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Bob Sana, musicien : “Le Burkina Faso n’a pas d’identité musicale"

Publié le jeudi 15 juin 2006 à 07h25min

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Bob Sana

Dans le cadre de la promotion de son nouvel album intitulé « Dernière chance », l’artiste musicien burkinabè Bob SANA a été notre invité.
Il s’exprime sur le plan de promotion pour son nouvel opus et sur le monde de la musique au Burkina. Lisez plutôt.

Comme il est d’usage, nous allons vous demander de vous présenter.

Bob SANA (BS) : Salut, je me nomme SANA Salif alias Bob SANA, je suis artiste musicien burkinabè. Je suis artiste tradi-moderne parce que je fais du reggae en tant que rasta et aussi du warba-werbindé en tant qu’expression de la culture burkinabè. Régionalement le warba-werbindé se danse dans le Plateau central c’est-à-dire à Zorgho, Namentenga, jusqu’à vers Mané. C’est ce genre que j’ai choisi parce que c’est une danse de réjouissances dans les localités où on la pratique.

Tu viens de mettre sur le marché du disque ton 3e album, dénommé « Dernière chance », pourquoi dernière chance ?

(BS) : Au regard de ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays, l’homme étant le représentant de Dieu sur la terre, nous devons nous ressaisir afin d’éviter d’énormes souffrances aux autres. Parce que si nous ne rectifions pas le tir maintenant, j’imagine ce que sera ce monde dans les années à venir.

Aujourd’hui, les nouvelles qui vous parviennent de par le monde, ne sont que des nouvelles de malheurs, de guerres, de famine, de catastrophes. C’est la dernière chance pour les hommes de se rattraper et faire la volonté de Dieu sur terre. Aussi, moi Bob SANA je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école, mais grâce à Dieu je suis ce que je suis aujourd’hui. Donc tous les parents qui mettent au monde un enfant aujourd’hui doivent l’inscrire à l’école. C’est aussi la dernière chance pour eux pour que leurs enfants ne souffrent pas demain.

Par exemple, tous les jeunes aujourd’hui à partir de 18 ans rêvent d’aller en Europe, aux Etats-Unis, etc. mais pour cela il faut savoir lire et écrire, même à l’aéroport de Ouagadougou si tu ne sais pas lire, tu ne pourras pas retrouver ton avion. C’est donc la connaissance que tu as eue à l’école qui va te permettre de te défendre dans la vie. L’album « dernière chance » est donc un appel lancé aux parents pour l’instruction de leurs enfants.
Dernière chance c’est aussi une invitation au changement des mentalités des Africains.

Prenez l’exemple du coton, nous avons demandé aux Américains et aux Européens d’arrêter la subvention de leurs cotonculteurs, mais le Burkina Faso 1er producteur de coton en Afrique est-ce que nous portons nos habits traditionnels ? Quand on dit que le Burkina est pauvre c’est vrai, mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans notre tête. Parce que je ne peux pas comprendre que nous soyons pauvres mais nous refusons de consommer ce que nous produisons. Aujourd’hui les Burkinabè refusent tout ce qui vient d’eux.

Les filles, elles sont très belles quand elles s’habillent mais elles ne ressemblent pas à leur culture.
Quand tu vois une Sénégalaise habillée, elle porte forcement quelque chose de sa culture. Quand tu vas chez le peuple Akan en Côte d’Ivoire, au Ghana, Bénin et Togo, dès qu’une fille doit se marier, elle a au préalable confectionné sa tenue traditionnelle. Nous sommes jeunes aujourd’hui mais à notre vieillesse que restera-t-il de notre tradition ? Il faut que nous préservions notre culture. C’est donc notre dernière chance de réparer toutes ces erreurs que nous avons faites par le passé.

Par le passé on ignorait que l’on pouvait lire et écrire en langue moré et bissa, aujourd’hui cela se fait, c’est donc une manière de réparer ces erreurs du passé. Donc dernière chance accompagne donc toute cette prise de conscience, tout ce changement de mentalités par rapport à nos valeurs culturelles africaines.

Quel sont les différents thèmes abordés dans l’album « Dernière chance » ?

(BS) : Les différents thèmes sont relatifs au respect et à la promotion de la culture burkinabè, à la scolarisation des enfants. Aussi la construction d’infrastructures utilitaires est absolument indispensable comme les toilettes publiques à Ouagadougou et même à Bobo-Dioulasso, des villes qui accueillent de grandes manifestations culturelles mais qui ne disposent pas assez de lettrines publiques pour les visiteurs ou les habitants.

Pourtant à chaque 100m on a un télécentre ou un maquis, mais ce que les gens ignorent c’est que les toilettes publiques peuvent rapporter de l’argent. Moi en tant qu’acteur du monde social je lutte aussi pour l’éducation et l’éco-citoyennété.
Ce sont là autant de thèmes que j’aborde dans mon album « Dernière chance ».

SANA fait la promotion d’un nouveau concept le reggae-werbindé. Qu’est-ce que c’est ?

(BS) : Le werbindé c’est une danse traditionnelle de réjouissances. Le werbindé se danse avec une musique qui se joue avec le Kundé (guitare traditionnelle avec trois cordes), avec une calebasse accompagnée de chants. Les jeunes filles dansent avec des cache-sexe et le buste reste nu.

Avec le temps et dans certaines zones, cette danse est appelée le « wennenga » qui est une adaptation du werbindé. C’est le genre que fait Zougnazagamda, Kisto Koinbré.
Le werbindé se danse dans le Namentenga, le Sanmatenga (Kaya) et aussi à Zorgho. Je fais aussi le warba qui est aussi une danse de réjouissances et qui est beaucoup connu au Burkina Faso. Ces deux danses étaient à l’origine exécutées rarement lors des funérailles.

C’est à l’occasion de l’arrivée d’une nouvelle femme dans la famille ou dans le village qu’on dansait le warba et le werbindé. Je fais aussi le reggae pour dénoncer certaines situations qui ne sont pas honorables. Sur mon album « Dernière chance », il y a deux morceaux reggae : les titres « mon pays » et « du courage ».

Dans l’album « Dernière chance », on sent l’artiste engagé. Pourquoi ?

(BS) : Cet engagement se justifie par le fait que beaucoup de choses doivent changer dans mon pays. Surtout les mentalités des gens. Aujourd’hui la culture burkinabè est délaissée, les enfants refusent de danser le werbindé, le warba, le wiiré. Nous avons beaucoup de langues reconnues au Burkina, mais lorsqu’on fait passer une cassette musicale en moré les gens te demandent d’enlever et de mettre du « coupé décalé » ou le « N’dombolo ». Je reconnais que les choses ont beaucoup évolué mais il reste des choses à parfaire. C’est donc toutes les souffrances des populations qui font que je suis engagé dans mes chansons pour que ça change.

Nous savons que le milieu du « show-biz burkinabè » est un milieu de « requins ». Comment Bob SANA en tant qu’artiste se sent dans ce milieu ?

(BS) : Cela fait 5 ans que je suis dans le show-biz burkinabè, mais je constate que c’est un milieu où nous sommes en apprentissage. Parce qu’il y a des opportunités que nous devons saisir et que nous laissons passer. Par exemple, actuellement avec les problèmes que connaît la Côte d’Ivoire, beaucoup d’artistes musiciens répliquent au Burkina.

A ce sujet j’ai un répertoire des artistes qui rentrent au Faso, ils sont actuellement plus d’une soixantaine. En général quand ils arrivent ils ont un produit fini. C’est donc une occasion de récupérer ces gens afin de les lancer pour la promotion de la musique burkinabè. Mais hélas ! Prenons le cas d’Alpha Blondy, il est le produit aujourd’hui des Ivoiriens. Ce sont des personnes comme Ben SOUMAHORO, comme Serges KASSY qui l’ont fabriqué, qui l’ont lancé et aujourd’hui c’est une star mondiale. C’est dire que les Burkinabè doivent avoir confiance en leurs artistes et leur permettre d’évoluer.

Des hommes d’affaires qui sont dans le show-biz burkinabè ne nous font pas confiance, ils préfèrent investir dans des artistes d’ailleurs. Un jour on a posé la question à Bob MARLEY de savoir qui était le meilleur guitariste au monde et il a répondu que c’était MARVINE (son guitariste) alors qu’en fait MARVINE n’était pas le meilleur. Mais comme c’est lui qui était son guitariste, alors il le considère comme étant le meilleur du monde.

C’est dire que chacun doit valoriser son artiste et cela manque aux Burkinabè. Si vous les gens de la presse vous décidez de faire d’un artiste burkinabè une star vous le pouvez. Par exemple vous dites que Bob SANA, Alif NAABA ou Bill Aka KORA sont respectivement roi du werbindé, roi du djongo etc. le public va finir par l’adopter et l’accepter comme tel. Il faut le dire le show-biz burkinabè est entre les mains de la presse, c’est elle qui peut faire ou défaire un artiste. Sinon, au pays, il existe beaucoup de talents qui peuvent rivaliser avec les artistes musiciens d’ailleurs. Il vous appartient donc à vous hommes de médias de révolutionner la musique burkinabè.

En août passé j’ai participé à une compilation appelée Gang Rebel du Faso, mais c’est moi et les sœurs Doga qui avons fait toutes les tournées en Europe. Les gens venaient voir nos spectacles parce que nous avons joué avec nos instruments traditionnels dans notre langue (Moré) nous avons l’étalage de la culture burkinabè.

Sinon les gens ne venaient pas voir le reggae parce qu’en Europe ils ont vu tous les meilleurs groupes de reggae du monde. Nous avons été étonnés de voir la réaction des gens, ils étaient très contents parce que notre musique était très originale. Les personnes qui sont à la tête du show-biz burkinabè doivent faire confiance aux artistes afin de les lancer, c’est ce qui peut faire avancer la musique burkinabè.

Lorsque j’étais en quête d’un producteur, je suis allé voir un du nom de Samassa SYLLA, ce dernier m’a fait savoir que pour que la musique burkinabè soit connue il appartient aux Burkinabè de le faire eux-mêmes.

Regardez chaque samedi en fin du mois, il y a un artiste étranger qui vient jouer au Burkina, mais il y a combien d’artistes burkinabè qui vont jouer à l’extérieur ? Ce qu’il faut savoir c’est que ce sont nos hommes d’affaires qui invitent ces artistes étrangers à venir jouer ici au Burkina. Pourquoi ne pas nous envoyer à l’étranger aller jouer ? Nous les artistes, nous avons du talent, mais on n’a pas les moyens.

Moi je me suis auto-produit et je me bats seul pour la promotion de mon album. Je le fais parce que j’aime bien ma culture et c’est ma vie. Pour faire le plein du stade il faut faire venir un artiste étranger, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Ce ne sont pas les autres qui vont nous dire d’aimer notre culture si nous-mêmes nous la méprisons.

C’est plutôt à leur avantage. Les Ivoiriens sont restés dans la guerre et ils ont créé le « Coupé décalé » et ça se joue partout.
Même chez nous c’est presque devenu notre rythme national. Chaque Burkinabè qui se lève et qui n’est inspiré veut faire du « coupé décalé » mais c’est la honte pour nous.

Qu’est-ce qui est prévu comme planning de promotion pour ton nouvel album ?

(BS) : En tant que producteur de mon œuvre, je fais d’abord une promotion de proximité. J’ai commencé d’abord avec la presse nationale à travers diverses interviews que j’ai accordées. J’ai aussi fait des passages radio-télé. Pour cela j’ai fait deux clips qui sont déjà prêts. Aussi la TNB m’a accordé la réalisation d’un clip avec le soutien d’une maison de production de la place. Après la phase du Burkina je vais tenter ma chance du côté du Togo où j’ai un réseau à Lomé. Je vais aussi aller au Bénin, au Niger et au Mali, dans la sous-région.

En 2007 je prévois organiser une grande tournée en Côte d’Ivoire pour rendre hommage à mes frères qui sont restés là-bas parce que c’est dans ce pays que j’ai débuté ma carrière. Nous avons des ressortissants estimés à plus de 3 millions qui sont en Côte d’Ivoire et qui sont coupés de leur culture.

Je vais donc prendre des contacts avec les autorités d’ici et de là-bas afin d’organiser cette grande tournée. Les Ivoiriens qui résident au Burkina ne valent même pas cent mille personnes mais ils font venir leurs artistes et ils nous imposent leur musique ici. Je vais donc oser et m’aventurer dans cette voie. Je vais donc initier une tournée de réconciliation avec des artistes burkinabè et Ivoiriens. Et je ne vois pas de raisons pour qu’ils ne nous acceptent pas. Toutes les communautés l’ont fait en Côte d’Ivoire sauf les Burkinabè.

Vivez-vous de votre musique ?

(BS) : La musique ne me nourrit pas physiquement mais mon âme. En fait hormis la musique, je suis charpentier de profession. Mais depuis que je suis au Faso je me contente de la musique, c’est elle qui me fait vivre. Je vis avec les revenus de mes différents concerts dans les villages, les tournées auxquelles je participe.
C’est grâce à la musique que j’arrive à vivre et à nourrir ma petite famille tout en gardant l’espoir que demain sera meilleur.

Quel est ton regard sur la musique made in Burkina Faso ?

(BS) : La musique burkinabè n’a aucune identité. Lorsque tu es au Mali c’est le Mandingue, en Côte d’Ivoire c’est le coupé décalé présentement. En Afrique centrale c’est le N’Dombolo, au Ghana c’est le high live mais au Burkina, c’est quoi ? Il n’y a aucune musique qui soit l’expression du Burkina Faso.

Nous avons des artistes mais sommes lâches, on ne se fait pas confiance. Nous sommes sans identité musicale. On devrait, soit faire le djongo et tout le monde le fait ou soit faire le werbindé et on le fait tous pour avoir une identité musicale. Nous avons des artistes burkinabè, mais il n’y a pas de musique burkinabè. Elle n’est pas encore née. Je lance donc un appel aux artistes afin qu’ils reviennent se ressourcer parce que la culture burkinabè est pleine de richesses inexploitées. Nous avons une multitude de rythmes qui peuvent enrichir la musique moderne d’aujourd’hui. Sinon l’avenir est très sombre si nous restons dans cette histoire de coupé décalé.

Quels conseils en tant que grand frère tu pourrais donner aux jeunes qui voudraient faire la musique ?
(BS) : Le conseil que j’ai à leur donner c’est qu’ils doivent beaucoup travailler parce que la musique ce n’est pas une chose facile. Aussi ils doivent connaître la culture de leur pays afin de s’en inspirer pour créer. Il faut surtout éviter de copier à l’aveuglette parce que, dans ce cas, on est appelé à disparaître un jour.
La condition pour que nous soyons vus à l’extérieur c’est de faire la musique qui soit l’expression de notre identité culturelle.

Si l’on veut devenir grand artiste musicien un jour, il faut connaître sa culture, pouvoir la valoriser dans ses chansons.

Par S. DAOUDA (stagiaire)

L’Opinion

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Vos commentaires

  • Le 15 juin 2006 à 16:05, par ouedraogo gû wend malegre souleymane En réponse à : > Bob Sana, musicien : “Le Burkina Faso n’a pas d’identité musicale"

    Je suis tout a fait d’accord avec sana, je suis burkinabe vivant en espagne et vraiment chaque fois que je me rend au pays c’est presque parreille toujour du meme son, pourquois ? faute de radio et television ? moi ici je suis a fond dans la musique mon devoire c’est de fair connaitre la culture du Burkina faso... Alors levons nous pour cette dernier chance, de sana car la chance vient pas tous les jours. souley

    • Le 17 juin 2006 à 15:38, par landro En réponse à : > Bob Sana, musicien : “Le Burkina Faso n’a pas d’identité musicale"

      Je suis Pegdwende Charles ROLand Wedraogo , etudiant en tunisie .Etant au pays on a tendance à negliger la zik burkinabé mais quant tu va à l’etranger c’est là que l’on prends conscience que c ’est tres important de connaitre sa culture .D’après mon experience les burkinabè les plus connus internationalement sur le plan de la culture sont les yelen et souké et sidiki ,c’est dire qu’il ya beaucoup d’efforts à faire pour la promotion de la musique burkinabé.De plus je soutient SANA BOB quand il affirme que le burkina n’ a pas d’identité musicale et c’est pourquoi j’ invite mes frères à consommer la musique burkinabé pour la promotion de la musique nationale.

  • Le 15 juin 2006 à 20:54, par Myrya En réponse à : > Bob Sana, musicien : “Le Burkina Faso n’a pas d’identité musicale"

    Je suis très fier de lui quand je l’écoute et il vient de confirmer ce que je penses de lui , un homme qui aime sa culture et qui entend la faire partager par tout ceux qui ont besoin de connaitre d’autres horizons .Du courage et mes félicitations.

  • Le 19 mai 2009 à 11:59, par Manu En réponse à : Bob Sana, musicien : “Le Burkina Faso n’a pas d’identité musicale"

    Je suis OUADIO Emmanuel dépuis Abidjan. Je suis informaticien burkinabé résident à Abidjan.Je fier de SANA Bob car sa misique reflète l’identité de mon Cher pays. Quand j’étais au Burkina, je lui ai suivi plusieurs fois dans ses concerts. Son opus "Mon pays" m’a vraiment fais voyager dans le ciel.Son habillement, son langage français dans un dialecte mooré est vraiment cool.

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