire à une maladie aussi relativement "indulgente" que le choléra qui négocie bien avec la propreté.

Si elle ne cache pas l’existence de ce genre de maladie jusqu’au cas extrême, notre télévision joue le rôle du médecin au seuil de la mort, qui attend toujours l’ultime attaque pour donner des comprimés à son patient et qui arrête l’administration à la première réussite de réanimation.

C’est à ce moment particulier que les publicités de quelques minutes sur la propreté avec les marques de l’eau de javel envahissent notre écran. C’est à ce moment original que le ministère de la Santé dispense ses cours télévisés sur la propreté.

Caméras introuvables

Où étaient nos caméras lorsque le Rwanda vivait le génocide du siècle avec plus d’un million de morts entre avril et juillet 1994 ? Une discussion appuyée sur un tel traumatisme ne peut-elle pas avertir les Africains sur les dangers de l’esprit de supériorité nationale, ethnique et de "classe" ? Pour que les Africains aient une idée plus claire sur cette tragédie, il a fallu encore l’intervention de Hollywood avec le film « Hôtel Rwanda ».

Où sont nos caméras en ces jours où depuis le 29 septembre 2005, on voit avec le cœur choqué dans toutes les télévisions du monde des Africains qui, désirant bâtir des châteaux en Espagne pour leurs frères et sœurs africains, sont déshumanisés et perdus dans les frontières de l’Espagne ? Pariez tant vous voulez que comme d’habitude aucune télévision africaine ne prend la peine de suivre au long et de près ces hommes pour montrer la réalité aux autres Africains.

Près de 5000 clandestins africains sont morts et portés disparus entre 1997 et 2004 au large des côtes du Maroc, des frontières de l’Espagne particulièrement à Melilla et à Ceuta. Pourquoi notre télévision n’en parle pas ? Cette situation est tellement révoltante et alarmante que ce serait irresponsable de la part de notre télévision d’en faire de petites minutes de reportage dans le journal télévisé.

Dans la soirée du 16 octobre 2005, toute la France a suivi dans l’émission « Sept à huit » de TF1, l’image tragique des Africains traqués comme des animaux dans la forêt de Melilla, enclave espagnole du Maroc. Pour mieux comprendre la situation, nous pouvons faire nôtre une phrase significative de l’un de ces émigrés africains : « Même un chien, même un porc, même un animal sauvage ne mérite ce traitement ; est-ce que les autres Africains nous voient en gros plan dans ces conditions pour au moins savoir ». Voilà des Africains qui voyagent avec la faim, la soif, le froid, l’humiliation, le traumatisme à vie et la mort.

L’image doit informer chaque Africain

Voilà un sujet qui mérite le Zoom franc de Notre Caméra suivi de discussion du peuple afin que chaque Africain soit informé par l’image, le langage et le témoignage réels et crus. Ainsi, mission accomplie, chaque Africain pourra prendre ses responsabilités. Les étrangers ont l’habitude de voir ces images atroces des émigrés africains clandestins par le canal des documentaires de Leur télévision mais la masse africaine ignore la vraie face de cette cruauté dont la réalité dépasse de loin la fiction.

Des thèmes cruciaux sur l’Afrique qui peuvent alimenter nos J.T, des émissions et des documentaires, il en existe à tire-larigot mais tout laisse penser que nos journalistes sont allergiques à leurs propres sujets : ils ferment les yeux sur le baobab qui gît sur la tête des Africains et montrent la fleur qui flageole sur le cheveu des autres.

Ce qu’elle veut ignorer est que nos images sont une simple parenthèse souvent misérable des télévisions étrangères. Ce qui est outrageant est qu’au moment où un match de football d’un club étranger peut bouleverser tous nos programmes, sur les chaînes de télévision étrangère la fameuse coupe d’Afrique n’est évoquée qu’en 2 ou 3 minutes à l’ouverture et la fermeture de cet évènement continental.

Et les jeunes Africains, à force de voir des matchs de football étrangers sur l’écran de leur télévision peuvent citer le nom des joueurs jusqu’à ceux des ramasseurs de ballon et des gardiens de vestiaires des stades.

Nos journalistes ne veulent pas croire que ce sont des émissions et des débats dans tous les domaines sociaux qui nourrissent une télévision et servent le peuple. Pour ce qui est de la RTS, ses émissions d’un pauvre nombre ont une courte vie comme une éphémère : si vous vous abonnez à une, attendez-vous bientôt à sa disparition brusque sans raison ni compassion.

Donnez la parole aux principaux acteurs

Combien rares sont les émissions qui y survivent ! Pourquoi notre télévision ne donne pas aux Africains l’occasion de discuter de certaines pratiques qui rétrogradent notre continent ?

Dans ce cas, l’Africain du milieu rural pourra dire ce qu’il attend de l’Etat pour pouvoir rester chez lui et gagner sa vie ; la femme de ménage africaine qu’on appelle « Bonne » pourra parler à cœur ouvert de la maltraitance domestique qu’elle vit pour de meilleures solutions ; le Talibé africain pourra livrer ses leçons du cœur et le peuple verra bien ; la drogue montrera elle-même sa dangerosité au jeune africain.

Certains africains adoptent dans les lieux publics des comportements incivils et anarchiques comme jeter tout objet dans la rue, mettre des affiches sur tout ce qui se tient debout et des pratiques que la conscience ne peut pas nommer ; voila des faits avec lesquels le développement ne discute pas.

Et si Notre télévision en parlait, non plus dans des "spots" ou des sketchs que le public prend pour de la rigolade, mais dans des reportages crus et des débats sérieux ? En outre, des émissions religieuses enclines à améliorer le social des Africains auront une bonne place dans notre télévision.

Un nombre important de scénarios écrits par des Africains sur l’Afrique pour d’abord les Africains agonissent dans les tiroirs des salles de programme de télévisons africaines. Ainsi, ce sont des Africains nantis de talent et dotés du sens de l’imagination, de la création et de l’innovation qui voient leurs œuvres fort minimisées et qui sont logiquement prêts à ne jamais entendre le clap de leurs téléfilms.

Il faut valoriser nos talents

Selon la politique de notre télévision, les scénaristes, les réalisateurs et les comédiens africains passent toujours après tous les autres sur leur propre Télévision. Qu’est-ce que les comédiens américains, brésiliens et français ont plus que les gens du talent comme Gowou, Modou Pène, Mariam Kaba, Masasi Cartouche, Akissi Delta et tutti quanti ?

Notre Télévision a-t-elle le droit de reléguer au dernier plan les œuvres de ces virtuoses du théâtre africain dont Ali Salem, feu Cheikh Tidiane Diop, Mohamed Kaghat, Caya Makhélé et de ces nourriciers du cinéma africain à l’instar de Sembène Ousmane, Imunga Ivanga, feu Oumarou Ganda, Idrissa Ouéadrago, Youssef Chahine, Abdelrakhamane Cissako, Zola Maseko au profit d’œuvres étrangères qui n’apportent guère aux Africains ?

Pourquoi notre télévision est toujours prête à tout pour diffuser des films étrangers et ne participe pas à la gloire matérielle et notoire du théâtre et du cinéma africains ? Eu égard aux heures de diffusion des séries africaines comme « Goorgorlu », « Ndioublang », « Les Bobodioufs » , « Faut pas fâcher » et « Ma famille » à la RTS, il y a une vraie auto discrimination dépréciative sûrement innocente ou réflexe mais, ô combien !réelle.

On constate aisément que les heures stratégiques sont réservées aux films étrangers, c’est comme dans la loi de la publicité : les heures nommées écran D, synonyme d’emplacement préférentiel, sont accordées aux nantis. Notre Télévision n’est-elle pas fière des films et des pièces de théâtre africains pour les présenter à ses téléspectateurs 4 jours sur 7 même s’il faut faire soumettre au sous-titrage ou au doublage les œuvres de langue locale incomprise par la majorité des téléspectateurs ?

Aujourd’hui, devant l’envahissement hallucinant du cinéma américain, on dirait que les télévisions françaises se sont passé le mot en diffusant plus qu’avant leurs propres films dans leur télévision. Dans cette même logique de préservation et de valorisation d’œuvres nationales, les Brésiliens réalisent et diffusent leurs propres films dans lesquels ils font une promotion réussie du Brésil.

Quant à nous les Africains, nous nous contentons de consommer sans se rassasier à la fois les films américains, français, japonais, brésiliens, indiens et chinois.

Toujours dans le cadre de leur politique dépréciative, Notre Télévision est prête à faire payer quel que soit le prix à des industries africaines, moyennant des publicités sur leurs produits de fabrication, des films qui n’ont rien à voir avec nos vécus ni avec les réalités des pays qui les réalisent ; des films qui bêtifient le peuple et le mènent par le bout du nez.

Et nous, autres Africaines et Africains, qu’est-ce que nous gagnons encore dans cette politique âgée de plus d’une trentaine d’années ? Encore, la Consommation : la consommation des images parfois ahurissantes de nos J.T, la consommation de films bidon venus de partout et de nulle part, la consommation des produits de ces sociétés qui « achètent » ces films, la consommation, toujours la consommation jusqu’à avoir la boulimie et l’intoxication cérébrales.

Quand le musicien africain ne compte pas pour la télé

A force de compter plus de têtes étrangères à longueur de journée sur sa propre télévision, l’Africain croit finalement que son compatriote est incapable de réaliser un film, ainsi pour lui toute œuvre d’imagination tournée par un Africain est tout sauf film ; pour lui, l’appellation qui sied à ce genre de produit spirituel est plutôt théâtre ou « téyatar ».

Face à des musiciens africains qui se creusent la tête et se vident les poches pour réaliser des albums, notre télévision donne l’impression de favoriser la diffusion de quelques clips ; ce qui fait que certains clips de musiciens africains y passent rarement avant de disparaître définitivement.

Si dans les années 90, les Africains du Sénégal se lamentaient de l’indécence des clips étrangers qui défilaient sur leur écran de télévision, maintenant l’affaire est au Sénégal : l’image de certains clips sénégalais est abracadabrante. On se demande d’où sortent ces personnes qui rivalisent d’apparence de "nombril en l’air", de ventre « dépigmenté », d’accoutrement extravagant et de danse de toutes les manières.

Si certains musiciens nous livrent des clips d’une réalisation de haute facture, d’autres nous en font voir de toutes les images.

Notre télévision doit savoir que la télévision est au peuple ce que l’enseignant est à l’élève : en prenant l’enseignant comme un modèle, l’élève l’admire et le copie ; aussi et surtout puisque en Afrique c’est les enfants qui dorlotent la télévision, tout ne doit pas être permis. Ce que l’Etat africain ne prend pas en compte est que notre télévision joue un rôle très important dans la constitution de la personnalité de l’Africain.

Quand la télévision n’honore pas l’Africain

Depuis presque un demi-siècle, notre télévision déprécie l’Africain et sa nature, sa culture, ses mœurs, ses valeurs, ses croyances.

Devant le manque d’identité et la carence de personnalité, maux auxquels est confrontée notre télévision, l’amateurisme d’un âge mûr vient s’y ajouter. Durant plusieurs mois, la RTS livre à ses téléspectateurs un "mini-documentaire", le même, en guise de "récréation" à chaque fois qu’elle pense n’avoir rien à montrer.

Dans ce dernier défilent, avec nonchalance sur le rythme d’une musique de Mozart, des phoques, des pigeons qui picolent, des pingouins et des poissons plongeurs venus on ne sait d’où. Un tel non-sens répété engendre forcément cette question : Notre Télévision se moque-t-elle de notre esprit et de nos yeux ?

Il existe des actes apparemment banals, mais qui sont porteurs de symboles : on a souvent vu à la RTS des programmes dont le contenu est dérisoire sous les yeux de son public au point que nous pouvons bien croire que le bon sens et ces programmateurs ne sont pas nés le même jour, ou nous pouvons penser, logiquement parlant, que les images d’un tel fond ont subi un accident géographique en atterrissant au Sénégal : que font les Mozarts et les Oscars dans le pays des Sédars.

Nous, les Africains, n’avons-nous pas assez de talentueux humoristes comme Mohamed Fellag, Kouthia, Adama Dahico, Masta Cool, etc. dont le passage en quelques minutes sur notre écran ferait une bonne récréation sous les dehors de messages importants.

Le manque de concentration dans le travail joue souvent de mauvais tours à Notre Télévision : à l’occasion du décès de Ndongo lô, jeune chanteur-compositeur survenu le 16 janvier 2005, la RTS 2 (deux) a montré sur le chaud de l’enterrement des images en direct qui sont contraires à la conception sénégalaise de l’intimité mortuaire.

En plus, elle tend en direct son micro à qui veut parler et dans cette transe, certaines personnes étant sous le choc ont fait des témoignages confidentiels ; si aujourd’hui vous les réveillez en plein jour avec une tasse de thé bien chaud, elles ne les rediront pas. Et le drame est que toutes ces images circulent à travers le monde par le biais des personnes qui les commercialisent sous version CD.

Le Sénégal, mauvais exemple

Toujours par défaut de sérieux, il est fréquent de voir sur Notre Ecran, des images qu’on coupe en pleine diffusion sans explication : pour un cas plus banal, pour vous éviter la honte, n’essayez pas d’esquisser des pas de danse lorsque passe votre musique favorite à la RTS, car le clip peut être coupé brusquement à tout moment.

Plus incroyable, il arrive que les téléspectateurs attendent la diffusion d’un programme annoncé sans entendre le premier son du générique. Côté forme, l’image des studios de notre télévision est renversante : ayant à notre patrimoine l’un des plus beaux arts du monde.

Le décor de nombreux studios de télévision qu’on voit passer sur la chaîne Africaine appelée Africable est fade et maussade. Si elle ne se contente pas de plagier maladroitement le décor des studios étrangers, Notre Télévision détient la palme hors compétition et vieux jeu de faire figurer les chefs d’Etat sur le générique du JT.

Et la RTS va plus loin en faisant défiler sur son écran des phrases publicitaires du genre « Les chantiers du Sénégal en avant », qui font d’une façon malhabile et ridicule l’apologie du pouvoir et, mieux, en y inscrivant des slogans soporifiques comme « Le Sénégal qui gagne », qui pousse le peuple à dormir sur leurs lauriers, à rêvasser et à s’enfoncer dans le culte de la suffisance.

En plus, on se demande s’il existe en ce monde une télévision pauvre de programmes au point de faire des cérémonies comme la célébration des fêtes de fin d’année des sociétés et des services des "émissions" les plus ennuyeuses et insensées.

Hadja Maï Niang suggère

Somme toute, cette analyse nous mène à ces suggestions : notre télévision nous doit la formation et l’information de notre peuple en suivant l’exemple des radios et de la presse écrite privées africaines, qui ne lésinent pas sur leur plume, leur papier et leur parole pour contribuer au développement de l’Afrique.

S’il souhaite se regarder dans un écran au terme de sa mission, le journaliste ou le présentateur d’émission de notre télévision devrait cesser de vendre "ses programmes" contre sa liberté d’exister. Le journaliste de ou pour l’Etat n’existe point, car sans le peuple point de journalisme.

Le journaliste de Notre Télévision devrait saisir l’importance de sa mission, dépasser l’ère de béni-oui-oui et se responsabiliser dans la liberté d’esprit et d’expression. Les Africains ont besoin de voir l’image du peuple par le peuple pour se reconnaître et connaître le chemin à abandonner et le parcours à suivre.

La réactivité de l’homme à l’image est tellement manifeste que l’audiovisuel, particulièrement la télévision, l’écran du peuple, peut jouer un rôle important dans l’évolution positive des mentalités qui constitue la matière première de tout développement.

A l’Etat africain qui, peut-être par crainte, hésite à appliquer la libéralisation de l’audiovisuel par l’autorisation de diffusion de nouvelles chaînes de télévision en Afrique, nous pouvons dire : si vous tenez à l’image de la démocratie, libérez l’image du peuple.

La télévision est certes influente, mais eu égard à ses fonds de diffusion, elle peut plutôt être utile à la population. Et à l’Etat africain nous rappelons : concernant la "libération" des Chaînes, la France, votre père et votre repère, dispose des centaines de chaînes de télévision dont cinq nationales et gratuites, des télévisions de commune, de village, de quartier et même d’entreprise, et pourtant cette extension de l’image ne porte pas préjudice au pouvoir.

Bien au contraire, la libéralisation de l’audiovisuel permet au peuple de se voir, de parler, d’être vu et entendu. A notre Conseil supérieur de l’audiovisuel, nous pouvons bien demander : comment un arbitre de l’audiovisuel qui se respecte arrive-t-il à travailler pendant de longues années pour une seule et unique chaîne de télévision ?

Quant aux journalistes de notre chère Télévision, nous vous demandons, au nom de tous les Africaines et Africains et à l’honneur de votre métier, de bien vouloir mettre l’utilité à la place de la futilité.

A Notre Progrès !

Par Hadja Maï Niang
Ecrivain / doctorante en littérature générale et comparée à l’université Paris 12 Val-de-Marne

Notes (1). Les intertitres sont de la rédaction

Observateur Paalga

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