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Violences à Sapouy : Une affaire familale et non politique

Publié le mercredi 14 juin 2006 à 07h54min

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Dominique Nama, SG du CDP-Sapouy

Une milice à Sapouy. C’est la conclusion à laquelle est parvenu Baoui Nama, militant de l’Union pour la République (UPR), bourgmestre de cette ville de la province du Ziro qui a tristement fait la une de l’actualité nationale et internationale, un certain 13 décembre 1998, ayant été le théâtre de l’assassinat de notre confrère Norbert Zongo.

Cette fois-ci, "Sapouy ne connaîtra pas un second drame", réplique Dominique Nama, secrétaire général provincial CDP du Ziro, conseiller municipal, candidat malheureux à la mairie de Sapouy.

A travers cet entretien, il refuse catégoriquement que le CDP soit traité de mauvais perdant, "car le problème que vit actuellement le chef-lieu du Ziro est une dissension familiale, portée à dessein sur le terrain politique par nos adversaires politiques de l’UPR". Entretien.

"Le Pays" : Y a-t-il une milice du CDP à Sapouy ?

Dominique Nama : Non, notre parti ne s’adonne pas à ce genre de pratique, et je peux vous assurer qu’à Sapouy, il n’y a aucune milice CDP.

Le maire actuel de Sapouy qui est d’obédience UPR ne partage pas cet avis, en témoigne la correspondance qu’il a adressée au commissaire central de ladite ville, avec ampliation au préfet de Sapouy et au SG de la mairie.

Le maire fait à dessein une confusion entre un contentieux coutumier et les élections municipales passées.

Pouvez-vous nous faire la genèse de ce contentieux ?

Il faudrait comprendre qu’au niveau de Sapouy, le pouvoir coutumier est de type gérontocratique. Il est exercé par l’aîné du clan. C’est notre famille qui détient ce pouvoir coutumier. Je peux dire qu’il y a eu peut-être une passation défectueuse de ce pouvoir, ce qui donne l’impression d’une usurpation du pouvoir coutumier du reste mal exercé, au bénéfice exclusif d’un seul groupe. Actuellement, cette situation est contestée avec toutes ses conséquences déplorables. Il se trouve que le maire est dans un de ces groupes, et moi dans l’autre. Comme il y a un recoupement fortuit de positions de partis politiques différents, il a été facile pour l’autre clan d’assimiler, de façon malsaine, les violences issues du problème coutumier à des agressions liées à la politique.

Peut-on comprendre un peu plus ces bisbilles aux fortes senteurs coutumières ?

Ça me dérange un peu d’en parler, parce que mon propre père est l’un des acteurs de cette situation. Il a eu à diriger le village. A l’époque, en raison de ses convictions religieuses, il a délégué le volet des pratiques coutumières, du rituel à ses frères cadets. Sa confession religieuse lui interdisait de telles pratiques. Dans un premier temps, ça s’est mal passé et il a dû déléguer les mêmes pouvoirs à de nouvelles personnes.

Aujourd’hui, mon père est décédé et la situation devrait retourner à la normale, c’est-à-dire au profit de ceux qui doivent diriger ce volet selon la jurisprudence coutumière. Malheureusement, ceux qui détiennent le pouvoir actuellement à Sapouy refusent catégoriquement, et c’est de là que découle le contentieux coutumier.

Comment ont débuté les violences à Sapouy ?

Les violences ont commencé avec les élections au niveau du conseil municipal. Une fois élu, le maire a conduit son groupe pour aller parader dans la cour royale qui est notre cour commune. Or, le contentieux coutumier qui existait exigeait un minimum de réserve. Chacun peut exprimer son triomphe chez lui ou sur une place publique, en attendant que le problème coutumier connaisse un dénouement. C’est à ce titre que, les voyant venir, le patriarche de la famille qui était présent sur les lieux s’est interposé. Il a refusé qu’ils accèdent à la tombe royale pour y fêter. Pour sa témérité, il a sérieusement été rudoyé.
Tout est parti de là.

Le patriarche a été rudoyé, et que s’est-il passé par la suite ?

Quand le patriarche était rudoyé, d’autres membres de la famille ont tenté de s’interposer mais ils ont eux aussi été copieusement molestés. Ils se sont alors présentés à la police pour porter plainte, parce qu’ils venaient d’être victimes de violences. Ils n’ont pas été reçus à la police, leur plainte non plus. Quand vous vous adressez aux forces de l’ordre pour des raisons de sécurité et que vous n’êtes pas reçus, c’est comme si on vous disait tacitement de vous défendre vous-mêmes. Et comme le groupe du maire continuait de harceler les jeunes en question, ceux-ci se sont simplement défendus.

Qu’est-ce qui justifie, selon vous, l’attitude de la police vis-à-vis de la plainte des victimes ?

C’est une bien curieuse attitude que nous n’arrivons pas à nous expliquer. Cette attitude n’a pas apparu avec ces élections. Nous avons constaté depuis lors des positions très partisanes dans la gestion de la sécurité publique au niveau de Sapouy, de la part des autorités locales, notamment le commissaire de police. Ce comportement à mon avis est typique du fonctionnaire intéressé ou partisan qui en oublie jusqu’au caractère républicain de sa mission.

Le commissaire de police, en refusant de recevoir la plainte, n’a-t-il pas simplement constaté que ceux qui se disent agressés sont en fait les agresseurs ?

Je vais répondre par une anecdote. Il n’y a pas très longtemps, un de vos confrères a couvert un événement que les gens de l’UPR ont trouvé ne pas être à leur avantage. Ils ont traqué votre confrère en question qui a été contraint d’envoyer un SOS à la police. Je vous révèle que ce SOS s’est retrouvé dans les mains de ceux qui en voulaient à votre confrère, c’est vous dire quel est l’esprit qui prévaut aujourd’hui à Sapouy en matière de sécurité.

On parle aussi de problème foncier...

Le foncier rural a été effectivement utilisé avec beaucoup d’abus comme argument de campagne. Au titre du foncier rural, il faut remonter un peu plus loin. Pour la campagne des élections municipales du 23 avril, l’équipe municipale sortante qui voulait rebeloter n’avait pas de projet de société. Elle n’avait même pas de bilan à défendre. Durant les 5 années passées, cette équipe n’a même pas pu réaliser une latrine. Elle était donc totalement désarmée en matière d’argument de campagne. C’est pourquoi elle a fait appel au foncier rural, aux mensonges, aux calomnies, aux attaques personnelles, aux menaces, et bien d’autres choses.

La population de Sapouy est composée à peu près de 40% de gens qui sont venus s’installer pour cultiver et à qui il a bien fallu trouver des lopins de terre. Aujourd’hui, comme le groupe du maire a cet avantage de détenir le pouvoir coutumier, il ne lui restait que l’argument du foncier rural : c’est-à-dire faire une pression violente sur les exploitants agricoles. L’actuelle équipe municipale a donc, en son temps, fait comprendre aux exploitants que si elle ne venait pas à être élue, les lopins de terre leur seraient retirés.

Les problèmes de Sapouy peuvent-ils avoir solution ? Si oui quelle est la voie à emprunter pour arriver à la paix ?

Il y a des solutions possibles. Toutefois, il faut comme préalable un changement radical du système de gestion et de l’esprit qui anime les dirigeants actuels de la municipalité de Sapouy. L’objectif de tous doit être le mieux-être des populations et la réalisation des objectifs de développement. Il ne faut pas se faire élire maire, juste pour s’entendre appeler ainsi et pour d’autres intérêts personnels.

En ce qui concerne le contentieux coutumier, il est aux mains des membres de la famille et ils sont en train de prendre des dispositions pour le résoudre. Quant à la question politique, elle reste entière. C’est la gestion même de la cité qui pourrait constituer la solution. S’il y a une gestion apaisée, si les provocations cessent et que les gens arrêtent de raconter que nous du CDP sommes de mauvais perdants, le calme reviendra totalement. Les questions de développement doivent être prioritaires, car notre commune accuse beaucoup de retard en la matière.

Au chapitre des violences électorales qui ont fait des victimes à Komin-Yanga et à Boussouma, inscrira-t-on bientôt Sapouy ?

Je ne le pense pas. Je ne suis pas très au fait des problèmes qu’ont rencontrés les communes que vous avez citées, mais je ne pense pas que Sapouy en arrivera là. Les gens se sont bien compris et des explications ont été fournies aux autorités administratives et de sécurité. Il faut cependant aller au bout des choses, crever et vider l’abcès. Il faut que chacun soit situé sur sa part de responsabilité dans tel ou tel événement. Mais, partir de la situation telle que je la connais aujourd’hui, je ne pense pas qu’il puisse y avoir une recrudescence de la violence sauf, bien sûr, s’il y a de nouvelles provocations de la part du groupe du maire.

Le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation a-t-il été interpellé par l’une quelconque des parties ?

Je me dis que ce ministère doit être au courant de la situation. Les autorités administratives provinciales ayant reçu les différents responsables politiques autour de la question, elles ont dû rendre compte à leur hiérarchie qui prendra sans doute les mesures appropriées dans ce sens. Certes, nous n’avons pas encore senti une disposition prise officiellement de ce côté, mais il y a une accalmie.

Qu’est-ce qui vous a fait perdre le fauteuil de maire de Sapouy que vous visiez ?

Les méthodes utilisées par la partie adverse, et que j’ai évoquées plus loin. En tout cas, en ce qui concerne ces élections municipales, nous avons assisté à des bassesses terrifiantes. Tout a été utilisé par les autres, de la calomnie à la corruption, en passant par les mensonges, les pressions par rapport au foncier rural, les violences, l’achat des voix, la fraude à l’inscription. S’il n’y avait pas eu fraude à l’inscription, celui qui est aujourd’hui maire de Sapouy ne serait même pas conseiller municipal.

Toutes ces pratiques condamnables que vous citez sont pourtant dites être beaucoup plus utilisées par le parti au pouvoir ! N’essayez-vous pas de noyer le poisson dans l’eau ?

Et bien vous voilà devant la preuve du contraire. En tout cas nous avons assisté à toutes ces pratiques à Sapouy, de la part de ceux d’en face, et c’était simplement terrifiant.

En résumé, il y a donc à Sapouy un problème familial qui a été transplanté sur le terrain politique...

Exactement, et nous sommes en train de fournir des efforts pour sérier les choses, afin que le problème familial et coutumier trouve sa solution et que le politique continue de gérer la politique selon les principes idoines et des règles d’équité.

On dit d’ailleurs que le linge sale se lave en famille. Qui sera le blanchisseur de service à Sapouy ?

Il y a des concertations en famille. Je ne peux pas préjuger de l’évolution de ces démarches, mais c’est déjà très important qu’elles soient à l’ordre du jour. On a atteint un seuil si grave qu’on ne s’adressait plus la parole. Maintenant, si on comprend qu’il y a intérêt à se parler, on pourrait trouver également la solution au problème. En fait, c’est nous tous qui devons être les blanchisseurs, pour peu que nous soyons animés d’un bon esprit, l’esprit critique positif qui veut que les choses s’arrangent. Personne n’a rien à gagner en envenimant la situation.

On l’espère bien car il semble que le commerce de machettes commence à rapporter gros à Sapouy...

A propos des machettes, on ne peut pas accuser les commerçants d’en vendre. A l’origine, les machettes sont très utiles pour les bouchers et les agriculteurs. Seulement nous avons été surpris de constater que le maire est venu acheter plusieurs dizaines de machettes et des lances pour ses partisans. Ce qui a eu les conséquences que tout le monde connaît. C’est ainsi que nous avons des blessés assez sérieux au niveau de l’hôpital de Ouagadougou. L’un d’eux a été grièvement blessé à la main.

J’ai du reste été étonné de lire que c’est dans le groupe du maire qu’il y a le blessé. En fait de blessé dans le groupe du maire, il s’agit plutôt de l’agresseur qui a été rattrapé et qui a reçu une belle correction. Ces blessures n’ont rien à voir avec celles de mon neveu qui a une fracture de la main.

Après la mort de Norbert Zongo dans cette ville, on y assiste à un autre drame. Sapouy serait-ele une ville maudite ?

Non, pas du tout. Sapouy est une ville, en principe, très paisible. Après le décès du journaliste Norbert Zongo, nous nous sommes tous investis pour que la situation ne soit pas tumultueuse outre mesure. C’est un décès que nous avons tous pleuré et des efforts conjugués nous ont permis de ne pas assister à des débordements à Sapouy. D’ailleurs ce n’est pas à Sapouy seulement qu’il y a des problèmes. Du reste, en ce qui concerne Sapouy, je pense que la parenthèse sera vite refermée avec la fin du contentieux coutumier. Si on parle de Sapouy comme ville maudite aujourd’hui, ce serait à cause de cette gestion catastrophique de la société par des hommes sans idées qui s’apprêtent à remettre ça.

Tout dépend également de vous, puisque votre parti a été présenté comme mauvais perdant à l’élection du maire à Sapouy. Cette défaite est-elle maintenant digérée ?

Nous n’avons même pas cette approche réductrice de la chose. Nous n’avons pas gagné à Sapouy pour les différentes raisons que j’ai évoquées. Sur l’ensemble du territoire national, notre parti le CDP a remporté une victoire éclatante. Tant à Sapouy que sur le plan provincial, régional et national, le CDP a fait les meilleurs scores, ce qui prouve une fois de plus la force de ce parti qui a des responsables compétents et bien au fait de la chose politique. Même si nous n’avons pas à en rougir, nous ne sommes pas du tout contents que le CDP n’ait pas pris la mairie de Sapouy. Loin d’être un mauvais perdant, nous acceptons cette situation, vu les moyens qu’ont déployés nos adversaires pour parvenir à leurs fins.

Les incidents coutumiers que nos adversaires essaient de mettre au compte de la politique, je le répète, sont à régler en famille. Ç’aurait été une confrontation CDP contre UPR que nos adversaires seraient anéantis à l’heure où nous parlons. En termes de rapports de force, ils ne pèsent pas du tout et c’est pour cette raison qu’ils ont eu recours à la fraude, en faisant voter des centaines d’électeurs étrangers qui ne remplissent pas les conditions requises. Nous n’avons pas la même approche du débat politique que ceux d’en face, sinon nous avons nos militants qui sont plus nombreux et davantage déterminés.

Avez-vous une idée du fameux homme de tenue qui encadre la "milice" à Sapouy ?

Ce policier à la retraite est simplement un membre de notre famille et militant du CDP. Au regard de ses fonctions antérieures, nous lui avons confié la sécurité de toutes nos activités au niveau du CDP de Sapouy. Il a bien géré ce volet pendant la campagne présidentielle et les autres activités qui l’ont précédée ou qui ont suivi. Ce policier a déjoué toutes les tentatives de destabilisation venant de la part de nos adversaires. Et si nous avons connu le calme pendant les municipales c’est grâce à son action.

Et c’est encore lui qui a été appelé lorsque le patriarche de la famille était rudoyé par les militants de l’UPR, conduits par le maire lui-même. C’est ce frère policier qui bien qu’ayant reçu lui-même des coups a pu protéger le "vieux". Dans la bagarre, son téléphone cellulaire lui a même été subtilisé.

Ces violences peuvent paraître insensées d’autant plus que les leaders UPR auraient signifié être prêts à diriger la mairie de Sapouy en intelligence avec ceux du CDP.

Je ne le pense pas. Je suis le SG provincial du CDP, candidat à cette mairie de Sapouy en tant que conseiller municipal élu et je n’ai jamais eu de contact de la part de l’UPR. C’est tout simplement un mensonge. C’est par la presse que je l’apprends et je pense qu’à l’étape actuelle des choses, c’est bien tard. Si cette démarche venait à être entreprise de leur part cela mériterait une longue réflexion de notre côté, notamment à cause de tout ce qu’ils ont dit sur les leaders CDP qui ont été traités de voyous, de bandits, de voleurs, en somme de tous les noms. Je ne sais pas comment on pourra passer l’éponge aussi facilement. Rien n’explique un tel acharnement de leur part. Même ma hiérarchie ne risque pas d’accepter cette compromission qui nous amènerait à travailler avec ceux de l’UPR.

Propos recueillis par Morin YAMONGBE

Le Pays

P.-S.

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Municipales 2006

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Vos commentaires

  • Le 14 juin 2006 à 09:49, par Madiba En réponse à : > Violences à Sapouy : Une affaire familale et non politique

    Cet article me rappelle celui de Sid Zabda sur "Chefferie traditionnelle : "Dépolitiser les bonnets rouges"". Lorsque la chefferie traditionnelle se mêle à la politique et sans faire de distinction entre la vie politique et celle de la chefferie traditionnelle, on n’est jamais loin d’une telle situation. C’est ce danger que l’auteur a voulu prévenir dans son article qui malheureusement a été mal compris par d’autres.

    Ce qui est décevant, ce sont, pour la plupart des cas, des soit disant intellectuels qui sont à la base de toute cette pagaille.

    • Le 14 juin 2006 à 13:00, par Dominique En réponse à : chefs coutumiers et politique ?.... notre part de responsabilité.

      Il est certain que les intellectuels sont au départ de nombreuses incompréhensions dans le monde rural. Ils sont de toutes manières l’élite dans ce contexte : la politique, le religieux, l’économique, l’administratif...sont entre leurs mains, pour le malheur comme pour le bonheur des populations.
      Chacun ira de ses arguments pour assurer sa part de pouvoir. Ceux qui tirent profit de l’engagement des chefs coutumiers en politique, en religion ou encore en développement social nous dirons qu’ils sont une courroie de transmission incontournable et des acteurs de premier plan. Ceux qui n’ont pas pu en recruter dans leurs rangs verront en eux des obstacles de premier plan. Reconnaissons simplement que bien souvent ces chefs coutumiers partagent les réalités locales avec les populations rurales majoritaires que nous intellectuels au col blanc ne retrouvons que par calculs... Alors pourquoi ne pas les aider à être de bons chefs coutumiers des temps modernes en mettant en place des lieux de formation et des programmes conçus pour leur ouverture au monde actuel et un exercice plus conséquent de leurs charges, pour l’intérêt de tous ?

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