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Salambo : "Le tackiborossé n’ira pas loin"

Publié le vendredi 16 juin 2006 à 08h21min

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Salambo, à l’état civil Salambéré Moussa Joseph, fait partie du lot de ces artistes qui ont fait les beaux moments de la musique burkinabè d’après les indépendances. Aujourd’hui, comme beaucoup d’entre eux, il reste toujours à la page. Ces oeuvres dont "Pendo Ollo" ont séduit toutes les classes d’âge. L’homme ne passe pas inaperçu.

Plus jeune que son âge, toujours souriant et "savamment" habillé, ce gentleman de la musique burkinabè n’a pas sa langue dans la poche. Il dit n’avoir pas encore dit son dernier mot. Dans cet entretien accordé à votre hebdomadaire, Salambo parle du "bon vieux temps", de son palmarès et de la musique burkinabè d’après les indépendances et de celle d’aujourd’hui. Pour lui, la musique burkinabè a perdu ses racines. Pour lui, "le tackiborossé n’ira pas loin".

Evasion : Comment s’est faite votre rencontre avec la musique ?

Salambo : Pour moi, la musique, c’est un don de Dieu. Chacun naît avec ce qu’il a eu comme don. Mon père même était artiste. Il était musicien. Il jouait de la guitare et de l’accordéon mais de façon très localisée. C’est ce qui m’a beaucoup motivé. J’ai fait mon entrée sur scène en 1962. C’est cette année-là que j’ai fait mon premier enregistrement à Yako dans le Passoré.

Parlant de souvenir, quel a été votre plus grand succès ?

Mon plus grand succès, c’était en 1975 quand j’ai présenté avec succès et pour la première fois Moment historique de la Haute-Volta, un titre que j’ai chanté devant le président Sangoulé Lamizana.C’était un concours musical et j’avais été placé en 3e position. Et en 1977, j’ai eu la coupe Sankara Inoussa.

Tout récemment, "Pendo Ollo" vous a propulsé également sur presque toutes les scènes.

Pendo ollo, c’est plus récent. Mon père m’avait confié à un oncle, Salambéré Sibiri qui était enseignant. Avec mon père j’étais assez crapule. Mais le tonton Salambéré, lui, c’était un monsieur qui ne badinait pas. Il était enseignant, grand pédagogue et aussi grand psychologue. Il ne tardait pas à faire marcher la chicotte. Un bon éducateur n’eduque pas l’enfant sans ne pas quelquefois passer par la chicotte. Il faut lui (l’enfant) apprendre ce qui est bien et ce qui est mal.

Il faut quelquefois corriger l’enfant, quand on sent qu’il ne veut pas évoluer sur la bonne voie. Quand on leur donne des bonbons et des biscuits à tout moment, ils deviennent des enfants impossibles.Mon oncle Salambéré Sibiri a été directeur de l’école de Dori. C’est dans cette ville que j’ai débuté mon cycle scolaire. J’ai fait près de 9 ans à Dori, ce qui m’a permis de comprendre le fulfuldé. Et jusqu’à maintenant, je parle très bien cette langue. Pendo Ollo vient de là-bas.

L’oncle Salambéré n’a donc pas été un obstacle pour votre carrière musicale ?

Au contraire ! En tant qu’enseignant, il m’a même encouragé. En classe quand il avait besoin de quelqu’un pour donner le ton d’une chanson, il faisait appel à moi.Il m’a encouragé. Et voilà où j’en suis aujourd’hui.

Que faites-vous mis à part la musique ?

Avant d’être artiste, je suis d’abord fonctionnaire de l’Etat. Je suis cadre de l’agriculture.Là-bas aussi, je peux dire sans me tromper que j’ai réussi. J’ai été ATAS principal de classe exceptionnelle et je suis chevalier de l’Ordre du Mérite du développement rural avec agaffe agriculture.

Comment avez-vous jonglé pour arriver jusqu’à ce point ? Quel volet dominait, la musique ou votre fonction dans l’Administration ?

Evidemment, c’est l’agriculture qui prenait le pas sur la chanson. Pendant que j’étais fonctionnaire de l’Etat, je ne pouvais pas faire tout ce que je voulais sur le plan de la musique. C’est ce qui explique le fait que je ne jouais pas le plus souvent avec les orchestres. Quand on est musicien d’orchestre, on joue jusqu’à 4h du matin. A cette allure, on ne pouvait pas être au service à 7h du matin. Maintenant que je suis à la retraite, j’ai mis l’accent sur la musique, autrement dit la culture.

Vous avez été membre fondateur de nombreux groupes au Burkina ou si vous voulez, en Haute-Volta

Dans ma vie de fonctionnaire, j’ai créé des groupes. J’ai été membre fondateur du premier orchestre du Yatenga, avec un certain Dramane Ouéleguem. J’ai été un des fondateurs de l’orchestre de Kaya avec Tiendrébeogo Antoine, l’oncle de l’actuel Larllé Naaba. Il était menuisier à Kaya. Lui, il jouait du saxophone et moi de la guitare. J’ai également été membre fondateur de l’orchestre de Boromo , Ouahabou et Houndé, etc. J’ai laissé des traces dans toutes les villes où je suis passé.

A vous voir, on sent que votre jeunesse n’a pas été morose

Nous avons éffectivement eu une jeunesse tonitruante et franchement, il faisait bon vivre à ce moment-là. Il y avait à boire et à manger pour tous, la vie était facile, on s’aimait les uns les autres. On ne mettait pas en avant les intérêts. Dieu merci, on n’avait pas les grandes maladies qu’on voit aujourd’hui. Nos maladies, c’était la gonococcie et autres maladies sexuellement transmissibles. Mais aujourd’hui, il y a le Sida qui est redoutable comme maladie. Pour me résumer, je dirai qu’à notre temps, la vie était belle.

Et aujourd’hui ?

Quand je vois la jeunesse aujourd’hui, j’ai un pincement au coeur. Aujourd’hui, les jeunes ont beaucoup de difficultés pour trouver du travail, une terre d’exploitation. A notre temps, quand on finissait les études, on avait devant nous notre bureau, notre matériel de travail. C’était plus facile. Les jeunes souffrent beaucoup aujourd’hui. Ils sont là. Ils ne savent plus quoi faire. Les plus courageux font des travaux durs. Les moins courageux s’adonnent à des activités moins recommandables : coupures de route, vols, etc.
La vie est devenue trop dure. Nous ne connaissions pas cela à notre temps.

Votre vision de la musique actuelle au Burkina

Avant, nous faisions la musique pas pour de l’argent mais pour le plaisir, l’honneur. J’entendais parler de Georges Ouédraogo qui était en Allemagne. J’écoutais sa musique et j’étais très content de lui. Pendant ce temps, je faisais ma musique ici avec les autres, Sandwidi Pierre, Oger Kaboré, Issouf Compaoré, Ouédraogo Maurice et les mauricettes, Tondé Roger, etc. Nous faisions la musique pour le simple plaisir. Les concerts étaient rares. On n’avait pas le matériel adéquat pour les enregistrements. C’était tout juste pour faire plaisir à notre peuple. les chansons passaient à la radio et les gens jubilaient. Mais aujourd’hui, c’est devenu du commerce. Ce n’est plus la même chose.

Que voulez-vous dire par "ce n’est plus la même chose" ?

C’est clair... notre musique a perdu ses racines. Nos artistes ne font plus la musique de chez nous. Et quand on leur reproche cela, ils répondent qu’ils cherchent à vendre. Et ils n’ont pas tort car c’est leur seule activité. Il faut vendre plus pour avoir plus.C’est ce qui nous amène au coupé-décaler à n’en plus finir, au rap. De chez nous, il n’y a plus rien. Et si on n’y prend garde, tôt ou tard, le warba, le winiga, le liwaga, le salou n’existeront plus que dans les musées. Et le processus a déjà commencé. Les orchestres ne chantent pratiquement plus le warba.

A notre époque, quand on allait voir le Super Volta, Atimbo, L’Harmonie, Roulougou Band de Maurice Simporé, etc. , la musique burkinabè était à l’honneur. Et ce qui est frappant, c’est que déjà en Côte d’Ivoire, cette musique était beaucoup appréciée. C’est exactement comme nous apprécions la musique ivoirienne aujourd’hui. Mais maintenant, les choses ont changé. La Côte d’Ivoire nous dicte ses lois en matière de musique. Tant que vous ne faites pas cette musique, les gens trouvent que ce n’est pas bon. C’est honteux pour nous.

Ceux qui prétendent développer la musique burkinabè sont aussi ceux-là qui nous découragent en couvrant les artistes étrangers de mots doux, d’encouragement, de médailles. Quand un artiste étranger vient ici, c’est comme si c’était un président. On court de gauche à droite. Quelquefois, il a un véhicule fond rouge, des gardes du corps. Nous avons vu cela. Vous imaginez Salambo ou Georges Ouédraogo aussi chéris comme cela en Côte d’Ivoire ? Ce n’est pas possible. On n’écrira même pas dans un journal qu’un artiste burkinabè arrive.

Oui mais, on a des genres musicaux typiquement burkinabè qui arrivent à emerger. Nous avons par exemple le tackiborossé.

Le tackiborossé, c’est bien, c’est burkinabè. Mais attendons de voir. ça n’ira pas loin. C’est moi qui le dit. On a eu des artistes qui ont créé des danses à notre temps. Sadwidi Pierre a créé le calao, Maurice et les mauricettes ont créé le liwaga soukouss, Tondé Roger a également créé une danse. Mais ce n’est pas allé loin. C’est à l’image de nos artistes que tout se fait. Notre musique n’arrive pas à s’imposer. Quand on éssaie de critiquer les "développeurs de notre musique", ils disent qu’ils chérissent les artistes étrangers parce qu’il veulent réussir leurs projets. Cela fait deux fois que je chante avec Papa Wemba.

Et je dirai qu’il n’a pas fait mieux que moi. Tout le monde nous a vus à Ouaga 2000 au Kundé. Il n’a pas fait mieux que Georges Ouédraogo, Sami Rama ou moi. Si après près de 30 ans de musique, Georges et moi, on continue de se faire acclamer, c’est qu’on est costaud. Si on nous envoyait au Zaïre, on souleverait aussi des foules. Il y a plus de quarante ans que nous chantons, Georges Ouédraogo et moi.

La "musique importée" domine au Burkina. C’est une réalité. Et nous avons même vu des artistes de votre génération évoluer dans des genres à la mode. Seriez-vous prêt aujourd’hui a en faire autant ?

Oui, tu veux parler du Mapouka de mon confrère et frère Ballaké. Le coupé-décaler a toujours existé. On n’a fait que lui donner un autre nom. Si mon producteur promet de me payer, si nous signons un contrat, je peux le faire. Si c’est sûr qu’il va me payer mon argent , je le ferais. Maintenant, la musique est devenue une source de revenus. Nous avons nos statuts.

Et il est reconnu que le musicien est un travailleur et il doit vivre de son travail. S’il me verse des millions et me dit de faire de la musique mongole, je le ferai. C’est comme le contrat d’un entrepreneur-bâtiments. Si on vous dit de construire une villa, il faut le faire pour mériter les sous. C’est la volonté de celui qui donne les sous..

Nous ne devons donc pas être étonnés si nous vous voyons évoluer dans le coupé-décaler !

Pourqoi pas ? Personne ne m’a fait venir dans la musique. J’y suis venu par plaisir. Je suis heureux de faire la musique. Certaines personnes préfèrent faire la boxe pour se nourrir, d’autres prefèrent le football. Et bien, moi, c’est la musique que j’ai choisie.

Vous venez de recevoir un Kundé d’honneur lors de la dernière édition des Kundé. Pour vous, que représente ce prix ?

Les gens ne comprennent pas justement à fond le sens du mot honneur. Je pense que ce Kundé, c’est en reconnaissance à tout ce que j’ai fait dans le domaine culturel pour mon pays. J’ai défendu mon pays, l’ex-Haute Volta, actuel Burkina Faso dans le domaine culturel partout. Quand j’étais étudiant en Israël, je donnais des concerts pour montrer les airs de chez moi aux étudiants israéliens. A l’Université de Sherbrooke au Canada, j’ai fait la même chose. A la francocup de 1974, j’ai été au Canada avec Sandwidi Pierre et d’autres artistes burkinabè dans ce payspour défendre le drapeau de notre patrie. En Italie où j’ai été étudiant également, ça a été la même chose.

J’ai laissé des traces du Burkina dans tous les lieux où je suis passé. Indépendamment de cela, j’ai fait de grandes oeuvres. Pendant notre conflit regrettable avec nos frères. J’ai composé une chanson, "Moment historique de la Haute Volta". Ce n’est pas seulement cela. Il faut reconnaître qu’après quarante ans de musique, nous avons beaucoup fait. Ce Kundé d’honneur, c’est d’abord une reconnaissance.

Le Kundé d’or a eu un million, mais nous, rien. Et nous sommes très contents, car pour celui qui comprend le français, il n’y a pas un mot plus noble, plus beau, plus majestueux que le mot honneur. L’honneur d’un homme c’est la vie. Et la vie n’a pas de prix. Combien de gens sont morts pour l’honneur ? Combien de gens ont tué pour l’honneur ? L’honneur, c’est le bien le plus précieux.

Vous restez malgré tout "pimpant" !

Je suis de la même génération que nombreux artistes. Mais Dieu ne nous a pas donné la même trempe. Ma jeunesse est d’abord un don de Dieu. Elle est aussi due au fait que j’étais beaucoup sportif à mon jeune âge. J’ai joué au football pendant près de 27 ans. J’ai fait toutes les coupes, tous les championnats de Haute Volta pendant 27 ans. Le sport maintient. Ma force, c’est que je ne bois pas, je ne fume pas, je ne croque pas la kola. Je n’ai jamais consommé la drogue.

Ce sont ces raisons qui me maintiennent jeune. Il faut que j’ajoute le fait que mon père était un homme propre. Il aimait ce qui est beau. Il aimait la musique. J’ai hérité tout cela de lui. Si vous venez chez moi, vous y trouverai une propreté insultante. Vous voyez ma voiture, elle est d’une propreté insultante. Et que dites-vous de ma propre personne ? C’est ce qui fait ma jeunesse.

Propos recueillis par Alain DABILOUGOU
Evasion (Le Pays)

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