LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Tenues vestimentaires : Les travestis du Faso

Publié le vendredi 16 juin 2006 à 08h14min

PARTAGER :                          

De nombreux Burkinabè qui ont vu la une de notre confrère Sidwaya du mercredi 7 juin dernier ont été déboussolés. Ils ont eu droit à une sorte d’arrêt sur image dont le moins que l’on puisse dire, est qu’il est illustratif de la manière dont certains de nos responsables aiment se travestir au Burkina.

En effet, lors de la visite guidée du prince saoudien sur le chantier du village d’enfants SOS de Ziniaré, sous la conduite du ministre de la Promotion de la femme, cette dernière est apparue dans un accoutrement qui ressemblait à celui d’un épouvantail (n’eût été la couleur blanche de la tenue), d’un ouvrier sortant d’une mine ou d’un esquimau émergeant d’un igloo. Image d’autant plus surprenante et insolite que le prince Al Walid était accompagné de son épouse vêtue d’une tenue à l’occidentale qui n’avait rien à voir avec la tradition vestimentaire de l’Arabie Saoudite.

Loin de nous l’intention délibérée de viser la personne du ministre de la Promotion de la femme en tant que telle. Elle a peut-être été induite en erreur par un service de protocole zélé qui ignore que si l’Arabie Saoudite investit beaucoup au Burkina, elle n’a jamais posé comme conditionnalités à son aide, l’adoption des habitudes vestimentaires de son pays.

Il se peut aussi que le ministre ait obéi, au plus haut niveau de l’appareil d’Etat, à cette politique de renoncement codifiée qui voudrait qu’on soit plus royaliste que le roi, chaque fois que nous recevons des hôtes de marque. Cette habitude est tellement ancrée dans les mentalités qu’on est en droit de se demander si les Burkinabè n’ont pas la phobie d’être ce qu’ils devraient être : eux-mêmes, dans leurs accoutrements, pour ne pas dire dans leur peau qui, du reste, ne sont pas si ridicules que ça.

A ce qu’on sache, nous ne sommes pas habillés en haillons. Troquer à tout moment des tenues d’emprunt et de circonstance contre ce que notre génie créateur a inventé depuis des millénaires et qui continue à résister à l’épreuve d’une mondialisation que nous voulons servilement suivre est déplorable. Doit-on escamoter, pour plaire à nos hôtes qui ne le demandent pas forcément, notre culture qui nous distingue des autres sans forcément les froisser et nous séparer d’eux ?

Nous pouvons montrer notre légendaire hospitalité sans nous travestir. Bien au contraire, les visites officielles doivent être considérées comme des fenêtres ouvertes sur l’extérieur et qui donnent l’occasion de manifester notre fierté et de magnifier notre attachement à notre culture à travers nos habitudes alimentaires et notre art culinaire pour ne citer que ces deux valeurs. Ce qui se passe actuellement est certainement la funeste conséquence de notre complexe d’infériorité.

Alors qu’ailleurs, on parle d’exception culturelle, celle qui ne se prête à aucune compromission, chez nous, on donne l’impression de patauger dans une sorte d’inféodation culturelle. A moins de nous convaincre que le principe de réciprocité est de régle chaque fois qu’un de nos responsables est en visite officielle à l’extérieur. C’est ce qu’on appelle rendez-vous du donner et du recevoir. Cette exigence ne devrait pas être une simple vue de l’esprit, un slogan pour endormir nos consciences. Il serait suicidaire pour nous d’inculquer à nos hôtes, la phobie de nos valeurs culturelles.

Malheureusement, à moins d’un sursaut, cette démission face à ce qui devait être notre apport culturel dans le concert des Nations, tend à se généraliser. Il nous est, par exemple, revenu que des officiels burkinabè préfèrent le poisson mauritanien (plus délicieux semble-t-il pour ceux qui peuvent s’en procurer) importé à prix d’or et servi au cours des réceptions mondaines, que le poisson du Sourou, de la Kompienga ou de Loumbila. Ainsi, il n’est pas rare de trouver sur la table de nos banquets officiels, des maquereaux de Marseille, des saumons de Toulon, des crevettes de Côte d’Ivoire en lieu et place des minuscules écrevisses de Nagbangré. Avec de telles dérives alimentaires, il y a de quoi abandonner nos pêcheurs à leur sort.

Mais, c’est surtout sur le plan vestimentaire que les Burkinabè théâtralisent leur comportement, surtout lors des réceptions offertes par les représentations diplomatiques et les organisations internationales basées à Ouagadougou. Alors que l’hôte des lieux, abandonnant la tenue officielle de chez lui en se mettant au goût du jour, prend soin de préciser que la tenue décontractée ou de ville est tolérée, on voit des Burkinabè phagocytés comme des mannequins, suant à grosses gouttes et la gorge serrée par des cravates en noeud papillon, se présenter au lieu de réception.

Certains Burkinabè ne craignent pas le ridicule en apparaissant dans des tenues dignes de bouffons de cirque simplement par opportunisme et cupidité pour plaire à leurs hôtes. Lors d’une visite au Burkina, Kadhafi avait porté une saharienne avec manches courtes pendant que ses hôtes s’étaient cagoulés comme des membres du Ku Klux Klan. Ils entendaient attendrir le Guide libyen et profiter de ses largesses.

Certains mêmes ont changé de religion pour la circonstance pour profiter des pétrodollars des Etats-arabes, et une fois la manne empochée, ils se sont empressés d’abandonner aux vestiaires leurs accoutrements. Après le passage du prince saoudien, l’on peut se demander quel sera le sort réservé à ces habits d’un seul jour. Ne vont-ils pas, en attendant d’autres occasions qui ne se présenteront peut-être plus jamais, être rangés au musée des oubliettes ?

Toujours est-il que le prince saoudien et son épouse nous auront donné des leçons de comportement responsable, à travers leur habillement, véritable mariage entre la tradition de leur pays et l’apport extérieur. Evitons donc ces amalgames et ces zèles à sens unique qui nous dépersonnalisent inutilement et coûteusement.

"Le fou"

Le Pays

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 16 juin 2006 à 11:05, par Madiba En réponse à : > Tenues vestimentaires : Les travestis du Faso

    J’aimerais voire à quoi ressemblait notre ministre dans ses tenues vestimentaires. ça devait horrible comme le fait savoir Le Fou.

  • Le 16 juin 2006 à 11:08, par yempabou En réponse à : > Tenues vestimentaires : Les travestis du Faso

    Bonjour les amis du Pays !
    Quel bonheur de lire votre article.
    C’est la première fois depuis le début de l’année que je réponds à un article. Tellement il vallait la peine au vue de la profondeur et des vérités de l’article.
    Bon courage à vous.
    Pierre YONLI

  • Le 16 juin 2006 à 12:24, par Bénéwindé ZOUNGRANA En réponse à : > Tenues vestimentaires : Les travestis du Faso

    Merci au "Fou" pour sa nième chronique que pour rien au monde je ne manque de lire chaque vendredi.
    Pour le sujet d’aujourd’hui je vous assure que j’ai eu de la peine à convaincre des amis qu’il s’agit du ministre burkinabè de la promotion de la femme qui accueillait le prince saoudien à l’aéroport et la femme blanche derrière ce dernier etait son épouse, quand la tnb présentait l’élément.
    Pour la visite de Kadaffi j’ai aussi vu à la télé comme vous le guide simplement habillé tandis que nos ministres suffoquaient dans leurs costumes sous un soleil de plomb dans un ranch à l’Est du Burkina.
    De façon générale remarquez les cérémonies dans les provinces mêmes les plus réculées lorsque que quelqu’un sait qu’il sera interviewé par la télé, il se croit obligé d’attacher la cravate même s’il ne l’a jamais fait.Sans aucun scrupule.
    Le ministère de la culture est interpellé pour redonner au burkinabè leur fierté à aimer et à porter nos tenues traditionnelles.

  • Le 16 juin 2006 à 14:36, par FAS En réponse à : > Tenues vestimentaires : Les travestis du Faso

    Pas si fou que ca, le fou !
    J’ai lu l’article du fou avec une certaine délectation car je suis de ceux là qui pensent que nous devons rester nous memes. Avec le modernisme (ou devrais-je plutot dire la modernisation forcée), nous perdons beaucoup de notre culture. Nous devons donc nous ressaisir afin de sauver ce qui peut encore l’etre. Et celà commence par des petits actes quotidiens, par les choses les plus banales comme l’habillement. Nous avons au Burkina la chance d’avoir le Faso Dan Fani. Une chance que beaucoup de nos frères africains nous envient. Pour preuve, du Sénégal au Tchad, en passant par le Mali et le Niger, des gens portent fièrement le FDF "made in Burkina" dont certains d’entre nous ont honte. Pourtant, à mon humble avis, chaque burkinabè devrait avoir au moins une tenue FDF dans sa garde robe. Je profite de cette oppportunité pour louer l’initaitive des établissements scolaires de Ouaga qui consite en l’institution d’une journée dédiée à la tenue traditionnelle et je félicite les initiateurs de la semaine consacrée à l’art vestimentaire Dagara. Les autorités, particulièrement celles chargées de la culture devraient s’investir davantage dans ce genre d’initiative.

  • Le 17 juin 2006 à 16:27, par Diallo Amadou En réponse à : > Tenues vestimentaires : Les travestis du Faso

    La chronique du fou touche là un problème important et qui interpelle tous les burkinabé. En plus il l’a bien analysé et de façon polie. Cependant, au delà des bouffoneries de certains de nos responsables politiques, il se pose là un problème de fond qui constitue un frein au developpement même de notre pays. Je propose donc pour ceux qui le désireraient cette reflexion un peu plus developpée sur le rôle de la culture.

    DU ROLE DE LA CULTURE ET DE L’EDUCATION DANS L’EMANCIPATION ET LE DEVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE

    La culture entendue comme ensemble des phénomènes sociaux (religieux, moraux, esthétiques, scientifiques, techniques) commun à un groupe social est devenue à la fois une préoccupation et une activité majeures au sein des sociétés. La revendication du droit à la culture ainsi que la promotion de la diversité culturelle progressent en Afrique, à la suite des autres droits humains. Parallèlement, s’expriment, à mots de moins en moins couverts, les frustrations légitimes des citoyennes et des citoyens devant la crainte de perdre leurs références culturelles. Ce mouvement s’inscrit en réaction à la mondialisation de l’économie et à la globalisation des marchés. L’école, plus que jamais, lieu de choc des cultures et d’échanges inévitables, constitue une composante importante dans la transmission et la mise en œuvre des savoirs et des cultures, d’où l’importance de l’éducation qui demeure un vecteur dominant dans la construction d’une culture. Mais, à l’instar de tous les autres secteurs, la culture se mondialise, entraînant le risque de perdre la richesse de la diversité culturelle dans le monde actuel. L’école est ainsi progressivement dépossédée de sa propre culture et sommée d’emprunter celle de l’entreprise. Les nouveaux marchands du savoir, arpentant la ligne tracée depuis l’époque coloniale, lorgnent l’école, y voyant là une magnifique courroie de transmission de leurs valeurs et de leurs produits. Du coup, l’éducation et les systèmes éducatifs, dont la mission est à la fois de transmettre un patrimoine culturel et de préparer à la construction de l’avenir, sont au cœur des débats et des enjeux stratégiques. De cela découle la nécessité pour les africains, particulièrement les intellectuels et les élites, de procéder à une véritable rupture idéologique et culturelle d’avec leur passé occidental et leur complexes actuels afin de se forger une solide identité nationale, condition incontournable pour se mettre au service de leurs peuples ainsi qu’au service des valeurs et des civilisations de leurs sociétés.
    De la nécessité d’une rupture idéologique et culturelle
    Depuis 1960, l’Afrique noire semble plongée dans la confusion sur le plan intellectuel et se trouve dans l’incapacité d’opérer une rupture pourtant incontournable entre le diplômé et l’intellectuel, entre la recherche de la consécration occidentale et l’intégration profonde au sein des sociétés indigènes. Les africains ont tout intérêt à renouer le cordon ombilical avec les racines de leur civilisation. S’ils le font, les complexes accumulés par la trop longue habitude de se découvrir seulement à travers ce que l’Occident leur offre comme image d’eux mêmes tomberont enfin. C’est ce qui a conduit le professeur Guissou L. Basile à s’exprimer ainsi : « Depuis 40 ans, c’est l’aventure ambiguë que vit les tenants des savoirs dits modernes au sein des sociétés africaines où, pourtant, il faut trancher entre être ou ne pas être (To be or not to be), subir ou s’assumer. Les exemples et les expériences de toutes les nouvelles puissances émergeantes d’Asie et d’ailleurs le montrent. Les dragons de l’Asie, la Chine de Pékin ou l’Inde sont tous des pays qui ont d’abord pu résoudre scientifiquement la question identitaire au niveau de l’élite. Ils ont su et ont pu rompre d’abord et surtout avec l’impérialisme linguistique et culturel qui constitue la prison intellectuelle par excellence. Concernant les langues internationales, il est évident qu’il ne peut pas être question de supprimer leur usage là ou cela est indispensable. Officialiser l’usage des langues nationales ne veut pas dire élimination des langues étrangères comme l’anglais et le français. Mais, pour conjuguer harmonieusement savoirs et sociétés au bénéfice du progrès économique et social en Afrique, l’officialisation de l’usage des langues nationales dans tous les secteurs publics est une condition indispensable. La langue française ne peut pas servir à promouvoir la culture, la civilisation, la science et la technique des sociétés burkinabé par des intellectuels burkinabé. La langue française fait la promotion de la francophonie qui demeure limitée à l’histoire de la présence française au Burkina. La promotion sociale et économique de notre culture passera nécessairement par l’officialisation de nos langues » . Le célèbre linguiste américain Le Page ne dit pas autre chose en affirmant : « quand la langue du gouvernement et de la loi diffère de celle des masses populaires, les plans de développement économique, agricole et industriel sont difficiles à élaborer et encore plus difficiles à mettre en œuvre parce que la recherche de base se trouve handicapée par la barrière de la langue ». Cette question constitue un handicap majeur pour la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne catégorisés en francophones, anglophones et lusophones. Cela, d’autant plus que c’est la langue qui structure la pensée et forge notre personnalité.
    En définitive la résolution des nombreux maux qui freinent l’émancipation totale du continent ne sauraient se limiter uniquement aux questions économiques et politiques. Loin s’en faut. Il s’agit donc de comprendre que par rapport à cette problématique, les africains doivent intégrer, à partir de recherches approfondies, les données nouvelles et/ou inconnues de l’histoire et de la culture de leurs peuples. Il s’agit pour eux de rompre avec cette tendance très poussée vers le dogmatisme et la référence systématique et scrupuleuse aux schémas classiques conçus ailleurs par toute une faune d’experts et de théoriciens au détriment d’un effort sérieux pour connaître la nature et l’histoire des formations sociales locales. S’adressant à ses étudiants africains, dans les années 60, le professeur émérite suédois Gunnar Myrdal, Prix Nobel d’économie en 1974, précisait avec justesse que : « il est beaucoup plus facile d’être un conformiste que d’être un rebelle compétent ». Les élites et les dirigeants africains ont souvent négligé les problèmes culturels et linguistiques ainsi que les faits de civilisation propres aux Négro-Africains dans leurs démarches pour proposer des alternatives crédibles et fonctionnelles au développement de l’Afrique.
    La dimension identitaire et culturelle du développement en Afrique
    Cette importante question les interpelle sur la nécessité d’assimiler, les langues, la culture et l’histoire de leurs sociétés pour prétendre travailler à la libération réelle de leurs peuples au lieu de s’épuiser à soutenir et à valoriser des causes et des structures étrangères à leur culture comme celles de la francophonie. Avec ce « machin là », il est évident que l’on ne saurait parler d’une quelconque renaissance de la culture africaine. Bien au contraire, il vise à créer et maintenir un climat d’aliénation extrêmement poussé à même de maintenir et pérenniser la domination et l’exploitation par l’occident. Michel Roussin, ancien ministre français de la coopération, confirmait cela très clairement et sans fard, devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française en ces termes : « Par la francophonie notre rayonnement et notre influence dépassent très largement nos intérêts strictement mercantiles. Aucune puissance ne peut aujourd’hui remplacer la France en Afrique » .
    Malheureusement, les élites et les intellectuels africains qui étaient conscients de cette question et qui l’avaient indexé depuis bien longtemps n’ont pas été suivi dans leurs idées et leurs initiatives pour arracher le continent de cette forme subtile mais efficacement dangereuse de domination et d’assujettissement. Déjà, la génération des Cheikh Anta Diop avait fortement attiré l’attention des élites et des dirigeants africains sur le fait que l’émancipation du continent n’était viable qu’en accordant une grande priorité aux problèmes culturels, de langues, d’histoire et de civilisation. Joignant l’acte à la parole, le Professeur Cheikh Anta DIOP a même traduit toute la théorie de la relativité d’Einstein en woolof depuis les années 1960, tout en démontrant la parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines.
    Par la suite, la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), à son 19e congrès tenu en décembre 1966, interpellait les étudiants et les intellectuels progressistes africains à l’intégration aux masses populaires afin de s’imprégner davantage de leurs traditions, de leurs langues et de leurs cultures, pour mieux les assimiler et se les approprier afin de s’arracher définitivement, de ce que le Professeur Guissou L. Basile caractérise comme la condition d’une « élite culturellement destructurée », de « blanc-noir » que l’école et l’éducation coloniales avaient pour mission de façonner chez les africains, comme l’illustre, très précisément, la circulaire du gouverneur Chaudié, daté du 22 juin 1897 et relative au fonctionnement des écoles des pays de protectorats qui précisait : « .... l’école est, en effet, le moyen le plus sûr qu’une mission civilisatrice ait d’acquérir à ses idées les populations encore primitives et de les élever graduellement jusqu’à elle. L’école est en un mot, l’élément de progrès par excellence. C’est aussi l’élément de propagande de la cause et de la langue française le plus certain dont le gouvernement puisse disposer. Ce ne sont pas, en effet, les vieillards imbus des préjugés anciens, ce ne sont même pas les hommes faits, pliés déjà à d’autres coutumes, que nous pouvons espérer convertir à nos principes de morale, à nos règles de droit, à nos usages nationaux. Pour accomplir avec succès cette œuvre de transformation, c’est aux jeunes qu’il faut s’adresser, c’est l’esprit de la jeunesse qu’il faut pénétrer et c’est par l’école, l’école seule, que nous y arriverons » . L’appropriation par les élites africaines de leur patrimoine culturel pose la nécessité, pour elles, de jauger, de confronter leur éducation et leur culture, surtout celles reçues à l’école du blanc, ainsi que leur vision de l’avenir de leurs pays à l’aune des valeurs et des espérances de leurs sociétés respectives. Cabral, cette grande figure de la lutte de libération africaine, a insisté sur le rôle et l’importance de l’assimilation de la culture nationale dans la lutte des peuples pour leur émancipation avec cette belle image : « Comme il arrive avec la fleur dans une plante, c’est dans la culture que réside la capacité (ou la responsabilité) de l’élaboration et de la fécondation du germe qui assure la continuité de l’histoire en assurant, en même temps, les perspectives de l’évolution et du progrès de la société en question. On comprend pourquoi la pratique de la domination impérialiste, comme de toute autre domination étrangère, exige, comme facteur de sécurité, l’oppression culturelle et la tentative de liquidation, directe ou indirecte, des données essentielles de la culture du peuple dominé » . Dans le même ordre d’idée, le Professeur Joseph Ki Zerbo, dans son ouvrage intitulé « Eduquer ou périr » résume ainsi cette question : « .... l’éducation n’est pas un simple exercice technique de vases communicants consistant à transvaser des connaissances comme on transfère les technologies du Nord. C’est un processus d’accouchement d’une nouvelle société à partir de l’ancienne (....) l’éducation nouvelle repose sur un corps de principes et d’idéaux qui sont ancrés dans des valeurs, lesquelles sont stimulées à leur tour par une éducation génératrice d’attitudes, de comportements, mais surtout d’une conscience d’être. Or, la conscience de nombreux africains, pris dans une tempête d’une transition trop dure, est en panne sèche. Quel carburant relancera ce moteur ? Tel ou tel intellectuel ironise sur les valeurs. Au nom de quelles autres valeurs ? (...) Il n’y a pas de vie sociale sans valeurs sous-jacentes, généralement inculquées par l’éducation au sens large du terme » . Cette analyse montre, on ne peut mieux, le rôle primordial de la culture et de l’éducation dans la libération et le développement social, politique et économique des pays africains. C’est donc là un travail vital et gigantesque qui se dresse devant l’Afrique. Son point nodal étant la question de la langue qui est une question fort complexe et incontournable mais dont les difficultés ne doivent pas être occultées car « accepter la mort des langues, c’est aller au suicide culturel ».
    Au Burkina Faso, l’Institut des Sciences des Sociétés ( INSS) du CNRST se bat depuis 1981, dans l’indifférence ou l’hostilité ouverte de nombreux cadres diplômés burkinabé, pour affirmer que le développement du pays passera par l’officialisation des langues nationales ou alors il n’y aura jamais développement. Il n’est donc pas étonnant que la carte linguistique du Burkina publiée depuis 1981 par l’INSS et qui permet en un coup d’œil de voir et de localiser toutes les langues parlées au Faso sur la carte du Burkina, n’est toujours pas affichée dans une seule classe d’école primaire ou secondaire du pays. Nul ne veut en parler ou s’en procurer (cette carte est disponible à la bibliothèque du CNRST pour ceux qui le désire), parce que pour beaucoup d’intellectuels (disons plutôt diplômés) le vrai savoir est en France ou en Amérique, et ne s’acquiert qu’en français ou en anglais. Par contre, il est effrayant d’apprendre qu’au Burkina Faso, selon une enquête menée en 2000 par deux universitaires (Barreteau, D et Yaro, A et portant sur la scolarité et le niveau de compétence en français au Burkina Faso) il n’y avait que 113 335 burkinabé sur 12 millions qui possédaient un niveau de maîtrise de la langue française, équivalent et supérieur au BEPC. Cela représente 01,09% de la population (Wendé !!!).
    En définitive, l’histoire donne amplement raison au professeur Cheikh Anta Diop qui a été, le premier, dans les années 50, à soutenir et à défendre avec fermeté que, dans la perspective de la libération des peuples africains, les questions culturelles et linguistiques constituaient des données d’une importance fondamentale et incontournable car de leurs maîtrises par les élites africaines ainsi que de la qualité des valeurs contenues dans l’éducation et l’enseignement qui seront donnés aux générations futures dépendra, pour l’essentiel, le rattrapage des nombreux retards accumulés par nos pays. Le constat suivant du Professeur Guissou est, encore une fois, d’une justesse indiscutable : « Ouvrons bien nos yeux sur notre réalité sociale et politique aujourd’hui et nous constaterons que la hiérarchie est restée la même depuis un siècle. La ligne de partage officielle sépare « les lettrés » en langue française et les « analphabètes ». L’Etat post-colonial ignore les langues nationales dans ses relations avec ses citoyens. L’école, la justice, l’administration publique et tous les services fonctionnent avec une seule langue officielle qui n’est pas une langue nationale burkinabé, mais un héritage colonial qui façonne notre culture et notre manière d’être selon des normes et des valeurs étrangères. Plus vous maîtrisez (diplômes à l’appui) la langue française, plus vous avez du mérite et des privilèges socio-économiques comme les hauts postes dans la haute administration. C’est une logique suicidaire » .
    Il nous faut donc nous ressourcer dans les eaux pures de nos traditions et de notre civilisation pour mieux affronter le monde actuel car les savoirs endogènes et traditionnels qui doivent contribuer à une réelle maîtrise de notre milieu et de notre environnement afin d’extraire nos populations de leur très grande misère se volatilisent et s’étiolent lentement mais sûrement. Il est « plus que » temps que l’on travaille intensément à conserver et à réhabiliter ces savoirs enfouis dans notre patrimoine culturel, scientifique et technique car comme le disait si magnifiquement Tierno Bokar Tall, le Sage de Bandiagara et éminent maître du grand savant Amadou Hampâté Ba : « Le savoir est une lumière qui est en l’homme. Il est l’héritage de tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils ont transmis en germe, tout comme le baobab est contenu en puissance dans sa graine » .

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique